Archivé - Décision : 04-016  Code canadien du travail Partie II
Santé et sécurité au travail

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Service correctionnel du Canada (SCC)
demandeur

et

Dwight Guthro
employé
___________________________
No de la décision 04-016
Le 6 avril 2004

Cette affaire a été entendue par l'agent d'appel Michèle Beauchamp, à Halifax, en Nouvelle Écosse, le 7 mai 2003.

Personnes présentes

Pour le demandeur
Richard E. Fader, avocat, ministère de la Justice du Canada
Alfred Légère, sous-directeur, Établissement de Springhill, SCC

Pour l'employé
Dwight Guthro, agent de correction, Établissement de Springhill, SCC
Carlyle Brown, agent de correction, Établissement de Springhill, SCC

Agent de santé et de sécurité

Matthew Tingley, Programme du travail, Développement des ressources humaines Canada (DRHC)

[1] La présente affaire porte sur un appel déposé en vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) par le Service correctionnel du Canada (SCC), à l'Établissement de Springhill, relativement à une instruction donnée au SCC par l'agent de santé et de sécurité Matthew Tingley le 12 février 2002.

[2] J'ai retenu ce qui suit du rapport d'enquête et du témoignage de l'agent de santé et de sécurité Tingley, ainsi que des documents et témoignages des parties.

[3] L'agent de correction Dwight Guthro a refusé de travailler le 10 février 2002, en vertu de l'article 128 du Code canadien du travail, pour la raison consignée comme suit au rapport d'enquête de l'agent de santé et de sécurité Tingley :

[TRADUCTION] J'ai refusé de travailler parce que quelqu'un a pris sur le chariot d'urgence des médicaments liquides et une grande quantité de seringues et de scalpels. J'estime que cela pose un danger très réel et que mon milieu de travail n'est pas sûr.

[4] Au moment du refus, l'agent de correction Guthro travaillait à l'unité 11, dans la partie de l'établissement réservée aux hommes. Il a refusé de travailler après avoir appris pendant la séance d'information du matin que, le 9 février, quelqu'un avait forcé un chariot d'urgence au service de soins de santé. Il estimait qu'il y avait un danger parce que, malgré qu'on avait inventorié ce qui manquait (des médicaments, des seringues et peut-être des scalpels) le jour même, on n'avait pris aucune mesure pour effectuer une fouille et récupérer ces objets.

[5] Devant le refus de travailler de l'agent de correction Guthro, la direction a appliqué le processus de règlement interne prévu par le Code. On a confiné les détenus à leur cellule et procédé à une fouille exceptionnelle des détenus et des cellules pour retrouver les articles manquants.

[6] L'Établissement de Springhill comprend une population des deux sexes, majoritairement masculine. Il est divisé de manière à empêcher tout contact entre les hommes et les femmes et l'unité d'isolement des détenues est elle-même séparée et éloignée de la section des femmes. À ce moment-là, il y avait un certain nombre de détenues dans cette section et une seule détenue en isolement.

[7] La direction a également procédé à une évaluation des risques pour décider si la détenue qui était en isolement devait aussi subir cette fouille exceptionnelle. Elle a conclu que :

  • la détenue avait été fouillée le 21 janvier, selon la procédure normale avant d'être mise en isolement;
  • cette fouille avait duré plus de quatre heures et la détenue y avait réagi violemment;
  • il était très peu probable qu'elle ait été en contact avec quiconque était en possession des articles manquants;
  • fouiller cette détenue exigerait probablement le recours à la force;
  • ce recours à la force risquait d'entraîner des blessures pour le personnel ou la détenue elle-même et représentait, en fait, une situation dangereuse.

[8] Le 12 février, par suite de la décision de la direction de ne pas fouiller la détenue en isolement, l'agent de correction Guthro a maintenu son refus de travailler et DRHC a été avisé du refus.

[9] L'agent de correction Guthro a déclaré à l'audience qu'il estimait que la détenue en isolement pouvait avoir eu accès aux objets volés. Il craignait d'être affecté à l'unité 7 et le danger que pouvait présenter le comportement violent de la détenue à son égard. Il a donc décidé de refuser de travailler, estimant qu'on devait retrouver les objets manquants. Sa principale préoccupation, a-t-il dit, était de protéger la santé et la sécurité de ses collègues, et la sienne également.

[10] L'agent de santé et de sécurité Tingley a mené le même jour une enquête sur le refus de travailler de l'agent de correction Guthro. Il a rapporté le commentaire suivant, recueilli lors d'une conversation téléphonique avec l'agent de correction Guthro relativement au maintien de son refus de travailler :

  • [TRADUCTION] Nous n'avons pas fouillé tous les détenus. À la réunion, ils ont dit que tous les détenus seraient fouillés. La détenue a eu des contacts avec le comité des détenus au moins deux fois.
  • Des détenus ont déjà fourni de la drogue aux détenues de l'aile des femmes par le passé. Nous avons déjà surpris des détenues près de l'unité. Des détenues ont fait de la contrebande.
  • Le comité des détenus a déclaré à l'agent de sécurité préventive Carlyle Brown que le chariot avait été forcé le mardi 5 février.

[11] L'agent de santé et de sécurité Tingley a établi qu'au moment du refus de travailler, la direction et les employés s'étaient entendus pour reprendre progressivement les activités normales. Un gardien devait être posté en permanence à l'extérieur de l'édifice 7, Aile des femmes, section d'isolement, et la sécurité devait y être renforcée pour éviter que la détenue en isolement puisse recevoir de la contrebande des autres détenues.

[12] L'agent de santé et de sécurité Tingley a rapporté que 26 objets interdits avaient été saisis durant la mise en isolement cellulaire et la fouille. Il manquait donc encore beaucoup d'autres articles et la possibilité qu'il y ait eu contrebande avec la détenue en isolement subsistait. Compte tenu de la nature des articles saisis (des brosses à dents, des peignes et des bâtons aiguisés, ainsi que des accessoires pour consommer de la drogue), on a conclu que les objets de contrebande pouvaient être produits à partir d'objets courants en possession des détenus.

[13] En ce qui concerne la seule détenue en isolement, l'agent de santé et de sécurité Tingley a tenu compte des points suivants :

  • selon les gardiens, elle était en possession d'un manche à balai, d'un produit de nettoyage en aérosol et d'une lourde statuette de métal;
  • comme elle avait couvert la fenêtre et la caméra de surveillance de sa cellule, un gardien devait faire une vérification visuelle par l'ouverture de la porte de sa cellule à toutes les 15 minutes. La détenue en profitait alors pour frapper la porte, tenter de blesser le gardien avec son manche à balai, lancer des plateaux de nourriture et asperger les gardiens de son nettoyant chimique en aérosol;
  • elle s'était enduite de lubrifiant pour que les gardiens aient plus de difficulté à la maîtriser;
  • on prétendait qu'elle avait recueilli de l'urine et des matières fécales pour repousser une tentative de se saisir d'elle;
  • selon un membre de l'équipe féminine d'intervention d'urgence de l'établissement, l'équipe était bien formée et équipée pour fouiller la détenue sans mettre en péril sa santé et sa sécurité;
  • les gardiens de l'unité 7 étaient généralement d'avis qu'il ne devait y avoir aucune exception à la fouille afin de récupérer tous les objets de contrebande possibles;
  • des membres du comité des détenues disaient être au courant du vol commis dans le chariot d'urgence le mardi, bien que la direction n'en n'ait pas eu connaissance avant l'inspection hebdomadaire du samedi;
  • des membres de ce comité avaient visité la détenue en isolement durant la semaine.

[14] Par suite de son enquête, l'agent de santé et de sécurité Tingley a décidé que la situation était dangereuse pour l'agent de correction Guthro. Par conséquent, il a donné au Service correctionnel une instruction (voir l'annexe A) indiquant :

[TRADUCTION] qu'on n'avait pas fouillé tous les lieux et tous les détenus afin de retrouver les objets que les détenus pourraient utiliser pour blesser des employés.

et lui a ordonné, en vertu du paragraphe145(2) du Code,

de prendre des mesures pour corriger cette situation dangereuse au plus tard le 13 février 2002.

[15] Le Service correctionnel a remis en question la procédure suivie par l'agent de correction Guthro pour invoquer la partie II du Code. Dans une lettre datée du 4 avril 2002, l'avocat Kerry Scullion a fait observer à l'agent d'appel que l'employé avait réitéré son refus de travailler alors qu'il travaillait à l'unité 11 et en raison de la décision du directeur de ne pas faire fouiller la détenue en isolement.

[16] Me Scullion a écrit :

[TRADUCTION] L'agent Guthro n'était pas au travail le 12 février 2002 quand l'agent de santé et de sécurité Tingley a présenté son instruction. La première fois qu'il a refusé de travailler, il était à l'unité 11. La direction a examiné les raisons de son refus de travailler à l'unité 11 et a apporté des mesures correctives. La situation et les conditions à l'origine de son refus n'avaient plus cours le 12 février 2002.

Un examen de tous les faits (séparation des installations pour femmes, isolement de la détenue et évaluation des risques par la direction) démontre que la conclusion que le danger dépassait une condition normale d'emploi n'était pas étayée par des preuves et était déraisonnable et injustifiée.

En outre, le SCC soutient que, pour se conformer à l'instruction émise, la direction n'a pas eu d'autre choix que de procéder à la fouille des détenues et des cellules une par une. Cela représente une tâche considérable et, dans les circonstances, une ingérence injustifiée dans les affaires de la direction. Le SCC estime que la décision d'existence d'un danger de l'agent de santé et de sécurité et son instruction étaient déraisonnables.

[17] Il a aussi présenté les arguments suivants pour soutenir l'appel du SCC relativement à l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Tingley :

[TRADUCTION] Rappelons que, même si les établissements correctionnels procèdent continuellement à des fouilles pour trouver les objets de contrebande, cette fouille exceptionnelle a été menée pour des raisons spécifiques, à savoir récupérer les articles pris sur le chariot d'urgence. En outre, pendant deux journées consécutives, on a fouillé tous les détenus et tous les secteurs de l'établissement, sauf la détenue en isolement et sa cellule dans l'unité d'isolement des détenues.

La décision de la direction de ne pas fouiller cette détenue résultait d'une analyse des risques reposant sur un examen approfondi, professionnel et objectif de tous les renseignements et les circonstances, y compris la santé et la sécurité du personnel.

Le SCC remet en question la procédure appliquée le 12 février 2002 de réactiver ou d'officialiser le refus de travailler de l'agent Guthro du 10 février 2002. Ce jour-là, l'agent avait refusé de travailler dans une autre section de l'établissement et dans des circonstances différentes. L'agent Guthro n'était pas dans l'unité des détenues le 10 ou le 12 février 2002. Il n'a jamais été affecté à cette unité depuis sa création et il est peu probable qu'il le soit dans un avenir prévisible.

Le SCC a également fait valoir le droit de gérance de la direction. Un établissement carcéral est un milieu complexe, mettant en cause des intérêts et intervenants multiples. Le type de micro-gestion appliqué dans ces circonstances, où on ordonne par une instruction de fouiller une seule détenue et une seule cellule, usurpe l'autorité de la direction et peut créer un dangereux précédent.

Le directeur a examiné la demande de fouille exceptionnelle de la détenue en isolement. Il a tenu compte des facteurs suivants :

a) Le principal suspect du vol était [XXX], dans la cellule duquel on a trouvé certains des objets manquants.

b) Il n'y a eu aucun contact entre la population masculine et la population féminine et encore moins avec la détenue en isolement.

c) Les seuls contacts entre la détenue en isolement et le reste de la population carcérale ont été de brèves rencontres avec la présidente du comité des détenues, qui a subi une fouille par palpation à son entrée dans l'unité d'isolement.

d) On estimait qu'aucun des objets manquants ne se trouvait dans l'unité des détenues et, après une fouille minutieuse de tout le secteur, on n'a effectivement rien trouvé.

On ne doit pas prendre de décisions, y compris celles concernant des fouilles complètes et la sécurité du personnel, sur la base de suppositions et de possibilités improbables. On doit les prendre en fonction des probabilités, après une évaluation minutieuse et raisonnée menée par des personnes compétentes.

Dans tout l'établissement, une seule détenue et une seule pièce de 9 pieds sur 5 n'ont pas été fouillées. C'est en se basant sur ce seul fait que l'agent de santé et de sécurité a conclu qu'il y avait un danger qui dépassait une condition normale d'emploi. En donnant son instruction, l'agent de santé et de sécurité a fait complètement abstraction de l'évaluation des risques menée par la direction et en a donc usurpé le rôle et l'autorité.

[18] Pour sa part, Me Richard Fader a soutenu à l'audience que, conformément à la décision de la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Fletcher vs. Canada (Conseil du Trésor)1, le droit de refuser était « une occasion particulière donnée aux employés… de s'assurer que leur travail immédiat ne les exposera pas à une situation dangereuse… une mesure d'urgence ». Il a également soutenu que le droit de refuser ne devait ni être exercé en fonction de situations hypothétiques ni servir à remettre en question la politique opérationnelle d'un employeur.

1 Cour d'appel fédérale, Fletcher c. Canada (Conseil du Trésor), [2002] CFJ no 1541, 2002 CFA 424, dossier A-653-00, 5 novembre 2002.

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[19] La seule question fondamentale à trancher ici est d'établir si l'agent de correction Guthro courait effectivement un danger au sens de la partie II du Code canadien du travail quand l'agent de santé et de sécurité Tingley a enquêté sur son refus de travailler le 12 février 2002.

[20] Le paragraphe 122(1) de la partie II définit le danger comme suit :

« danger » Situation, tâche ou risque -- existant ou éventuel -- susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade -- même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats --, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[21] Le paragraphe 128(1) de la partie II stipule dans quelles situations un employé peut refuser de travailler :

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[22] Les agents d'appel et la Cour fédérale ont rendu de nombreuses décisions sur la définition du danger. Une décision mentionnée dans le recueil des documents à l'appui de l'employeur, Canada (Service correctionnel) et Schellenberg2, explique clairement et brièvement comment interpréter la notion de danger, existant ou éventuel.

2 Agent d'appel Doug Malanka, Canada (Service correctionnel) et Schellenberg, décision no 02-005, 9 mai 2002

[23] L'agent d'appel Douglas Malanka déclare, au paragraphe 41:

Pour qu'un agent de santé et sécurité puisse conclure qu'une situation ou un risque éventuel constituait, au moment de son enquête, un danger au sens où l'entend le Code, comme dans la présente affaire, les faits invoqués doivent permettre d'établir :

  • que ce risque ou cette situation se présentera;
  • qu'un employé y sera alors exposé;
  • que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;
  • que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l'exposition à ce risque ou à cette situation.

[24] La décision de l'agent d'appel Serge Cadieux dans l'affaire Leclair et le Canada (Service correctionnel)3, également mentionnée dans le recueil de documents à l'appui de l'employeur, explique quels sont les paramètres justifiant le refus de travailler d'un employé. Il écrit, aux paragraphes 25, 26 et 27 :

3 Agent d'appel Serge Cadieux, Leclair et Canada (Service correctionnel), décision no 01-024, 19 novembre 2001

[25] Le paragraphe 128(1) prévoit des conditions spécifiques pour qu'un employé puisse exercer ce droit dans son lieu de travail. Plus précisément, en vertu de l'alinéa 128(1)a), l'employé peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose s'il a des motifs raisonnables de croire que l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé. En l'espèce, M. Leclair n'utilisait pas ou ne faisait pas fonctionner une machine ou une chose et, par conséquent, cet aspect du droit de refuser de travailler n'est pas pertinent. De toute évidence, l'alinéa 128(1)a) ne s'applique pas à la présente espèce.

[26] De même, en vertu de l'alinéa 128(1)b), l'employé peut refuser de travailler dans un lieu s'il a des motifs raisonnables de croire qu'il est dangereux pour lui de travailler dans ce lieu, l'employé, en l'espèce, étant M. Leclair. Celui-ci a clairement énoncé dans son témoignage qu'il n'y avait aucun danger direct pour lui-même et qu'il n'avait jamais eu l'impression de compromettre sa santé ou sa sécurité en occupant ce poste. Il s'agit-là d'un point important, car d'aucuns pourraient soutenir que cette disposition s'applique au cas de M. Leclair si celui-ci estimait que les décisions de l'établissement engendraient pour lui un risque de blessure. Puisqu'il n'en est rien, l'alinéa 128(1)b) ne s'applique pas non plus à M. Leclair ou à quiconque puisque l'alinéa restreint l'application à l'employé qui refuse de travailler et non aux autres employés ou aux détenus qui, soit dit en passant, ne sont pas visés par le Code. M. Leclair a refusé de travailler parce qu'il jugeait que les décisions de l'établissement, c.-à-d. permettre aux quatre détenus de nettoyer l'établissement durant le quart de nuit, créait une situation potentiellement dangereuse pour les détenus, le surveillant du nettoyage et les gardes qui accompagneraient les détenus vers leurs cellules. M. Leclair était inquiet de manière générale pour les personnes qui se trouvaient à l'intérieur de l'établissement, mais pas particulièrement pour lui-même. Par conséquent, l'alinéa 128(1)b) ne s'applique pas en l'espèce.

[27] Enfin, en vertu de l'alinéa 128(1)c), l'employé peut refuser de travailler s'il a des raisons de croire que l'accomplissement de sa tâche constitue un danger pour lui-même ou pour un autre employé. Cependant, l'activité de M. Leclair le jour de son refus de travailler était de fournir des services de sécurité essentiels au sein de l'établissement en travaillant au poste de contrôle central. Absolument rien ne porte à croire que cette activité était une source de danger pour M. Leclair ou pour qui que ce soit d'autres, c'est-à-dire M. Finnigan qui travaillait avec les détenus ou les autres gardes qui travaillaient en même temps que lui. Cette disposition aurait peut-être pu s'appliquer si M. Finnigan avait refusé de travailler avec les détenus ou si les gardes avaient refusé d'accompagner les détenus à leurs cellules, mais rien de tout cela ne s'est produit, même si je suis loin d'être certain que leur démarche aurait mieux réussi que celle de M. Leclair étant donné que ces fonctions font partie intégrante de leurs conditions d'emploi, comme il est précisé à l'alinéa 128(2)b) ci-dessus. En fin de compte, cette analyse nous apprend que l'alinéa 128(1)c) ne s'applique pas non plus au refus de travailler de M. Leclair.

[28] Les circonstances dont M. Leclair fait état ne l'autorisaient pas à exercer son droit de refuser de travailler. Cependant, puisque l'inquiétude générale exprimée par M. Leclair était des préoccupations qui dépassent clairement le cadre de l'article 128, cette question aurait dû être traitée au moyen du Processus de règlement interne des plaintes dont il est question à l'article 127.1 du Code. Ce processus a été conçu pour les plaintes plus générales exprimées par les employés hors des dispositions sur le refus de travailler.

[25] Je suis totalement d'accord avec l'opinion de ces deux agents d'appel. Les trois alinéas, 128(1)a), b) et c), montrent qu'un élément est absolument essentiel en cas de refus de travailler : l'employé qui refuse doit, pendant qu'il est au travail à son poste, être exposé à un danger réel ou éventuel pour lui ou pour d'autres employés. En d'autres termes, l'employé doit être « directement menacé » par le danger présumé pendant qu'il est à son poste.

[26] Je dois par conséquent me demander, dans le cas présent, si l'agent de correction Guthro était effectivement exposé à un danger au sens de la partie II du Code canadien du travail, quand l'agent de santé et de sécurité Tingley a enquêté sur son refus de travailler le 12 février.

[27] L'employeur a fait valoir que l'agent de correction Guthro travaillait à l'unité 11, du côté des détenus masculins de l'Établissement de Springhill, quand il a refusé de travailler le 10 février en raison du vol des objets dans le chariot d'urgence au service de soins de santé.

[28] L'agent de correction Guthro lui-même a confirmé qu'il travaillait à l'unité 11 quand il a refusé de travailler le 10 février et quand il a réitéré sont refus de travailler le 12 février, qu'il n'avait pas travaillé ou été affecté à l'unité 7 et qu'il ne s'attendait pas non plus à l'être.

[29] Quand l'agent de correction Guthro a refusé de travailler, le 10 février, la direction a examiné les raisons de son refus et apporté des correctifs, même s'il travaillait à l'unité 11. Le directeur a ordonné une fouille exceptionnelle des détenus et une fouille d'urgence des cellules pour trouver les objets manquants. Le rapport d'enquête écrit des représentants du comité de santé et de sécurité sur la plainte de l'agent Guthro a confirmé que la plainte était fondée et que les mesures prises par la direction étaient appropriées.

[30] L'employeur a maintenu que ces mêmes raisons et circonstances n'étaient pas présentes le 12 février quand l'agent de correction Guthro a refusé à nouveau de travailler et que l'agent de santé et de sécurité Tingley a mené son enquête.

[31] Durant son témoignage à l'audience, l'agent de santé et de sécurité Tingley a reconnu que l'agent de correction Guthro n'avait pas été affecté à l'unité des détenues et qu'il n'était pas prévu qu'il le soit. Il a également déclaré que la détenue en isolement ne présentait pas une menace directe à l'agent de correction Guthro, mais qu'il craignait qu'elle représente un danger pour d'autres employés.

[32] Toutefois, l'agent de santé et de sécurité Tingley a décidé :

[TRADUCTION]… qu'une situation dans le lieu de travail constitue un danger pour un employé au travail :

On n'a pas fouillé tous les lieux et tous les détenus afin de retrouver les objets que les détenus pourraient utiliser pour blesser des employés.

[33] Je ne suis pas d'accord avec la décision de l'agent de santé et de sécurité Tingley que l'agent de correction Guthro courait un danger au travail.

[34] L'agent de correction Guthro ne travaillait pas à l'unité 7 au moment de l'enquête de l'agent de santé et de sécurité Tingley et ne prévoyait pas y être affecté. Selon moi, les faits établissent clairement qu'aucune condition ne constituait un danger pour l'agent de correction Guthro quand il était à son poste à l'unité 11.

[35] En outre, l'agent de correction Guthro ne croyait pas que les mesures prises par l'établissement le mettaient personnellement en danger de subir des blessures. Il estimait que le fait que les mesures ne prévoyaient pas la fouille de la détenue en isolement et de sa cellule pouvait entraîner un risque de blessure pour les agents de correction travaillant à l'unité des détenues.

[36] Pour citer à nouveau l'agent d'appel Serge Cadieux, « l'alinéa 128(1)b) ne s'applique pas non plus à [M. Guthro] ou à quiconque puisque l'alinéa restreint l'application à l'employé qui refuse de travailler et non aux autres employés4 ».

4 Agent d'appel Serge Cadieux, Leclair et Canada (Service correctionnel), décision no 01-024, 19 novembre 2001

[37] Par conséquent, j'annule l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Tingley donnée à l'employeur le 12 février 2002.



___________________________
Michèle Beauchamp
Agent d'appel



Annexe

Dans l'affaire du Code canadien du travail
Partie II - Santé et sécurité au travail

Instruction à l'employeur en vertu de l'alinéa 145(2)a)


Le 12 février 2002, l'agent de santé et de sécurité soussigné a mené une enquête par suite du refus de travailler de M. Dwight Guthro sur les lieux de travail de Service correctionnel du Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, à Springhill, en Nouvelle-Écosse, lieu parfois désigné sous le nom d'Établissement de Springhill.

L'agent de santé et de sécurité estime qu'une situation dans le lieu de travail constitue un danger pour un employé au travail :

On n'a pas fouillé tous les lieux et tous les détenus afin de retrouver les objets que les détenus pourraient utiliser pour blesser des employés.

Conformément à l'article 124 de la Partie II du Code canadien du travail, « l'employeur [doit veiller] à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ».

Par conséquent, je VOUS ORDONNE PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre des mesures pour corriger la situation dangereuse au plus tard le 13 février 2002.

Donnée à Springhill, ce 12 février 2002.



Matt Tingley
Agent de santé et de sécurité

À : Service correctionnel du Canada

Résumé de la décision de l'agent d'appel


No de la décision : 04-016
Demandeur : Service correctionnel du Canada
Employé : Dwight Guthro
Mots clés : Existence de danger, instruction
Dispositions : Code canadien du travail 128(1)a), b) et c), 145(2)
Règlement
Résumé :

Par suite du refus de travailler d'un agent de correction travaillant dans la section des détenus masculins, parce que quelqu'un avait volé des objets sur un chariot d'urgence au service de soins de santé, la direction a consigné les détenus à leurs cellules et procédé à une fouille exceptionnelle de chacun d'eux et des cellules pour récupérer les objets manquants.

L'agent de correction a réitéré son refus de travailler, car malgré un inventaire des objets manquants, il estimait dangereux que la direction ait décidé de ne pas fouiller une détenue en isolement dont la cellule se trouvait dans l'unité 7, soit la section des femmes.

Après enquête, l'agent de santé et de sécurité a estimé qu'il y avait un danger pour l'employé ayant refusé de travailler parce que tous les secteurs et les détenus n'avaient pas été fouillés pour retrouver les objets, qui pouvaient servir à infliger des blessures aux employés.

L'agent d'appel a annulé l'instruction de l'agent de santé et de sécurité parce que l'alinéa 128(1)b) du Code ne s'applique pas à l'employé. En effet, à aucun moment il n'a été en danger à son poste, à l'unité 11 : l'employé n'a jamais travaillé à l'unité 7 et ne prévoyait pas y être affecté; il n'estimait pas que les mesures prises par la direction lui faisaient courir un risque de blessure, mais il estimait que de ne pas fouiller la détenue en isolement et sa cellule pouvait poser un risque de blessure pour d'autres agents de correction travaillant dans la section des détenues.

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