Archivée - Décision: 05-012 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail
Informations archivées
Les informations archivées sont fournies aux fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elles ne sont pas assujetties aux normes Web du gouvernement du Canada et n'ont pas été modifiées ou mises à jour depuis leur archivage. Pour obtenir ces informations dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.
Service correctionnel du Canada
demandeur
et
John Carpenter
UCCO/SACC/CSN
Décision no 05-012
Le 30 mars 2005
Cette affaire a été entendue par l’agente d’appel Michèle Beauchamp à Drumheller (Alberta), les 20 et 21 avril 2004.
Ont comparu aux audiences
Pour l’employeur
Richard Fader, avocat
Ron Goriuk, sous-directeur (à la retraite), Service correctionnel du Canada (SCC), établissement de Drumheller, Drumheller (Alberta)
Terry Yemen, coordonnateur, SCC, établissement de Drumheller
Jeff Guntrip, membre du comité local de la santé et de la sécurité, SCC, établissement de Drumheller, Drumheller (Alberta)
Pour les employés
John Carpenter, avocat, UCCO/SACC/CSN
James Schellenberg, agent de correction (AC), SCC, établissement de Drumheller
Daniel Wood, AC, SCC, établissement de Drumheller, Drumheller (Alberta)
Agent de santé et de sécurité
Neil Campbell, Ressources humaines et développement des compétences Canada, Calgary (Alberta)
[1] La présente affaire concerne un appel interjeté conformément à l’article 146 du Code canadien du travail (le Code), Partie II, par l’établissement de Drumheller du Service correctionnel du Canada contre une instruction (annexe A) adressée au SCC en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code par l’agent de santé et de sécurité (ASS) Neil Campbell en date du 14 mai 2001.
[2] Les faits sont bien connus des deux parties. Je me contenterai, par conséquent, de résumer très brièvement les déclarations faites en ma présence par l’agent de santé et de sécurité et les parties pendant l’audience, ainsi que celles que j’ai tirées des documents qui m’ont été envoyés et qui ont été échangés entre les parties avant, pendant et après l’audience.
[3] Le 10 mai 2001, l’ASS Campbell a été avisé par le directeur de l’établissement de Drumheller, Tim Fullerton, que Daniel Wood et James Schellenberg, deux agents de correction affectés aux équipes du soir, avaient refusé de travailler. Il a également été informé par M. Fullerton que l’affaire n’avait pu être réglée au moyen du processus de règlement interne des plaintes Footnote 1.
[4] L’ASS Campbell s’est rendu à l’établissement de Drumheller avec un autre ASS pour commencer son enquête. Il l’a terminée aux alentours de minuit et a annoncé aux parties qu’il leur ferait connaître sa décision le lendemain. À ce moment‑là, la période de travail de l’équipe du soir avait pris fin et le confinement aux cellules était décrété dans la prison depuis que les deux employés avaient refusé de travailler.
[5] L’ASS Campbell a noté dans son rapport d’enquête que les agents de correction Daniel Wood et James Schellenberg avaient tous les deux refusé de travailler pour la raison suivante :
Faute d’affecter un nombre suffisant d’agents de correction aux unités résidentielles, les conditions de travail étaient devenues dangereuses.
[6] L’ASS Campbell a d’abord rencontré le directeur, Tim Fullerton. Ce dernier lui a déclaré que le confinement aux cellules avait été décrété dans la prison à la suite du refus de travailler et resterait en vigueur tout au long de l’enquête. Il l’a également informé que tout était tranquille dans les unités, que le niveau de tension dans l’établissement de Drumheller était évalué quotidiennement et n’avait pas été anormalement élevé ce jour‑là.
[7] L’ASS Campbell s’est rendu dans les unités 8 et 11. Il n’est pas allé dans le bloc cellulaire, mais il est resté dans le poste de contrôle. Il a noté que celui‑ci n’offrait qu’une vue partielle des rangées de cellules. Il a été informé que même quand quatre agents de correction sont affectés à une unité résidentielle, deux d’entre eux sont responsables d’autres postes, ce qui signifie que les agents ne sont parfois qu’à deux dans les unités résidentielles.
[8] En raison du confinement aux cellules, l’ASS Campbell n’a rien remarqué d’extraordinaire au moment de son enquête, c.‑à‑d. qu’aucun détenu n’a crié, frappé sur les barreaux ou essayé de s’échapper, et il n’a, personnellement, rien observé d’inquiétant.
[9] Sa principale préoccupation au moment de son enquête venait de ce que la consigne établie par le SCC exigeait qu’il y ait quatre agents dans les unités résidentielles durant les périodes de travail des équipes du soir. De cette façon, pendant qu’un des agents fait une ronde dans la cour, deux autres peuvent intervenir en cas d’incident déclenché par un détenu, tandis que le quatrième reste de garde dans le poste de contrôle.
[10] Cette consigne n’a, toutefois, pas été suivie le jour du refus de travailler et, avec un personnel réduit à trois agents, cela signifiait qu’en cas d’incident, il n’y aurait que deux agents dans le poste de contrôle dont un seul serait en mesure d’intervenir.
[11] L’ASS Campbell savait que le directeur Fullerton était au courant de ce que les deux employés avaient refusé de travailler non seulement parce qu’ils n’étaient pas à quatre, mais aussi à cause de menaces proférées par les détenus. De plus, le directeur n’a pas nié l’existence de menaces, mais il a déclaré que celles‑ci avaient été évaluées.
[12] Bien qu’il n’ait rien observé de particulier pendant son enquête, l’ASS Campbell était également préoccupé par le fait que les gardes avaient un fort pressentiment que quelque chose d’inquiétant allait se produire. Il a fait observer dans son rapport et à l’audience que les détenus avaient effectivement déclenché une émeute le 12 mai.
[13] L’ASS Campbell a consigné les faits suivants dans son rapport :
La consigne en vigueur (modifiée le 9.4.01) pour les postes de surveillance des blocs cellulaires exige l’affectation de quatre (4) agents de correction II à l’équipe du soir dans les unités résidentielles. En affectant moins de quatre (4) agents à une équipe, la situation est telle qu’il n’y aura que deux (2) agents sur place dans l’unité si un (1) autre est envoyé faire une ronde à l’extérieur. Comme l’un (1) des agents doit rester dans le poste de contrôle pour des raisons de sécurité, seul un (1) agent est disponible pour intervenir en cas d’incident alors qu’ils devraient normalement être deux (2).
Selon une décision prise l’an dernier (avant que l’on apporte des modifications à la Partie II du Code canadien du travail) par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) au sujet du refus de travailler à cause d’une insuffisance de personnel au pénitencier à sécurité maximale de Dorchester, le travail dans une équipe réduite à deux (2) agents de correction à la fois ne saurait être considéré comme une condition inhérente à leur emploi, étant donné que dans une telle situation, il y a un danger et, par conséquent, un risque de blessure : en effet, puisque l’un des agents doit rester dans le poste de contrôle, il n’y en a qu’un à pouvoir se rendre dans l’unité, alors qu’il en faut normalement deux.
[14] L’ASS Campbell a également noté la série d’événements suivants dans son exposé des faits :
§ Le 11 mai 2001
§ J’ai pris la décision de faire droit aux refus de travailler pour cause de danger en me fondant sur la consigne de dotation en personnel qui prévoit un nombre minimum d’agents pour chaque équipe. Si les équipes ont moins que le nombre minimum, elles courent le risque d’être blessées quand il n’y a qu’un gardien pour intervenir en cas d’incident. Je me suis également basé sur la décision Dorchester [de la Commission des relations de travail dans la fonction publique], selon laquelle un personnel de moins de trois agents dans une unité résidentielle courait un danger.
§ - 14 h – J’ai téléphoné à Tim Fullerton, le directeur, et je lui ai fait part verbalement de ma décision, en précisant que je la lui remettrai par écrit en mains propres le lundi 14 mai 2001.
§ Le 12 mai 2001
§ - 23 h 45 – J’ai reçu un appel de Larry de Wolfe, du pénitencier de Drumheller, m’informant qu’une émeute avait éclaté dans la prison.
§ Le 14 mai 2001
§ - Ayant fini de rédiger mon instruction et les lettres d’accompagnement, je me suis mis en route pour Drumheller afin de les remettre.
§ Le 24 mai 2001
§ - J’ai reçu une réponse par écrit de Tim Fullerton, le directeur, m’avisant que quatre agents étaient affectés à l’équipe du soir.
[15] L’enquête conduite par l’ASS Campbell sur les refus de travailler l’a amené à conclure que :
la situation sur place est telle qu’elle constitue un danger pour les employés au travail :
les niveaux de dotation minimums fixés par la consigne (modifiée le 9.4.2001) pour toutes les équipes des postes de surveillance des blocs cellulaires ne sont pas respectés, ce qui crée un danger pour la santé et la sécurité des agents de correction travaillant dans les unités résidentielles.
[16] En conséquence, l’ASS Campbell a ordonné au Service correctionnel, en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code,
de prendre immédiatement des mesures pour remédier à la situation qui constitue un danger.
Position de l’employeur
[17] L’avocat de l’employeur a déclaré que l’appel était basé sur les trois principaux arguments suivants :
· premièrement, les employés ne couraient aucun danger au moment où l’agent de santé et de sécurité a mené son enquête, puisque les détenus étaient consignés dans leurs cellules et que rien d’extraordinaire ne s’était produit;
· deuxièmement, aucun élément ne permettait de dire qu’un danger était « raisonnablement » susceptible de survenir (« reasonable » likelyhood);
· troisièmement, les risques invoqués faisaient partie des conditions normales de l’emploi.
[18] Pour étayer son premier argument, à savoir qu’il n’y avait pas de danger au moment de l’enquête de l’ASS, l’employeur a soutenu que le Code canadien du travail n’atteignait pas son objectif avec ses dispositions sur le refus de travailler, mais avec celles concernant le processus de règlement interne des plaintes. Même si les dispositions sur le refus de travailler sont importantes, a‑t‑il ajouté, elles sont, en fait, limitées au « maintien du droit de refus ».
[19] L’employeur a affirmé que, selon le Code, la première enquête doit être faite par l’employeur; après, l’employé peut toujours continuer de refuser s’il n’est pas d’accord avec l’employeur. Ce n’est que si l’employé maintient son refus que l’ASS est appelé à faire une enquête. De plus, le paragraphe 129(6) parle de « l’existence du danger » au moment où l’ASS mène son enquête, puisque l’employé peut refuser de travailler jusqu’à ce que les mesures correctives exigées par cet ASS soient prises. Ce sont là, a‑t‑il déclaré, les mesures et le processus exposés dans la décision prise par la Cour fédérale dans l’affaire Fletcher Footnote 2.
[20] En outre, l’employeur a argué du fait que l’agent de santé et de sécurité devait déterminer si le danger existait au moment de son enquête et non quand les employés ont refusé de travailler. Ce principe, a‑t‑il ajouté, a encore été confirmé par l’agent d’appel Malanka dans l’affaire Doell Footnote 3.
[21] Par conséquent, l’employeur a déclaré que l’enquête faite par l’ASS avait simplement pour but de déterminer si l’employé pouvait retourner au travail sans danger. En l’espèce, a‑t‑il soutenu, il n’y avait pas de danger puisque l’ASS Campbell a affirmé qu’il n’y en avait pas au moment de son enquête, et que Daniel Wood, l’un des employés ayant refusé de travailler, a déclaré être surtout inquiet de ce qui pouvait arriver le lendemain.
[22] Le deuxième argument invoqué par l’avocat de l’employeur se rapportait à la vraisemblance raisonnable d’un danger. Même en nous plaçant dans le futur, a‑t‑il déclaré, nous ne pouvons toujours pas parler de danger, puisque l’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les employés soient blessés.
[23] À l’appui de son affirmation, l’employeur s’est référé aux affaires Byfield Footnote 4 et Chapman Footnote 5, dans lesquelles l’agent d’appel Douglas Malanka avait établi, dans sa décision, un quadruple critère pour déterminer l’existence d’un danger. L’employeur a également cité la décision prise par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l’affaire Martin Footnote 6, où madame la juge Tremblay-Lamer a confirmé le critère appliqué par l’agent d’appel Serge Cadieux, à savoir que l’on ne devait conclure à l’existence d’un danger que si l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il y ait des blessures.
[24] Dans la présente affaire, a déclaré l’employeur, les employés ayant refusé de travailler ne couraient aucun danger. En fait, l’établissement envisageait de ne mettre en place que deux agents de correction dans la rangée et un dans la cour, le quatrième, s’il y en avait un, étant considéré comme un extra. L’employeur était d’avis que le but de mon enquête n’était pas d’analyser la politique du Service correctionnel, mais seulement de déterminer si un danger existait. Et, a‑t‑il affirmé, il n’y avait aucun danger pour les employés parce qu’il ne se passait rien d’inhabituel à ce moment‑là et que les ajustements opérationnels n’étaient jamais à l’origine de blessures.
[25] L’employeur a déclaré que des bagarres sans importance et des parties de jeux de cartes illégaux avaient effectivement eu lieu le jour du refus de travailler et que les gardiens s’étaient bien fait insulter, mais qu’à son avis, la cause de l’émeute qui avait éclaté deux jours après n’était nullement liée à ces incidents. En outre, elle n’avait rien à voir avec le danger constaté par l’ASS Campbell, car, a‑t‑il ajouté, les émeutes sont des événements qui éclatent de façon imprévue dans tous les établissements pénitentiaires.
[26] L’employeur a argué du fait que si nous appliquons ici les critères établis dans l’affaire Chapman Footnote 7, nous faisons les constatations suivantes :
· le temps de réaction a été court;
· les procédures sont bien établies;
· les employés ont reçu une excellente formation;
· les agents sont des professionnels;
· l’équipement nécessaire est disponible;
· il y a une communication remarquable entre la direction et les agents.
[27] L’employeur a estimé que le danger constaté par l’ASS Campbell était à caractère purement spéculatif. Il a affirmé qu’au contraire, les éléments de preuve recueillis témoignaient de manière prépondérante en faveur d’une absence de danger. Il était d’avis qu’en fait, les employés en question n’aimaient pas sa politique de dotation et qu’ils voulaient s’en débarrasser. Il a conclu son deuxième argument en disant qu’il serait tout simplement ridicule de permettre à un agent de santé et de sécurité de prendre une décision en matière de dotation alors qu’il n’y connaissait absolument rien.
[28] Enfin, pour présenter son troisième argument, l’employeur a déclaré que s’il s’avérait qu’il y avait effectivement un risque, celui‑ci ferait partie des conditions normales de l’emploi. En outre, en tant que tel, ce risque tomberait sous le coup de l’alinéa 128(2)b) du Code et les employés n’auraient pas le droit de refuser de travailler. L’employeur a argué du fait qu’un grand nombre d’affaires avaient été jugées en la matière et il a renvoyé au paragraphe 51 de la décision Stone Footnote 8 prise par l’agent d’appel Serge Cadieux, qui y a déclaré ce qui suit :
Le droit de refuser de travailler prévu par le Code reste une mesure d’urgence pour composer avec des situations où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’employé soit blessé lorsqu’il sera exposé au danger, à la situation ou à la tâche. Toutefois, il ne peut s’agir d’un danger qui fait partie intégrante des conditions de travail normales ou des conditions normales d’emploi. Cette déclaration, à elle seule, est lourde de conséquences pour les agents de correction. Étant donné que la probabilité de violence fait partie des conditions d’emploi des agents de correction, lesquels sont spécifiquement formés pour composer avec ces situations, il est très difficile d’envisager une situation, dans un tel environnement, où le risque de violence pourrait justifier un refus de travailler autrement que dans des circonstances exceptionnelles et spécifiques.
[29] L’employeur a soutenu que, dans la présente affaire, les circonstances n’avaient rien d’exceptionnel ni de spécifique permettant de conclure à un danger, même en tenant compte du fait que les détenus avaient joué aux cartes, crié, ou insulté les agents. Il avait pris des mesures pour atténuer les risques constatés dans l’établissement en mettant en place les bonnes procédures, en formant les employés et en leur fournissant l’équipement nécessaire. Quand il s’agit de déterminer les risques et de décider du niveau de dotation nécessaire, c’est le Service correctionnel qui possède les connaissances voulues et non l’agent de santé et de sécurité.
Position du syndicat
[30] L’avocat du syndicat a tiré argument du fait que les preuves présentées à l’audience aboutissaient à des constatations très différentes de celles mentionnées par l’avocat de l’employeur. Fondamentalement, a‑t‑il dit, la gestion du lieu de travail incombe au Service correctionnel. Toutefois, la présente affaire a trait à la santé et à la sécurité des employés au travail. À cet égard, le Code canadien du travail stipule très clairement qu’un employé a le droit de refuser de travailler s’il estime qu’il y a un danger ne faisant pas partie des conditions normales de son emploi.
[31] Contrairement à ce qu’a affirmé l’avocat de l’employeur, certaines Cours ont également invoqué le fait que l’ASS, pour pouvoir se prononcer au sujet de l’existence d’un danger, devait examiner la situation prévalant lors du refus et pas seulement celle au moment de l’enquête.
[32] Pour illustrer ce fait, le syndicat a cité le cas d’une machine défectueuse qu’un employé recevrait l’ordre d’utiliser. Si ce dernier refuse de travailler parce qu’il juge la machine dangereuse, l’ASS enquêteur devrait-il déclarer que celle‑ci ne constitue pas un danger si, au moment de son enquête, elle est débranchée? Ne devrait-il pas également tenir compte de la situation prévalant au moment du refus de l’employé?
[33] Le syndicat a soutenu que l’on pouvait faire ici le même raisonnement analogique. Le refus de travailler a eu lieu parce que l’on avait enfreint la politique de dotation du Service correctionnel du Canada, selon laquelle l’équipe devait être constituée de quatre et non de trois agents de correction. L’avocat de l’employeur a qualifié cette réduction en personnel d’ajustement opérationnel, mais la question n’était pas là. Les agents savaient combien il était important de se conformer aux exigences de leur emploi, et ils étaient très conscients, pour en avoir fait l’expérience, de l’effet que pouvait avoir tout manquement à la sécurité sur leur santé et leur sécurité à eux. Ils s’étaient fiés à ce que le Service correctionnel avait établi et non à ce que l’ASS Campbell avait décidé à la suite de leur refus de travailler.
[34] En outre, tel qu’il ressort de la déclaration faite par le directeur en ce qui concerne le calendrier et la politique de communication, il est prouvé qu’il y avait eu un manque de communication le 10 mai, étant donné que le registre ne contenait aucune mention de l’agression dont l’agent Wood avait fait l’objet le jour avant qu’il refuse de travailler.
[35] Le syndicat a argué du fait que les agents de correction ne s’étaient nullement plaints de la politique de leur employeur. Ce qui les préoccupait principalement, c’était le danger qu’ils couraient en étant seulement à trois, en raison des incidents ayant eu lieu précédemment et du sentiment général qu’ils avaient que la tension était en train de monter et que quelque chose allait forcément arriver.
[36] Le syndicat a aussi soutenu qu’il n’y avait aucune preuve que l’employeur ait apporté les changements nécessaires pour s’adapter au niveau de tension plus élevé du 10 mai ni qu’il soit intervenu dès qu’il a appris que des agents allaient refuser de travailler. Le fait que les détenus aient été consignés dans leurs cellules quand l’ASS Campbell a mené son enquête n’a pas, en soi, fait disparaître le danger. Une autre preuve en est qu’il y a eu une émeute moins de 24 heures après le confinement aux cellules et 48 heures après le refus.
[37] L’avocat du syndicat a fait valoir que, dans l’affaire Fletcher Footnote 9, le juge Desjardins avait, en effet, déclaré qu’un refus n’était pas une occasion de discuter de la politique de l’employeur, mais, a‑t‑il ajouté, la présente affaire portait sur les changements que l’employeur a apporté à la consigne sans en avoir évalué les risques et sans avoir demandé aux employés de s’adapter à l’insécurité de la situation.
Effet de la décision Verville Footnote 10
[38] Après l’audience, madame la juge Gauthier de la Cour fédérale a prononcé un jugement en date du 26 mai 2004 dans l’affaire Verville Footnote 11, ceci à la suite du contrôle judiciaire qu’elle avait été appelée à faire d’une décision prise par l’agent d’appel Serge Cadieux dans une autre affaire qui concernait l’établissement de Kent du Service correctionnel du Canada Footnote 12.
[39] L’avocat du syndicat avait demandé que les deux parties m’envoient leurs observations concernant l’effet de la décision de la juge Gauthier sur la présente affaire, ce que j’avais accepté.
Position de l’employeur sur la décision Verville Footnote 13
[40] L’avocat de l’employeur a écrit, dès le départ, que son client se fondait sur les arguments avancés à la première audience et estimait que la décision Verville Footnote 14 ne modifiait pas la loi dans ce domaine et n’était pas censée la modifier.
[41] En fait, l’employeur a tiré argument du fait que, contrairement à l’hypothèse des défendeurs, la juge Gauthier n’avait pas conclu que le « danger » répondait au critère. Elle avait cassé la décision et renvoyé l’affaire à un autre agent d’appel parce que l’agent d’appel Cadieux pouvait ne pas avoir pris en compte tous les éléments de preuve dont il disposait.
[42] L’avocat de l’employeur estimait
que la décision Verville venait confirmer la jurisprudence de la Cour fédérale, notamment la décision prise dans l’affaire Parcs Canada Footnote 15 et, en grande partie, la décision source prise par ce tribunal dans l’affaire Welbourne Footnote 16. Il a noté que la nouvelle définition du « danger » constituait, certes, une amélioration par rapport à l’ancienne à cause du mot « éventuel » qui y avait été ajouté, mais qu’elle retenait deux éléments de celle‑ci : a) « susceptible de causer » et b) « avant que le risque soit écarté, la situation corrigée…». La décision de la juge Gauthier confirme la jurisprudence selon laquelle les situations hypothétiques ou à caractère spéculatif sont exclues de la définition du danger.
[43] L’avocat de l’employeur a soumis un examen exhaustif de l’évolution et du traitement juridique de la définition du « danger », en remontant aussi loin que 1978, quand la première disposition sur le droit de refus a été adoptée pour les employés relevant du fédéral.
[44] Bien que cette étude soit extrêmement intéressante du point de vue historique, j’ai choisi de ne présenter que les extraits qui, à mon avis, se rapportent plus étroitement à la présente affaire, c’est‑à‑dire ceux qui ont un lien direct avec la décision prise par la juge Gauthier dans l’affaire Verville Footnote 17.
c) La nouvelle définition du « danger »
Le 29 juin 2000, le projet de loi C-12, qui visait à modifier la Partie II du Code, a reçu la sanction royale. Le Code modifié est entré en vigueur le 30 septembre 2000. La nouvelle définition du « danger » est la suivante :
« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur [non souligné dans le texte].
…
(d) La jurisprudence récente : un critère plus détaillé
Par la suite, l’agent d’appel Serge Cadieux a rendu sa décision dans l’affaire Agence Parcs Canada Footnote 18.
…
Il a dépeint les caractères distinctifs de la notion de danger comme suit :
En l’espèce, l’agent de santé et de sécurité a choisi d’aborder la question de la sécurité des gardes de parc en vertu du paragraphe 145(2) dont les dispositions sont très précises en ce sens que le concept est restrictif et fondé sur une norme extrêmement rigoureuse, comme il se doit, à mon avis. Le concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code est très spécifique parce qu’il ne s’applique que dans des circonstances exceptionnelles. Il est strictement fondé sur des faits [non souligné dans le texte] Footnote 19.
…
L’agent d’appel a établi le critère suivant :
Le Code permet que l’on prenne en considération une tâche susceptible d’être exécutée dans le futur pour déclarer qu’il y a « danger » selon la définition. Il y a, cependant, des limites. Pour conclure à l’existence d’un danger au moment de l’enquête, l’agent de santé et de sécurité doit se faire une opinion sur les points suivants, en se fondant sur les faits recueillis au cours de ladite enquête, à savoir :
· que la tâche éventuelle en question sera accomplie;
· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que :
o la tâche occasionne une blessure ou une maladie chez l’employé appelé à l’exécuter, et que;
o la blessure ou la maladie se produise dès que la tâche aura été entreprise.
Note : La question de la latence de la blessure ou de la maladie ne sera pas traitée dans la présente décision étant donné qu’elle n’a pas été soulevée en l’espèce. J’aimerais, toutefois, renvoyer le lecteur au paragraphe 21 de la décision Welbourne pour plus de clarté [non souligné dans le texte] Footnote 20.
L’agent d’appel a jugé que, faute d’avoir la preuve que quelqu’un agira d’une certaine manière, l’imprévisibilité du comportement humain est incompatible avec la notion de danger, et un agent de sécurité se retrouvera face à une situation hypothétique ou à caractère purement spéculatif ne répondant pas à la norme rigoureuse sur laquelle cette notion a été bâtie. En annulant l’instruction émise par l’agent de sécurité, Serge Cadieux a fait observer que ce dernier avait, pour parler en termes généraux, confondu ce qui pourrait arriver avec ce qui arrivera Footnote 21.
La décision de l’agent d’appel Cadieux a été confirmée dans une procédure de contrôle judiciaire Footnote 22. En analysant la définition du danger, la juge Tremblay-Lamer a cité la décision Welbourne: « Pour qu’il y ait danger au sens du Code, il faut que la situation, la tâche ou le risque éventuel soit susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée » [non souligné dans le texte] Footnote 23. La juge Tremblay-Lamer a fait observer qu’elle était d’accord avec l’analyse faite ci‑dessus par Cadieux dans l’affaire Welbourne. Pour ce qui est de la notion de tâche ou de risque éventuel, elle a ajouté ce qui suit :
Il me semble en outre évident que le concept de l’attente raisonnable, qui exclut les situations spéculatives, est toujours présent dans la définition modifiée. On vise en effet spécifiquement dans la disposition la tâche éventuelle « susceptible de » [that could reasonably be expected to] causer des blessures à la personne qui y est exposée, ou de la rendre malade. La preuve doit en être faite, ce qui oblige l’agent de sécurité à soumettre la situation en cause à une analyse objective Footnote 24.
La Cour a poursuivi en faisant observer qu’en l’absence de preuve spécifique démontrant quand des blessures corporelles graves ou la mort sont susceptibles de se produire, l’agent de sécurité devra conclure à l’absence de danger, puisqu’il fera alors face à une situation strictement hypothétique ou à caractère purement spéculatif Footnote 25.
La Cour a relevé une petite faille dans la décision de l’agent d’appel. À propos de la seconde partie de la définition du danger, où il est question d’exposition à une substance dangereuse, elle a fait observer « qu’il n’est pas nécessaire qu’une tâche soit susceptible immédiatement de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, pour constituer un danger au sens du Code » Footnote 26. La juge Tremblay-Lamer a poursuivi en disant que, néanmoins, à son avis, « la nouvelle définition rend nécessaire un élément d’imminence, la blessure ou la maladie devant survenir avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée ». En conformité avec la décision Welbourne, la Cour a souligné qu’une blessure ou une maladie pouvait apparaître dès l’exposition même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé de la personne exposée n’étaient pas immédiats Footnote 27.
En mettant l’accent sur l’attente raisonnable, la Cour a fait observer qu’il fallait interpréter dans son contexte la nouvelle définition du danger, en tenant compte des importantes répercussions que pouvait avoir une conclusion d’existence de danger Footnote 28. Elle a ajouté que les risques relevés par l’agent de sécurité n’étaient pas fondés sur un ensemble de faits précis. La demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’appel a donc été rejetée.
…
Pour finir, nous avons la décision de la juge Gauthier dans l’affaire Verville Footnote 29. Dans cette affaire, quinze agents de correction avaient refusé de travailler… L’agent de sécurité avait conclu à l’absence de danger ... [il] avait constaté, cependant, que l’employeur contrevenait à l’article 124 du Code, et émis une instruction en vertu du paragraphe 145(1). L’employeur a fait appel de l’instruction et les employés de la conclusion d’absence de danger.
L’agent d’appel saisi de l’affaire a trouvé que l’agent de sécurité avait jugé à bon droit qu’il n’y avait pas de danger. Il a aussi annulé l’instruction fondée sur le paragraphe 145(1) en arguant du fait que l’employeur n’avait pas enfreint l’article 124 du Code. L’affaire a été renvoyée devant la Cour fédérale à la suite d’une demande de contrôle judiciaire, et entendue par la juge Gauthier, qui a rendu sa décision le 26 mai 2004.
Au paragraphe 34 de sa décision, la juge Gauthier a confirmé le critère juridique établi dans la décision Parcs Canada. Il est clair que la décision Verville est une application de cette décision et qu’elle ne s’en écarte pas. Au paragraphe 36, la Cour a fait observer que « la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable [non souligné dans le texte) ». Revenant sur la notion d’attente raisonnable, la Cour a noté ensuite au paragraphe 43 que « si des agressions du genre sont susceptibles de causer des blessures, elles entreront dans la définition de « danger » [non souligné dans le texte] ».
Nous faisons valoir respectueusement que la décision prise par la Cour dans l’affaire Verville suit celle de la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Parcs Canada et que le critère juridique, tel qu’il a été présenté à la première audience de cette affaire, est le suivant :
[Traduction] Compte tenu de tout cela et en me référant au critère susmentionné, je suis d’avis qu’un agent de santé et de sécurité, pour pouvoir conclure à l’existence d’un danger en raison d’une situation, d’une tâche ou d’un risque éventuel, doit se faire une opinion en se fondant sur les faits recueillis pendant son enquête, à savoir :
· que la situation, la tâche ou le risque éventuel en question est susceptible de se produire;
· qu’un employé est susceptible d’être exposé à cette situation, à cette tâche ou à ce risque lorsqu’il ou elle se produira;
· que l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque est susceptible de causer des blessures ou une maladie chez l’employé qui y est exposé;
· que la blessure ou la maladie est susceptible de se produire avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée Footnote 30.
Conditions normales d’emploi
En ce qui concerne la question traitée à l’alinéa 128(2)b) et la notion de « condition normale d’emploi », il est important de noter que, dans l’affaire Verville, la Cour n’a fait aucune constatation permettant d’affirmer que les faits venaient à l’appui d’une telle conclusion. Elle a critiqué l’agent d’appel pour avoir ignoré une preuve et elle a fait observer ce qui suit : « À l’évidence, les présents motifs ne prétendent nullement donner une indication ou exprimer une opinion sur la question de savoir si les conditions du cas qui nous occupe relèvent ou non de l’alinéa 128(2)b) Footnote 31.
[45] En conclusion, l’avocat de l’employeur a estimé que la Cour n’avait nullement modifié l’interprétation de la définition du danger. C’est pourquoi, il a continué de se fonder sur les observations qu’il avait faites à la première audience de l’affaire.
Position du syndicat sur la décision Verville Footnote 32
[46] L’avocat du syndicat a formulé les observations suivantes au sujet de la décision prise par la juge Gauthier dans l’affaire Verville Footnote 33 et de son effet sur le présent appel. Là aussi, je ne relèverai que les extraits que j’estime se rapporter le plus étroitement à cette affaire.
La décision Verville a trait à des agents de correction travaillant dans les unités résidentielles du pénitencier à sécurité maximale de Kent en Colombie‑Britannique. Certains agents de cet établissement ont invoqué leur droit de refuser de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code canadien du travail (le Code) à la suite d’une directive de l’employeur, le Service correctionnel du Canada (le SCC), selon laquelle ils ne pourraient plus porter couramment sur eux des menottes ou d’autres moyens de contrainte. L’intention du SCC était de mettre en œuvre un modèle de sécurité active consistant à supprimer tous les symboles traditionnels de l’autorité dans le but d’augmenter la sécurité des agents de correction. Les agents en question, qui avaient tous décidé de se munir de menottes à la suite d’incidents survenus dans le passé, ont refusé de travailler en arguant du fait qu’ils avaient de bonnes raisons de croire à l’existence d’un danger.
L’agent de santé et de sécurité qui a enquêté sur ce refus de travailler a décidé qu’il n’y avait pas de « danger » au sens où l’entendait le Code. L’affaire a été renvoyée en appel à l’agent Cadieux (Cadieux), selon lequel les agents de correction n’avaient pas réussi à prouver qu’il y avait un « danger » éventuel aux termes du Code puisqu’ils n’avaient pu établir qu’une altercation causant des blessures aurait nécessairement lieu chaque fois qu’un agent ne serait pas muni de menottes ou que, s’il y avait une altercation, un agent subirait des blessures immédiatement après. Cadieux en avait conclu que toute inquiétude au sujet d’un danger éventuel avait un caractère purement spéculatif parce que les agents avaient été incapables de trouver une menace précise et que leurs inquiétudes étaient fondées principalement sur l’imprévisibilité du comportement des détenus. Cadieux a également refusé de voir dans le risque de blessure venant d’une agression de la part des détenus autre chose que le risque inhérent au travail des agents, au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code. Les agents ont demandé ensuite que la décision de Cadieux fasse l’objet d’un contrôle judiciaire.
Madame la juge Gauthier de la Cour fédérale du Canada a accepté la demande des agents et statué que le critère appliqué par l’agent d’appel Cadieux, selon lequel le risque devait être précis et immédiat, ne parvenait pas à donner effet à la nouvelle définition élargie du « danger » dans le Code. Elle a préféré dire qu’une possibilité raisonnable de « danger » était suffisante et qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une certitude. Pour ce qui était de l’ajout du mot « éventuel » à l’article 122 du Code, elle a déclaré que celui‑ci « ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l’employé refuse de travailler ». En conséquence, elle a statué que l’on n’avait plus besoin d’établir qu’il y aurait immédiatement une blessure à chaque fois, ni d’indiquer le moment précis auquel une blessure éventuelle surviendra. Aux paragraphes 34-36 de la décision Verville, la juge Gauthier a déclaré :
...la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu’elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée. Donc, ici, l’absence de menottes sur la personne d’un agent de correction impliqué dans une empoignade avec un détenu doit être susceptible de causer des blessures avant que des menottes puissent être obtenues du poste de contrôle ou par l’intermédiaire d’un surveillant K-12 ou avant que tout autre moyen de contrainte ne soit fourni.
Je ne crois pas non plus que la définition exige que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures.
... je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu (italiques dans le texte].
La juge Gauthier a préféré statuer au paragraphe 36 de la décision Verville que les employés avaient seulement besoin d’établir de manière générale « dans quelles circonstances la situation, la tâche et le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable ».
Aux paragraphes 37 et 41-43 de la décision Verville, la juge Gauthier a estimé que les agents de correction avaient déterminé avec suffisamment de précision l’ensemble exact de faits susceptibles de causer des blessures, à savoir « une agression inattendue sur un agent de correction qui ne porte pas de menottes sur lui ». En outre, la définition n’exclut pas le danger « qui peut ou non se produire, eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain », pour autant qu’il soit « capable de surgir ou de se produire ». En vertu de la définition modifiée du « danger » dans le Code, la juge Gauthier a statué que si des agressions imprévues « sont susceptibles de causer des blessures, elles entreront dans la définition… ». En se fondant sur des éléments prouvant que le risque de confrontation physique avec des détenus était élevé et que le risque d’agression, tout en étant peu fréquent, était grave, elle a conclu que le danger répondait au critère.
Elle a maintenu, en particulier, que le fait que le risque d’agression repose sur un comportement humain imprévu ou imprévisible n’exclut pas que l’on puisse conclure à un « danger » en vertu du Code. Bien que l’alinéa 128(2)b) du Code limite le droit de refus de l’employé quand le danger constitue une « condition normale de son emploi » et que le risque d’agression imprévue puisse être qualifié d’inhérent à un milieu carcéral, la juge Gauthier a estimé, au paragraphe 43 de la décision Verville, que « c’est tout à fait autre chose que de dire que l’imprévisibilité du comportement des détenus est étrangère à la notion de danger exposée dans le Code ». Elle aussi déclaré que l’on aurait tort de conclure que si un risque d’un certain type était inhérent à un milieu, les employés ne pourraient jamais refuser de travailler pour une raison ayant un lien avec ledit risque.
Au lieu de cela, aux paragraphes 52 et 55 de la décision Verville, elle a fait valoir qu’il s’agissait de savoir si le risque était maintenant supérieur à la normale, « parce que le mot « normal » s’entend de quelque chose de régulier, d’un état ou niveau des affaires qui est habituel, de quelque chose activités, à quelque chose qui ne sort pas de l’ordinaire ». Pour illustrer ce point, elle a posé la question suivante : « Dirait‑on qu’il entre dans les conditions normales d’emploi d’un gardien de sécurité de transporter de l’argent à partir d’un établissement bancaire si des modifications étaient apportées à son emploi de telle sorte que cette tâche doive être exécutée sans arme à feu, sans compagnon et dans un véhicule non blindé? ».
L’agent d’appel Cadieux a fondé sa décision sur le fait qu’un risque d’agression était toujours présent dans un pénitencier et que l’hypothèse selon laquelle on réduirait le risque en munissant les agents de correction de menottes n’était nullement prouvée. À cet égard, la juge Gauthier a estimé que l’agent d’appel avait commis une erreur en s’abstenant de prendre en considération les preuves montrant que le port de menottes permet effectivement de réduire le risque couru par les agents et en ne tenant pas compte de l’argument selon lequel l’employeur, en interdisant le port de menottes, augmentait le risque de subir des blessures lors d’une agression imprévue au‑delà de ce qui était « normal » dans le milieu en question. En conséquence, la Cour fédérale, ayant jugé déraisonnable la décision de Cadieux, a ordonné de la casser et de renvoyer l’affaire devant un autre agent d’appel pour réexamen.
La manière dont le « danger » a été interprété dans la décision Verville s’applique à la présente affaire et un tel « danger » a été attesté.
Nous faisons observer que la décision prise par la Cour fédérale dans l’affaire Verville vient appuyer les conclusions de l’agent de santé et de sécurité Neil Campbell (l’agent de sécurité Campbell) en l’espèce.
L’agent de sécurité Campbell s’est livré à une enquête approfondie sur les refus de travailler en interrogeant des représentants du SCC ainsi que des agents. En se fondant sur les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête, il a conclu qu’il y avait un « danger » pour les agents. Dans son rapport d’enquête et sa décision, il a déclaré en substance ce qui suit :
La consigne en vigueur (modifiée le 9.4.01) pour les postes de surveillance des blocs cellulaires exige l’affectation de quatre (4) agents de correction II à l’équipe du soir dans les unités résidentielles. En affectant moins de quatre (4) agents à une équipe, la situation est telle qu’il n’y aura que deux (2) agents sur place dans l’unité si un (1) autre est envoyé faire une ronde à l’extérieur. Comme l’un (1) des agents doit rester dans le poste de contrôle pour des raisons de sécurité, seul un (1) agent est disponible pour réagir en cas d’incident alors qu’ils devraient normalement être deux (2). [Pas d’italiques dans le texte.]
En d’autres termes, l’agent de sécurité Campbell a constaté qu’en décidant d’affecter moins de quatre agents aux unités 8 et 11 le 10 mai 2001, le SCC avait créé un « danger » parce qu’il était devenu raisonnablement probable qu’un incident se produise et qu’il n’y aurait ensuite qu’un seul agent pour y faire face. Comme indiqué au paragraphe 41 de la décision Verville, les agressions imprévues contre les agents et d’autres incidents provoqués par les détenus « peuvent effectivement se produire » et constituer, par conséquent, un « danger » au sens où l’entend le Code, même eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain. On n’a pas besoin de s’assurer exactement quand un tel incident se produira.
En l’espèce, les agents Schellenberg et Wood ont l’un et l’autre déclaré sous serment que la tension était montée dans l’établissement le jour où ils ont refusé de travailler. Par exemple, le jour avant, l’agent Wood avait été agressé par un détenu au cours d’une saisie de drogue dans l’unité 11. Le détenu en question était resté parmi la population carcérale générale jusqu’à ce que l’agent Schellenberg fasse part de son inquiétude. Un peu plus tard, ce jour‑là, d’autres détenus de l’unité 11 avaient eu des gestes menaçants envers l’agent Wood pendant qu’il y faisait ses rondes d’inspection. Plusieurs détenus avaient aussi eu des gestes menaçants envers l’agent Wood le jour du refus de travailler. Selon les témoignages produits, on avait également appris que, dans le passé, des agents avaient été incapables de réagir efficacement ou de façon appropriée à des incidents parce qu’ils étaient moins de quatre dans une équipe. De plus, une émeute a eu lieu dans l’établissement le 12 mai 2001 – deux jours après le refus de travailler. Il est utile de le savoir car cela prouve que les inquiétudes des agents n’étaient nullement hypothétiques ou à caractère purement spéculatif. Au contraire, c’était le type même d’incidents que les agents prévoyaient quand ils ont invoqué leur droit de refuser de travailler.
Comme l’a dit la juge Gauthier au paragraphe 51 de la décision Verville:
... il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur des avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque de tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus. [Pas d’italiques dans le texte.]
[47] L’avocat du syndicat a déclaré en conclusion ce qui suit :
L’ensemble de faits que l’on pouvait s’attendre à voir causer des blessures en l’espèce et, par conséquent, à constituer un « danger » pour les agents Schellenberg et Wood était une agression imprévue dont avait été victime un agent de correction dans une unité dotée de moins de quatre agents, dans le contexte d’une montée de la tension au sein de l’établissement. Comme un agent devait toujours rester dans le poste de contrôle pour des raisons de sécurité, cela signifiait qu’il n’y en avait qu’un pour intervenir en cas d’incident alors qu’il en fallait normalement deux. Ces faits étaient à l’origine d’un risque anormal de blessure pour les agents, ce qui représentait un « danger ». Dans l’affaire Verville, la Cour fédérale du Canada a clairement stipulé qu’un ensemble de faits analogues pouvait constituer un « danger » au sens du paragraphe 128(1) du Code.
C’est pourquoi nous faisons observer que la loi et les preuves viennent à l’appui de la conclusion formulée par l’agent de sécurité Campbell, à savoir qu’un « danger » existait bien et que les agents Wood et Schellenberg pouvaient raisonnablement invoquer leur droit de refus.
[48] Dans une autre lettre répondant aux observations du demandeur, l’avocat du syndicat a tiré argument du fait suivant :
La juge Gauthier a estimé que les circonstances, telles qu’elles avaient été décrites par les agents de correction dans l’affaire Verville, étaient de nature à constituer un danger selon le Code canadien du travail (le Code) en tant que point de droit et n’étaient pas exclues a priori, et qu’il fallait faire réexaminer l’affaire dans ce contexte par un autre agent d’appel.
[49] L’avocat Carpenter a insisté sur les conclusions suivantes faites par la juge Gauthier dans l’affaire Verville Footnote 34.
· Avec l’ajout de mots tels que « potential » (dans la version anglaise) ou « éventuel » ou « tâche », le Code ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l’employé refuse de travailler (paragraphe 32).
· La blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu’elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée (paragraphe 34; italiques dans le texte).
· La définition du « danger » dans le Code n’exige pas que l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que la situation ou la tâche soit susceptible de causer des blessures. Elle doit pouvoir causer des blessures mais pas nécessairement à chaque fois (paragraphe 35).
· Il n’est pas nécessaire d’établir avec précision le moment auquel la situation, la tâche ou le risque éventuel se produira. La définition du « danger » exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances on peut s’attendre à ce qu’il y ait des blessures et qu’il y ait une possibilité raisonnable que de telles circonstances se produisent dans l’avenir (paragraphe 36).
· La décision de la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin c. Canada (Procureur général), [2004] 1 RCF 625 est différente en ce sens qu’aucun fait précis n’a été invoqué et qu’en l’espèce, le refus de travailler s’appuyait essentiellement sur la description générale d’emploi. Il n’y avait donc ainsi qu’une pure hypothèse (paragraphe 37).
· La définition employée par l’agent d’appel dans l’affaire Verville était viciée (paragraphe 38).
· La signification que l’on donne habituellement aux mots « éventuel » ou « potential » pour qualifier un risque ou une situation n’exclut pas une situation ou un risque qui peut ou non se produire, eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain. Si un risque ou une situation peut surgir ou se produire, il devrait être englobé dans la définition du « danger » figurant dans le Code (paragraphe 41).
· Si des agressions imprévues contre des agents de correction de la part de détenus sont susceptibles de causer des blessures, elles entreront dans la définition du « danger ». Toutefois, si le danger constitue une condition normale de son emploi, l’employé n’aura pas le droit de l’invoquer pour refuser de travailler (paragraphe 43).
· Dans l’affaire Verville, l’agent d’appel a omis de prendre en considération l’argument selon lequel, même si le risque de blessure ou de décès est une condition normale d’emploi des agents de correction et des gardiens de sécurité, un danger ou un risque de blessure accru résultant d’une modification de la politique de l’employeur n’est pas automatiquement exclu en vertu de l’alinéa 128(2)b) (paragraphes 52 et 53).
· Le mot « normal » se réfère à quelque chose de régulier, à un état ou niveau d’activité habituel, à quelque chose qui ne sort pas de l’ordinaire. Il serait donc logique d’exclure un niveau de risque qui n’est pas une partie essentielle, mais qui dépend de la méthode utilisée pour exécuter une tâche ou une activité (paragraphe 55).
· La décision contestée de l’agent d’appel dans l’affaire Verville est déraisonnable (paragraphe 57).
[50] L’avocat du syndicat a estimé que le SCC
avait surévalué le critère de « danger » en déclarant que la situation ou le risque éventuel en question est « susceptible » de se produire; qu’un employé est « susceptible » d’être exposé à cette situation lorsqu’elle se produira; que l’exposition à la situation est « susceptible » de causer une blessure ou une maladie chez l’employé qui y est exposé; et que la blessure ou la maladie est « susceptible » de se produire avant que la situation soit corrigée.
[51] L’avocat du syndicat a ajouté
que les termes susceptible et probable étaient des synonymes, tandis que la juge Gauthier, dans l’affaire Verville, a statué qu’il suffisait qu’il y ait une possibilité raisonnable que la situation, la tâche ou le risque se produise. De plus, elle a déclaré que la définition n’exigeait pas que la situation ou la tâche cause des blessures à chaque fois – elle doit être de nature à causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.
[52] Quant à l’effet de la décision Verville sur la présente affaire, l’avocat du syndicat a fait les observations suivantes :
L’ensemble de faits que l’on peut s’attendre à voir causer des blessures en l’espèce et, par conséquent à constituer un « danger » pour les agents Schellenberg et Wood est une agression imprévue (ou plusieurs) contre un ou plusieurs agents de correction dans une unité dotée de moins de quatre agents, donc moins que le minimum requis, dans le contexte d’une montée de la tension au sein de l’établissement. Parmi les éléments de preuve dont disposent l’agent de sécurité enquêteur et le Tribunal saisi, il y a la politique de dotation, la montée de la tension et l’opinion d’agents expérimentés concernant le danger. Comme un agent devait rester dans le poste de contrôle pour des raisons de sécurité, cela signifiait qu’un seul était disponible pour intervenir en cas d’incident alors qu’il en fallait normalement deux. Ces faits ont été à l’origine d’un degré anormal de risque de blessure pour les agents, ce qui représente un « danger ».
Dans l’affaire Verville, la Cour fédérale du Canada a déclaré clairement qu’un ensemble de faits analogues pouvait, comme point de droit, entrer dans la définition du « danger », selon les preuves fournies. C’est pourquoi nous faisons observer que la loi et les preuves vont à l’appui de la conclusion de l’agent de sécurité Campbell, selon laquelle un « danger » existait bel et bien et que les agents Wood et Schellenberg avaient de bonnes raisons d’invoquer leur droit de refus.
Analyse et décision
[53] L’agent de santé et de sécurité Campbell a adressé une instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(2), en vue de corriger une situation qu’il a jugée dangereuse pour les agents de correction Wood et Schellenberg quand il a enquêté sur leur refus de travailler.
[54] C’est pourquoi, pour que je puisse confirmer, annuler ou modifier l’instruction adressée au SCC, je suis obligée de déterminer si les deux employés étaient effectivement en danger.
[55] Si je trouve que les employés étaient en danger, j’aurai également à décider si ce danger représentait une condition normale de leur emploi. Les dispositions du Code applicables en la matière sont les suivantes :
[56] Le paragraphe 122(1) définit le danger comme suit :
« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
[57] Le paragraphe 128(1) autorise les employés à refuser de travailler dans les situations suivantes :
128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou un chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :
…
(b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
[58] Le paragraphe 128(2) ne permet pas aux employés de refuser de travailler dans les situations suivantes :
128(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :
a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;
(b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.
[59] Les paragraphes 129(1), (4) et (6) et le paragraphe 145(2) indiquent ce que l’agent de santé et de sécurité doit faire au moment où il est informé du refus de travailler, ainsi qu’au terme de son enquête et dans le cas où il conclut à l’existence d’un danger :
129(1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l’agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l’employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.
129(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.
129(6) S’il conclut à l’existence du danger, l’agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.
145(2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l’agent :
a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu’il précise, à la prise de mesures propres :
(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,
(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;
b) peut en outre, s’il estime qu’il est impossible dans l’immédiat de prendre les mesures prévues à l’alinéa a), interdire, par instruction écrite donnée à l’employeur, l’utilisation du lieu, de la machine ou de la chose ou l’accomplissement de la tâche en cause jusqu’à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre des instructions.
[60] Pour analyser les questions auxquelles je dois répondre, je prendrai en considération les faits qui m’ont été présentés, ce que les dispositions du Code me révèlent, la manière dont je comprends le jugement rendu par madame la juge Gauthier dans l’affaire Verville Footnote 35 et les arguments tirés par les parties dudit jugement.
[61] Dans la décision Verville Footnote 36, la juge Gauthier a rendu un jugement sur trois questions en particulier, c.‑à‑d. la norme de contrôle judiciaire des décisions rendues par les agents d’appel, la définition du danger telle qu’elle s’applique au droit de refuser de travailler en vertu du paragraphe 128(1), et la restriction applicable à ce droit en vertu du paragraphe 128(2) quand le danger représente une condition normale de l’emploi.
[62] Premièrement, il importe de prendre note des observations formulées par la juge Gauthier au sujet de la norme de contrôle judiciaire des décisions rendues par les agents d’appel. Ce qui en ressort clairement, c’est que la question de l’existence ou de l’absence d’un danger selon la définition du Code, parce qu’elle est à fort contenu factuel, est autant une question de droit que de fait, normalement soumise à la norme la plus rigoureuse que l’on puisse appliquer en se fondant sur l’approche pragmatique et fonctionnelle adoptée par la Cour suprême, c.‑à‑d. celle de la décision manifestement déraisonnable. Voici ce qu’a dit la juge Gauthier :
[24] Dans son jugement récent Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158, [2003] A.C.F. no 1463 (1re instance) (QL), la juge Tremblay-Lamer, utilisant l’approche pragmatique et fonctionnelle recommandée par la Cour suprême du Canada, a conclu que la question de savoir s’il existait ou non un danger au sens du Code dans une situation donnée était une question mixte de fait et de droit, qui serait en principe soumise à la norme de la décision manifestement déraisonnable parce que c’est une question a fort contenu factuel.
[25] Cependant, comme la définition de danger a récemment été modifiée et n’avait jamais était considérée par les tribunaux, elle a jugé que, exceptionnellement, la question mixte de fait et de droit dont elle était saisie présentait un contenu juridique plus marqué et devrait donc être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.
[26] Je souscris à cette analyse de ma collègue. Je crois également que, en l’espèce, la question mixte de droit et de fait soumise à un contrôle comporte un volet juridique essentiel. L’agent d’appel, dans cette affaire, était le même que dans l’affaire Martin, précitée. Il a fondé la décision dont je suis saisie sur l’interprétation juridique qu’il avait élaborée dans sa décision concernant Agence Parcs Canada c. Doug Martin et l’Alliance de la fonction publique du Canada (Bureau d’appel canadien, décision no 02-009, le 23 mai 2002), décision qui se trouvait devant la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin, précitée, et qu’il venait de rendre un mois auparavant. J’examinerai donc selon la norme de la décision raisonnable simpliciter sa conclusion sur la question de savoir s’il y avait ou non danger dans ce cas particulier.
[63] La juge Gauthier a déclaré qu’en ce qui concerne les questions de droit, l’on ne devait pas faire preuve d’une retenue spéciale à l’égard des décisions des agents d’appel parce que ceux‑ci n’en avaient pas une connaissance particulière. Elle s’est exprimée ainsi :
[27] S’agissant de la présumée erreur sur la norme de preuve appliquée par l’agent d’appel, il s’agit là d’une question de droit pour laquelle les agents d’appel ne peuvent justifier d’aucune spécialisation et qui ne requiert aucune retenue judiciaire particulière. Mais je n’ai pas à me demander si je devrais appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter ou de la décision correcte parce que je suis d’avis que, sur ce point, la décision est correcte. S’agissant des pures conclusions de fait, la norme de contrôle sera celle de la décision manifestement déraisonnable.
[64] Dans sa décision, la juge Gauthier a clairement exposé certaines questions qui sont particulièrement utiles et importantes pour la présente affaire et qui se retrouvent régulièrement au centre des décisions prises par les agents d’appel.
[65] Elle a déclaré que l’on n’avait pas besoin de déterminer exactement quand la situation ou le risque éventuel se produira, mais qu’il suffisait d’établir quand on pouvait raisonnablement s’y attendre :
[36] À cet égard, je ne pense pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin susmentionnée, en particulier le paragraphe 57, n’exigent pas la preuve d’un délai précis à l’intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.
[66] La juge Gauthier a affirmé que le sens courant du mot « éventuel » n’exclut pas un risque ou une situation sujet à l’imprévisibilité du comportement humain. Si un risque ou une situation peut surgir, même si nous ne savons pas exactement quand, on devrait l’englober dans la définition. La juge a déclaré ce qui suit :
[41] S’agissant de l’alinéa i) du paragraphe 40 ci‑dessus, le sens courant d’une situation ou d’un risque « éventuel »[4] ou en anglais « potential »[5] n’exclut pas un risque ou une situation qui peut ou non se produire, eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain. Si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition. Comme je l’ai dit plus haut, il n’est pas nécessaire que l’on soit en mesure de savoir exactement quand cela se produira. Il ressort clairement de la preuve que, en l’espèce, des agressions imprévues peuvent effectivement se produire.
[67] La juge Gauthier s’est prononcée également sur la question des agressions :
[43] Donc, si des agressions du genre sont susceptibles de causer des blessures, elles entreront dans la définition de « danger ». Cependant, si ce danger constitue une condition normale de son emploi, l’employé n’aura pas le droit de l’invoquer pour refuser de travailler (alinéa 128(2)b)). Mais, c’est tout autre chose que de dire que l’imprévisibilité du comportement des détenus est étrangère à la notion de danger exposée dans le Code.
[68] La juge Gauthier a aussi confirmé que la jurisprudence était mince quant à la restriction apportée par le paragraphe 128(2) au droit de refus. Elle a déclaré ce qui suit :
[54] La jurisprudence sur ce point semble assez mince. Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Lavoie, [1998] A.C.F. no 1285 (1re inst.) (QL), un jugement cité par l’agent d’appel, l’argument se rapportant à un risque accru dépassant les conditions normales d’emploi n’a pas été soulevé, et la Cour n’a pas non plus considéré les décisions de la Commission mentionnées par le demandeur, dont deux ont été rendues après le jugement Lavoie, précité (voir le paragraphe 52 ci‑dessus).
[69] La juge Gauthier a néanmoins demandé s’il serait logique d’exclure un risque qui dépendrait de la méthode utilisée pour une activité. Sa question a été la suivante :
[55] Le sens ordinaire des mots de l’alinéa 128(2)b) milite en faveur des points de vue exprimés dans ces décisions de la Commission, parce que le mot « normal » s’entend de quelque chose de régulier, d’un état ou niveau des affaires qui est habituel, de quelque chose qui ne sort pas de l’ordinaire. Il serait donc logique d’exclure un niveau de risque qui n’est pas une caractéristique essentielle, mais qui dépend de la méthode employée pour exécuter une tâche ou exercer une activité. En ce sens, et à titre d’exemple, dirait-on qu’il entre dans les conditions normales d’emploi d’un gardien de sécurité de transporter de l’argent à partir d’un établissement bancaire si des modifications étaient apportées à son emploi de telle sorte que cette tâche doive être exécutée sans arme à feu, sans compagnon et dans un véhicule non blindé?
[70] Étant donné le jugement rendu par la juge Gauthier et compte tenu des faits soumis par les parties et de leur position sur l’instruction émise par l’ASS Campbell à la suite de sa décision sur l’existence d’un danger, j’estime que les deux agents de correction se trouvaient en danger au moment ou ledit agent a enquêté sur leur refus de travailler, et ce pour les raisons exposées ci‑dessous.
[71] L’avocat de l’employeur a fait valoir que si un employé refuse de travailler, la première enquête est menée par l’employeur, l’ASS n’étant appelé à faire la sienne que si l’employé maintient son refus. Il a ensuite déclaré que, selon le paragraphe 129(6), il doit seulement y avoir « existence du danger » au moment de l’enquête de l’ASS, puisque l’employé peut refuser de travailler jusqu’à ce que les mesures correctives exigées par cet ASS soient prises. C’était là, a‑t‑il dit, le principe exprimé dans la décision prise par la Cour fédérale dans l’affaire Fletcher Footnote 37.
[72] En effet, l’ASS n’est appelé à faire son enquête que si l’employé maintient son refus, je n’en disconviens pas. Je suis, cependant, fermement convaincue que l’agent de santé et de sécurité, lorsqu’il enquête sur un refus, n’a d’autre choix que de prendre en considération non seulement les circonstances prévalant à ce moment‑là, mais aussi celles qui prévalaient quand l’employé a refusé de travailler.
[73] J’estime qu’au paragraphe 129(6), le présent utilisé dans la version anglaise … « that the danger exists », (rendu dans la version française par « l’existence du danger »), équivaut, en réalité, à un présent continu, hors du temps ou, comme l’on dit en français, à un « présent intemporel ». C’est pourquoi je pense qu’il faut l’interpréter à la lumière de l’intention et de l’esprit véritables du Code, qui est de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi … ».
[74] Cela signifie que, premièrement, l’ASS a besoin de recueillir tous les faits, afin d’avoir un aperçu complet des circonstances entourant le refus. Il doit donc aussi se demander pourquoi les employés, lorsqu’ils ont refusé de travailler, considéraient que les conditions dans lesquelles ils effectuaient leur travail avaient changé au point de rendre celui‑ci dangereux pour eux.
[75] Deuxièmement, l’ASS est appelé à enquêter quand l’employeur n’a pas pris de mesures satisfaisantes, du point de vue de l’employé, pour éliminer le danger ou n’en a pas pris du tout, et que l’employé maintient son refus. Par conséquent, l’ASS doit vérifier quelles ont été les mesures, s’il y en a eu, mises en œuvre par l’employeur pour remédier aux raisons invoquées à l’appui des refus jusqu’au moment où il est arrivé sur place pour enquêter.
[76] Troisièmement, nous devons garder présent à l’esprit le paragraphe 122.2 du Code, qui stipule ce qui suit :
La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.
[77] C’est pourquoi, à mon avis, l’ASS ne saurait voir si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un risque éventuel devienne un danger, c.‑à. d. cause des blessures avant d’avoir été éliminé, s’il n’étudie pas la façon dont ce risque a été maîtrisé dans le passé afin de ne pas devenir un danger pour les employés au travail et a été considéré comme maîtrisé jusqu’à ce que les employés refusent de travailler.
[78] En d’autres mots, l’ASS doit voir si ce que les employés qualifiaient de danger quand ils ont refusé de travailler existe toujours au moment où il enquête et risque de devenir un danger dans l’avenir.
[79] En l’espèce, l’ASS Campbell a fondé sa décision sur :
· le fait que l’employeur n’a pas suivi sa consigne, qui exigeait la présence de quatre agents de correction dans l’unité;
· le fait que l’employeur n’a pas pris en compte le sentiment généralisé des gardiens que quelque chose allait forcément arriver.
[80] Il est amplement prouvé que l’employeur a modifié sa politique de dotation. Cependant, je n’ai pas eu suffisamment de preuves que celui‑ci avait auparavant cherché à limiter l’effet de cette modification en procédant à une nouvelle évaluation du niveau de risque qu’elle entraînerait pour les gardiens.
[81] L’employeur ne m’a pas prouvé de façon satisfaisante qu’il avait mesuré l’effet de cette modification sur les conditions de travail normales des gardiens. Il n’a pas non plus dit avoir consulté son comité local de la santé et de la sécurité pour lui demander son avis sur la mise en œuvre de ladite modification, comme l’exige le sous‑alinéa 125(1)z.05) du Code. Au contraire, il a déclaré que les modifications de la politique étaient strictement une prérogative de la direction et pas plus qu’une affaire de politique opérationnelle.
[82] À mon avis, les politiques opérationnelles du SCC ont un effet réel sur la santé et la sécurité de ses employés, surtout dans un milieu comme les établissements correctionnels, où tout fait l’objet de règles destinées, entre autre, à protéger le public et les employés et à dynamiser la population carcérale pour encourager sa réintégration dans la société.
[83] J’estime qu’en l’espèce, les employés qui ont refusé de travailler n’ont pas remis en question la prérogative de la direction de modifier la consigne. Ils se sont plutôt rendus compte, et ils l’ont prouvé à l’audience, que le changement de dotation en personnel avait causé de l’agitation dans la population carcérale et les gardiens au point de faire monter la tension.
[84] La juge Gauthier a déclaré que l’on avait le droit de se fonder sur l’avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise pour montrer que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à des blessures. Voici ce qu’elle a dit :
[51] Finalement, la Cour relève qu’il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque de tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.
[85] En l’espèce, je pense que les agents de correction étaient « en meilleure position … pour se former l’opinion » au sujet du danger parce qu’ils avaient directement affaire aux détenus et qu’ils pouvaient ressentir directement que la tension était montée au sein des unités.
[86] De plus, j’estime que le bien-fondé de la décision de l’ASS Campbell au sujet de l’existence d’un danger a également été confirmé par le fait qu’une émeute a eu lieu 48 heures après le refus de travailler et moins de 24 heures après l’enquête, ce qui rend crédible le sentiment que la tension était montée.
[87] En outre, le Code confie à l’employeur la responsabilité de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés. Par conséquent, le SCC devrait évaluer la portée de toute modification qu’il apporte à une procédure, afin de déterminer s’il change de ce fait le niveau de risque, et mesurer et contrôler ensuite ce niveau.
[88] Enfin, pour ce qui est de la restriction apportée par le paragraphe 128(2) du Code, la juge Gauthier a déclaré ce qui suit :
[41] S’agissant de l’alinéa i) du paragraphe 40 ci‑dessus, le sens courant d’une situation ou d’un risque « éventuel »[4] ou en anglais « potential »[5] n’exclut pas un risque ou une situation qui peut ou non se produire, eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain. Si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition. Comme je l’ai dit plus haut, il n’est pas nécessaire que l’on soit en mesure de savoir exactement quand cela se produira. Il ressort clairement de la preuve que, en l’espèce, des agressions imprévues peuvent effectivement se produire.
…
[43] Donc, si des agressions du genre sont susceptibles de causer des blessures, elles entreront dans la définition de « danger ». Cependant, si ce danger constitue une condition normale de son emploi, l’employé n’aura pas le droit de l’invoquer pour refuser de travailler (alinéa 128(2)b)). Mais, c’est tout autre chose que de dire que l’imprévisibilité du comportement des détenus est étrangère à la notion de danger exposée dans le Code.
[89] En l’espèce, je n’ai pas eu suffisamment de preuves que le danger invoqué par les employés en cause et observé par l’ASS Campbell faisait partie des conditions normales d’emploi. Au contraire. Et, à part le confinement aux cellules décrété quand les employés ont refusé de travailler, ce qui est la procédure habituelle dans ce cas, l’employeur n’a effectué aucune évaluation de la situation ou des risques et il n’a pas tenu compte de l’avis et du sentiment exprimés par les agents de correction.
[90] C’est pourquoi j’estime, étant donné la montée de la tension et les risques d’agression, que la réduction de personnel par rapport à la consigne a constitué un danger pour les employés.
[91] Pour ces raisons, je confirme l’instruction que l’agent de santé et de sécurité Campbell a adressée à l’employeur en vertu du paragraphe 145(2) du Code après avoir décidé qu’il y avait bien un danger pour les agents de correction Schellenberg et Wood sur leur lieu de travail.
____________________________
Michèle Beauchamp
Agente d’appel
SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENTE D’APPEL
Décision no: 05-012
Demandeurs : James Schellenberg et Daniel Wood
Défendeur : Service correctionnel du Canada
Mots clés : Refus de travailler, danger, dotation
Dispositions :
Code canadien du travail: 122(1); 128; 129; 145(2)
Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail: S/O.
sommaire
Deux agents de correction ont refusé de travailler parce qu’ils considéraient qu’en ne mettant pas en place le nombre requis d’agents dans les unités résidentielles, l’employeur avait rendu les conditions de travail dangereuses.
Un agent de santé et de sécurité a enquêté sur le refus de travailler de ces agents et décidé qu’il y avait effectivement un danger pour les employés du fait que l’employeur n’avait pas respecté le niveau de dotation minimum. Il a adressé à l’employeur une instruction en vertu de l’alinéa 145(2)a) lui demandant de corriger immédiatement la situation.
L’agent d’appel a confirmé l’instruction que l’agent de santé et de sécurité avait adressée à l’employeur en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code après avoir décidé que la situation sur le lieu de travail constituait un danger pour les agents de correction.
Détails de la page
- Date de modification :