Archivée - Décision: 05-037 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Service correctionnel du Canada
Établissement d'Edmonton
demandeur

et

Confédération des syndicats nationaux – UCCO
défendeur
________________________________
No de la décision 05-037
Date : le 7 septembre 2005

Cette affaire a été entendue par l'agent d'appel Pierre Guénette, à Edmonton, Alberta, les 22 et 23 juin 2005.

Personnes présentes

Pour le demandeur

Trent E. Kane, chef d'unité et co-président du comité conjoint de santé et de sécurité au travail,
Service correctionnel du Canada (SCC), établissement d'Edmonton, Edmonton, Alberta

Me Stéphane Hould, avocat, Justice Canada, Secrétariat du Conseil du Trésor, Services juridiques

Pour le défendeur
Barry Holigroski, agent de correction II, coordonnateur de recherche, établissement d'Edmonton du SCC

Sandrina Courtepatte, agent de correction I, établissement d'Edmonton du SCC
Brenda Kincade, agent de correction I, établissement d'Edmonton du SCC
Allan Johnston, agent de correction I, établissement d'Edmonton du SCC

Céline Lalande, conseillère syndicale, Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Agent de santé et de sécurité
Jack Almond, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC),
Programme du travail, Edmonton, Alberta

[1] Le 28 mai 2002, l'établissement d'Edmonton a avisé Ressources humaines et Développement des compétences Canada du refus de travailler de Sandrina Courtepatte, agent de correction travaillant à l'établissement d'Edmonton.

[2] Le jour de son refus de travailler, Mme Courtepatte a présenté la déclaration suivante à son employeur pour l'aviser qu'elle exerçait son droit de refuser de travailler :

[TRADUCTION] Je vous écris pour vous informer du processus de résolution informelle des conflits entre l'établissement d'Edmonton, Al Johnston et moi-même, S. Courtepatte, relativement à l'article 128 du Code canadien du travail. La plainte que j'ai déposée vers 18 h 16 le 28 mai 2002 n'a pas été résolue à ma satisfaction et j'aimerais vous informer qu'on ne sait toujours pas où se trouvent les sept pieds d'aluminium et que la direction a refusé de procéder à un confinement cellulaire complet de l'établissement pour procéder à une fouille pendant laquelle les détenus n'auraient pas accès aux secteurs où le métal pourrait se trouver. J'ai aussi demandé qu'on procède à une fouille par quadrillage dans les aires de loisirs au moyen de détecteurs de métaux, ainsi qu'une fouille visuelle complète de ces secteurs. Je crains pour ma vie et pour ma sécurité et pour celles des autres employées de l'établissement d'Edmonton. J'estime que je cours le risque de subir des blessures graves si vous permettez que les détenus circulent en dehors de leurs cellules. Je veux vous aviser que je voudrais que RHDCC enquête sur mes inquiétudes concernant le risque que je subisse des blessures graves ou que je perde la vie dans mon lieu de travail.

[3] L'ASS Almond a mené une enquête le matin suivant. L'employeur m'a envoyé une copie du document intitulé [TRADUCTION] Rapport d'enquête et décision que l'ASS Almond a rédigé et lui a fait parvenir après son enquête. Toutefois, pour certaines raisons, l'ASS Almond n'a pu présenter son dossier d'enquête pour l'appel. Néanmoins, je retiens les points suivants de son document et de son témoignage à l'audience.

[4] L'ASS Almond a déclaré qu'au moment du refus de travailler, des groupes de détenus avaient été amenés de leurs blocs cellulaires au gymnase pour y faire des exercices.

[5] Durant son enquête sur le refus de travailler de S. Courtepatte, l'ASS Almond a constaté qu'une seule personne était préposée aux fouilles sommaires1 et qu'il existait une forte possibilité que des armes soient cachées dans l'établissement.

1 Une fouille sommaire est une fouille non intrusive des détenues. On y procède généralement lorsqu'un détenu se déplace d'un point A à un point B à l'intérieur de l'établissement.

[6] L'enquête de l'ASS Almond l'a amenée à conclure qu'il y avait danger pour S. Courtepatte quand elle fouillait l'établissement pour retrouver le morceau d'aluminium perdu. Cette procédure exigeait qu'elle fouille sommairement les détenus ou qu'elle entre en contact étroit avec eux durant une période de tension. En outre, des menaces avaient été proférées à l'endroit d'agents de correction.

[7] Par suite de son enquête, l'ASS Almond a écrit la décision suivante dans son document intitulé Rapport d'enquête et décision et l'a faite parvenir à l'employeur :

[TRADUCTION] J'estime que Sandrina Courtepatte, agent de correction, a eu raison d'invoquer son droit de refus de travailler dans une situation dangereuse, car je suis d'avis que le travail était dangereux selon l'alinéa 128.1)b) de la partie II du Code canadien du travail.

[8] En outre, dans la lettre accompagnant le document Rapport d'enquête et décision, l'ASS Almond a aussi précisé à l'employeur :

[TRADUCTION] VEUILLEZ NOTER QU'EN VERTU DU PARAGRAPHE 129.(1) DE LA PARTIE II DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL, J'AI ENQUÊTÉ SUR LA PLAINTE ET J'AI CONCLU QU'IL Y AVAIT DANGER.

Cela s'applique à toutes les procédures de fouille sommaire et aux contacts personnels étroits avec les détenus de l'établissement d'Edmonton jusqu'à ce que le métal disparu ait été retrouvé ou qu'on ait conclu qu'il ne se trouve pas sur les lieux. Les co-présidents du Comité de santé et de sécurité de l'établissement, M. Kane et M. Johnston, devront être de même avis que le métal en question a été retrouvé ou n'est plus sur les lieux.

Par conséquent, je vous informe que les détenus de l'établissement d'Edmonton demeureront confinés à leurs cellules jusqu'à ce que la situation décrite ci-dessus ait été réglée.

[9] En conséquence, l'ASS Almond a émis à l'établissement d'Edmonton l'instruction qui suit en vertu du paragraphe 145(2) du Code :

[TRADUCTION] L'agent de santé et de sécurité estime que les employées courent un danger en effectuant certaines activités. Par exemple :

Sandrina Courtepatte court un danger quand elle fouille sommairement les détenus ou quand elle est en contact direct avec eux pendant une période de tension à la prison. Il s'agit, précisément, de retrouver du métal avec lequel on pourrait façonner une arme blanche. De plus, des menaces de mutilation ou de mort ont été proférées à l'endroit des agents de correction.

Par conséquent, en vertu du paragraphe 124 de la partie II du Code canadien du travail, l'employeur veille à la protection de ses employées en matière de santé et de sécurité au travail. Cette pratique doit cesser jusqu'à ce que le métal soit retrouvé ou qu'on estime qu'il ne se trouve plus sur les lieux. Les co-présidents du Comité de santé et de sécurité au travail de l'établissement, M. Kane et M. Johnston, devront aussi être de cet avis.

Cette instruction entre en vigueur dès le moment de sa réception.

[10] Dans le dernier paragraphe de son instruction, l'ASS Almond a ajouté :

[TRADUCTION] Par conséquent, je vous ordonne PAR LA PRÉSENTE, en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, d'interrompre cette utilisation, cette procédure ou cette activité jusqu'à ce que vous, l'employeur, vous soyez conformé à l'instruction émise conformément aux alinéas 145(2)a)i) de la partie II du Code canadien du travail.

[11] L'ASS Almond a déclaré qu'il avait reçu une confirmation écrite de SCC que l'établissement d'Edmonton s'était conformé à son instruction.

[12] Trent E. Kane a témoigné pour l'établissement d'Edmonton. Je retiens les points suivants de son témoignage.

[13] T. Kane a décrit le fonctionnement courant de l'établissement d'Edmonton. Il a aussi décrit les lieux au moyen d'un croquis et de photographies. Il a expliqué les faits suivants :

  • on avait trouvé deux morceaux d'aluminium dans le bloc cellulaire C;
  • un agent de correction avait découvert qu'un morceau d'aluminium manquait d'un chariot de cuisine. Ce morceau était long de 7 à 10 pieds;
  • l'employeur a décidé de procéder à une fouille pour trouver ce morceau d'aluminium dans les blocs cellulaires B, C et E, y compris toutes les cellules et les dortoirs;
  • la fouille a été limitée aux blocs où les détenus avaient accès à la cuisine;
  • au moment du refus de travailler de S. Courtepatte, les blocs C et E avaient déjà été fouillés. L'employeur avait fermé la cour d'exercice et avait laissé sortir des petits groupes de détenus de leurs blocs cellulaires;
  • la décision de procéder à une fouille sommaire a été prise en équipe. Les détenus quittaient les blocs cellulaires pour aller dans la cour intérieure;
  • S. Courtepatte a refusé de travailler quand les détenus étaient dans la cour;
  • par suite de son refus de travailler, la direction a ordonné que tous les déplacements de détenus soient interrompus;
  • en conséquence, les détenus se sont mis en colère et ont proférés des menaces à l'endroit des agents de correction;
  • le co-président (employé) du Comité de santé et de sécurité ainsi que T. Kane ont rencontré S. Courtepatte;
  • S. Courtepatte a expliqué comment elle se sentait en ce qui concerne la situation;
  • les deux co-présidents n'étaient pas d'accord avec la conclusion de l'enquête conjointe;
  • plus précisément, l'employeur estimait qu'il n'y avait pas de danger pour l'employée, car il ne disposait d'aucune information indiquant un risque accru;
  • l'employeur a communiqué le soir même avec le Programme du travail et on lui a dit que l'ASS serait là le lendemain matin pour enquêter;
  • le lendemain matin, l'ASS Almond a commencé son enquête en rencontrant uniquement les membres du syndicat;
  • après cette rencontre, l'ASS Almond a rencontré des représentants de la direction qui se sont dits inquiets du fait que l'ASS avait rencontré les membres du syndicat en leur absence. L'ASS Almond n'a présenté aucune explication à ce sujet;
  • l'ASS Almond a interrogé les membres de la direction sur des questions opérationnelles;
  • deux jours plus tard, l'ASS Almond a conclu qu'il y avait danger pour l'employée. Il a confirmé sa décision par écrit et a émis une instruction à l'employeur;
  • la direction s'est conformée à l'instruction en ordonnant une fouille complète de l'établissement;
  • une fois la fouille terminée dans un secteur, celui-ci était ouvert aux détenus avec l'approbation des deux co-présidents;
  • malgré cette fouille complète, le morceau d'aluminium disparu du chariot de cuisine n'a jamais été retrouvé.

[14] Pendant le contre-interrogatoire, T. Kane a signalé qu'il y avait parfois des incidents dans le secteur de la cuisine et que quelques jours avant le refus de travailler, un morceau de métal avait été trouvé durant une agression.

[15] T. Kane a déclaré qu'au moment du refus de travailler, le détecteur de métal utilisé à la barrière de contrôle de ce secteur ne pouvait détecter de l'aluminium mou. Les détecteurs de métaux ont été remplacés après le refus de travailler, mais ce remplacement était lié à l'utilisation d'une nouvelle technologie et non au refus de travailler.

[16] Enfin, T. Kane a affirmé qu'au moment du refus de travailler, la cour intérieure n'avait pas été fouillée.

[17] Barry Holigroski était le premier témoin du défendeur. Je retiens les points suivants de son témoignage.

[18] B. Holigroski a expliqué qu'il avait trouvé un morceau d'aluminium dans la salle de jeux le 24 mai 2002 et qu'il en avait informé son superviseur. Plus tard, un agent de correction a découvert qu'un morceau d'aluminium de 7 à 10 pieds manquait d'un chariot de cuisine.

[19] B. Holigroski a affirmé qu'il avait soumis un morceau d'aluminium à un détecteur de métal sans en déclencher l'alarme. Il a ajouté qu'il avait participé à la fouille du bloc cellulaire durant le quart de jour, mais qu'on n'avait pas retrouvé le morceau d'aluminium disparu.

[20] Sandrina Courtepatte était le deuxième témoin du défendeur. Je retiens les points suivants de son témoignage.

[21] S. Courtepatte a participé à la recherche du morceau d'aluminium disparu. On a commencé par fouiller le gymnase. La fouille n'était pas terminée au moment où elle a été interrompue et où les détenus ont été autorisés à y entrer. S. Courtepatte a demandé que la cour de récréation soit fouillée, mais la direction s'y est opposée.

[22] S. Courtepatte a déclaré qu'elle craignait d'être poignardée par des détenus. Aussi, par suite de la réponse négative de la direction, elle a exercé son droit de refuser de travailler.

[23] S. Courtepatte a ajouté qu'il était parfois difficile de savoir quel détenu déclenchait l'alarme du détecteur de métal quand un trop grand nombre d'entre eux y étaient soumis en même temps pendant une fouille sommaire. Quand cela se produisait, l'agent de correction informait son superviseur de l'incident, mais il n'y avait pas de suivi si les détenus étaient déjà dans le gymnase.

[24] S. Courtepatte a informé le superviseur et un représentant du syndicat de son refus de travailler. Elle a déclaré qu'elle croyait que les agents de correction pouvaient courir un risque durant une ronde, car les détenus étaient enfermés dans le bloc cellulaire. Elle croyait aussi que les détenus avaient des armes en leur possession.

[25] En contre-interrogatoire, S. Courtepatte a déclaré qu'en une seule nuit, les agents de correction ne peuvent procéder à une fouille complète du gymnase et de la cour de récréation.

[26] Brenda Kincade était le troisième témoin du défendeur. Je retiens les points suivants de son témoignage.

[27] B. Kincade a affirmé qu'elle était affectée au poste de contrôle de fouille sommaire. Elle a expliqué que les détenus devaient normalement passer par le poste de contrôle de fouille sommaire, mais qu'ils passaient souvent sans subir de contrôle.

[28] B. Kincade a déclaré qu'on avait discuté, pendant une réunion du Comité de coordination de la gestion, le 24 mai 2002, des activités de bandes dans l'établissement et du nombre élevé de menaces contre des agents de correction. M. Holigroski a fourni des renseignements sur le morceau d'aluminium disparu. La direction a accepté de fouiller les unités B et C. Le syndicat a recommandé une fouille complète de l'établissement, mais la direction a décidé de procéder à une fouille sélective des blocs cellulaires.

[29] B. Kincade a affirmé que les agents de correction étaient terrifiés à l'idée d'être seuls avec les détenus durant la fouille. Le syndicat n'était pas satisfait qu'on procède seulement à une fouille sommaire et que le détecteur de métal ne puisse détecter l'aluminium.

[30] Dans son témoignage, B. Kincade a déclaré que S. Courtepatte lui avait dit qu'elle craignait pour sa vie parce qu'on n'avait pas fouillé tout l'établissement et que les détenus pouvaient circuler pendant la fouille.

[31] Allan Johnston a aussi témoigné pour le défendeur. Je retiens les points suivants de son témoignage.

[32] A. Johnston a rappelé les incidents survenus avant mai 2000 où des détenus avaient utilisé des armes contre un agent de correction. Plus précisément, un agent de correction avait été pris en otage et trois autres avaient été assaillis dans des circonstances différentes.

[33] A. Johnston a déclaré qu'il y avait un grand nombre de membres de bandes en mai 2002 et que la direction avait commencé à séparer les détenus pour éviter des confrontations de bandes.

[34] A. Johnston a confirmé qu'il avait participé à l'enquête sur le refus de travailler de S. Courtepatte le 28 mai 2002. À cette réunion, la direction a déclaré au syndicat que l'établissement d'Edmonton était sécuritaire. Toutefois, le syndicat a soutenu que certains secteurs de l'établissement n'avaient pas été fouillés et qu'on avait procédé seulement à une fouille sommaire du gymnase.

[35] A. Johnston a affirmé qu'il était dans la salle de réunion avec l'ASS Almond et d'autres membres du syndicat le matin du 29 mai 2002, mais que l'ASS ne s'était pas assuré que des représentants de la direction participent à la réunion. Toutefois, l'ASS Almond a visité l'établissement.

[36] Selon A. Johnston, c'est le jour suivant que l'ASS Almond a informé la direction et le syndicat de sa décision de danger et qu'il a émis une instruction verbale à l'établissement d'Edmonton.

[37] A. Johnston a affirmé qu'en conséquence de l'instruction, on avait établi un « plan de match » avec T. Kane et terminé, le 12 juin 2002, la fouille complète de l'établissement.

[38] Dans ses arguments finaux, Me Stéphane Hould a déclaré que je devrais examiner deux questions dans ma décision.

[39] D'abord, je dois établir, en me basant sur les preuves présentées, si l'ASS Almond a eu tort quand il a décidé qu'il y avait danger. Si je conclus qu'il s'est trompé, je devrai annuler l'instruction qu'il a émise à l'établissement d'Edmonton du SCC. Si je décide que sa décision était pertinente, je devrai me demander si son instruction était adéquate dans les circonstances.

[40] Me Hould était d'avis que l'ASS Almond avait rendu une mauvaise décision compte tenu de la définition de danger en vertu de la partie II du Code. Par conséquent, il me faudrait annuler la décision et l'instruction de l'ASS Almond.

[41] Me Hould a soutenu que je devrais prendre en considération le danger inhérent au travail dans un pénitencier. D'après lui, toutes les mesures avaient été prises pour assurer la sécurité de l'employée et l'employeur ne pouvait contrôler tout ce qui pouvait survenir dans un établissement à sécurité maximum.

[42] Me Hould m'a renvoyé au paragraphe 36 de la décision de la juge Gauthier dans Juan Verville2, où elle a écrit :

2 Juan Verville et le Service correctionnel du Canada, Établissement pénitentiaire de Kent, 2004 FC 767, le 26 mai 2004.

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n'exigent pas la preuve d'un délai précis à l'intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[43] Me Hould a soutenu que la définition de danger exige que je prenne en considération les circonstances où le danger pourrait entraîner des blessures et que j'établisse qu'il ne s'agit pas d'une simple possibilité, mais d'une possibilité raisonnable que cela va se produire. S. Courtepatte était d'avis qu'une agression pouvait se produire, mais rien ne prouvait que c'était bel et bien le cas.

[44] Pour soutenir sa position, Me Hould a fait référence à la décision Stone3, où l'agent d'appel Serge Cadieux a déclaré aux paragraphes 46 et 47 :

3 Stone et Service correctionnel du Canada, agent d'appel Serge Cadieux, décision 02-019, le 6 décembre 2002.

[46] Le risque de se voir agresser avec une arme, n'importe quel type d'arme, qu'elle ait ou non été fabriquée à partir de matériel obtenu dans un des ateliers, fait partie intégrante du travail d'un agent de correction. En revanche, ce risque est atténué par les nombreux contrôles, politiques de sécurité et procédures mis en place par le Service correctionnel du Canada. Le Plan de fouille de l'établissement de Springhill constitue un bon exemple de ce genre de procédure, un moyen efficace qui, soit dit en passant, a été activé et a donné lieu à un confinement aux cellules juste avant que M. Stone refuse de travailler. L'interaction continue avec les détenus, c.-à-d. la sécurité dynamique, constitue un autre exemple du type de mesures de sécurité dont les employés se servent pour cerner les situations potentiellement menaçantes. La sécurité préventive est un autre aspect du système de sécurité en place dans un établissement à sécurité moyenne. Il va se soi que le système de sécurité global dans ce genre de prison doit nécessairement inclure une certaine proportion de sécurité statique. La majeure partie du débat, en l'espèce, consiste à déterminer si l'absence de personnel au poste de contrôle no 20 augmente, en fin de compte, le risque d'agression sur les agents de correction au point de constituer un danger au sens du Code.

[47] Cependant, un établissement à sécurité moyenne n'est pas un établissement à sécurité maximale et, par conséquent, les mesures de sécurité doivent refléter cette différence. En tant qu'employeur visé par les dispositions du Code, le Service correctionnel du Canada a la responsabilité, en tant qu'employeur de son personnel, de mettre au point et de mettre en application un système de sécurité susceptible de contrôler et d'atténuer le risqué d'agression qui est toujours présent dans un établissement à sécurité moyenne tout en reconnaissant qu'il est impossible, pour des raisons pratiques, de l'éliminer complètement. C'est là la responsabilité générale de l'employeur en vertu de l'article 124 du Code, lequel prévoit :

124. L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[45] Me Hould a ajouté que T. Kane avait indiqué, dans son témoignage, que les mesures de sécurité suivantes étaient en place dans l'établissement :

  • les déplacements des détenus étaient étroitement surveillés;
  • la fouille sommaire était une procédure de routine;
  • des agents de correction avaient été formés pour exécuter cette procédure;
  • deux agents de correction étaient de garde dans la cour durant les déplacements des détenus;
  • il y avait un agent de correction au poste de contrôle pour surveiller la porte et deux agents de contrôle armés en permanence.

[46] Me Hould a soutenu qu'il ne faisait pas de doute que l'employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour protéger les agents de correction en mai 2002 :

  • la direction avait évalué la situation en effectuant une fouille dans les blocs cellulaires concernés;
  • la direction avait appelé le superviseur de l'agent de correction durant la fouille sommaire;
  • le nombre de déplacements des détenus avait été réduit;
  • personne n'avait jamais subi d'agression dans le secteur des fouilles sommaires.

[47] Me Hould a expliqué comment la notion de risque inhérent s'applique à des situations où les agents de correction sont en contact avec les détenus. Il a fait référence à la décision Bouchard4 où l'agent d'appel Michèle Beauchamp a écrit, au paragraphe 22 :

4 Bouchard et Service correctionnel du Canada, agent d'appel Michèle Beauchamp, décision 01-027, le 12 décembre 2001.

[22] [TRADUCTION] Les deux agents correctionnels Bouchard et Guillemette faisaient-ils face à un danger au sens du Code ? Je ne crois pas que, dans le cas présent, le risque auquel ils étaient confrontés débordait le cadre des conditions normales de leur emploi au point d'en devenir un danger au sens du Code. Le milieu de travail des agents correctionnels comporte nécessairement un potentiel de violence, en raison de sa nature même. J'estime que leur employeur, le SCC, a tenté de réduire le risque rattaché à cette escorte dans toute la mesure du possible, entre autres par le biais d'une évaluation des risques effectuée par une équipe de professionnels très au fait de la situation.

[48] La deuxième question que l'avocat-conseil de l'employeur m'a demandé de prendre en considération est que si je suis d'accord avec l'ASS Almond pour affirmer que S. Courtepatte était en danger, je devrais examiner la formulation de l'instruction que l'ASS a émise à l'établissement d'Edmonton du SCC.

[49] Me Hould était d'avis que l'instruction mettait la sécurité de l'établissement entre les mains des employées. L'ASS Almond a ordonné à l'établissement d'Edmonton, dans le cas où on ne parviendrait pas à retrouver le morceau d'aluminium, que le Comité de santé et de sécurité conclurait qu'il ne s'y trouvait pas. Il a soutenu que cette instruction n'était pas acceptable en vertu du Code et que le Code ne conférait pas ce pouvoir à l'ASS.

[50] Me Hould a aussi soutenu que l'instruction créait un autre problème, car elle ordonnait aux agents de correction d'éviter les contacts avec les détenus et, ainsi, contrevenait directement avec les fonction d'un agent de correction.

[51] Durant ses arguments finaux Me Hould a soulevé un autre problème concernant l'ordre de confinement aux cellules compris dans l'instruction. Il a soutenu que c'était incompatible avec la sécurité des détenus et des agents de correction et que T. Kane avait expliqué que le confinement aux cellules entraînait davantage de danger et faisait monter le niveau de tension dans l'établissement.

[52] Me Hould estimait que l'instruction n'était pas essentielle et devait être annulée. Il estimait aussi qu'il ne servait à rien de modifier l'instruction, car la situation s'était produite, il y a plus de trois ans.

[53] Me Hould a aussi soutenu que l'ASS Almond n'avait pas enquêté sur le refus de travailler de S. Courtepatte conformément au paragraphe 129(1) du Code, car il avait entrepris son enquête en consultant uniquement les représentants du syndicat et n'avait fait aucun effort pour obtenir la participation d'un membre de la direction, malgré la présence de T. Kane dans l'établissement à ce moment là.

[54] Enfin, Me Hould a soutenu que l'ASS Almond avait déjà pris sa décision quand il a rencontré les représentants de l'employeur.

[55] Pour sa part, la conseillère syndicale Céline Lalande a demandé dans ses arguments finaux que je confirme la décision de danger et l'instruction de l'ASS Almond.

[56] La conseillère syndicale Lalande estimait qu'il y avait danger pour S. Courtepatte, conformément à la définition du Code, compte tenu des éléments suivants :

  • la catégorie des détenus à l'intérieur de l'établissement à sécurité maximum;
  • la réduction des risques de blessures s'il ne se trouvait pas d'arme prohibée à l'intérieur de l'établissement;
  • les procédures en place servaient à contrôler un risque limité;
  • l'employeur ne prenait pas toutes les mesures possibles pour éliminer ou réduire le danger;
  • l'employeur a procédé à une fouille partielle de l'établissement plutôt qu'à une fouille complète.

[57] La conseillère syndicale Lalande a fait référence au témoignage de l'ASS Almond pour examiner les faits suivants :

  • la tension causée par la présence de bandes;
  • l'incident survenu dans la cuisine environ vingt jours avant le refus de travailler de S. Courtepatte, où un agent de correction fut incapable d'intervenir;
  • la pièce d'aluminium disparue aurait pu être n'importe où dans l'établissement;
  • le détecteur de métal ne pouvait détecter l'aluminium;
  • la fouille n'a pas arrêté les déplacements des détenus et des armes auraient pu circuler entre les blocs cellulaires;
  • la tension était accrue chez les détenus parce que des armes étaient en circulation, et non pas parce que l'agent avait refusé de travailler.

[58] La conseillère syndicale Lalande a soutenu que le nouveau Code donnait une définition plus large au terme de danger. Elle a fait référence au paragraphe 32 de la décision Juan Verville5, où la juge Gauthier avait écrit :

5 Juan Verville, ci-dessus.

[32] Avec l'ajout de mots tels que « potential » (dans la version anglaise) ou « éventuel » et « tâche » , le Code ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l'employé refuse de travailler.

[59] La conseillère syndicale Lalande a affirmé que, dans le présent cas, l'activité était le déplacement des détenus et qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que les détenus soient en possession d'armes de métal. Elle a fait référence au paragraphe 34 de la décision Juan Verville6, où la juge Gauthier a écrit :

6 Juan Verville, ci-dessus.

[34] Les propos susmentionnés ne sont pas tout à fait exacts. Comme il est indiqué dans l'affaire Martin, précitée, la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu'elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée. Donc, ici, l'absence de menottes sur la personne d'un agent correctionnel impliqué dans une empoignade avec un détenu doit être susceptible de causer des blessures avant que des menottes ne puissent être obtenues du poste de contrôle ou par l'intermédiaire d'un surveillant K-12, ou avant que tout autre moyen de contrainte ne soit fourni.

[60] La conseillère syndicale Lalande a aussi porté à mon attention le paragraphe 35 de cette décision7, qui concerne plus précisément la cause de blessures. Elle estimait que la présence d'armes de métal à l'intérieur de l'établissement justifiait qu'on s'attende raisonnablement à ce que S. Courtepatte et d'autres agents de correction subissent des blessures à un moment ou un autre, même si le danger n'était pas toujours présent. La juge Gauthier a déclaré :

7 Juan Verville, ci-dessus.

[35] Je ne crois pas non plus que la définition exige que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures. La version anglaise « could reasonably be expected to cause » nous dit que la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.

[61] La conseillère syndicale Lalande a soutenu que l'ASS Almond avait pris la bonne décision, compte tenu de la taille du morceau de métal disparu et qu'il y avait raisonnablement lieu de croire que les détenus étaient en possession d'armes de métal. Par conséquent, l'employeur aurait dû prendre les mesures nécessaires pour le trouver.

[62] La conseillère syndicale Lalande a aussi fait référence au paragraphe 41 de la décision Juan Verville8 pour soutenir que ce n'était pas une simple possibilité, mais une possibilité raisonnable que S. Courtepatte ou un autre agent de correction soit blessé par un détenu. La juge Gauthier a écrit :

8 Juan Verville, ci-dessus.

[41] S'agissant de l'alinéa i) du paragraphe 40 ci-dessus, le sens courant d'une situation ou d'un risque « éventuel » [4] (ou en anglais « potential » [5]) n'exclut pas un risque ou une situation qui peut ou non se produire, eu égard à l'imprévisibilité du comportement humain. Si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition. Comme je l'ai dit plus haut, il n'est pas nécessaire que l'on soit en mesure de savoir exactement quand cela se produira. Il ressort clairement de la preuve que, en l'espèce, des agressions imprévues peuvent effectivement se produire.

[4] « éventuel » : Qui peut se produire si certaines conditions se trouvent réalisées. Qui peut ou non se produire. Le Nouveau Petit Robert (Dictionnaires le Robert – Paris, 1993), à la page 947.

[5] « potential » : capable of coming into being or action. The Canadian Oxford Dictionary (Don Mills, Ontario: Oxford University Press, 2001), à la page 1134.

[63] La conseillère syndicale Lalande estimait que le niveau de risque était plus élevé que la normal et était par conséquent une condition de travail anormale. La situation correspondait donc à la définition de danger et l'ASS Almond avait correctement interprété le Code.

[64] La conseillère syndicale Lalande a soutenu que l'instruction émise à l'établissement d'Edmonton ne mettait pas la santé et la sécurité de l'établissement entre les mains du Comité de santé et de sécurité. Elle était adressée à l'employeur, représenté par Joanna Pauline, directrice intérimaire. Le rôle du Comité de santé et de sécurité consistait simplement à dire si la situation était correcte.

[65] Pour ces raisons, la conseillère syndicale Lalande était d'avis que la décision de danger et l'instruction émise par l'ASS Almond à l'établissement d'Edmonton du SCC, devrait être confirmée.

*****

[66] La question à décider dans le cas présent est de savoir qui l'ASS Almond a fait erreur quand il a décidé qu'il y avait danger pour S. Courtepatte au moment de son enquête. Ensuite, je dois décider s'il y a lieu de confirmer, d'annuler ou de modifier la décision et l'instruction qu'il a émises à l'établissement d'Edmonton du SCC.

[67] Pour ce faire, je vais tenir compte des faits et des arguments qui m'ont été présentés par les deux parties, ainsi que de la définition de danger en vertu du Code.

[68] Le terme « danger » est défini comme suit au paragraphe 122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[69] Dans le cas présent, pour décider s'il y a danger, la définition m'oblige à établir les circonstances où le risque potentiel aurait pu causer des blessures et déterminer s'il y avait une possibilité raisonnable que la situation se reproduise dans le futur.

[70] Dans ce cas, le risque potentiel était la possibilité qu'un détenu agresse l'agent de correction Courtepatte avec une arme façonnée à partir du morceau d'aluminium disparu dans l'établissement.

[71] Conformément aux preuves incontestables entendues dans cette affaire, on peut conclure qu'au moment de l'enquête de l'ASS Almond, le risque éventuel mentionné serait susceptible de causer des blessures avant que le risque soit écarté.

  • un agent de correction a trouvé deux morceaux d'aluminium d'environ 7 à 8 pouces par un pouce. L'un d'entre eux avait la forme d'un couteau;
  • une fouille de l'établissement a révélé qu'un morceau d'aluminium de 7 à 10 pieds avait été enlevé d'un chariot de cuisine;
  • durant la fouille initiale organisée par l'établissement pour retrouver le morceau aluminium disparu, l'établissement n'a pas protégé les secteurs fouillés. Ce fait est important, car on sait que les détenus pouvaient passer les postes de fouille sommaire et aller d'un secteur à l'autre sans nécessairement subir de fouille;
  • durant l'enquête, l'établissement a constaté que le détecteur de métal utilisé à ce moment là ne pouvait détecter l'aluminium;
  • pendant un certain temps, une tension existait entre des bandes rivales, comme l'a démontré un incident où un détenu avait lancé de l'eau bouillante à un codétenu alors qu'il travaillait dans la cuisine;
  • des détenus ont menacé de mutiler ou de tuer des agents de correction. L'agent de correction Courtepatte a affirmé qu'elle craignait d'être agressée durant une fouille sommaire quand elle a refusé de travailler.

[72] À mon avis, les preuves ci-dessus montrent que des circonstances existaient au moment de l'enquête de l'ASS Almond à l'effet qu'un risque potentiel appréhendé par l'agent de correction Courtepatte pourrait raisonnablement lui causer une blessure dans le futur. Je pense aussi qu'il y avait possibilité raisonnable, plutôt qu'une simple possibilité, que les circonstances persisteraient ou se reproduisent dans le futur. La preuve à cet égard est la suivante :

  • l'aluminium disparu n'avait pas été retrouvé au moment de l'enquête de l'ASS Almond;
  • pour éviter un confrontation avec les détenus, la direction de l'établissement a préféré ne pas tenir compte du fait que certains détenus avaient passé le poste de fouille sommaire sans être fouillés plutôt que de reprendre l'opération de fouille;
  • la tension était aussi forte au moment de l'enquête de l'ASS Almond;
  • l'établissement d'Edmonton est un pénitencier à sécurité maximum et, dans les circonstances, les menaces des détenus devaient être prises au sérieux.

[73] Me Hould a soutenu que S. Courtepatte n'avait aucune raison de craindre une agression par des détenus, car l'établissement ne disposait d'aucun renseignement selon lequel on prévoyait agresser un agent de correction.

[74] Toutefois, au paragraphe 51 de la décision Juan Verville9, la juge Gauthier a affirmé qu'on peut établir de façon réaliste la probabilité de subir des blessures en se basant sur l'opinion de personnes ordinaires expérimentées. Elle a écrit :

9 Juan Verville, ci-dessus.

[51] Finalement, la Cour relève qu'il existe plus d'un moyen d'établir que l'on peut raisonnablement compter qu'une situation causera des blessures. Il n'est pas nécessaire que l'on apporte la preuve qu'un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d'expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l'expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l'opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d'une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[75] Dans le cas présent, j'estime que l'inquiétude de S. Courtepatte était basée sur son expérience et sur son contact direct avec les détenus qui lui ont permis d'évaluer raisonnablement les menaces des détenus.

[76] Me Hould a soutenu que l'employeur ne peut contrôler tout ce qui se produit à l'intérieur de l'établissement. Il a fait référence au paragraphe 46 de la décision de l'affaire Stone10, où l'agent d'appel Serge Cadieux a écrit:

10 Stone et Service correctionnel du Canada, ci-dessus.

[46] Le risque de se voir agresser avec une arme, n'importe quel type d'arme, qu'elle ait ou non été fabriquée à partir de matériel obtenu dans un des ateliers, fait partie intégrante du travail d'un agent de correction. En revanche, ce risque est atténué par les nombreux contrôles, politiques de sécurité et procédures mis en place par le Service correctionnel du Canada (…)

[77] Toutefois, dans le cas présent, je suis d'avis que la situation exigeait une fouille complète et rigoureuse. Plutôt, la direction a choisi de limiter la fouille pour éviter une confrontation avec les détenus. À mon avis, cette réaction était inadéquate pour protéger la santé et la sécurité de l'agent de correction Courtepatte et des autres agents de correction.

[78] Me Hould a soutenu que le danger existant à l'établissement était une condition de travail normale. À l'appui de cette position, il a fait référence à la décision de Michèle Beauchamp dans l'affaire Bouchard11.

11 Bouchard et Service correctionnel du Canada, ci-dessus.

[79] Toutefois, contrairement à la situation décrite dans la décision Bouchard12, les circonstances particulières de cette affaire, notamment le fait qu'un agent de correction avait déjà trouvé une arme faite d'aluminium, que le morceau d'aluminium disparu n'avait pas été retrouvé et que la tension était forte chez les détenus par suite d'une agression entre détenus, indiquent que le danger pourrait être fortement considéré comme étant une condition normale de travail.

12 Bouchard et Service correctionnel du Canada, ci-dessus.

[80] Bien qu'elle ne constitue pas une preuve concluante, une lettre de T. Kane envoyée en juin suivant a confirmé que la fouille ordonnée par l'ASS Almond avait eu pour résultat la découverte de :

  • 122 livres de métal, y compris 50 livres de clous, dont 31 avait été transformées en armes;
  • 32 bâtons;
  • 4 morceaux de tuyaux PCV trouvés dans la cour;
  • 46 grandes pointes d'une longueur approximative de six à huit pouces.

[81] Selon les preuves présentées et pour les raisons déjà mentionnées, j'approuve la décision de l'ASS Almond selon laquelle S. Courtepatte était en danger.

[82] Cela dit, je dois me pencher sur l'instruction émise par l'ASS Almond et traiter deux questions soulevées par Me Hould relativement à la lettre datée du 30 mai 2002, dans laquelle l'ASS Almond a confirmé aux parties sa décision selon laquelle un danger existait pour S. Courtepatte.

[83] Tout d'abord, en ce qui concerne la lettre de l'ASS Almond du 30 mai 2002, dans laquelle il confirmait sa décision aux parties, Me Hould s'est plaint que les deux derniers paragraphes constituaient chacune une instruction et a affirmé qu'elles devaient être annulées. Les deux paragraphes se lisaient comme suit :

[TRADUCTION] Cette décision s'applique à toutes les procédures de fouille sommaire et aux contacts personnels étroits avec les détenus de l'établissement d'Edmonton jusqu'à ce que le métal disparu ait été retrouvé ou qu'on estime qu'il ne se trouve plus sur les lieux. Les co-présidents du Comité de santé et de sécurité, M. Kane et M. Johnston, devront être aussi d'avis que le métal en question a été retrouvé ou qu'il ne se trouve plus sur les lieux.

Par conséquent, veuillez noter que les détenus de l'établissement d'Edmonton devront demeurer confinés à leurs cellules jusqu'à l'exécution des directives énoncées au paragraphe précédent.

[84] Me Hould a soutenu que l'exigence selon laquelle les deux co-présidents devaient être d'accord avec les résultats de la fouille était inadéquate parce qu'elle allait à l'encontre des droits de gérance de la direction.

[85] En ce qui concerne le deuxième paragraphe, il a soutenu qu'il était inadéquat parce le fait de confiner les détenus à leurs cellules créait un risque grave dans l'établissement.

[86] Je n'ai aucune raison de contester l'avis de Me Hould selon lequel les deux paragraphes constituaient une instruction malgré le fait qu'ils étaient compris dans l'avis de décision et étaient distincts de la véritable instruction présentée subséquemment le même jour par l'ASS Almond.

[87] Dans le cas de l'instruction stipulant l'approbation des deux co-présidents, l'article 124 du Code exige que l'employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et sécurité au travail. À mon avis, l'instruction n'est pas conforme à l'article 124 du Code et doit être annulée.

[88] En ce qui concerne l'instruction de l'ASS Almond dans la lettre de décision qui stipule que les détenus de l'établissement soient confinés à leurs cellules, lors de l'audience les agents de correction n'ont pas exprimé de désaccord avec le point de vue de Me Hould selon lequel cette exigence créait un risque grave. Comme je ne vois rien qui m'incite à agir autrement, j'accepte d'annuler cette instruction.

[89] Le paragraphe 146.1 (1)a) du Code me confère le pouvoir de confirmer, de modifier ou d'annuler une décision ou une instruction. Il se lit comme suit :

146.1 (1) Saisi d'un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l'article 146, l'agent d'appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

[90] En vertu de ce pouvoir, j'annule par la présente ces deux instructions énoncées dans la lettre de l'ASS Almond datée du 30 mai 2002 et confirmant l'existence d'un danger pour S. Courtepatte.

[91] Dans l'instruction de l'ASS Almond émise à établissement d'Edmonton le 30 mai 2002, il a ordonné à l'établissement, en vertu du paragraphe 145(2) du Code, de trouver le morceau de métal disparu ou de certifier qu'il ne se trouvait plus sur les lieux de l'établissement et que les deux co-présidents du Comité de santé et de sécurité devaient être d'accord avec les conclusions de la fouille.

[92] Bien que je sois convaincu qu'il était acceptable d'ordonner à l'employeur de trouver le morceau de métal disparu, compte tenu de la situation à l'intérieur de l'établissement au moment de l'enquête de l'ASS Almond, j'ai déjà confirmé qu'il était inadéquat d'exiger de l'employeur qu'il obtienne l'approbation des deux co-présidents du Comité de santé et de sécurité.

[93] Par conséquent, en vertu du pouvoir que m'accorde l'alinéa 146.1(1)a) du Code, je modifie, pour les raisons mentionnées ci-dessus, l'instruction émise à l'établissement d'Edmonton du SCC par l'agent de santé et de sécurité Almond en vertu du paragraphe 145(2) le 30 mai 2002. Je le remplace par ce qui suit :

Concernant la partie II du Code canadien du travail
Santé et sécurité au travail

Instruction à un employeur en vertu des alinéa 145(2)a) et b)

Le 29 mai 2002, l'agent de santé et de sécurité soussigné a mené une enquête par suite du refus de travailler de Sandrina Courtepatte au lieu de travail du SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, à l'ÉTABLISSEMENT D'EDMONTON, 21611, rue MERIDIAN, CASE POSTALE 2290, EDMONTON (ALBERTA), T5J 3H7, parfois désigné sous le nom de SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA.

Ladite agent de santé et de sécurité estime qu'une activité représente un danger pour les employés au travail. Nommément :

Pour Sandrina Courtepatte, le fait de procéder à une fouille ou d'enter en contact étroit avec des détenus durant cette période de tension à la prison. L'activité en question consiste à procéder à une fouille pour trouver des morceaux de métal façonnables ou façonnés en armes blanches (forme de couteaux). Cette activité doit avoir lieu dans un contexte où des détenus ont proféré des menaces de mutilation ou de morts à l'endroit d'agents de correction.

En vertu de l'article 124 de la partie II du Code canadien du travail, « l'employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ». Par conséquent, l'employeur doit procéder à une fouille complète de l'établissement d'Edmonton et contrôler les déplacements des détenus durant la fouille.

Par conséquent, je vous ordonne PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de voir immédiatement à protéger quiconque de ce danger.

Je vous ordonne AUSSI PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de ne pas procéder à cette activité jusqu'à ce que vous vous soyez conformé à la présente instruction, mais rien dans ce paragraphe ne vous empêche de faire tout le nécessaire pour vous conformer à la présente instruction.

Instruction émise à Edmonton ce 30e jour de mai 2002.




_________________________________
(signature)
Jack Almond
Agent de santé et de sécurité
No AB3533
Place du Canada, pièce 260
9700, avenue Jasper
Edmonton (Alberta) T5J 4C1
Téléphone : (780) 495-2086
Télécopieur : (780) 495-2998

À : Service correctionnel du Canada
Établissement à sécurité maximum d'Edmonton
21611, rue Meridian,
Case postale 2290
Edmonton (Alberta) T5J 3H7

[94] Je suis au courant du fait que l'employeur s'est conformé à l'instruction émise le 30 mai 2002. Par conséquent, aucune autre mesure n'a été exigée de l'employeur concernant l'instruction modifiée.

[95] Enfin, je me sens obligé de faire le commentaire suivant. Me Hould s'est plaint durant l'audience que l'ASS Almond avait commencé son enquête sur le refus de travailler par une réunion avec le syndicat sans la présence de représentants de la direction. Il a soutenu que cette réunion était contraire au paragraphe 129(1) du Code et a soutenu que cela avait influencé la décision et l'instruction de l'ASS Almond.

[96] Le paragraphe 129(1) du Code se lit comme suit :

129. (1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l'agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l'employeur, de l'employé et d'un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l'employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

[97] À mon avis, rien ne justifie le non respect de l'ASS Almond des exigences du paragraphe 129(1) du Code et je ne peux qu'affirmer que celui-ci ait créé, pour le moins, un doute quant à l'impartialité de sa décision et de son instruction.



______________________________
Pierre Guénette
Agent d'appel


Sommaire de la décision de l'agent d'appel

No de la décision :05-037

Demandeur : Service correctionnel du Canada, établissement d'Edmonton

Défendeur : Confédération des syndicats nationaux – UCCO

Mots clés : Danger, fouille sommaire, fouille, tension, confinement aux cellules, refus de travailler

Dispositions : CCT 122, 124, 128, 129(7), 145, 146
RCSST S/O

Sommaire :

Un agent de correction a refusé de travailler parce que l'employeur refusait de confiner aux cellules tous les détenus de l'établissement afin de procéder à une fouille pour trouver un morceau d'aluminium disparu. Elle craignait que sa santé et sa sécurité, ainsi que celles des autres agents de correction de l'établissement était en danger si l'employeur maintenait le déplacement des détenus durant la fouille.

L'agent de santé et de sécurité a décidé qu'il y avait danger et a émis une instruction à l'employeur.

L'agent d'appel a confirmé la décision de danger mais a modifié l'instruction.

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