Archivée - Décision: 06-007 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Jean-François Boudreault
et
Fédération des employées et employés
de services publics inc.
(CSN)br> requérants

et

Securicor Canada Limitée
répondant
___________________________
No de la décision 06-007
Le 10 mars 2006

Cette affaire a été décidée par Katia Néron, agent d'appel, sur la base des documents présentés par les parties et par l'agent de santé et de sécurité.

Pour les requérants
Pascal Jean, conseiller syndical, Fédération des employées et employés de services publics inc. (CSN)
Jean-François Boudreault, agent de transport des valeurs
Denis Berneche, agent de transport des valeurs
Éric Laroche, agent de transport des valeurs et membre employé du comité local de santé et de sécurité

Pour le répondant
Dany St-Martin, directeur de région, Securicor Canada Limitée
François Samson, directeur de section, Securicor Canada Limitée, et coprésident employeur du comité local de santé et de sécurité

Agent de santé et de sécurité
Mario Thibault, Ressources humaines et Développement des compétences Canada,
programme du Travail, Montréal (Québec)

[1] Cette affaire concerne un appel déposé le 22 novembre 2004 en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail, partie II (le Code), par Jean-François Boudreault, agent de transport des valeurs chez Securicor Canada Limitée (Securicor).

[2] J. F. Boudreault a déposé cet appel à l'encontre d'une décision d'absence de danger rendue par l'agent de santé et de sécurité Mario Thibault à la suite de son enquête sur le refus de travailler de l'employé fait le 22 novembre 2004.

[3] Selon le rapport d'enquête de l'agent de santé et de sécurité Thibault, J. F. Boudreault avait été assigné, en compagnie de Denis Berneche, également agent de transport des valeurs, vers 13 h 25, le 22 novembre 2004, à la livraison de cartes d'autobus et de métro à une épicerie IGA située rue Hochelaga, à Montréal.

[4] Toujours selon le rapport de l'agent de santé et de sécurité Thibault, J. F. Boudreault et D. Berneche ont tous deux refusé d'exécuter cette tâche parce qu'ils croyaient que leur sécurité était en péril pour les motifs suivants :

  • la formation reçue par J. F. Boudreault et D. Berneche portait à l'origine sur le travail effectué par équipe de trois : le chauffeur du camion, le messager et le garde;
  • J. F. Boudreault devait maintenant agir comme messager, soit sortir seul du camion, sans être accompagné du garde, en tenant des sacs pleins de valeurs, identiques aux sacs contenant de l'argent;
  • le camion des agents n'était pas muni d'une alarme permettant de le laisser sans surveillance. De plus, la portière du conducteur pouvait être ouverte de l'extérieur sans l'aide d'une clé car la serrure en était brisée;
  • cela pouvait prendre plus de cinq minutes avant que quelqu'un s'occupe des agents une fois ceux-ci rendus à l'épicerie;
  • l'itinéraire suivi pour se rendre au point de livraison ne variait pas d'une fois à l'autre et, si des voleurs planifiaient un braquage, ils choisiraient de le faire lorsque la livraison serait effectuée par un seul agent armé, plutôt que deux.

[5] Le libellé des refus de travailler de J. F. Boudreault et de D. Berneche se retrouve sur le même document et se lit comme suit :

Nous refusons d'exécuter les tâches demandées par l'employeur (en l'occurrence la route « STM ») car nous considérons notre sécurité en danger, pour les raisons suivantes :
  • L'employeur nous demande de débarquer du véhicule blindé seul (1 homme) sans garde avec des sacs (SECURPAK) pleins.
  • Les sacs sont identique à ceux contenant de l'argent. Les gens malintentionnés ne peuvent faire de différence de contenu.
  • Des décisions similaires ont déjà été rendu en faveur des convoyeurs de Sécuricor concernant des situations ou des agents doivent faire des livraisons ou « pick up » dans ces mêmes commerces il fut statué que le messager devait être escorté!
  • Même chose pour les équipes de service à 1 homme qui doivent obligatoirement avoir de l'assistance (back-up) pour ouvrir une voute ou même prendre un « closing sceal » dans un endroit publique.
  • De plus si des individus voulait s'en prendre à nous il semble évident que leur choix se porteraient sur une route ou il n'y a qu'un agent armé sans back-up au lieu de deux.

Pour ces raisons, nous considérons notre vie mise inutilement en danger, et c'est pourquoi nous refusons de travailler dans ces conditions.

[6] Selon le rapport de l'agent de santé et de sécurité Thibault, l'employeur a soutenu qu'il n'y avait pas de danger pour la sécurité des employés pour les raisons suivantes :

  • le travail demandé était occasionnel, il couvrait une période de deux semaines par mois et les itinéraires pouvaient varier;
  • il n'y a jamais eu par le passé de vol de cartes d'autobus et de métro;
  • la plupart des vols qui ont eu lieu se sont produits dans des banques;
  • aucune information n'avait été reçue des corps policiers concernant la possibilité d'un vol sur l'itinéraire des employés ou à l'épicerie;
  • les cartes d'autobus et de métro ont toujours été livrées par le passé avec des équipes de deux agents plutôt que de trois;
  • les employés ont été avisés qu'en cas de vol, ils devaient laisser les voleurs s'emparer de l'argent et ne pas opposer de résistance.

[7] À la suite de son enquête, l'agent de santé et de sécurité Thibault a décidé qu'il n'y avait pas de danger pour J. F. Boudreault et D. Berneche, en s'appuyant sur les raisons suivantes :

  • les itinéraires suivis pour se rendre à l'épicerie pouvaient varier;
  • aucune information n'avait été transmise par les corps policiers sur la possibilité qu'un vol soit commis sur l'itinéraire des employés;
  • les cartes d'autobus et de métro ont toujours été livrées par le passé avec des équipes de deux agents plutôt que de trois;
  • les employés avaient été avisés qu'en cas de vol, ils devaient laisser les voleurs s'emparer de l'argent et ne pas opposer de résistance;
  • le point de livraison était une épicerie IGA, non une banque;
  • au moment de son enquête, le stationnement du IGA était tranquille et seuls des clients entraient dans l'épicerie;
  • au moment de son enquête, la présence du véhicule identifié sous la bannière de Securicor et celle des membres du comité de santé et de sécurité venaient ajouter un élément de dissuasion.

[8] L'agent de santé et de sécurité Thibault a confirmé sa décision d'absence de danger par écrit le 22 novembre 2004.

*************

[9] La question à trancher dans cette affaire est de déterminer si l'agent de santé et de sécurité Thibault a erré lorsqu'il a décidé qu'il y avait absence de danger pour J. F. Boudreault au moment de son enquête. Pour ce faire, je dois tenir compte de la définition de danger tel qu'il faut l'entendre au sens du Code ainsi que des faits et circonstances entourant cette affaire.

[10] Le paragraphe 122(1) du Code définit le « danger » comme suit :

122(1) « danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats – avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou sur le système reproducteur.

[11] Pour établir s'il y a un danger, je dois identifier la situation, la tâche ou le risque susceptible de causer des blessures à la personne. Je dois aussi déterminer si cette situation, cette tâche ou ce risque existait au moment de l'enquête de l'agent de santé et de sécurité ou si on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que cela se produise dans l'avenir. Enfin, je dois déterminer si, dans les circonstances, le risque pouvait être écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée avant d'occasionner les blessures ou la maladie. Si cela ne pouvait être fait, la situation, la tâche ou le risque constituait alors un danger.

[12] Dans le cas présent, le risque éventuel invoqué par J. F. Boudreault et D. Berneche était qu'ils soient la cible d'un braquage au moment où ils auraient à effectuer leur tâche. J.F. Boudreault et D. Berneche ont de plus soutenu que l'absence d'un garde accompagnant le messager tout au long de sa livraison pour assurer la surveillance des lieux augmentait le risque que le messager subisse des blessures en cas de braquage.

[13] Au moment de l'enquête de l'agent de santé et de sécurité Thibault, un braquage ou une agression n'était pas imminent. Cependant, bien qu'il n'y ait jamais eu par le passé de vol de cartes d'autobus et de métro et bien que le lieu de livraison ait été une épicerie IGA, par opposition à une banque, comme les cartes d'autobus ou de métro constituent des valeurs en elles-mêmes, je suis d'avis que la décision de l'agent de santé et de sécurité Thibault n'a pas tenu compte de la possibilité qu'un vol se produise dans l'avenir et qu'il est raisonnable de s'attendre à ce que cette possibilité se concrétise compte tenu de la nature des tâches devant être accomplies par J. F. Boudreault et D. Berneche.

[14] L'employeur a, par contre, soutenu que les itinéraires suivis pour se rendre au point de service variaient, ce qui diminuait la possibilité que d'éventuels agresseurs soient au courant que les agents suivent ces itinéraires.

[15] Une fois arrivés dans le stationnement de l'épicerie, la situation était toutefois complètement différente et, à mon avis, la présence d'un garde pour assurer la surveillance des lieux pour le messager était requise. Comme le camion n'était pas doté d'un système d'alarme et que la serrure de la portière du conducteur était brisée, l'un des deux agents devait rester dans le camion pour en assurer la surveillance. Ce faisant, je ne suis pas convaincue que l'agent restant dans le camion pouvait aussi surveiller les lieux pendant que le messager prenait les sacs dans le camion à partir de la porte arrière. Cet agent ne pouvait pas davantage assurer cette surveillance une fois le messager à l'intérieur de l'épicerie. De plus, lorsqu'il était dans l'épicerie à transporter les sacs et sans moyen de surveillance, le messager n'était pas lui-même en mesure d'assurer une surveillance adéquate ou de réagir rapidement pour parer à une attaque ou demander de l'aide comme on le lui avait appris.

[16] J. F. Boudreault et D. Berneche ont également soutenu que leur formation impliquait toujours un messager accompagné d'un garde assurant la surveillance des lieux, non un messager effectuant le travail seul, sans garde.

[17] Par ailleurs, J. F. Boudreault était armé d'un revolver. Cependant, en agissant comme messager, il n'aurait pas pu, à mon avis, s'en servir rapidement au moment le plus critique de son travail.

[18] Conséquemment, je ne suis pas d'accord avec la conclusion de l'agent de santé et de sécurité Thibault et j'estime qu'il existait, au moment de son enquête, des conditions entourant le fait que J. F. Boudreault doive agir comme messager qui dépassaient ses conditions normales d'emploi et mettaient sa sécurité en danger avant qu'on ne puisse y remédier.

[19] Voilà pourquoi, tel que m'y autorise l'alinéa 146.1(1)b) du Code, j'émets l'instruction pour danger ci-jointe, pour ordonner à Securicor de protéger la sécurité de tout employé exécutant la tâche de livraison de cartes d'autobus et de métro, en prenant des mesures pour assurer une surveillance ininterrompue du lieu de livraison.

[20] Je demande à l'agent de santé et de sécurité Thibault ou à tout autre agent de santé et de sécurité de s'assurer que Securicor se conforme à cette instruction.

[21] Enfin, je rappelle à Securicor que, tel que stipulé au paragraphe 145(5) du Code, il est tenu de faire afficher copie de cette instruction dans un endroit du lieu de travail à la vue des employés et d'en remettre copie au comité d'orientation et au comité local de santé et de sécurité.



_________________
Katia Néron
Agent d'appel


ANNEXE

DANS L'AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L'EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) et b)

Le 22 novembre 2004, l'agent de santé et de sécurité Mario Thibault a procédé à une enquête sur le refus de travailler de Jean-François Boudreault et Denis Berneche, agents de transport des valeurs qui devaient faire une livraison à une épicerie IGA de la rue Hochelaga, à Montréal, pour le compte de Securicor Canada Limitée, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, ayant son lieu d'affaires au 1325, rue William, à Montréal (Québec), ledit lieu étant connu sous le nom de Securicor Canada Limitée.

Après examen des documents présentés au dossier et des faits et circonstances reliés au refus des employés, l'agent d'appel soussignée est d'avis que la situation suivante constitue un danger pour l'employé J. F. Boudreault, à savoir :

Aucune mesure n'a été prise pour assurer la surveillance ininterrompue des lieux lorsque le messager sort les sacs de valeurs (cartes d'autobus et de métro) par la porte arrière du camion et qu'il livre ces sacs seul dans l'épicerie et qu'il n'est alors pas en mesure d'assurer une surveillance adéquate ou de réagir rapidement à l'éventualité d'un braquage ou d'une attaque.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement les mesures propres à corriger cette situation de danger.

Je vous ORDONNE AUSSI PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de ne pas faire accomplir la tâche en cause jusqu'à ce que vous vous soyez conformé à la présente instruction.

Fait à Ottawa, ce 10e jour de mars 2006.



Katia Néron
Agent d'appel
No de certification : QC 7879

À : Securicor Canada Limitée
1325, rue William
Montreal (Québec)
H3C 1R4

Sommaire de la décision de l'agent d'appel

No de la décision : 06-007

Requérant : Jean-François Boudreault
et
Fédération des employées et employés de services publics inc. (CSN)

Répondant : Securicor Canada Limitée

Mots clés : Décision, refus de travailler, absence d'un arde

Dispositions : Code canadien du travail 129(7)

Résumé :

Un employé devait effectuer seul la livraison de cartes d'autobus et de métro dans une épicerie pendant que son collègue devait demeurer dans le camion pour en assurer la surveillance. Compte tenu qu'il n'y avait pas de garde pour assurer une surveillance adéquate du lieu de livraison pour l'employé effectuant la livraison et considérant que cette situation mettait en danger la sécurité de cet employé, les deux employés ont refusé de travailler.

L'agent de santé et sécurité a rendu une décision d'absence de danger à la suite de son enquête.

L'agent d'appel a renversé la décision d'absence de danger de l'agent de santé et de sécurité et a émis une instruction pour danger en vertu des alinéas 145(2)a) et b) du Code canadien du travail, partie II.

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