Archivée - Décision: 06-009 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Vivian Caldwell
demandeur

et

Société canadienne des postes
défendeur
___________________________
No de la décision 06-009
Le 27 mars 2006

La décision relative à cette affaire a été rendue par l'agent d'appel Pierre Guénette après examen des exposés écrits présentés par les parties et l'agent de santé et de sécurité.

Pour le demandeur
Vivian Caldwell, factrice rurale, Société canadienne des postes
Robert Caldwell, représentant de Vivian Caldwell

Pour le défendeur
Chris Wartman, avocat

Agent de santé et de sécurité
Kathy Conorton, Programme du travail, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC),
Bureau du district de Toronto, Toronto (Ontario)

[1] Cette affaire concerne un appel déposé le 22 décembre 2004 par Robert Caldwell en vertu du paragraphe 129 (7) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) au nom de Vivian Caldwell, factrice rurale de la Société canadienne des postes (Postes Canada).

[2] L'appel a été déposé par suite de la décision d'absence de danger rendue le 14 décembre 2004 par l'agent de santé et de sécurité (l'ASS) Kathy Conorton relativement au refus de travailler de l'employée le 26 novembre 2004 à Hastings, en Ontario.

[3] Voici la déclaration de refus de travailler de l'employée telle que l'a rapportée l'ASS Conorton dans son rapport d'enquête et sa décision :

[TRADUCTION]

J'ai refusé de travailler conformément à la partie II du Code canadien du travail parce que je redoute un client (M. C.1). Lui et moi avons une altercation le 2 novembre 2004, après quoi j'ai appelé la police parce que j'ai eu tellement peur que j'en ai vomi. Aucune accusation n'a été portée. Il ne m'a pas touchée, mais sa carrure et son langage corporel me faisaient craindre cette possibilité.
1 M. C. est un client de Postes Canada. Son nom sera gardé secret par souci de confidentialité.

[4] Je retiens les points suivants du rapport d'enquête de l'ASS Conorton.

[5] Le 2 novembre 2004, V. Caldwell est allée au domicile de M. C. pour livrer un colis exigeant sa signature. M. C. l'a alors accusée de voler son courrier. Il est devenu agressif et s'est mis à crier et à injurier V. Caldwell. Il lui a aussi lancé son carnet de signature, mais ce geste n'a pas fait mal à V. Caldwell. Par suite de l'incident, V. Caldwell a porté plainte à la Police provinciale de l'Ontario (PPO) qui a fait enquête, mais n'a pas porté d'accusation.

[6] V. Caldwell s'est aussi plainte de cet incident à son employeur. Postes Canada a suspendu la livraison du courrier à M. C. et à la boîte aux lettres multiple du centre résidentiel pour retraités2 près duquel il habite jusqu'à ce que des représentants de l'employeur l'aient rencontré. V. Caldwell a reçu l'ordre de ne pas livrer de courrier à M. C. et au centre résidentiel pour retraités jusqu'à ce que l'employeur ait mené une enquête interne sur la situation.

2 Une boîte aux lettres multiple se trouve devant le domicile de M. C. On y dépose le courrier de M. C. et celui des résidents du centre résidentiel pour retraités. Suspendre la livraison du courrier de M. C. équivaut à suspendre également la livraison du courrier de ces résidents.

[7] Le 15 novembre 2004, des représentants de Postes Canada ont rencontré M. C. et son épouse pour informer M. C. que la livraison du courrier serait conditionnelle au respect des lignes directrices suivantes :

  1. M. C. ne devra avoir aucun contact personnel avec Mme Caldwell;
  2. M. C. devra retirer régulièrement son courrier de sa boîte;
  3. Mme Caldwell ne sera pas obligée de livrer à M. C. du courrier exigeant une signature. Le bureau de poste d'Hastings communiquera avec M. C. pour qu'il aille en prendre livraison lui-même.

[8] Par suite de cette rencontre, Eugene Adamo, gestionnaire de secteur de Postes Canada, a demandé à la maître de poste de reprendre la livraison du courrier à M. C. et au centre résidentiel pour retraités.

[9] Le jour suivant, V. Caldwell a informé la maître de poste qu'elle refusait de livrer le courrier à M. C. en vertu du Code. En conséquence, l'employeur a rencontré V. Caldwell le 22 novembre 2004. Durant la rencontre, V. Caldwell a déclaré qu'elle ne voulait avoir aucun contact avec M. C. Son employeur l'a alors informée des lignes directrices données à M. C. et a ajouté que si M. C. ne s'y conformait pas, la livraison de son courrier serait suspendue de façon permanente.

[10] Le 24 novembre 2004, E. Adamo a demandé par écrit à V. Caldwell de reprendre la livraison du courrier à M. C. le 26 novembre 2004.

[11] V. Caldwell a maintenu son refus de travailler en vertu du Code et, le 7 décembre 2004, E. Adamo a informé le bureau du district de Toronto du Programme du travail de la situation.

[12] L'ASS Conorton a enquêté le jour même. E. Adamo l'a informée que V. Caldwell refusait de travailler parce qu'elle craignait pour sa sécurité si elle livrait du courrier à un client avec lequel elle avait des difficultés depuis plus de six ans.

[13] Bien que M. C. ne s'en soit jamais pris physiquement à V. Caldwell, elle avait peur de lui en raison de sa carrure et de son langage corporel. La police a été appelée à deux occasions, mais aucune accusation n'a été portée contre M. C.

[14] Dans sa décision écrite, l'ASS Conorton est arrivée à la conclusion suivante :

[TRADUCTION]
Dans cette affaire, j'estime que Mme Caldwell n'était pas en danger au moment de son refus de travailler. Je base cette décision sur les faits établis dans le courant de l'enquête.

[15] Je retiens les points suivants de la présentation écrite de Robert Caldwell.

[16] R. Caldwell a soutenu que le rapport d'enquête de l'ASS Conorton était incohérent, inexact et incomplet. Par exemple, V. Caldwell n'a jamais dit à l'ASS Conorton qu'elle avait eu une altercation avec M. C. le 2 novembre 2004, pas plus qu'à n'importe quel autre jour. De plus, M. C. a frappé V. Caldwell à la poitrine avec son livret de signatures lors de l'incident du 2 novembre.

[17] Voici la déclaration de V. Caldwell relativement à l'incident :

[TRADUCTION]
J'ai reçu un colis Expresspost exigeant une signature adressé à M. C. et on m'a demandé de le lui livrer. À l'époque, le courrier de M. C. était retenu au bureau de poste pendant 15 jours et renvoyé si non réclamé, car sa boîte aux lettres n'avait pas été vidée depuis quatre mois. Ce problème persistait depuis six ans. M. C. était dans son camion (du côté du passager) quand je me suis garée là où son épouse stationnait normalement son véhicule. Elle n'était pas là et son véhicule non plus. Je suis sortie de mon véhicule et j'ai dit : « M. C., j'ai ici un colis pour lequel j'ai besoin de votre signature ». Il a répondu « C'est bien ». Il est sorti de son camion et l'a contourné par l'arrière pendant que, moi, je contournais mon véhicule par l'avant. Nous nous sommes rencontrés à hauteur de la portière du passager de mon camion. Je lui ai tendu ma planchette porte-papiers bleue et je lui ai demandé de signer son nom au point 6 et de l'écrire en caractères d'imprimerie à la ligne suivante. Il m'a dit : « Alors, qu'est-ce qui se passe avec mon courrier? ». Je lui ai répondu : « M. C., voilà quatre mois que votre casier postal n'a pas été vidé ». Il s'est mis en colère et m'a injuriée. « T'es une c*** de menteuse. Tu sais très bien que ma c*** de femme ramasse le courrier dans cette c*** de boîte aux lettres tous les jours ». J'ai répondu : « Je ne sais pas ce qui se passe, M. C., mais votre boîte est pleine de courrier qui n'a pas été ramassé depuis quatre mois ». [Les envois postaux qui se trouvaient dans sa boîte ont été estampillés et enregistrés au bureau de poste.] Il a dit : « Me traites-tu de menteur, c*** de p*** de menteuse. C'est toi, le problème. Tout le monde le sait ». Je lui ai demandé qui était « tout le monde »". Il a répondu « l'ombudsman a dit que tu étais une c*** de menteuse ». Il était si furieux qu'il écumait. J'ai commencé à reculer par l'avant de mon véhicule. Je lui ai dit : « Si vous voulez le colis, signez et inscrivez votre nom en caractères d'imprimerie ». Je craignais qu'il me frappe. Il a signé violemment, a frappé la planchette porte-papiers avec le stylo et l'a lancée vers moi en me traitant encore de c*** de p***. J'ai reculé jusqu'à la portière de mon véhicule et j'ai sauté dedans pendant qu'il continuait à m'abreuver d'injures. En verrouillant ma porte et en remontant la vitre, je lui ai lancé : « M. C. vous êtes vraiment malade ». J'ai immédiatement quitté les lieux. Je tremblais tellement que je ne sentais plus mes jambes et que j'ai été prise de vomissements. J'ai parcouru les deux kilomètres qui me séparaient du bureau de poste et j'ai informé Darla (maître de poste intérimaire) de la situation. J'ai appelé la police et téléphoné au bureau de Gene Adamo [absent jusqu'à jeudi], j'ai parlé à Lee Mellow, le superviseur suppléant, et j'ai laissé un message sur le répondeur de mon syndicat demandant à Dean Shewring de me rappeler. J'ai parlé à Gene Adamo vendredi et à Dean mardi soir.

[18] R. Caldwell a présenté la preuve suivante, ou il a mentionné aussi d'autres incidents où V. Caldwell avait été agressée verbalement au cours des dernières années par M. C. :

  1. Vers la mi-août 1999, M. C. est sorti précipitamment de son allée de garage au volant de son camion, évitant de peu le véhicule de Mme Caldwell. Il a freiné brusquement, bloquant le passage de son véhicule. Il est sorti en trombe de son véhicule, en brandissant le poing et en hurlant : « Tu voles mon courrier, tu détruis mon crédit et mon entreprise ». Mme Caldwell lui a dit que sa boîte aux lettres était pleine de courrier non ramassé depuis environ neuf semaines. Il s'est mis à jurer. « T'es une c*** de menteuse, je prends mon courrier tous les jours ». Mme Caldwell est montée dans son véhicule et a verrouillé la portière. M. C. est monté dans son camion et a quitté les lieux sur les chapeaux de roue. En s'éloignant, il injuriait toujours Mme Caldwell par la fenêtre ouverte de son camion.
  2. Le 30 mai 2001, M. C. est arrivé à bord de son camion pendant que Mme Caldwell se trouvait près des boîtes aux lettres. En criant, il a mis son camion en marche arrière et a failli heurter son véhicule. (…) Il jurait et a menacé Mme Caldwell de se plaindre au gouvernement.
  3. Le 3 mai 2003, Mme C., épouse de M. C., a entrepris d'intimider Mme Caldwell en allant régulièrement aux boîtes aux lettres et en se tenant tout près d'elle pendant qu'elle triait le courrier.
  4. Le 3 juin 2003, Mme Caldwell et moi-même sommes allés à la boîte aux lettres de M. C. vers 9 h 55. M. C. est arrivé au volant de son camion et s'est stationné derrière nous. Il l'a regardée trier le courrier, mais il est parti sans prendre le sien.
  5. Le 19 juin, à 10 h 25, Vivian et moi sommes passés de bonne heure. M. C. nous hurlait des obscénités de l'autre côté de la rue. Vivian n'a pas fini de trier le courrier. Elle a refermé la boîte et nous sommes repartis avec le courrier.
  6. Le 22 août 2003, Mme C. est venue se placer derrière la boîte aux lettres. M. C. est sorti de la maison, il est monté sur son VTT et a commencé à tourner en rond autour de nous. Il regardait fixement Vivian en disant « Tu t'en vas, adieu ». Nous sommes retournés au bureau de poste.

[19] R. Caldwell a présenté plusieurs déclarations écrites de personnes qui ont été intimidées ou agressées par M. C. On peut y lire les faits suivants :

  • Il pouvait perdre complètement le contrôle de lui-même;

  • Durant un incident avec une personne, il l'a menacée en lui mettant le poing tout près du visage;

  • Une fois, il a fait peur à quelqu'un par son comportement hystérique;

  • Selon un ancien résident, une majorité de femmes célibataires du parc n'avaient pas seulement peur de M. C., elles en étaient terrorisées;

  • Selon un autre ancien résident, pendant une discussion, un jour, M. C. l'avait saisi à la gorge. Il a ajouté que M. C. était violent et dangereux quand il perdait le contrôle de lui-même.

[20] R. Caldwell a déclaré que V. Caldwell avait signalé à maintes reprises à la maître de poste que M. C. l'intimidait quand elle livrait le courrier à sa boîte aux lettres.

[21] En ce qui concerne l'incident du 2 novembre 2004, R. Caldwell a fait référence à la rencontre du 15 novembre 2004 entre des représentants de Postes Canada et M. C., ainsi qu'aux lignes directrices qu'on lui a remises. R. Caldwell a soutenu que M. C. n'avait pas respecté les lignes directrices, mais que Postes Canada n'avait pris aucune mesure à cet égard.

[22] R. Caldwell a soutenu que, durant la rencontre du 22 novembre 2004, l'employeur n'avait rien fait relativement à la résolution [TRADUCTION] « convenue, en vertu de laquelle la Société canadienne des postes reconnaissait le problème et acceptait d'installer de nouvelles boîtes aux lettres ailleurs que devant la résidence de M. C ». En d'autres mots, « hors de sa vue ».

[23] Depuis l'imposition de lignes directrices à M. C. par Postes Canada le 15 novembre 2004, plusieurs autres incidents se sont produits entre M. C. et V. Caldwell. L'employée a signalé tous ces incidents à la maître de poste, mais Postes Canada n'a pris aucune mesure en conséquence.

[24] R. Caldwell a soutenu que M. C. représentait un danger potentiel grave pour V. Caldwell pour les raisons suivantes :

  1. Mme Caldwell a été harcelée pendant qu'elle livrait le courrier à la boîte aux lettres de M. C. située bien en vue de ce client;
  2. Mme Caldwell a été agressée physiquement à une occasion et agressée verbalement de nombreuses autres fois qui ont été signalée;
  3. L'agression du 2 novembre 2004 a fait l'objet d'une nouvelle enquête de la PPO qui l'a trouvée fondée compte tenu de la plainte originale de Mme Caldwell. Malheureusement, le manque de preuves n'a pas permis de porter des accusations. Un homme a été témoin de l'incident et aurait pu confirmer la version des faits de Mme Caldwell, mais comme il habite au centre résidentiel pour retraités dont M. C. est propriétaire, il craint des représailles et refuse de « s'en mêler ».
  4. M. C. a reçu un avis d'interdiction verbal de la PPO pour sa conduite violente au bureau de poste d'Hastings.
  5. La maître de poste et d'autres employées du bureau de poste d'Hastings ont déclaré qu'elles avaient peur de M. C.
  6. Les lettres des résidents (au centre résidentiel pour retraités) et d'autres personnes qui ont subi des comportements semblables de M. C. confirment qu'il a été violent, menaçant, intimidant et sujet à des accès de colère non provoqués ou pour des raisons insignifiantes.
  7. M. C. a harcelé Mme Caldwell avec préméditation à sa boîte aux lettres en l'injuriant de son véhicule, en stationnant son véhicule derrière le sien et en ordonnant à sa femme et à son enfant de sortir pour l'intimider. Cela se faisait par radio et la maître de poste en a été témoin.

[25] R. Caldwell a soutenu que l'ASS Conorton n'avait pas reçu une information exacte de la PPO concernant l'absence d'antécédents judiciaires de M. C. Selon les renseignements supplémentaires recueillis par R. Caldwell, il appert que M. C. a déjà été condamné pour agression en 1989 et en 1992. Il a aussi été condamné pour introduction par effraction en 1992.

[26] Le 8 mai 2005, R. Caldwell a proposé une solution à Postes Canada pour régler le problème en installant la boîte aux lettres multiple en un lieu éloigné de la résidence de M. C. Le demandeur n'a jamais reçu de réponse de Postes Canada et aucune mesure n'a été prise à cet égard.

[27] Chris Wartman, avocat du défendeur, a présenté des cas de jurisprudence à l'appui de la décision de l'ASS Conorton.

[28] Maître Wartman a fait référence à l'affaire Brunet (Re) c. Compagnie de chemins de fer St. Laurent & Hudson Limitée3, où le Conseil canadien des relations de travail (CCRT) a déclaré au paragraphe 16 :

3 Brunet (Re) c. Compagnie de chemins de fer St-Laurent et Hudson Limitée, décision no 1239 du CCRT, 22 décembre 1998
L'évaluation de la nature du danger dans ce contexte comporte un aspect objectif qui va au-delà de l'appréhension raisonnable d'un employé qui refuse de travailler.

[29] Maître Wartman a aussi déclaré qu'un danger devait être perçu comme étant immédiat et réel. Pour soutenir son point de vue, il a fait référence à la décision du CCRT dans l'affaire Scott C. Montani c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada4, où le Conseil a déclaré :

4 Scott C. Montani c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN Amérique du Nord), décision no 1089 du CCRT, 1er novembre 1994
… que le Parlement n'avait pas eu l'intention d'utiliser le mot « danger » dans son acception la plus large. (…) Au sens du Code, le « danger » doit être perçu comme immédiat et réel. Le risque couru par les employés doit être grave au point qu'il soit impossible d'utiliser une machine ou de se trouver dans une situation donnée tant qu'elle n'aura pas été modifiée.

[30] Maître Wartman a soutenu que le danger ne peut être hypothétique. À l'appui de cette affirmation, il a cité la décision de la Cour fédérale dans l'affaire des Terminus maritimes fédéraux Ltée c. Syndicat des débardeurs5 qui se lit comme suit, au paragraphe 47 :

5 Les terminus maritimes fédéraux Ltée, division de Fednav Ltée c. Syndicat des débardeurs, section locale 375, Cour d'appel fédérale, ACF no 592, le 26 avril 2000
Selon moi, ce faisant, l'agent régional n'a commis aucune erreur de droit. Il a bien évalué la notion de « danger » telle qu'édictée à la partie II du C.C.T. en considérant notamment qu'il doit y avoir un danger immédiat, réel et présent, et non pas un danger hypothétique.

[31] Maître Wartman a soutenu que le danger devait être présent au moment où l'agent de santé et de sécurité a mené son enquête, comme le mentionne la décision Brunet6 citée plus haut.

6 Brunet (Re) c. Compagnie de chemins de fer St-Laurent et Hudson Limitée, déjà citée

[32] Maître Wartman a déclaré que le risque d'avoir affaire à des individus intimidants était inhérent au travail de livraison du courrier, en raison des contacts personnels qu'il exige.

[33] Maître Wartman a aussi affirmé que l'ASS Conorton avait établi que l'employeur avait pris des mesures pour amoindrir ces risques, comme il est indiqué au paragraphe 7.

[34] Enfin, Maître Wartman a demandé à l'agent d'appel de confirmer la décision de l'ASS Conorton et de rejeter la demande d'appel.

******

[35] La question à régler, dans cette affaire, est de savoir si oui ou non l'ASS Conorton a fait erreur quand elle a décidé qu'il y avait absence de danger pour V. Caldwell quand elle livrait le courrier à la boîte aux lettres de M. C.

[36] Pour rendre une décision, il faut interpréter et appliquer les dispositions pertinentes du Code, les faits exposés et la jurisprudence présentée.

[37] Le terme « danger » est défini comme suit au paragraphe 122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[38] Je dois ensuite décider s'il existe une activité, une situation ou un danger potentiels qui seraient raisonnablement susceptibles de causer des blessures à V. Caldwell ou de la rendre malade avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou l'activité modifiée, que la blessure ou la maladie se soit produite ou non immédiatement après l'exposition à la situation.

[39] Dans cette affaire, je suis convaincu que la situation décrite avait lieu quand l'employée V. Caldwell devait livrer du courrier à une boîte postale multiple située en face de la maison de M. C. Selon R. Caldwell, M. C. injuriait fréquemment V. Caldwell et, une fois, il lui avait lancé une planchette porte-papiers. De plus, M. C. semblait avoir déjà eu des comportements d'intimidation verbale, fait non contesté par le défendeur. Par conséquent, en raison de l'attitude agressive de M. C., V. Caldwell avait peur de lui quand elle livrait du courrier à sa boîte aux lettres.

[40] En ce qui concerne les références à la jurisprudence présentée par Maître Wartman, je n'accorde aucun poids aux arguments et aux citations du défendeur à savoir que le danger doit être présent au moment de l'enquête de l'agent de santé et de sécurité.

[41] Il est important de préciser que l'interprétation de la notion de danger présentée par Maître Wartman est liée à une jurisprudence antérieure à la modification de la définition de danger adoptée avec dans la nouvelle version de la partie II du Code canadien du travail et en vigueur depuis le 30 septembre 2000. Selon la version antérieure le danger devait être immédiat et présent au moment de l'enquête de l'agent de santé et de sécurité. La définition actuelle de danger est moins restrictive et comprend maintenant les activités futures, les situations et les risques potentiels. Cette définition reflète mieux l'intention du Code, qui est de prévenir les accidents et les blessures liées directement ou indirectement à un travail.

[42] Il ne fait pas de doute pour moi que le comportement imprévisible de M. C. constituait une situation potentielle raisonnablement susceptible de causer des blessures à Mme Caldwell ou de la rendre malade quand elle y était exposée avant qu'on puisse y apporter des correctifs.

[43] Les présentations de Maître Wartman indiquent que Postes Canada a tenu compte de la situation et a pris des mesures correctives ces dernières années.

[44] Toutefois, M. C. n'a pas respecté les conditions imposées par Postes Canada. Selon R. Caldwell, après sa rencontre avec l'employeur, M. C. a continué de se comporter de façon intimidante envers V. Caldwell en lui criant des injures quand elle livrait du courrier à sa boîte aux lettres.

[45] V. Caldwell s'est plainte à l'employeur, mais il n'a pris aucune autre mesure. Ce fait n'a pas été contredit par le défendeur.

[46] Le défendeur a déclaré que le risque d'avoir affaire à des individus intimidants était inhérent au travail de livraison du courrier, en raison des contacts personnels qu'il exige. Le demandeur a fait la preuve que M. C. avait fréquemment eu des comportements intimidants à l'endroit de V. Caldwell au cours des six dernières années quand elle lui livrait son courrier.

[47] Selon moi, être confronté à un client au comportement intimidant n'est pas une condition de travail normale pour un employé de Postes Canada responsable de la livraison du courrier en milieu rural. Il n'est pas normal pour un facteur rural de devoir faire face à un tel comportement de façon continuelle.

[48] Quant à la dernière déclaration de R. Caldwell, elle a montré que Postes Canada avait pris des mesures pour régler le problème, mais il semble que ces mesures étaient inadéquates, car M. C. n'a pas changé de comportement à l'égard de V. Caldwell.

[49] En me basant sur les faits signalés par l'ASS Conorton et les présentations écrites que m'ont fait parvenir les deux parties, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il existait une situation potentielle ou réelle, soit le comportement de M. C., qui pouvait entraîner des blessures pour Mme Caldwell ou la rendre malade avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou l'activité modifiée, que la blessure ou la maladie se soit produite ou non immédiatement après l'exposition à la situation.

[50] Par conséquent, j'estime qu'il y avait danger pour V. Caldwell quand elle livrait du courrier en présence de M. C. à sa boîte aux lettres.

[51] Malgré cela, j'estime que l'ASS Conorton n'a pas fait erreur dans sa décision d'absence de danger au moment de son enquête. Elle a tenu compte des faits présentés par les deux parties durant l'enquête.

[52] Toutefois, comme l'agent d'appel peut tenir compte de faits nouveaux comme ceux présentés par le demandeur et mentionnés au paragraphe 24 après l'enquête de l'ASS Conorton, je suis convaincu que l'incapacité de Postes Canada de faire appliquer les lignes directrices présentées à M. C. a entraîné un danger potentiel pour V. Caldwell.

[53] Compte tenu des preuves présentées durant mon enquête, je dois annuler la décision d'absence de danger rendue par l'ASS Conorton.

[54] Par conséquent, je présente l'instruction ci-jointe à Postes Canada l'enjoignant de veiller à la protection de la santé et de la sécurité de son employée contre le danger potentiel que présente le comportement de M. C.

[55] Je m'en remets à l'agent de santé et de sécurité pour s'assurer que Postes Canada se conformera à l'instruction ci-jointe.

[56] En outre, conformément au paragraphe 145(5) de la partie II du Code canadien du travail, l'employeur doit sans tarder afficher une copie de cette instruction et en remettre une autre au comité d'orientation et au représentant de son comité de santé et de sécurité au travail.



_________________
Pierre Guénette
Agent d'appel


CONCERNANT LA PARTIE II DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L'EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) ET b)

Le soussigné agent d'appel a mené une enquête en vertu de l'article 146.1 de la partie II du Code canadien du travail sur la décision d'absence de danger rendue par l'agent de santé et de sécurité Kathy Conorton par suite de son enquête sur le refus de travailler de Vivian Caldwell, employée de la Société canadienne des postes, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, à Hastings, en Ontario, lieu de travail parfois appelé bureau de poste d'Hastings.

Le soussigné agent d'appel est d'avis que la situation suivante constitue un danger pour une employée :

Vivian Caldwell doit livrer du courrier à une boîte aux lettres multiple dans un endroit où elle est exposée au comportement intimidant d'un client qui est raisonnablement susceptible de lui causer des blessures ou de la rendre malade avant que la situation ou l'activité puisse être modifiée.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LA PRÉSENTE, en vertu du sous-alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de veiller immédiatement à la protection de la personne en danger.

En outre, je vous ORDONNE PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser la livraison du courrier à cette boîte aux lettres multiple tant qu'on n'aura pas trouvé de solution de rechange pour protéger l'employée. L'employeur devra communiquer avec l'agent de santé et de sécurité quand il se sera conformé à cette instruction.

Émise à Ottawa le 27 mars 2006.



Pierre Guénette
Agent d'appel
No de certification : ON 4982

À : Société canadienne des postes
Hastings (Ontario)
K0L 1Y0

Sommaire de la décision de l'agent d'appel

No de la décision : 06-009

Demandeur : Vivian Caldwell

Défendeur : Société canadienne des postes

Mots clés : Absence de danger, refus de travailler, facteur rural, factrice rurale, livraison du courrier, boîte aux lettres multiple, comportement intimidant

Dispositions : Code canadien du travail : 122(1), 128, 129(7), 145(2)a) et b), 145(5), 146

Résumé :

Une factrice rurale a refusé de travailler parce qu'elle craignait le comportement intimidant d'un client quand elle lui livrait son courrier. Après enquête, un agent de santé et de sécurité a rendu une décision d'absence de danger.

L'agent d'appel a annulé la décision d'absence de danger et a émis une instruction à l'employeur en vertu des alinéas 145(2)a) et b) de la partie II du Code canadien du travail.

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