Archivée - Décision: 06-037 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Société canadienne des postes
appelant

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)
intimé
___________________________
Décision no°: 06-037 (S)
Le 3 novembre 2006

Agent d’appel : Richard Lafrance
Soumissions écrites reçues entre le 12 juillet et le 31 août 2006

Pour l’appelant
Stephen Bird
Avocat de la Société canadienne des postes

Pour l’intimé
David Bloom
Avocat du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)

Agents de santé et de sécurité
Gilles Hubert : Dossier no 2006-10 (Fredericton, N.-B.)
Karen Malcolm : Dossier no 2006-17 (Midland, Ontario)
Bob Tomlin : Dossier no 2006-18 (Napanee, Ontario)

[1] La présente décision concerne une demande de suspension de la mise en oeuvre des instructions émises en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) par les agents de santé et de sécurité Gilles Hubert, Karen Malcolm et Bob Tomlin.

[2] Au gré de l’appelant, la demande de suspension vise trois dossiers similaires et les instructions en résultant, émises par les trois agents de santé et de sécurité susmentionnés. Le Bureau canadien d’appel a donné à ces dossiers les numéros 2006 10, 2006-17 et 2006-18.

[3] Même si chaque instruction porte sur des employés, des situations et des lieux de travail distincts, les parties ont présenté une argumentation générale sur la demande de suspension, parce que les trois instructions comportaient de nombreuses similitudes.

[4] Ces instructions résultent des enquêtes menées par les trois agents de santé et de sécurité dans le cadre des refus de travailler des factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) Nicole Logan, Arthur Allen Jr., Valery Horbatiuk et Sylvia Princis-Bothwell.

[5] Dans chaque cas, les circonstances visent l’aspect ergonomique du mouvement requis pour qu’un facteur rural livre le courrier en utilisant la fenêtre de la portière latérale d’un véhicule.

[6] Chaque instruction énonce que l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour l’employé au travail et ordonne à Postes Canada de prendre des mesures propres à écarter le risque ou à corriger la situation.

[7] Ces instructions à Postes Canada identifient le danger comme suit :

i. Dossier n° 2006-10 (Fredericton, N.-B.)
[Traduction]
« Le mouvement répétitif exécuté pour glisser et s’étirer de gauche à droite, du siège du conducteur au siège du passager, de sorte à rejoindre les boîtes aux lettres placées sur le côté de la route dans les régions rurales, constitue un danger, tel que défini dans la partie II du Code canadien du travail
ii. Dossier n° 2006-17 (Midland, Ontario)
[Traduction]
« Pour livrer le courrier de la fenêtre de son véhicule, l’employé doit passer du siège du conducteur, d’où il utilise sa main gauche, au siège du passager, d’où il utilise sa main droite. Ce faisant, l’employé doit tourner le torse de sorte que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il se blesse. »
iii. Dossier n° 2006-18 (Napanee, Ontario)
[Traduction]
« Les factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) doivent bouger d’une façon qui n’est peut-être pas sécuritaire sur le plan ergonomique, dans l’espace restreint d’un véhicule qui n’est pas conçu pour la tâche qu’ils accomplissent, ce qui les place dans une situation potentiellement dangereuse. »

[8] L’argumentation présentée par l’avocat de Postes Canada, S. Bird, à l’appui de la demande de suspension était basée sur la décision de la Cour suprême dans Metropolitan Stores1 . La Cour suprême y a adopté trois critères pour décider de la suspension d’instance ou d’une injonction interlocutoire, soit :

i. l’existence d’une question sérieuse à juger;
ii. le préjudice irréparable;
iii. la prépondérance des inconvénients.
1 Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110

[9] Selon S. Bird, Postes Canada respecte le premier critère de la question sérieuse. Il soutient que la question n’est ni futile ni vexatoire et que, tel que déclaré dans d’autres décisions rendues par des agents d’appel2, 3, 4 la santé et la sécurité des employés représentent toujours une question sérieuse.

2 Service correctionnel du Canada et UCCO-SACC-CSN, BCA no 2005-45 (Lafrance)
3 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Syndicat des travailleurs canadiens de l’automobile, section locale 5.1, BCA no 2005-50 (Guénette)
4 Chemin de fer Canadien Pacifique et Syndicat des travailleurs canadiens de l’automobile, BAC no 2006-03 (Malanka)

[10] Pour ce qui est du deuxième critère sur le préjudice irréparable, S. Bird a souligné que les tribunaux cherchent généralement à savoir si l’imposition de dommages-intérêts peut ou non compenser la perte subie.

[11] Selon lui, si Postes Canada gagne l’appel, elle ne pourra d’aucune façon récupérer les sommes qu’elle a dépensées pour payer les assistants supplémentaires qu’elle a embauchés pour aider les FFRS à livrer le courrier par la fenêtre du passager.

[12] Il a également avancé que le mandat législatif de Postes Canada ne lui laisse pas beaucoup de choix sur les modes de livraison du courrier et que sa seule solution, c’est de fournir des assistants et d’assumer ainsi un coût supplémentaire qu’elle ne peut recouvrer.

[13] En outre, il soutient que le préjudice que Postes Canada subirait ne serait pas uniquement monétaire. Postes Canada doit continuer à livrer le courrier, tel que prévu par la Loi sur la Société canadienne des postes. Si les facteurs ruraux n’utilisaient pas leur propre véhicule, beaucoup moins de courrier serait livré.

[14] En ce qui a trait à la prépondérance des inconvénients, S. Bird soutient que le refus d’accorder la suspension causera plus d’inconvénients à Postes Canada et que les employés subiront un préjudice minimal, voire nul. Selon lui, l’impact de la suspension sur l’obligation de livrer le courrier l’emporte sur la possibilité que les facteurs ruraux courent un risque ergonomique.

[15] Selon l’avocat du STTP, D. Bloom, Postes Canada doit, tel qu’indiqué dans la décision Dialadex Communications5 , établir une apparence de droit suffisante lorsque, comme ici, les faits ne sont pas fondamentalement contestés. Il a indiqué que, dans le cas présent, nombre des faits sous-jacents ne sont pas en cause; je dois donc en tenir compte et décider que, de ce fait, Postes Canada n’ayant pas établi une preuve recevable, je refuse de suspendre la mise en œuvre des instructions.

5 Dialadex Communications Inc. v. Crammond (1987), 34 D.L.R. (4e) 392 (C.S. Ont.), page 396

[16] Pour ce qui est du préjudice irréparable, D. Bloom a souligné qu’il s’entend d’un préjudice important que l’on ne peut généralement pas réparer.

(RJR MacDonald)6 par. 59
Le terme «irréparable» a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre.
6 RJR - Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311

[17] Selon D. Bloom, Postes Canada affirme que l’embauche d’assistants pour les FFRS lui imposera des coûts supplémentaires. Il faut toutefois souligner que Postes Canada n’a pas quantifié ces coûts et qu’en l’absence de données sur les coûts réels, on ne peut conclure à l’existence d’un préjudice irréparable.

[18] D. Bloom soutient aussi qu’aux termes de la convention collective, les coûts relatifs à l’embauche des assistants doivent être inclus dans les dépenses totales allouées au titre des livraisons faites par les FFRS. Il semble qu’il y aura tout simplement une nouvelle répartition du budget déjà prévu pour la livraison du courrier rural. Postes Canada n’assumerait donc aucune dépense supplémentaire.

[19] Enfin, en ce qui a trait à l’hypothèse de Postes Canada selon laquelle moins de courrier sera livré, D. Bloom a indiqué que le courrier continue d’être livré et que les livraisons n’ont pas diminué.

[20] Quant au critère relatif à la prépondérance des inconvénients, D. Bloom a argué que le préjudice causé aux employés si la suspension est accordée l’emporte sur celui que Postes Canada subirait si les instructions restaient en vigueur tant que l’agent d’appel n’a pas entendu l’affaire.

[21] Selon D. Bloom, Postes Canada tente de minimiser les préoccupations des employés sur la santé et la sécurité, en laissant entendre que les procédures de travail sont les mêmes depuis des années. Toutefois, Postes Canada les a modifiées, en interdisant aux FFRS de livrer le courrier en se plaçant du côté du conducteur ou en sortant du véhicule.

[22] Il maintient que, bien que les instructions aient été émises en janvier et février 2006, Postes Canada n’a à ce jour présenté aucun rapport ergonomique pour défendre sa position selon laquelle les préoccupations des FFRS sont purement hypothétiques. Il a noté que l’avocat de Postes Canada a présenté des arguments de même ordre dans l’affaire Pollard7 , que l’Agent d’appel D. Malanka a rejetés.

7 Carolyn Pollard et Société canadienne des postes, Agent d’appel D. Malanka, Décision no 06 022

[23] Pour répliquer aux arguments de D. Bloom relatifs au préjudice irréparable, S. Bird soutient que Postes Canada doit uniquement démontrer qu’elle subira des pertes irrécupérables.

[24] En outre, il soumet que, si cela est erroné, Postes Canada a fourni au STTP un affidavit8 relativement au préjudice irréparable et à la prépondérance des inconvénients, dans le cadre de la demande de suspension présentée à la Cour fédérale dans l’affaire Pollard9 .

8 Affidavit de Sanjay Paliwal, Cour fédérale, Section de première instance, dossier T-14280-06
9 Canada Post Corporation and Attorney General of Canada and Carolyn Pollard[28 août 2006], dossier T -1428-06, référence 2006 FC 1011

[25] S. Bird affirme en outre que Postes Canada continue de soutenir que les motifs sous-jacents aux refus de travail en cause sont basés sur la situation personnelle des employés qui les ont faits, par exemple, un handicap médical, et non sur le « danger » au travail visé par la loi. Il est important de noter que, dans l’affaire Pollard, l’Agent d’appel Malanka a conclu précisément que n’importe qui pouvait avoir les mêmes problèmes de dos que l’employé et qu’aucune loi n’imposait d’obligation d’accommodement à cet égard.

[26] S. Bird soutient que, dans le présent cas, la situation personnelle de l’employé qui a refusé de travailler n’a pas été convenablement prise en considération. Il affirme également qu’une telle évaluation est empirique, puisque la décision sur l’existence d’un danger empêche tout employé d’exécuter une tâche, ce qui étaye la conclusion que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de Postes Canada.

[27] S. Bird convient que, pour Postes Canada, la sécurité est extrêmement importante et qu’aucune décision ne doit compromettre la sécurité d’un employé. Toutefois, dans les présents cas, on n’a pas spécifié que des mouvements n’étaient pas sécuritaires sur le plan ergonomique, et c’est précisément là-dessus que porte la demande de suspension, à savoir que tout mouvement serait potentiellement non sécuritaire.

[28] Répondant à la réplique susmentionnée de S. Bird concernant l’affidavit soumis par Postes Canada à la Cour fédérale, D. Bloom a indiqué que celle-ci a refusé la suspension le 22 août 2006, parce que le préjudice irréparable n’avait pas été établi.

[29] Il a également souligné que, sur les trois lieux de travail visés par la présente demande, ledit affidavit identifie uniquement Fredericton comme étant l’endroit où Postes Canada a dû modifier le mode de livraison (en embauchant un assistant pour le FFRS). Il se peut que cela ait eu une certaine influence sur sa réputation, mais on ne sait pas dans quelle mesure et cela reste quelque peu hypothétique.

Analyse et décision

[30] Dans le présent cas, la question à trancher est d’accorder ou non la suspension de la mise en œuvre des instructions en vertu du paragraphe 146(2) du Code, qui se lit comme suit :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en oeuvre des instructions.

[31] La Cour suprême a établi dans l’affaire Metropolitan Stores, supra, les critères à considérer pour accueillir une demande de suspension :

  • Le premier critère revêt la forme d'une évaluation préliminaire et provisoire du fond du litige. La manière traditionnelle consiste à se demander si la partie qui demande l'injonction interlocutoire est en mesure d'établir une apparence de droit suffisante. Selon une formulation plus récente, il suffit de convaincre la cour de l'existence d'une question sérieuse à juger, par opposition à une réclamation futile ou vexatoire. Le critère de la "question sérieuse" suffit dans une affaire soulevant la constitutionnalité d'une loi quand l'intérêt public est pris en considération dans la détermination de la prépondérance des inconvénients.
  • Le deuxième critère se penche sur la question du préjudice irréparable.
  • Le troisième critère, celui de la prépondérance des inconvénients, consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond.

[32] Tel qu’il est dit dans la décision RJR-MacDonald, supra, chacun des trois critères doit être respecté, à défaut de quoi la suspension sera refusée.

[33] Pour ce qui est du premier critère, D. Bloom a soutenu que Postes Canada n’a pas établi une apparence de droit suffisante et que je devais refuser la demande de suspension. Il basait cette opinion sur la décision rendue dans l’affaire Dialadex Communications, supra, dans laquelle on peut lire ce qui suit :

[Traduction]
Lorsque les faits ne sont pas fondamentalement contestés, les plaignants doivent pouvoir établir une apparence de droit très solide et démontrer que le refus d’accorder l’injonction leur causera un préjudice irréparable. Si des faits sont mis en doute, on appliquera un critère moins strict. Le cas échéant, les plaignants doivent démonter que leur cas n’est pas frivole, que la question à juger est sérieuse et que, compte tenu de la prépondérance des inconvénients, l’injonction devrait être accordée.

[34] Dans le présent cas, je ne suis pas d’accord avec D. Bloom lorsqu’il affirme que les faits ne sont pas fondamentalement en litige. Les arguments présentés par les parties jusqu’à maintenant me permettent d’établir qu’un des principaux faits soutenu par l’employeur est que les employés ne subissent qu’un préjudice minimal, voire nul, que l’impact sur l’obligation de livrer le courrier l’emporte sur le risque que les employés peuvent subir sur le plan ergonomique. D. Bloom laisse entendre, au contraire, que Postes Canada cherche à minimiser les préoccupations des employés à l’égard de la santé et de la sécurité. À mon avis, nous avons là un différend important en ce qui concerne les faits.

[35] Je crois que la question n’est ni frivole ni vexatoire, que c’est là une question sérieuse puisqu’elle vise la santé et la sécurité des employés. En outre, en toute justice, l’appelant doit avoir la possibilité de soumettre son cas au tribunal. De même, à un niveau inférieur, mais compte tenu néanmoins que la décision rendue par le présent tribunal concerne l’intérêt public puisqu’elle influera sur l’avenir de la livraison du courrier en région rurale, je suis persuadé que Postes Canada a respecté le critère de la question sérieuse.

[36] Le deuxième critère traite du préjudice irréparable que l’appelant peut subir si la suspension est refusée. Postes Canada a soutenu qu’elle subit un préjudice irréparable en raison des coûts d’embauche d’assistants pour aider les FFRS et que, même si elle gagne l’appel, elle ne pourra recouvrer les sommes investies.

[37] En outre, Postes Canada a présenté l’affidavit de Sanjay Paliwal, qui contient les arguments soumis à la Cour fédérale dans le cadre de la demande d’ordonnance provisoire de suspension de l’instruction émise par l’Agent d’appel Malanka dans la décision Pollard.

[38] Je retiens ce qui suit de l’affidavit de M. Paliwal :

  • La décision et l’instruction de l’Agent d’appel pourraient s’appliquer à chaque mouvement fait par les FFRS partout au Canada et pourraient effectivement empêcher Postes Canada de livrer le courrier dans 840 000 boîtes postales.
  • L’instruction pourrait servir de précédent et influer non seulement sur tous les autres FFRS à Brampton (Ont.), mais aussi sur tous les autres FFRS qui, à l’heure actuelle, font, partout au pays, la livraison et la cueillette du courrier en utilisant la fenêtre de leur véhicule située du côté du passager. Une instruction de cet ordre serait tout à fait ingérable si elle devait s’appliquer à l’échelle d’un bureau ou à l’échelle nationale, en raison du manque de temps et de latitude pour trouver d’autres solutions.
  • Postes Canada a déjà subi un préjudice irréparable en ce qui a trait à sa réputation de fournisseur d’un service de qualité, en raison des modifications qu’elle a dû apporter pour se conformer à la décision et à l’instruction de l’Agent d’appel, et cela ne peut être compensé par des dommages-intérêts.
  • Pour ce qui est de l’aménagement ergonomique, Postes Canada a fourni des assistants payés aux FFRS qui se sont plaints ou ont refusé. Postes Canada dépense actuellement quelque 200 000 $ par mois à ce titre. Ce montant augmentera de manière exponentielle si RHDSC applique plus largement cette décision et cette instruction et Postes Canada ne pourra pas le récupérer sous forme de dommages-intérêts.

[39] Dans RJR-MacDonald, les juges Sopinka et Cory ont défini le « préjudice irréparable » de la façon suivante :

À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire.

Le terme «irréparable» a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre. Des exemples du premier type sont le cas où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise (R.L. Crain Inc. c. Hendry, (1988) 48 D.L.R. (4th) 228 (B.R. Sask.)); le cas où une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale (American Cyanamid, précité); ou encore le cas où une partie peut subir une perte permanente de ressources naturelles lorsqu'une activité contestée n'est pas interdite (MacMillan Bloedel Ltd. c. Mullin, [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C. B.)). Le fait qu'une partie soit impécunieuse n'entraîne pas automatiquement l'acceptation de la requête de l'autre partie qui ne sera pas en mesure de percevoir ultérieurement des dommages intérêts, mais ce peut être une considération pertinente (Hubbard c. Pitt, [1976] Q.B. 142 (C.A.)).

[40] Bien que, dans Pollard, la Cour fédérale ait statué sur un cas un peu semblable à celui-ci, le fait demeure que cette décision traitait des circonstances spécifiques audit cas. Dès lors, bien que je tienne compte de cette décision, je donne peu de poids aux arguments soumis dans l’affidavit parce qu’il ne porte pas spécifiquement sur les présents cas, mais vise plutôt l’affaire Pollard elle-même.

[41] De la même façon que dans l’affaire Pollard, Postes Canada se base sur des considérations monétaires et sur l’hypothèse que RHDSC pourrait étendre l’application de la décision et de l’instruction et les rendre ingérables.

[42] Vu les mesures temporaires mises en place, Postes Canada continue de se conformer à son obligation légale de livrer le courrier et n’a annoncé aucune coupure dans la livraison du courrier.

[43] Par conséquent, Postes Canada n’a pas fait la preuve que sa réputation en affaires a subi un tort irréversible et qu’elle subirait un préjudice irréparable si je refusais de suspendre la mise en œuvre des instructions. Le fait qu’elle paye des assistants supplémentaires pour aider les quelques FFRS visés ici ne constitue pas un préjudice irréparable important.

[44] Quant à l’hypothèse que RHDSC pourrait étendre l’application des instructions à tout le pays et rendre la situation intenable pour l’employeur, je suis d’avis que ces instructions visent des conditions spécifiques mettant en cause des employés précis et, par conséquent, que leur application se limite aux trois lieux de travail qui y sont identifiés. Dès lors, elles ne causent pas de préjudice irréparable à Postes Canada.

[45] Comme je l’ai dit plus haut, chacun des critères doit être respecté, à défaut de quoi la suspension sera refusée. Postes Canada n’ayant pas démontré qu’elle répondait au deuxième critère sur le préjudice irréparable, je n’ai aucune raison de poursuivre l’analyse pour examiner le troisième critère.

[46] En conclusion, je rejette la demande de suspension de la mise en œuvre des trois instructions que les agents de santé et de sécurité ont données pour protéger la santé et la sécurité au travail des employés qui ont refusé de travailler, soit Nicole Logan, Arthur Allen Jr., Valery Horbatiuk et Sylvia Princis-Bothwell, dossiers no 2006-10, 2006-17et 2006-18.



_________________
Richard Lafrance
Agent d’appel


Sommaire de la décision de l’agent d’appel

Decision No°: 06-037(S)

Demandeur : Société canadienne des postes

Défendeur : Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes

Dispositions : Code du travail du Canada, 145(2)(a)

Mots clés : Sursis d’exécution, mouvements ergonomiques, facteurs des services ruraux, rejeté

Sommaire :

L’avocat de la Société canadienne des postes a demandé de suspendre l’exécution des instructions données par l’agent de santé et sécurité. Il a invoqué le critère établi par la Cour suprême du Canada, fondé sur l’examen des trois éléments suivants : i) la gravité de l’affaire à instruire, ii) le risque de préjudice irréparable, iii) la prépondérance des inconvénients. L’avocat a soutenu que la demande de la Société canadienne des postes remplissait ces trois conditions, étant donné que les risques pour les employés n’étaient pas suffisamment élevés pour justifier les répercussions potentielles de l’exécution des instructions sur la livraison du courrier, aux termes de la Loi sur la Société canadienne des postes. L’avocat du Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes a souligné que le risque de préjudice irréparable ne pouvant être évalué en vue d’un règlement monétaire, il ne s’appliquait pas à la Société canadienne des postes. L’agent d’appel a conclu que la situation n’était pas susceptible d’entraîner un préjudice irréparable important. Comme les trois conditions du critère de la Cour suprême devaient être remplies et qu’une de ces conditions ne l’était pas, il a jugé qu’il n’était pas nécessaire de passer à l’examen du troisième élément et a refusé d’accorder le sursis d’exécution.

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