Archivée - Décision: 07-023 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Cause n° : 2004-39
N° de la décision : CAO-07-023

Graydon S. Gillette
appelant

et

Service correctionnel du Canada Établissement Matsqui
intimé
______________
Le 21 juin 2007

Cet appel a été entendu par l’agent d’appel Pierre Guénette, à Abbotsford (Colombie - Britannique), les 24 et 25 janvier 2006.

Ont comparu

Pour l’appelant
Corinne Blanchette, conseillère syndicale, Union of Canadian Correctional Officers Syndicat des agents correctionnels du Canada, Confédération des syndicats nationaux (UCCO-SACC-CSN)

Pour l’intimé
Harvey Newman, avocat principal, Services juridiques du Secrétariat du Conseil du Trésor, Ottawa (Ontario)

[1] Le 1er novembre 2004, 15 agents de correction (AC) ont exercé leur droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 de la partie II du Code canadien du travail (le Code), parce qu’ils estimaient qu’il était dangereux de travailler dans l’unité résidentielle de l’Établissement Matsqui, un pénitencier à sécurité moyenne. À la suite du maintien du refus, l’agente de santé et de sécurité (ASS) Melinda Lum a effectué une enquête. Les AC prétendaient que le milieu de travail présentait un danger en raison de la possibilité de violence. Ils ont refusé de travailler pour les raisons suivantes :

  • un couteau de cuisine brisé et modifié avait été trouvé dans la cellule d’un détenu le 1er novembre 2004;
  • une grande quantité d’héroïne (une trentaine de grammes) avait été saisie dans la cellule d’un détenu le 1er novembre 2004;
  • un détenu avait été agressé par trois autres détenus le 30 octobre 2004;
  • on avait trouvé de la broue1 et du matériel servant à la fabrication de broue, ce, même après le confinement aux cellules des 25 et 26 octobre 2004;
  • les jours précédant le refus de travailler, les AC avaient constaté que des détenus étaient sous l’influence de diverses substances et l’avaient signalé de vive voix à leurs surveillants;
  • l’attitude des détenus à l’endroit du personnel avait radicalement changé, comme en témoignaient le plus grand nombre accru d’altercations verbales.
1 Broue : alcohol de fabrication artisanale.

[2] Au terme de son enquête, l’ASS Lum a conclu que les AC n’étaient pas exposés à un danger pendant qu’ils accomplissaient leurs tâches courantes dans l’unité résidentielle. Elle a ensuite confirmé sa décision par écrit.

[3] Le 10 novembre 2004, Graydon S. Gillette a interjeté appel de la décision de l’ASS Lum, en vertu du paragraphe 129(7) du Code. Les AC l’ont désigné pour les représenter durant la procédure d’appel.

[4] Je retiens ce qui suit du Rapport d’enquête et décision de l’ASS Lum et de son témoignage à l’audience.

[5] Le groupe a exercé son droit de refuser de travailler le 1er novembre 2004, aux environs de 17 heures. Les AC travaillaient dans l’unité résidentielle ou le passage recouvert et les détenus se trouvaient dans leurs rangées en vue du dénombrement.

[6] Les incidents suivants ont donné lieu à la décision du groupe de refuser de travailler :

  • les 25 et 26 octobre 2004, un confinement aux cellules a été décrété dans l’établissement et une fouille exceptionnelle a été effectuée après que des AC eurent découvert de la broue dans de nombreuses zones de l’unité résidentielle;
  • durant cette fouille, des AC ont saisi des amphétamines, cinq armes de fabrication artisanale, une quantité inconnue de broue et du matériel servant à la fabrication de broue;
  • les jours suivants, les AC ont de nouveau trouvé de la broue et du matériel servant à la fabrication de broue dans les cellules de détenus et les aires communes. Les détenus se montraient plus agressifs et tenaient des propos violents à l’endroit des AC;
  • les AC étaient inquiets du grand nombre de détenus sous l’influence de la drogue ou de l’alcool qui n’étaient pas transférés dans l’unité d’isolement;
  • le 30 octobre, un détenu a été agressé par trois autres détenus, qui ont été transférés dans l’unité d’isolement à la suite de cet incident;
  • le directeur Wayne Marston a indiqué à l’ASS Lum que la direction avait procédé à une fouille des cellules et des détenus à la suite de cette agression et que trois suspects avaient été identifiés;
  • le 1er novembre, des AC ont trouvé dans une cellule un couteau brisé qui avait été modifié. Les AC ont déclaré qu’aucun couteau n’avait été porté manquant et qu’ils craignaient qu’il y eût d’autres couteaux de ce genre;
  • le même jour, 35 grammes d’héroïne environs ont été saisis dans la cellule d’un détenu, mais celui ci n’a pas été transféré dans l’unité d’isolement faute de place;
  • les AC étaient préoccupés par le fait que les détenus se tenaient en groupes et qu’ils ne se comportaient pas comme d’habitude;
  • les AC ont dit à l’ASS Lum qu’ils avaient reçu des menaces verbales de la part des détenus et que le milieu de travail présentait un danger pour les AC en raison de la possibilité de violence.

[7] L’ASS Lum a justifié sa décision d’absence de danger comme suit :

[Traduction]
La possibilité qu’une arme de fabrication artisanale se trouve dans l’établissement est inhérente à l’emploi d’un agent de correction […] En revanche, lorsqu’on sait qu’une arme de fabrication artisanale se trouve dans l’établissement, il faut prendre les mesures nécessaires pour la retracer. À cette fin, l’employeur a fait fouiller les cellules après avoir appris de source fiable qu’il y avait vraisemblablement des armes dans l’établissement. Durant l’enquête, rien n’a permis d’établir un lien direct entre la présence de broue et de drogue dans l’établissement et une augmentation des agressions à l’endroit du personnel […] L’employeur a procédé à une fouille exceptionnelle les 25 et 26 octobre et à une fouille dans les cellules après avoir reçu l’information. Il en outre placé des détenus intoxiqués sous observation après avoir pris connaissance d’un rapport d’observation ou d’incident à leur sujet.

La possibilité que des agents de correction soient agressés par des détenus est inhérente à l’emploi. Le risque d’être agressé par un détenu armé doit être minimisé en effectuant régulièrement des fouilles dans les cellules afin de trouver et de retirer les armes, conformément au plan de fouille de l’établissement. Ces fouilles devraient également permettre de minimiser la quantité de drogue et de broue qui circule dans l’établissement.

Travailler dans un milieu où sont gardés des détenus agressifs qui tiennent des propos violents et où se trouvent des armes de fabrication artisanale, de la drogue et de la broue est inhérent à l’emploi d’un agent de correction. Le risque qu’un détenu agresse un agent de correction avec une arme a été minimisé par les fouilles que l’employeur a fait effectuer dans les cellules. L’employeur a pris des mesures raisonnables pour retirer les armes, la drogue et la broue dont il connaissait l’existence.

Témoins de l’appelant

[8] Je retiens ce qui suit des témoignages entendus et des documents produits au soutien de la thèse de l’appelant.

[9] L’agent de correction Matt Lister a indiqué qu’il occupait le poste d’AC depuis dix ans et qu’il était affecté à l’Établissement Matsqui depuis neuf ans. Il fait aussi partie de l’équipe d’intervention d’urgence de l’établissement. Il a déclaré que l’Établissement Matsqui affichait le taux le plus élevé de saisie de drogue dans le réseau carcéral fédéral, ce taux s’établissant à 62,7 par millier de détenus, par rapport à la moyenne nationale de 16,7 par millier de détenus2. C’est aussi l’établissement où il s’introduit le plus de drogue. M. Lister a ajouté que les AC reçoivent de temps à autre des menaces verbales de la part des détenus.

2 Tiré du document intitulé Performance Summary by Security Level – MED – Reporting Period: 2004 04 to 2005-08.

[10] L’agente de correction Catharine Russell a déclaré qu’elle faisait partie de l’équipe d’intervention d’urgence de l’établissement. Elle sait d’expérience que les détenus qui sont sous l’influence de la broue affichent un comportement plus violent. Elle a déclaré que, le 1er novembre 2004, elle avait fait part de ses préoccupations à Randy Scott, qui occupait alors le poste de sous directeur, et lui avait demandé de décréter un confinement aux cellules, ce qui avait été refusé.

[11] L’agente de correction Angela Cianni a déclaré que la tension montait dans l’établissement, le 1er novembre 2004, et que les AC perdaient le contact avec les détenus, ce qui est une indication que quelque chose de grave est sur le point de se produire. Elle était d’avis que les AC allaient perdre le contrôle de la situation dans l’établissement, en d’autres termes qu’une émeute se préparait. C’est pourquoi elle a demandé à la direction de décréter un confinement aux cellules, mais sans succès. C’était la première fois de sa carrière que la situation dans l’établissement était aussi alarmante; elle n’en avait en outre jamais rien vu de pareil dans l’unité résidentielle ou dans l’unité d’isolement.

[12] L’AC Cianni a déclaré qu’elle disposait d’un dispositif d’alarme personnel portatif (DAPP), mais que les AC ne répondent pas aux alarmes durant le poste de l’après midi parce que le personnel est alors réduit au minimum. On pourrait donc répondre à une alarme, mais pas assez rapidement. Elle a ajouté que les AC ne disposaient pas tous d’un DAPP ou d’une radio parce qu’il n’y en avait pas en nombre suffisant. Elle a également expliqué qu’un AC pourrait ne pas avoir le temps d’utiliser son DAPP s’il était soudainement agressé par un détenu.

[13] L’agent de correction Graydon Gillette a indiqué qu’il siégeait au comité de santé et de sécurité au travail de l’Établissement Matsqui à titre de représentant des employés. C’est après avoir fait les constations suivantes qu’il a conclu à l’existence d’un danger, le 1er novembre 2004 :

  • les détenus étaient plus agressifs que d’habitude;
  • ils se montraient intransigeants face aux AC;
  • un détenu avait été agressé;
  • on avait saisi une grande quantité d’héroïne;
  • les détenus étaient susceptibles d’exercer des représailles contre les AC à la suite de la saisie de drogues et de broue;
  • une certaine quantité de broue avait été saisie.

[14] Selon l’AC Gillette, les AC ont convenu, le 1er novembre, que la situation ne pouvait que continuer à dégénérer et que la seule façon d’empêcher cela était de procéder à une fouille exceptionnelle.

[15] L’agent de correction Garth Kinsey a déclaré que l’Établissement Matsqui accueille des délinquants violents et que les AC reçoivent la formation nécessaire pour composer avec les détenus difficiles.

[16] L’AC Kinsey a ajouté qu’il n’y avait pas d’endroit où garder les détenus qui sont sous l’influence de la drogue ou de l’alcool, ce qui crée une situation où les détenus affichent des comportements plus violents. De plus, les AC font face à un grand danger quand des détenus sont sous l’influence de la broue car certains deviennent verbalement agressifs et peuvent même se livrer à des actes de violence.

[17] L’AC Kinsey a témoigné que les AC craignaient pour leur sécurité parce que les détenus ne se comportaient pas comme d’habitude. Il reste qu’aucun AC n’avait été agressé physiquement par des détenus avant que décide de refuser de travailler le 1er novembre.

[18] L’AC Kinsey a également déclaré que la situation continuait d’empirer et que la peur s’était emparée de lui le 1er novembre. Il a toutefois admis qu’aucun détenu ne lui avait fait directement des menaces ce jour là.

[19] L’AC Kinsey a observé que la direction était au courant de la situation qui existait dans l’établissement et que c’était la première fois, à sa connaissance, qu’on saisissait une telle quantité d’héroïne à l’intérieur de l’établissement.

[20] L’agent de correction Sean Koch a déclaré qu’il occupait le poste d'AC depuis huit ans et qu’il faisait partie de l’équipe d’intervention d’urgence dans l’établissement.

[21] L’AC Koch a témoigné qu’avant que les AC exercent leur droit de refuser de travailler, l’humeur générale des détenus avait changé. Les AC ont constaté qu’ils se tenaient en plus petits groupes que d’habitude, qu’ils circulaient d’un groupe à l’autre et qu’ils semblaient s’échanger de l’information. Compte tenu de la formation qu’il avait reçue comme membre de l’équipe d’intervention d’urgence, l’AC Koch a déclaré que cela pouvait être le signe qu’une émeute se préparait. De plus, quand des groupes de détenus adoptent un comportement inhabituel, c’est normalement une indication qu’il se trame quelque chose et qu’un incident peut survenir.

[22] L’AC Koch a déclaré que les incidents suivants étaient survenus entre le 24 octobre et le 1er novembre 2004 :

  • des détenus avaient été agressés par d’autres détenus (tentative de meurtre, fracture possible du nez);
  • des articles de contrebande avaient été saisis;
  • les détenus étaient moins ouverts avec les AC;
  • les AC se faisaient davantage injurier par les détenus;
  • les détenus évitaient les AC.

[23] L’AC Koch a déclaré que les cas de violence verbale par des détenus avaient alors été signalés à la direction. Il a toutefois admis que les AC n’avaient pas reçu directement de menace verbale des AC ni eu d’altercations avec eux quand ils ont exercé leur droit de refuser de travailler le 1er novembre.

Témoins de l’intimé

[24] Je retiens ce qui suit des témoignages entendus et des documents produits au soutien de la thèse de l’intimé.

[25] Randie Scott a déclaré qu’il occupait depuis 2004 le poste de directeur adjoint par intérim, Services de gestion, à l’Établissement Matsqui.

[26] Randie Scott a expliqué que deux types de fouilles peuvent être effectuées dans un établissement. Il y a d’abord la fouille courante, qui est effectuée dans une zone particulière. Toutes les zones de l’établissement doivent être fouillées une fois par mois.

[27] Il y a ensuite la fouille exceptionnelle, qui est autorisée par le directeur quand la Division de la sécurité et du renseignement lui signale l’existence de menaces. Durant cette fouille, les détenus sont confinés à leurs cellules et leurs déplacements sont limités. En général, le confinement aux cellules s’applique à tous les détenus de l’établissement afin de faciliter la fouille.

[28] Randie Scott a déclaré que le directeur recourait à cette mesure quand il était convaincu que les menaces étaient bien réelles selon l’information fournie par la Division de la sécurité et du renseignement. Sa décision est basée sur les renseignements suivants :

  • l’examen de tous les renseignements obtenus du personnel;
  • les renseignements obtenus de l’agent de la sécurité et du renseignement;
  • les renseignements recueillis sur les faits et gestes des détenus;
  • l’examen courant, chaque matin, des rapports reçus du surveillant correctionnel.

[29] Randie Scott a précisé qu’une fouille exceptionnelle avait un effet négatif sur les détenus. Il a indiqué que les incidents suivants avaient mené à la décision de confiner les détenus à leurs cellules les 25 et 26 octobre 2004 :

  • la grande quantité de broue qui avait été saisie;
  • les armes blanches qui avaient été trouvées;
  • les agressions dont divers détenus avaient été victimes;
  • les menaces dirigées contre le personnel alors que les détenus ne tiennent généralement pas de propos violents aux AC.

[30] Randie Scott a déclaré que personne, à sa connaissance, n’avait donné l’ordre de mettre un terme rapidement à cette fouille exceptionnelle, qui s’était achevée le 26 octobre 2004, à la satisfaction du directeur. La fouille avait permis de saisir les articles interdits suivants :

  • de la broue et du matériel servant à fabriquer de la broue;
  • des armes;
  • de la drogue;
  • du matériel de tatouage.

[31] Randie Scott a observé que certains incidents étaient survenus entre le 27 octobre et le 1er novembre 2004, mais que la situation à l’intérieur de l’établissement était gérable et qu’elle ne posait pas de problème. Il était au courant des faits suivants dont il avait pris connaissance en lisant les rapports d’observation :

  • on avait encore trouvé de la broue;
  • on avait saisi de l’héroïne;
  • le personnel se faisait injurier par les détenus.

[32] Douglas Jones, gestionnaire d’unité à l’Établissement Matsqui, a témoigné qu’il avait participé à l’enquête instituée par l’employeur en vue de faire la lumière sur le refus de travailler survenu le 1er novembre 2004. L’employeur a fondé sa décision d’absence de danger sur les faits suivants :

  • le danger n’était pas imminent;
  • les AC avaient tiré des conclusions hâtives, pour des raisons qui leur appartenaient, mais rien n’en corroborait le bien fondé;
  • la direction intervenait après chaque incident; sept détenus avaient été transférés à l’établissement Kent, un pénitencier à sécurité maximale, et le danger avait disparu par la suite.

Observations de l’appelant

[33] Dans ses observations, Corinne Blanchette a indiqué que plusieurs signaux étaient présents dans l’établissement le 1er novembre 2004 qui font que les AC en sont venus à craindre pour leur sécurité, en l’occurrence :

  • un changement radical du climat dans l’établissement;
  • le nombre accru d’altercations entre les détenus et le personnel;
  • des détenus qui se conduisaient de manière inhabituelle en présence des surveillants;
  • la perte soudaine de contact et l’effet d’entraînement sur les détenus amiables ou ceux dont l’AC avait la charge;
  • les détenus qui se tenaient en groupes et qui s’organisaient;
  • les détenus qui se groupaient autour du personnel;
  • les menaces verbales reçues;
  • les détenus de prestige qui affichaient des comportements bizarres;
  • le nombre accru de détenus qui étaient sous l’influence de la broue et de l’alcool;
  • la présence de broue et de drogues;
  • les saisies importantes de broue et de matériel servant à fabriquer de la broue, même après une fouille;
  • la saisie d’une quantité inégalée d’héroïne;
  • les signes de l’exercice de représailles au sein de la population carcérale;
  • des détenus armés;
  • le nombre inhabituel de détenus qui voulaient être protégés.

[34] Corinne Blanchette a ajouté que je devais accorder de l’importance aux témoignages des agents de correction Kinsey, Koch, Russell et Cianni, parce que l’intimé n’a pas contredit leurs propos.

[35] Corinne Blanchette a écrit que [traduction] « personne n’a contesté le fait que les détenus agissaient de manière imprévisible et impulsive et que la consommation de drogues telles que des amphétamines ne faisait qu’empirer la situation. » Elle ajoutait à cela que les AC observaient directement le comportement des détenus et qu’ils étaient donc mieux placés pour repérer les dangers.

[36] Corinne Blanchette a indiqué que des données avaient été fournies à l’ASS Lum qui démontraient qu’il y avait eu un changement rapide dans le comportement des détenus et une augmentation du nombre d’altercations avec des AC à l’Établissement Matsqui. Il y avait eu 4,7 altercations en moyenne avec des détenus entre février et septembre 2004, alors qu’il y en avait eu sept dans la semaine précédant le refus de travailler.

[37] Corinne Blanchette s’est reportée au témoignage de Garth Kinsey, qui a déclaré ceci :

[Traduction]
les agents pouvaient composer avec un ou deux des risques mentionnés, mais ils craignaient que l’existence simultanée de tous les risques mentionnés à un niveau plus élevé et le refus de l’employeur de mettre en place des mesures préventives additionnelles après le 26 octobre 2004 n’occasionnent un danger inutile et excessif.

[38] Corinne Blanchette a observé que lorsque des circonstances se surviennent à répétition, telles que la multiplication des incidents et l’accumulation de tension à l’intérieur de l’établissement, le risque que la situation occasionne des blessures aux AC atteint alors des proportions inhabituelles. Elle a ajouté que ses propos trouvaient écho dans la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Verville c. Canada (Service correctionnel)3, où la juge Gauthier a déclaré, soutient elle, qu’un ensemble de faits analogues pouvait constituer un « danger » au sens du paragraphe 128(1) du Code.

3 Juan Verville et le Service correctionnel du Canada, Établissement pénitentiaire de Kent, 2004 CF 767, 26 mai 2004

[39] Corinne Blanchette a indiqué qu’en dépit du confinement aux cellules des 25 et 26 octobre 2004, après la découverte de la broue, il restait toujours une quantité inhabituelle de broue, du matériel servant à la fabrication de broue et de la drogue, qui avaient été découverts peu de temps après. C’était le signe que le confinement n’avait pas duré suffisamment longtemps pour qu’on puisse tout trouver. De plus, la fouille exceptionnelle effectuée durant le confinement avait duré neuf heures et quart (555 minutes), ce qui signifie que chaque cellule avait été fouillée pendant moins de deux minutes. Corinne Blanchette a comparé la durée de cette fouille à celle d’une autre fouille exceptionnelle qui avait eu lieu à la suite d’un incident semblable survenu en décembre 2004 et qui avait duré 25 heures. Elle estimait qu’une fouille et un confinement d’une durée d’environ neuf heures ne pouvaient pas atténuer les craintes que le AC avaient exprimées le 1er novembre 2004.

[40] Corinne Blanchette a déclaré que l’ASS Lum n’avait pas effectué une enquête complète et qu’elle n’avait pas en mains tous les renseignements pertinents, tels que la durée de la fouille exceptionnelle, pour prendre une décision. La fouille d’octobre 2004 avait été interrompue à quelques reprises, ce qui signifie qu’elle avait duré moins longtemps (environ neuf heures) que celle de décembre 2004 (25 heures).

[41] Corinne Blanchette a défendu la thèse que les AC qui ont exercé leur droit de refuser de travailler le 1er novembre 2004 étaient mieux placés pour conclure à l’existence d’un danger parce que dans les jours qui avaient précédé leur refus, ils avaient constaté que le climat se détériorait dans l’unité résidentielle. Elle a ajouté que [traduction] « les AC [avaient] déterminé que si la tension continuait à monter dans les unités résidentielles, la situation était susceptible de leur causer des blessures. »

[42] Corinne Blanchette a déclaré que le processus d’évaluation des risques et l’enquête sur le refus de travailler du 1er novembre 2004 comportaient des lacunes.

[43] Corinne Blanchette a conclu en disant qu’il existait un danger le 1er novembre 2004 et que l’employeur n’avait pas démontré qu’il avait instauré des mesures correctives suffisantes pour faire baisser la tension dans l’unité résidentielle. Elle me demande donc d’annuler la décision de l’ASS Lum.

Observations de l’intimé

[44] Harvey Newman a fait valoir que même si le Code a été modifié en septembre 2000, la nouvelle définition de « danger » est analogue à celle qui existait précédemment. Pour étayer sa thèse sur ce point, il a renvoyé à la décision de l’agent d’appel Serge Cadieux dans la cause Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée4, qui a observé, au paragraphe 19 :

La situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel, mentionné dans la définition doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.
4 Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée, décision CLCAO no 01-008, 22 mars 2001.

[45] Harvey Newman a déclaré que l’agent d’appel doit examiner les circonstances qui existaient au moment où l’ASS a effectué son enquête. Il n’appartient pas à l’agent d’appel de mener une nouvelle enquête.

[46] Harvey Newman a soutenu que l’employé qui refuse de travailler doit être susceptible d’être blessé soit immédiatement, soit à tout moment dans l’avenir. Pour étayer sa thèse, il a renvoyé à la cause M. Jack Stone et Service correctionnel du Canada , dans laquelle l’agent d’appel Serge Cadieux énonce, au paragraphe 38, le critère en trois points qu’il faut appliquer pour conclure à l’existence d’un danger. Ce critère est le suivant :

  • la tâche éventuelle en question sera accomplie;
  • un employé aura à l’exécuter le moment venu;
  • l’on peut raisonnablement s’attendre à ce :
  • que la tâche occasionne une blessure ou une maladie chez l’employé appelé à l’exécuter, et que
  • la blessure ou la maladie se produise dès que la tâche aura été entreprise.
5 M. Jack Stone et Service correctionnel du Canada, décision CLCAO no 02-019, 6 décembre 2002.

[47] Harvey Newman m’a également renvoyé à la cause Stone, supra, où l’agent d’appel Cadieux a déclaré que dans un établissement carcéral à sécurité moyenne, il fallait s’attendre à ce que le degré de risque soit plus élevé et que l’exposition à la violence constitue une condition normale d’emploi. Au paragraphe 46, l’agent Cadieux a ajouté que le risque est atténué par les nombreuses mesures de contrôle, politiques de sécurité et procédures mises en place par l’employeur.

[48] Pour étayer sa thèse au sujet de la notion de condition normale d’emploi, Harvey Newman m’a renvoyé à la même décision, où l’agent d’appel Cadieux observe, au paragraphe 51 :

Le droit de refuser de travailler prévu par le Code reste une mesure d’urgence prévue pour composer avec des situations où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’employé soit blessé lorsqu’il sera exposé au danger, à la situation ou à la tâche. Toutefois, il ne peut s’agir d’un danger qui fait partie intégrante des conditions de travail normales ou des conditions normales d’emploi. Cette déclaration, à elle seule, est lourde de conséquences pour les agents de correction. Étant donné que la probabilité de violence fait partie des conditions d’emploi des agents de correction, lesquels sont spécifiquement formés pour composer avec ces situations, il est très difficile d’envisager une situation, dans un tel environnement, où le risque de violence pourrait justifier un refus de travailler autrement que dans des circonstances exceptionnelles et spécifiques.

[49] Harvey Newman a indiqué qu’il n’était pas inhabituel de composer avec divers niveaux de tension dans un établissement. En revanche, a-t il observé, rien ne laissait présager que les détenus envisageaient de s’en prendre aux AC le 1er novembre 2004.

[50] Harvey Newman a déclaré que [traduction] « la direction a examiné la situation en profondeur et conclu qu’il n’existait pas de dangers autres que ceux qui étaient inhérents à l’emploi d’un AC et que toute conclusion contraire reposait sur des hypothèses et des conjectures. »

[51] Harvey Newman a observé qu’il n’existait pas de danger le 1er novembre 2004, parce qu’au moment où l’ASS a effectué son enquête, les détenus étaient confinés à leurs cellules.

[52] Harvey Newman a conclu sa plaidoirie finale en m’exhortant à rejeter l’appel. Par ailleurs, si je décidais d’annuler la décision d’absence de décision de l’ASS Lum, il jugeait inutile de donner une instruction à l’employeur vu que la situation qui existait au moment du refus de travailler et durant l’enquête de l’ASS n’existe plus aujourd’hui.

Réfutation de l’appelant

[53] Corinne Blanchette a observé que l’intimé n’avait pas renvoyé à la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Juan Verville, supra, et à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Martin c. Canada (Procureur général)6. Elle a ensuite formulé les observations suivantes au sujet de ces deux décisions.

6 Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, 2 mai 2005.

[54] Corinne Blanchette a déclaré que l’intimé avait commis une erreur en affirmant que l’agent d’appel n’était pas obligé de mener une nouvelle enquête et que la décision et le rapport d’enquête de l’ASS doivent constituer le point de départ de son enquête. Elle a soutenu que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Martin, supra, selon laquelle l’appel interjeté devant l’agent d’appel est un appel de novo, contredisait la thèse de l’intimé.

[55] Corinne Blanchette a déclaré que, contrairement à ce que soutient l’intimé, le rôle de l’agent d’appel ne se limite pas à examiner les circonstances qui existaient au moment où l’ASS a effectué son enquête. Dans l’arrêt Juan Verville, supra, la juge Gauthier n’abonde pas dans le sens de l’intimé; Corinne Blanchette propose à ce sujet l’interprétation suivante : [traduction] « La juge Gauthier a conclu que les faits dont il faut tenir compte pour conclure à l’existence d’un danger ne se limitent pas aux circonstances qui existaient au moment où l’employé a refusé de travailler. »

[56] Toujours à ce sujet, Corinne Blanchette m’a renvoyé à l’analyse de l’agente d’appel Michèle Beauchamp dans la cause Correctional Service Canada and John Carpenter7, où elle a conclu au paragraphe 78 :

[Traduction]
[78] Autrement dit, l’ASS doit examiner si ce que les employés ont invoqué comme un danger pour justifier leur refus de travailler existe toujours au moment où il effectue son enquête ou pourrait devenir un danger dans l’avenir.
7 Correctionnal Service Canada and John Carpenter, décision CLCAO no 05 012, 30 mars 2005.

[57] Corinne Blanchette a aussi contesté l’argument de l’intimé selon lequel il n’existait pas de danger au moment où l’ASS Lum a effectué son enquête parce que les détenus étaient déjà confinés à leurs cellules. Elle a soutenu qu’un tel confinement n’éliminait pas nécessairement le danger.

[58] Elle a indiqué que le critère en trois points défini par l’agent d’appel Cadieux pour conclure à l’existence d’un danger auquel fait allusion l’intimé est un critère dépassé qui n’a pas été retenu dans la décision Juan Verville, supra, comme en témoignent les paragraphes 33 à 36 :

[33] Dans sa décision, l'agent d'appel dit qu'il se fonde sur la décision qu'il a rendue dans l'affaire Agence Parcs Canada, précitée, où il s'était exprimé ainsi :

« Pour conclure à l'existence d'un danger au moment de l'enquête, l'agent de santé et de sécurité doit se faire une opinion sur les points suivants, en se fondant sur les faits recueillis au cours de ladite enquête, à savoir :
  • que la tâche éventuelle en question sera accomplie [voir note 2 ci dessous];
  • qu'un employé aura à l'exécuter le moment venu;
  • que l'on peut raisonnablement s'attendre :
  • à ce que la tâche occasionne une blessure ou une maladie chez l'employé appelé à l'exécuter,
  • à ce que la blessure ou maladie se produise dès que la tâche aura été entreprise.
Note 2 : La première condition est redondante dans les cas où l'agent de santé et de sécurité a constaté que la tâche était en train de s'accomplir au moment de son enquête.

(Non souligné dans le texte.)

[34] Les propos susmentionnés ne sont pas tout à fait exacts. Comme il est indiqué dans l'affaire Martin, précitée, la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu'elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée. Donc, ici, l'absence de menottes sur la personne d'un agent correctionnel impliqué dans une empoignade avec un détenu doit être susceptible de causer des blessures avant que des menottes ne puissent être obtenues du poste de contrôle ou par l'intermédiaire d'un surveillant K-12, ou avant que tout autre moyen de contrainte ne soit fourni.

[35] Je ne crois pas non plus que la définition exige que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures. La version anglaise « could reasonably be expected to cause » nous dit que la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n'exigent pas la preuve d'un délai précis à l'intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[59] Corinne Blanchette a poursuive en disant que, contrairement à ce que prétend l’intimé, la nouvelle définition de danger revêt un sens plus large que la définition qui s’appliquait avant le remaniement du Code en 2000.

[60] Corinne Blanchette a indiqué que le jour du refus de travailler, la situation créée par l’effet combiné du climat de tension et des incidents était tout à fait inhabituelle, au point de constituer un danger au sens du Code, car l’exposition débordait largement le cadre d’un risque inhérent à l’emploi du demandeur. Elle a ajouté que, le 1er novembre 2004, la tension dans les unités résidentielles a atteint un point où il est devenu fort probable que la situation cause des blessures avant qu’elle soit corrigée.

[61] Corinne Blanchette a conclu sa réfutation en disant que la décision de l’ASS Lum était fondée sur des faits erronés et une interprétation fautive du droit et que je devais annuler sa décision d’absence de danger.

Décision

[62] Il s’agit ici de déterminer si l’ASS Lum a commis une erreur en concluant quand les AC n’étaient pas exposés à un danger le 1er novembre 2004, lorsqu’ils ont refusé d’accomplir leurs tâches habituelles dans l’unité résidentielle.

[63] Afin de trancher cette question, je dois tenir compte des faits de la cause, de l’interprétation et de l’application des dispositions pertinentes du Code et de la jurisprudence applicable.

[64] La notion de danger est définie au paragraphe 122(1) de la partie II du Code canadien du travail :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[65] Il existe deux décisions importantes de la Cour fédérale qui traitent de la notion de danger et de son interprétation dans le contexte de l’exercice du droit de refuser d’accomplir un travail dangereux. Seul l’appelant s’est reporté aux deux décisions.

[66] La première décision est celle rendue par la juge Gauthier de la Cour fédérale dans l’affaire Juan Verville, supra.

[67] Madame la juge Gauthier a déclaré, au paragraphe 36, qu’il n’est pas nécessaire d’établir précisément à quel moment la situation, la tâche ou le risque se produira, mais qu’il faut déterminer qu’il existe une possibilité raisonnable que les circonstances se produiront dans l’avenir :

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n'exigent pas la preuve d'un délai précis à l'intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[68] L’appelant a démontré que plusieurs incidents étaient survenus le jour où le groupe a refusé de travailler et les jours précédents. Corinne Blanchette les énumère dans ses observations, au paragraphe 33 de la présente décision.

[69] Dans ce cas ci, j’estime que le degré élevé de tension et la série d’incidents étaient susceptibles de causer des blessures aux AC et qu’il existe une possibilité raisonnable que ces circonstances se produiront dans l’avenir.

[70] L’appelant a soulevé un autre point concernant la valeur probante que je dois accorder aux témoignages des agents de correction. Selon Corinne Blanchette, comme ces derniers travaillaient dans l’unité résidentielle le 1er novembre 2004, ils étaient mieux placés pour conclure à l’existence d’un danger, ce qu’ils ont fait ce jour là.

[71] Cet argument trouve écho dans l’arrêt Juan Verville, supra, où la juge Gauthier observe, au paragraphe 51 :

[51] Finalement, la Cour relève qu'il existe plus d'un moyen d'établir que l'on peut raisonnablement compter qu'une situation causera des blessures. Il n'est pas nécessaire que l'on apporte la preuve qu'un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d'expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l'expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l'opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d'une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[C’est moi qui souligne.]

[72] Les témoignages des AC ont établi à ma satisfaction que les agents de correction ont reçu une solide formation et qu’ils possèdent l’expérience et les capacités nécessaires pour constater et déterminer que la situation dégénère et que la tension monte. De plus, je retiens l’argument de Corinne Blanchette selon lequel les AC sont mieux placés pour évaluer le degré de tension qui existe dans l’établissement et pour conclure à l’existence d’un danger.

[73] Dans le cadre de sa défense, l’appelant a établi que l’AC Koch faisait partie de l’équipe d’intervention d’urgence à l’Établissement Matsqui et qu’il possédait la formation nécessaire pour évaluer des situations et se rendre compte qu’elles dégénèrent. Il a déclaré que, le 1er novembre 2004, il avait évalué la situation et conclu que c’était vraisemblablement un indice qu’une émeute se préparait.

[74] Je considère dès lors que le degré de tension ne constituait pas une condition normale d’emploi des agents de correction qui ont refusé de travailler.

[75] L’intimé n’a pas présenté suffisamment d’arguments pour réfuter la thèse de l’appelant sur ce point.

[76] Dans l’arrêt Juan Verville, supra, la juge Gauthier a observé, au paragraphe 34 :

[34] […] Comme il est indiqué dans l'affaire Martin, précitée, la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu'elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée[...]

[77] À mon sens, le 1er novembre 2004, il existait une situation — l’accumulation d’incidents et le degré élevé de tension dans l’unité résidentielle — qui était susceptible de causer des blessures à un agent de correction qui y était exposé, ou de le rendre malade, avant que la situation soit corrigée ou le risque écarté par l’employeur.

[78] La juge Gauthier a ajouté, au paragraphe 35 de l’arrêt Juan Verville, supra :

[35] Je ne crois pas non plus que la définition exige que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures. La version anglaise « could reasonably be expected to cause » nous dit que la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.

[79] Les agents de correction savaient que des AC avaient été blessés dans des circonstances analogues à celles qui existaient le 1er novembre 2004. S’ajoutait à cela le fait que des détenus s’en étaient pris à d’autres détenus. Dans une situation de ce genre, il n’est pas impossible que des AC se trouvent coincés au beau milieu d’une bataille entre détenus et qu’ils subissent des blessures. J’estime que cette situation est susceptible de causer des blessures à un AC, mais pas nécessairement toutes les fois.

[80] La deuxième décision mentionnée par l’appelant sur laquelle je m’attarderai est celle rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Martin, supra.

[81] Harvey Newman a défendu la thèse que l’agent d’appel doit limiter son enquête aux circonstances qui existaient au moment où l’ASS a effectué son enquête, en ajoutant que l’agent d’appel n’est pas obligé de mener une nouvelle enquête. J’estime que cet argument va dans le sens contraire de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans la décision Martin, supra, et selon laquelle l’enquête effectuée par l’agent d’appel est une enquête de novo. Il m’appartient, à titre d’agent d’appel, d’examiner toutes les circonstances qui existaient au moment où les employés ont exercé leur droit de refuser de travailler, le 1er novembre 2004. Je dois en outre tenir compte de tous les faits qui m’ont été présentés à l’audience ainsi que des plaidoiries écrites finales des parties.

[82] La Cour d’appel fédérale a rendu une décision importante au sujet de la définition de « danger » qui a été modifiée en septembre 2000. Contrairement à la thèse défendue par l’intimé, la définition de « danger » est très différente de celle qui existait auparavant. Dans ce cas ci, pour conclure à l’existence d’un danger, je dois établir si un risque, une situation ou une tâche pourraient causer des blessures et donc constituer un danger. Le juge Rothstein a écrit ceci, au paragraphe 37 de l’arrêt Martin, supra :

[37] Je conviens qu'une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu'on cherche à déterminer si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l'avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s'attendre à l'avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu'affirme le demandeur se produise plus tard.

[83] Il a été établi que la situation qui existait dans l’unité résidentielle ne faisait qu’empirer avec la multiplication des incidents et que tôt ou tard le degré de tension et les incidents avec les détenus étaient susceptibles d’occasionner une altercation entre les AC et les détenus qui était susceptible de causer des blessures aux AC.

[84] L’intimé n’a pas démontré que l’appelant n’avait pas interprété correctement la décision de la Cour fédérale dans l’arrêt Juan Verville, supra, et de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Martin, supra.

[85] Compte tenu des faits et des motifs exposés ci-dessus, je conclus que les AC qui travaillaient dans l’unité résidentielle de l’Établissement Matsqui, le 1er novembre 2004, étaient exposés à une situation — la situation, c. à d. les circonstances existantes — qui était susceptible de leur causer des blessures avant que cette situation soit corrigée.

[86] Ayant conclu à l’existence d’un danger pour les AC qui travaillaient dans l’unité résidentielle le 1er novembre 2004, je me pencherai maintenant sur la question de savoir qu’est ce qui constitue des conditions normales d’emploi pour les agents de correction.

[87] Afin de déterminer si la situation décrite précédemment constitue une condition normale d’emploi des AC, je dois tenir compte de la décision de la juge Gauthier dans l’arrêt Verville, supra, qui a déclaré au paragraphe 55 :

[55] Le sens ordinaire des mots de l'alinéa 128(2)b) milite en faveur des points de vue exprimés dans ces décisions de la Commission, parce que le mot « normal » s'entend de quelque chose de régulier, d'un état ou niveau des affaires qui est habituel, de quelque chose qui ne sort pas de l'ordinaire. Il serait donc logique d'exclure un niveau de risque qui n'est pas une caractéristique essentielle, mais qui dépend de la méthode employée pour exécuter une tâche ou exercer une activité. En ce sens, et à titre d'exemple, dirait-on qu'il entre dans les conditions normales d'emploi d'un gardien de sécurité de transporter de l'argent à partir d'un établissement bancaire si des modifications étaient apportées à son emploi de telle sorte que cette tâche doive être exécutée sans arme à feu, sans compagnon et dans un véhicule non blindé?

[88] Je partage l’avis de l’ASS Lum lorsqu’elle écrit dans son rapport que c’est une condition normale d’emploi pour un AC de travailler dans un milieu où les agressions verbales et les altercations avec des détenus sont monnaie courante et où on trouve des armes de fabrication artisanale, de la drogue et de la broue. Il n’empêche que le 1er novembre 2004, les AC ont constaté que la tension montait et qu’ils risquaient de perdre le contrôle de la situation dans l’établissement, autrement dit qu’une émeute se préparait.

[89] À mon sens, il ne s’agissait pas d’une condition normale d’emploi pour les AC. Dans ce cas ci, je ne considère pas qu’il s’agit de conditions habituelles qui ne sortent pas de l’ordinaire. Il est normal dans un établissement que surviennent certains des incidents que l’appelant a mentionnés au paragraphe 33 de la présente décision. Or lorsque ces incidents se produisent simultanément et que la tension monte à l’intérieur de l’établissement, j’estime qu’il existe alors un risque accru de blessures pour les AC et que cela ne constitue pas une condition normale d'emploi d’un AC qui travaille à l’Établissement Matsqui.

[90] Sur ce point, je souscris à l’argument de Corinne Blanchette selon lequel les conditions d’emploi des AC durant la semaine précédant leur refus de travailler et le 1er novembre 2004 ne constituaient pas des conditions normales d’emploi.

[91] En revanche, je ne partage pas le point de vue de Harvey Newman selon lequel tout danger qui existait au moment où le groupe a exercé son droit de refuser de travailler était inhérent aux fonctions d’un AC qui travaille à l’Établissement Matsqui. Le mot de danger « inhérent » ne figurant plus dans le Code, je ne baserai pas ma conclusion sur cela.

[92] Le changement survenu dans la condition normale d’emploi est corroboré par le fait que les AC ont observé les changements et qu’ils étaient bien placés pour reconnaître les dangers. L’intimé n’a pas démontré à ma satisfaction que la direction était bien placée pour déterminer qu’il existait un danger pour les AC.

[93] Je suis d’avis que les agents de correction qui travaillaient dans l’unité résidentielle de l’Établissement Matsqui, le 1er novembre 2004, étaient exposés à un danger qui ne constituait pas une condition normale d’emploi.

[94] Pour l’ensemble des motifs exposés ci dessus, je conclus que les agents de correction étaient exposés à un danger le 1er novembre 2004. En conséquence, et conformément à l’alinéa 146.1(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, j’annule la décision d’absence de danger rendue par l’ASS Lum, le 1er novembre 2004.

[95] En revanche, je ne donnerai pas d’instruction à l’employeur parce la situation qui existait au moment du refus de travailler et durant l’enquête de l’ASS n’existe plus aujourd’hui.



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Pierre Guénette
Agent d'appel


Sommaire de la décision de l'agent d'appel

N° de la décision : CAO-07-023

Appelant : G. S. Gillette

Intimé : Service correctionnel du Canada (Établissement Matsqui)

Dispositions : Code canadien du travail, 122(1), 128, 129(7).

Mots clés : Agent de correction, refus de travailler, danger, détenu, broue, drogue, saisie, confinement aux cellules, menace, fouille, de novo, instruction.

Résumé :

Le 1er novembre 2004, 15 agents de correction (AC) ont refusé de travailler parce qu’ils estimaient qu’il était dangereux de travailler dans l’unité résidentielle de l’Établissement Matsqui. Les AC étaient d’avis que le milieu de travail présentait un danger en raison de la possibilité de violence.

Une agente de santé et de sécurité (ASS) a effectué une enquête à la suite de leur refus de travailler et a conclu à l’absence de danger parce qu’elle estimait que les aspects suivants étaient inhérents à l’emploi d’un AC : la possibilité d’une arme de fabrication artisanale, la possibilité que des détenus agressent des AC et un milieu de travail où la violence verbale est monnaie courante.

Au terme de son examen, l’agent d’appel a annulé la décision d’absence de danger rendue par l’ASS. Il a conclu que les AC qui travaillaient dans l’unité résidentielle de l’Établissement Matsqui, le 1er novembre 2004, étaient exposés à un danger et que ce danger ne constituait pas une condition normale d’emploi. Il a aussi déclaré qu’il ne donnait pas d’instruction à l’employeur vu que la situation qui existait au moment du refus de travailler et durant l’enquête de l’ASS n’existe plus aujourd’hui.

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