Archivée - Décision: 07-024 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Dossier n° : 2007-14
Décision n° : CAO-07-024 (S)

Société canadienne des postes
appelante

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)
intimé
______________
Le 26 juillet 2007

Agent d'appel : Richard Lafrance
Des observations ont été reçues des parties au cours d'une conférence téléphonique tenue le 19 juillet 2007.

Pour l’appelante
Stephen Bird
Avocat pour la Société canadienne des postes

Pour l’intimé
David Bloom
Avocat pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)

[1] La présente décision concerne une demande de suspension de la mise en œuvre d'une instruction formulée à l'intention de la Société canadienne des postes (Poste Canada) en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail (Code) par Jane Shimono, agente de santé et de sécurité (ASS). Poste Canada a demandé aussi la suspension de la mise en œuvre de l'instruction formulée dans les mêmes circonstances à l'intention de ses employés en vertu du paragraphe 145(2.1) du Code.

[2] Mme Shimono a formulé l'instruction en question au terme de l'enquête qu'elle a menée sur un événement dangereux mettant en cause Dale Salter, un facteur rural.

[3] L'instruction formulée à l'intention de Poste Canada est reproduite ci après :

[Traduction]
L'agente de santé et de sécurité estime que l'exécution de l’activité crée un danger pour les employés au travail :
Il existe un danger pour les employés lorsque, en raison d'accotements trop étroits ou inexistants et de la présence d'une ligne jaune continue sur la chaussée immédiatement à la gauche de la voie du véhicule des facteurs ruraux, ces derniers ne peuvent dégager la chaussée complètement pour effectuer des arrêts aux fins de la livraison rurale du courrier (13245, chemin Torbram). Pour cette raison, les employés sont exposés au risque de se faire frapper par d'autres véhicules qui circulent sur la même route.
Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de voir immédiatement à la prise de mesures propres à corriger ce danger.

[4] L'instruction formulée à l'intention des employés énonce une description identique de l’activité et enjoint aux employés de :

[ ] ... cesser d'exécuter l’activité décrite précédemment jusqu'à ce que l'employeur se soit conformé à l'instruction formulée en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de voir à la prise de mesures propres à corriger ce danger.

[5] Les arguments présentés aux fins de suspendre la mise en œuvre des instructions étaient fondés sur la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Metropolitan Store1. Dans cette décision, la Cour suprême a adopté un critère à trois volets aux fins de prononcer soit une suspension, soit une injonction interlocutoire. Ce critère est reproduit ci après :

i. Question sérieuse à juger.
ii. Préjudice irréparable.
iii. Prépondérance des inconvénients.
1 Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd. [1987] R.C.S. 110.

[6] Par la suite, les agents d'appel ont demandé que soit ajouté un critère additionnel, à savoir :

S'il choisit de ne pas se conformer à l'instruction, que l'appelant a t il l'intention de faire pour protéger la santé et la sécurité des employés ou corriger le danger perçu?

[7] Stephen Bird soutient que Poste Canada satisfait au premier critère, en ce qu'il existe une question sérieuse à juger. Il fait valoir que la question est ni frivole, ni vexatoire, et que, comme ce fut le cas dans d'autres affaires tranchées par des agents d'appel2, la santé et la sécurité des employés est toujours une question sérieuse à juger.

2 Canada (Service correctionnel) et Syndicat des agents correctionnels du Canada – CAO, no 2005 45 (Lafrance)

[8] En ce qui concerne le second critère, celui du préjudice irréparable, S. Bird souligne que, bien que les instructions semblent se rapporter spécifiquement à une boîte aux lettres en particulier, les implications sont plus vastes qu'il n'y paraît. Il fait valoir qu'en fait, l'instruction peut avoir une incidence sur des milliers de boîtes aux lettres en Ontario, voire partout au pays.

[9] S. Bird explique que, si l'on se reporte au rapport de l'ASS, l'on peut aisément voir que Mme Shimono n'accepte pas la validité de l'outil qu'est l'évaluation de la sécurité routière (ESR), élaboré par Poste Canada en consultation avec le syndicat des employés, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), qui y a donné son assentiment. S. Bird souligne que Mme Shimono a noté dans son rapport qu'il était évident que l'accident s'était produit parce que le véhicule entravait la circulation routière.

[10] S. Bird affirme qu'il est en outre évident que Mme Shimono doutait de la précision de l'outil d'ESR lorsqu'elle a indiqué dans son rapport que le fait que l'évaluation effectuée après l'accident avait jugé l'emplacement sécuritaire était troublant.

[11] S. Bird fait valoir que, si Mme Shimono applique la même logique à d'autres situations, et que d'autres ASS de partout au pays en font de même, ces instructions seront susceptibles de causer un préjudice irréparable à la capacité de Poste Canada de livrer le courrier dans les collectivités rurales.

[12] En ce qui concerne les troisième et quatrième critères, Poste Canada a déjà interrompu les livraisons à l'adresse en question jusqu'à ce qu'un agent d'appel rende une décision sur la question. En conséquence, les employés ne subiront aucun préjudice et ne seront pas exposés au prétendu danger.

[13] David Bloom réplique que le Code est précis en ce qui concerne l'appel ou la demande de suspension de la mise en œuvre d'une instruction. En effet, l'article 146 précise qu'un appel doit se rapporter à une instruction et non à des conjectures sur des instructions futures. Dans la présente affaire, l'instruction vise une seule adresse — le 13245, chemin Torbram — et non des instructions futures conjecturales visant d'autres adresses. Il affirme également que les mesures correctives s'appliquent à cet endroit en particulier.

[14] D. Bloom fait valoir que, dans la décision rendue dans l'affaire Pollard3, la Cour a indiqué que le préjudice irréparable ne peut être de nature conjecturale. Il soutient qu'il est clair, dans la présente affaire, que ce que Poste Canada laisse entendre est tout au plus de nature conjecturale.

3 Société canadienne des postes et Procureur général du Canada et Carolyn Pollard, dossier T 1428 06, référence 2006 CF 1011.

[15] Pour cette raison, D. Bloom fait valoir qu'il n'est pas satisfait au critère du préjudice irréparable et, en conséquence, que la demande de suspension devrait être rejetée.

[16] Enfin, en ce qui concerne la suggestion de Poste Canada de restreindre la livraison du courrier, D. Bloom indique que la livraison du courrier pour l'adresse en question est encore effectuée dans une boîte postale communautaire; donc, personne ne subit de préjudice.

[17] En conséquence, D. Bloom soutient que la suspension ne devrait pas être accordée, au motif que l'appelante n'a pas satisfait au critère requis.

[18] S. Bird réplique que la question n'est pas conjecturale, puisque Mme Shimono estime que les quatre pneus du véhicule doivent quitter la chaussée pour que l'activité soit sécuritaire. Il affirme qu'elle a outrepassé sa compétence en décidant qu'il devrait y avoir une ligne double ininterrompue sur la chaussée à l'endroit où l'accident s'est produit. Il s'agit d'une indication claire qu'elle n'acceptera pas la validité de l'outil d'ESR, ni aucune évaluation future dans d'autres affaires semblables.

Analyse et décision

[19] La question à trancher dans la présente affaire est celle de savoir s'il y a lieu ou non d'accorder une suspension de la mise en œuvre de l'instruction en vertu du paragraphe 146(2) du Code, dont voici le texte :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en oeuvre des instructions.

[20] Ainsi qu'il est indiqué dans la décision rendue dans l'affaire RJR-MacDonald4, tous les éléments du critère à trois volets énoncé dans l'affaire Metropolitan, précitée, doivent être établis et, si l'un d'eux ne l'est pas, la suspension n'est pas accordée.

4 RJR MacDonald Inc c. Canada (Procureur général du Canada), [1994] 1 R.C.S. 311.

[21] Je suis d'avis que la question est ni frivole, ni vexatoire, et qu'il y a une question sérieuse à juger, puisqu'elle porte sur la santé et la sécurité des employés. En outre, l'appelante doit, en toute équité, avoir la possibilité de présenter sa preuve au tribunal. J'estime que Poste Canada a satisfait au critère relatif à la question sérieuse à juger.

[22] Le second volet porte sur le préjudice irréparable que l'appelante doit subir si la suspension n'est pas accordée. Poste Canada a fait valoir qu'elle subira un préjudice irréparable si la suspension n'est pas accordée parce que Mme Shimono, l'ASS, est d'avis que l'évaluation de la sécurité est incorrecte, et elle rendra une décision similaire si elle est appelée à se prononcer à l'avenir dans des circonstances semblables.

[23] Comme ce fut le cas dans l'affaire Pollard, Poste Canada avance l'hypothèse que Mme Shimono et peut être d'autres ASS risquent de donner à la décision et à l'instruction une application plus libérale, ce qui la rend impossible à gérer.

[24] En déplaçant les livraisons de l'adresse en question à une boîte postale communautaire, Poste Canada continue de s'acquitter de son obligation en droit de livrer le courrier, et il ne s'ensuit aucune restriction de la livraison du courrier. En outre, les employés sont protégés contre le danger décrit dans l'instruction.

[25] En conséquence, Poste Canada n'a pas démontré qu'elle subirait un préjudice irréparable si je rejette la demande de suspension de la mise en œuvre des instructions.

[26] En ce qui concerne la supposition selon laquelle Mme Shimono ou d'autres ASS risquent d'interpréter l'outil d'ESR d'une manière semblable et de formuler des instructions générales partout au pays, et de rendre la situation insoutenable, j'en arrive à la conclusion que, dans la présente affaire, les instructions portent sur une adresse en particulier et visent un employé en particulier; par conséquent, elles sont limitées à un endroit qui y est désigné et, pour cette raison, ne constituent pas un préjudice irréparable pour Poste Canada.

[27] Dans l'affaire Pollard, précitée, le juge a indiqué clairement au paragraphe 52 de sa décision « […] qu’un préjudice qui n’est que conjectural, ou qui n’est prouvé qu’indirectement, ne suffit pas ».

[28] J'en arrive à la conclusion que Poste Canada se fonde sur l'hypothèse selon laquelle Mme Shimono ou d'autres ASS pourraient se prononcer et formuler des instructions semblables à l'avenir. Il est clair que je ne peux accorder de suspension sur le fondement d'une conjecture relative à ce qu'un agent de santé et de sécurité pourrait décider ou non de faire à l'avenir. Pour cette raison, Poste Canada serait peut être avisée de rencontrer des représentants du Programme du travail aux fins de discuter et de mieux comprendre l'outil d'ESR.

[29] Ainsi qu'il a été mentionné précédemment, tous les éléments du critère à trois volets doivent être établis, et s’il n’est pas satisfait à l'un de ces volets, la suspension ne peut être accordée. Comme Poste Canada n'a pas réussi à satisfaire au critère du préjudice irréparable, je ne vois aucune raison de poursuivre l'analyse des autres volets.

[30] En conclusion, la demande de suspension de la mise en œuvre des instructions formulées par Mme Shimono, l'agente de santé et de sécurité, est rejetée.



_________________
Richard Lafrance
Agent d'appel


Sommaire de la décision de l'agent d'appel

Décision n° : CAO-07-024 (S)

Appelante : Société canadienne des postes

Intimé : Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes

Dispositions : Code canadien du travail, Partie II, 145(2)a)

Mots clés : Suspension, facteurs et factrices ruraux, décision écartée : Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd. [1987] R.C.S. 110

Résumé :

Poste Canada a demandé la suspension de la mise en œuvre de deux instructions formulées par Mme Shimono, agente de santé et de sécurité. Ces instructions ont été formulées au terme de l'enquête menée sur un accident subi par un employé de Poste Canada et portait sur des questions de sécurité routière.

Poste Canada a fait valoir que la suspension devait être accordée au motif qu'elle estimait que l'ASS avait mal interprété l'outil d'évaluation de la sécurité routière (ESR) élaboré par Poste Canada pour évaluer la sécurité des boîtes aux lettres rurales qui parsemaient une route.

L'agent d'appel a rejeté la demande, car les motifs invoqués à l'égard du préjudice irréparable que Poste Canada pourrait subir étaient de nature conjecturale et, donc, ils ne satisfaisaient pas au critère requis pour accorder une suspension de la mise en œuvre d'une instruction.

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