Archivée - Décision: 07-026 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Cause n° : 2006-65

Décisions interlocutoires
Objection préliminaire : CAO-07-026 (A)

Ryan Lelonde
appelant

et

Service correctionnel du Canada Établissement Pacifique
intimé
______________
Le 10 août 2007

Cet appel a été tranché par l’agent d’appel Douglas Malanka, à partir des observations écrites des parties.
(Observations écrites reçues entre le 15 mai et le 8 juin 2007)

Pour l’appelant
Corinne Blanchette, conseillère syndicale, Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN)

Pour l’intimé
Simon Kamel, avocat de l’intimé, ministère de la Justice du Canada, Services juridiques du Conseil du Trésor.

[1] Le 18 décembre 2006, Ryan Lelonde, un agent de correction (AC) employé à l’Établissement Pacifique du Service correctionnel du Canada, a exercé son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code canadien du travail (le Code). Il a notamment refusé d’escorter, avec un autre agent de correction, un détenu particulier de l’Établissement Pacifique à l’Hôpital général de Vancouver afin qu’il y reçoive un traitement médical. L’AC Lelonde s’est plaint qu’il était dangereux d’effectuer cette escorte sans être muni d’un revolver.

[2] Au terme de l’enquête effectuée conjointement par l’employeur et un membre du comité de santé et de sécurité afin de faire la lumière sur le refus de travailler de l’AC Lelonde, l’employeur a conclu à l’absence de danger. L’AC Lelonde s'est dit en désaccord avec cette décision et a maintenu son refus de travailler. L’employeur a immédiatement avisé un agent de santé et de sécurité à RHDSC du maintien du refus de travailler.

[3] L’agente de santé et sécurité (ASS) Melinda Lum a effectué une enquête sur le refus de travailler de l’AC Lelonde le lendemain, 19 décembre 2006. Au terme de son enquête, elle a conclu que le danger qu’invoquait l’AC Lelonde n’existait pas. L’AC Lelonde a appelé de la décision de l’ASS Lum à un agent d’appel conformément au paragraphe 129(7) du Code, le 22 décembre 2006, dans le délai de dix jours prescrit par le Code.

[4] Une téléconférence préparatoire s’est tenue le 3 mai 2007. À cette occasion, Simon Kamel, avocat du Service correctionnel du Canada, s’est opposé à titre préliminaire à ce que l’appel soit entendu au fond parce la question portée en appel par l’AC Lelonde ne présentait qu’un intérêt théorique.

[5] Simon Kamel a écrit, le 14 mai 2007, que depuis que l’AC Lelonde avait exercé son droit de refuser de travailler, le directeur avait décidé que les agents qui escortaient le détenu en question à un rendez vous médical seraient dorénavant armés. L’intimé avançait que la question ne revêtait plus qu’un intérêt théorique et qu’il n’y avait pas de raison de rendre une décision dans l’abstrait. Il estimait que l’appel devait être rejeté en raison de son caractère théorique.

[6] Au soutien de sa thèse, Simon Kamel a cité la décision du juge Sopinka dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), 1989, 1 R.C.S. 342, à la page 353 :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite [...] si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique.

[7] Simon Kamel a déclaré que, selon la décision citée ci dessus, la doctrine du caractère théorique repose sur les principes suivants, à savoir i) que la question ne sera pas débattue complètement par une ou plusieurs des parties vu qu’elle a déjà été résolue; ii) qu’il faut utiliser les ressources juridiques limitées pour résoudre des litiges actuels et non des questions devenues théoriques; et iii) que les cours ou les arbitres ne doivent pas empiéter sur le rôle de la fonction législative du gouvernement en tranchant des questions dans l’abstrait.

[8] Simon Kamel a observé que le juge Sopinka avait admis dans sa décision qu’en l’absence de litige actuel entre les parties, un tribunal peut néanmoins, dans des circonstances exceptionnelles, exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre une cause lorsqu’elle soulève une question d’importance publique ou que la situation est susceptible de survenir à nouveau dans l’avenir et qu’il sera vraisemblablement difficile de rendre rapidement une décision avant que la question devienne d’intérêt purement théorique.

[9] Simon Kamel a soutenu qu’il n’y avait plus de litige actuel à trancher dans ce cas ci, qu’il ne s’agissait évidemment pas d’une question d’importance publique et que rien n’indiquait qu’il serait vraisemblablement difficile de tenir rapidement une audience pour statuer sur de futurs incidents de ce genre. Il a ajouté que la décision demandée reposait essentiellement les faits relatifs aux risques que posait un détenu particulier et qu’il serait inopportun d’examiner la question des escortes armées dans l’abstrait ou de faire une déclaration à ce sujet.

[10] Corinne Blanchette, qui représente l’appelant, Ryan Lelonde, a répondu que l’objection de l’employeur était sans fondement et que les principes énoncés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), supra, n’étaient d’aucune utilité en l’espèce vu que le droit de comparaître de l’appelant dans ce cas ci reposait sur des dispositions du Code criminel qui étaient déjà révoquées. Elle estimait qu’il y avait un litige actuel, c. à d. qu’un appel avait été formé en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail contre une décision rendue par un agent de santé et de sécurité et que la question que l’agent d’appel devait trancher était celle de savoir si un danger existait. À cet égard, elle a observé que la définition de danger avait été modifiée en 2000.

[11] Simon Kamel a répondu que la réplique du syndicat confirmait que ce dernier souhaitait réexaminer la façon dont l’agent de santé et de sécurité avait interprété le mot « danger » contenu dans le Code, au lieu de déterminer si l’escorte non armée du détenu X constituait un danger en vertu du Code. Il a soutenu que le litige ne portait plus sur la situation factuelle qui existait lorsque l’ASS Lum a effectué son enquête sur le refus de travailler de l’AC.

[12] Simon Kamel a ajouté qu’il ne voyait pas pourquoi le syndicat contestait l’opinion de l’ASS Lum selon laquelle [traduction] « travailler dans un milieu où des individus sont susceptibles de se livrer à des actes de violence ou de s’échapper durant une escorte est inhérent à l’emploi de l’agent de correction ».

[13] Simon Kamel a réitéré qu’il n’y avait pas de litige « actuel » et qu’entendre la cause ne constituait l’utilisation la plus judicieuse des ressources déjà limitées dont dispose le bureau d’appel puisque l’agent d’appel ne pourra que rendre une décision théorique sur l’existence d’un danger. Il a poursuivi en disant que le rôle de l’agent d’appel n’était pas de réexaminer la politique de l’employeur sur la question de savoir si les agents qui escortent des délinquants doivent être armés ou non. À cet égard, il m’a renvoyé à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Fletcher (C.A.), A-653-00, et m’a demandé de rejeter la cause en raison de son caractère théorique.

[14] Simon Kamel a essentiellement défendu la thèse qu’il n’y avait pas de question « actuelle » à trancher puisque le directeur a accepté de mettre en place les mesures que demandait l’employé quand il a exercé son droit de refuser de travailler. Plus particulièrement, le directeur a décidé que les agents qui escortaient dorénavant le détenu X à des rendez vous médicaux seraient armés.

[15] Corinne Blanchette a essentiellement défendu la thèse que, en dépit des mesures mises en place par le directeur, il y avait un litige actuel dans ce cas ci qui portait sur la question de savoir si l’AC Lelonde était exposé à un danger. Elle a observé qu’il s’agissait d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail contre une décision d’absence de danger rendue par un agent de santé et de sécurité.

[16] Lorsqu’un appel est formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, le paragraphe 146.1(1) du Code dispose que l’agent d’appel doit mener sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions et sur la justification de celles ci. Il est de plus autorisé par cette disposition à modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions. À cet égard, l’agent d’appel est aussi autorisé à donner, dans le cadre des paragraphes 146(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge appropriées. Le paragraphe 146(1) est libellé comme suit :

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :
(a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;
(b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[17] Étant donné que l’appel interjeté devant un agent d’appel est un appel de novo, l’agent d’appel peut rendre une décision en vertu du paragraphe 145(1) du Code s’il estime qu’il y a eu contravention à la partie II du Code, peu importe que l’agent de santé et de sécurité ait donné une instruction en vertu du paragraphe 145(2). La raison en est que l’article 146.2 du Code lui accorde de vastes pouvoirs et que le paragraphe 145.1(2) du Code l’investit des mêmes attributions que l’agent de santé et de sécurité.

[18] L’effet du paragraphe 146.1(1) du Code et le fait que l’appel interjeté devant l’agent d’appel est un appel de novo m’incitent à conclure que le rôle de l’agent d’appel qui est saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) est d’examiner les faits de la cause à nouveau et de décider s’il existe un danger. L’agent d’appel est habilité à décider s’il doit confirmer, modifier ou annuler les instructions données, le cas échéant, par l’agent de santé et de sécurité ou donner, en application des paragraphes 145(1) (contravention) ou 145(2) (danger), les instructions qu’il juge indiquées. Dans le cadre de son enquête, l’agent d’appel peut examiner les mesures que l’employeur a instaurées pour éliminer le prétendu danger et, à la lumière des faits de la cause, décider si elles sont suffisantes.

[19] Cela dit, je ne peux pas retenir la thèse de Simon Kamel selon laquelle la question en litige dans ce cas ci est devenue purement théorique parce que l’employeur a pris unilatéralement des mesures pour éliminer un prétendu danger, mesures que le directeur peut annuler quand bon lui semble.

[20] Simon Kamel a soutenu que l’agent d’appel ne devait pas réexaminer la politique de l’employeur sur le port d’armes lors de l’escorte de délinquants. J’aurais tendance à penser moi aussi qu’un tel examen général de la politique d’un employeur n’est généralement pas autorisé par le Code. Il n’empêche qu’en vertu du paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel est autorisé à mener une enquête sur les circonstances ayant donné lieu au refus de travailler de l’AC Lelonde et à tirer une conclusion à ce sujet. L’enquête comporte un examen des faits ayant trait à l’AC Lelonde, au détenu X et aux méthodes de travail qui existaient à ce moment là, y compris la politique sur le port d’armes qui s’appliquait à l’AC Lelonde quand il a exercé son droit de refuser de travailler.

[21] J’estime qu’il y a un litige actuel dans ce cas ci qui modifie les droits des parties et que tout indique que tous les aspects de la question seront débattus complètement par les deux parties.

[22] Durant la téléconférence préparatoire qui s’est tenue le 3 mai 2007, les parties ont convenu que trois jours seraient nécessaires pour entendre l’appel, le cas échéant. Je sais que le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Bureau) communiquera avec les parties pour convenir des dates de l’audience. Je ne doute pas un instant que les parties lui apporteront leur entière collaboration à cet égard.



_________________
Douglas Malanka
Agent d'appel


Sommaire de la décision de l'agent d'appel

N° de la décision : CAO-07-026 (A)

Appelant : Ryan Lelonde

Intimé : Service correctionnel du Canada

Dispositions : Code canadien du travail, partie II, 128, 129(7), 146, 146.1(1), 146.2, 145(1), 145(2)

Mots clés : Refus de travailler, théorique, de novo, litige actuel

Résumé :

Le 22 décembre 2006, Ryan Lelonde a interjeté appel d’une décision d’absence de danger rendue le 19 décembre 2006, à la suite de son refus de travailler.

L’avocat de l’intimé a soulevé une objection préliminaire en invoquant le caractère théorique de la question à trancher.

Le 10 juin 2007, l’agent d’appel a rejeté l’objection relativement au caractère théorique et informé les parties qu’il y avait un litige actuel dans ce cas-ci qui modifiait les droits des parties et que tout indiquait que tous les aspects de la question seront débattus complètement par les deux parties.

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