Archivée - Décision: 07-029 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Dossier n° : 2005-21
Décision n° : CAO-07-029

Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) – élément Air Canada
appelant

et

Air Canada
intimée
______________
Le 31 août 2007

La présente affaire a été entendue par l’agent d’appel Pierre Guénette, à Toronto (Ontario), les 22 et 23 novembre et 20 décembre 2005, et les 29, 30 et 31 mars, 4 et 5 avril et 2 juin 2006.

Comparutions

Pour l’appelant
James Robbins, avocat du SCFP

Pour l’intimée
Rhonda Shirreff, avocate d’Air Canada

[1] La présente affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail (le Code), par Karen Salt, employée coprésidente du comité de santé et de sécurité au travail de Toronto, élément Air Canada du SCFP. K. Salt a déposé l’appel pour le compte de Rehab Rivers, chef de cabine chez Air Canada pour le vol aller retour no 101 Toronto Vancouver. L’appel vise une décision d’absence de danger rendue par l’agent de santé et de sécurité (ASS) Bob Gass le 14 mars 2005.

[2] L’ASS Gass a témoigné à l’audience et présenté son Rapport d’enquête et décision sur le refus de travailler, dont je retiens ce qui suit.

[3] L’ASS Gass a déclaré au cours de son témoignage que R. Rivers avait refusé de travailler au motif qu’un seul des deux appareils de protection respiratoire1 de l’aéronef fonctionnait. L’employée a écrit ce qui suit dans sa déclaration de refus de travailler :

[Traduction]
Une situation susceptible de me causer des blessures ou de me rendre malade existait avant que le risque ne puisse être écarté ou la situation corrigée. Compte tenu d’un incident survenu par le passé dans un A321 qui disposait d’un seul appareil, je peux affirmer avoir cru que je risquais de souffrir de la mauvaise qualité de l’air, et donc, d’hypoxie, ce qui constituait un risque pour ma santé et ma sécurité.
1 L’appareil respiratoire assure le renouvellement de l’air ainsi que l’approvisionnement en air frais dans l’aéronef.

[4] L’ASS Gass a déclaré que le commandant de bord avait rencontré les membres de l’équipage et les avait informés des mesures qu’il souhaitait prendre pendant le vol pour leur assurer ainsi qu’aux passagers un environnement confortable.

[5] Dans son rapport, l’ASS Gass a écrit qu’au moment de son refus, R. Rivers avait pour tâche d’assurer l’embarquement de l’aéronef en vue de son décollage.

[6] L’ASS Gass a précisé dans son rapport qu’il était permis d’effectuer le vol dans cette condition d’après la Liste d’équipement minimal (LEM)2 si des mesures étaient prises pour compenser la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire.

2 La Liste d’équipement minimal est un document approuvé aux termes du Règlement de l’aviation canadien, qui autorise un transporteur aérien à exploiter sous certaines conditions un type donné d’aéronef dont un équipement essentiel est inopérant.

[7] L’ASS Gass a déclaré que les employés membres du comité de santé et de sécurité avaient consulté les membres de l’équipage au terme du vol à Vancouver. Personne ne s’est plaint d’avoir souffert de réaction adverse au cours du vol, même si un seul appareil de protection respiratoire fonctionnait.

[8] L’ASS Gass a conclu ceci dans son rapport :

[Traduction]
J’en suis arrivé à la conclusion que la situation qui existait lors du vol 101 ne constituait pas un danger au sens de la partie II du Code canadien du travail.

Témoins de l’appelant

[9] R. Rivers a témoigné à l’audience. Voici ce que je retiens de son témoignage.

[10] Le 14 mars 2005, R. Rivers devait travailler à titre de chef de cabine pendant le vol aller retour no 101 entre Toronto et Vancouver. Après avoir été informée par un membre de l’équipage qu’un seul appareil de protection respiratoire fonctionnait, elle s’est rendue au poste de pilotage pour informer le commandant qu’elle refusait de travailler en raison de l’appareil de protection respiratoire hors service.

[11] R. Rivers a appelé un directeur du service de bord et les Ressources humaines pour les informer de son refus de travailler.

[12] R. Rivers a indiqué qu’elle avait décidé de refuser de travailler après avoir été informée par le commandant qu’un seul appareil de protection respiratoire fonctionnait et que les mesures nécessaires suivantes seraient prises pour assurer une quantité suffisante d’oxygène, conformément à la LEM :

  • l’altitude en cours de vol serait maintenue à un niveau inférieur (30 000 pieds);
  • le deuxième appareil de protection respiratoire serait utilisé à plein régime et la température dans la cabine serait tenue aussi basse que possible.

[13] En dépit des discussions tenues avec le directeur, R. Rivers a maintenu son refus de travailler et un agent de santé et de sécurité a été chargé de tenir une enquête dans le dossier.

[14] R. Rivers a informé son superviseur qu’elle avait été confrontée à une situation semblable — un appareil de protection respiratoire s’était révélé défectueux — au cours d’un vol antérieur, en juillet 2004, à bord du même type d’aéronef A 321. Pendant ce vol et par la suite, elle et d’autres membres de l’équipage ont souffert de fatigue, de nausées, d’étourdissements et d’un manque de coordination. À son avis, ces problèmes de santé étaient reliés à l’hypoxie3; elle a ajouté qu’elle ne souhaitait pas ressentir les mêmes symptômes qu’en juillet 2004.

3 L’hypoxie est le résultat d’un manque d’oxygène dans le corps, suffisant pour causer la défaillance d’une fonction. L’hypoxie est causée par la réduction de la pression partielle en oxygène, le transport déficient de l’oxygène ou l’incapacité des tissus d’utiliser l’oxygène.

[15] R. Rivers a déclaré qu’au cours de l’enquête de l’ASS Gass, elle avait expliqué à ce dernier qu’en raison de ce qui s’était produit en juillet 2004, elle était d’avis qu’elle ne pouvait travailler en sécurité à bord de l’aéronef parce que ses symptômes étaient attribuables à l’appareil de protection respiratoire hors service. Elle a ajouté que d’autres membres de l’équipage avaient éprouvé les mêmes symptômes lors du vol de retour : certains agents de bord avaient échappé des cafetières au sol; des passagers s’étaient plaints dès le début du vol de maux de tête et de nausées; et la température à l’intérieur de l’aéronef était plus élevée qu’en temps normal.

[16] R. Rivers a dit à l’ASS Gass que la formation qu’elle avait acquise par le passé lui permettait de conclure qu’il s’agissait d’une question de qualité de l’air étroitement liée à l’hypoxie. Elle a indiqué que l’hypoxie compromet la coordination et la capacité de fonctionner en situation d’urgence, de telle sorte qu’une personne risque d’échapper une cafetière sur une autre personne ou de désarmer une sortie par inadvertance.

[17] R. Rivers a indiqué qu’il n’était sécuritaire de travailler à bord d’un aéronef dans lequel un seul appareil de protection respiratoire fonctionne correctement que pendant un vol de courte durée, soit de moins de 90 minutes.

[18] R. Rivers a déclaré que l’ASS Glass lui avait dit qu’il ne faisait enquête que sur l’incident lui même.

[19] Le Dr Douglas Walkinshaw, président d’Indoor Air Technologies Inc., a témoigné pour l’appelant à l’audience à titre de témoin expert sur la qualité de l’air intérieur. R. Shirreff, avocate de l’intimée, ne s’est pas opposée au témoignage du Dr Walkinshaw, dont je retiens ce qui suit.

[20] Le Dr Walkinshaw a indiqué qu’il occupe à l’heure actuelle un poste d’ingénieur et d’enquêteur sur la qualité de l’air intérieur. Il a mené plus de 300 enquêtes sur la qualité de l’air intérieur dans des immeubles et des aéronefs au Canada et aux États Unis. Il a témoigné à titre de témoin expert sur les exigences et les mesures en matière de ventilation dans le contexte de questions soulevées par un agent de bord relativement à la qualité de l’air intérieur d’un aéronef à Montréal (Québec).

[21] En ce qui concerne les deux vols en cause relativement à R. Rivers, le Dr Walkinshaw a déclaré qu’il n’avait pas vérifié la qualité de l’air et qu’il n’était au courant d’aucune vérification effectuée à la suite de ces deux vols.

[22] Il a expliqué que son opinion reposait sur les documents suivants :

  • renseignements fournis par le constructeur de l’aéronef;
  • rapports de maintenance des aéronefs;
  • données météorologiques d’Environnement Canada à l’aéroport Pearson de Toronto et à l’aéroport de Vancouver;
  • données tirées d’une étude antérieure effectuée par BRE4, organisme équivalent au Conseil national de recherches du Canada;
  • données horaires sur le vol du 17 juillet 2004;
  • renseignements sur le Boeing 737.
4 Le Groupe BRE du Royaume Unis est une organisation mondiale et chef de fil dans le domaine de la recherche, de la consultation, de la formation, de la mise à l’épreuve et de l’attestation, offrant durabilité et innovation dans tout l’environnement construit et ailleurs. BRE offre à l’industrie de l’aviation des conseils d’expert sur les questions liées à l’environnement de la cabine, plus particulièrement à la qualité de l’air dans les aéronefs de passagers.

[23] Le Dr Walkinshaw a déclaré que, lorsqu’il mène des enquêtes sur des plaintes relatives à la qualité de l’air intérieur, il mesure des échantillons de contaminants de l’air pour analyser les composés organiques volatils (COV). Cette analyse vise à cerner le niveau qui constitue un problème et à recommander des solutions sur le taux de ventilation, la gaine d’étanchéité et l’entretien de la moquette.

[24] Le Dr Walkinshaw a expliqué qu’il n’avait recueilli de données sur aucun des deux vols, mais qu’il avait extrapolé sur le fondement des données dont il disposait déjà. Il s’est dit d’avis qu’un appareil de protection respiratoire défectueux a un impact sur la qualité de l’air dans la cabine. Toutefois, a t il mentionné, les facteurs suivants peuvent aussi avoir une incidence sur la qualité de l’air dans la cabine :

  • l’âge des filtres de l’aéronef;
  • les COV;
  • le taux d’humidité.

[25] Le Dr Walkinshaw a déclaré que les COV ne peuvent être éliminés de la cabine que grâce à la ventilation. La contamination par les COV s’intensifie à mesure que la température s’élève. Par conséquent, la moisissure et les champignons proliféreront s’il existe une différence de 5° C, ce qui peut entraîner la production de gaz toxiques.

[26] Le Dr Walkinshaw a déclaré que la présence d’un appareil de protection respiratoire hors service réduit la ventilation et engendre une hausse du taux d’humidité dans la cabine. Un taux d’humidité élevé entraîne une utilisation accrue des bouches de ventilation individuelles réglables.

[27] Le Dr Walkinshaw a indiqué dans son témoignage que des plaintes relatives à la qualité de l’air ont été faites relativement à des immeubles dans lesquels le niveau moyen de COV avait été évalué à 523 microgrammes/mètres cubes. Il a estimé que le niveau de COV pourrait atteindre 1500 microgrammes/mètres cubes dans un aéronef A 321 dont l’un des appareils de protection respiratoire est défectueux. Cela représente presque trois fois les niveaux relevés dans les immeubles où la qualité de l’air était mauvaise. Il a ajouté que la durée d’un vol dans les cas où un seul appareil de protection respiratoire fonctionne aurait une incidence sur la qualité de l’air dans la cabine. Il a répété que le taux de ventilation d’un aéronef A 321 doté d’un seul appareil de protection respiratoire en état de service est inférieur aux normes minimales qui sont acceptées dans l’industrie.

[28] De l’avis du Dr Walkinshaw, il existe entre les deux vols des différences qui ont une incidence sur la qualité de l’air; en revanche, les COV demeurent les mêmes parce qu’ils proviennent de sources identiques :

  • la saison (le printemps par rapport à l’été);
  • l’historique de l’entretien de chaque aéronef;
  • le taux d’utilisation de l’appareil de protection respiratoire personnel par les occupants (un taux plus élevé signifie moins d’air pour les agents de bord);
  • la charge du moteur;
  • les conditions de la piste eu égard aux fumées d’échappement qui proviennent de l’aéronef en tête de ligne;
  • occupation de marchandises (bagages à main).

[29] Le Dr Walkinshaw a témoigné que la norme qui s’applique aux aéronefs en matière de qualité de l’air est la norme 62 1989 de l’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE), intitulée [Traduction] Ventilation aux fins d’un niveau acceptable de qualité de l’air intérieur. Cette norme s’applique également aux véhicules de transport, notamment aux trains, aux autobus et aux aéronefs. D’après lui, une nouvelle norme de l’ASHRAE est proposée aux fins d’une application à l’égard des aéronefs, à savoir la norme 161, intitulée [Traduction] Qualité de l’air dans les aéronefs commerciaux.

[30] En contre interrogatoire, le Dr Walkinshaw a indiqué que les systèmes de ventilation des deux aéronefs sont différents. Il a ajouté que les facteurs suivants pouvaient varier d’un vol à un autre :

  • le nombre d’occupants;
  • le taux d’humidité;
  • ce que les occupants de la cabine portent (parfums, odeur corporelle, etc.).

[31] Le Dr Walkinshaw a déclaré également en contre interrogatoire qu’au cours de son témoignage, il avait fait des hypothèses fondées sur des données tirées de différentes sources. Son expérience au chapitre de la qualité de l’air intérieur se rapporte surtout aux immeubles à bureaux, mais il a été appelé à se pencher plus fréquemment sur des questions de qualité de l’air dans les aéronefs au cours des deux dernières années.

[32] Le Dr Bruce M. McGoveran a témoigné à l’audience à titre de témoin expert pour l’appelant sur l’incidence sur la santé d’un appareil de protection respiratoire défectueux. L’avocate de l’intimée ne s’est pas opposée au témoignage du Dr McGoveran, dont je retiens ce qui suit.

[33] Le Dr McGoveran a déclaré qu’il est médecin du travail et qu’il offre des services dans ce domaine à diverses organisations. Il a expliqué qu’il avait pris en considération les données et les renseignements suivants relativement aux symptômes ressentis par R. Rivers :

  • les rapports des vols du mois de juillet 2004 et du mois de mars 2005;
  • des conversations avec R. Rivers;
  • le dossier médical de R. Rivers du mois de mai 2002 au mois de novembre 2005;
  • les notes prises au cours du témoignage de R. Rivers;
  • les données fournies par le Dr Walkinshaw;
  • les articles fournis par le SCFP sur des questions de qualité de l’air de la cabine :
    • Trends in Cabin Air Quality of Commercial Aircraft: Industry and Passenger Perspectives5;
    • Rapport à l’intention de l’administrateur sur le rapport du National Research Council, intitulé The Airliner Cabin Environment and the Health of Passengers and Crew6;
    • Perspective of Canadian Flight Attendants on Cabin Air Issues7;
    • Physical Demands of Cabin Personnel;
    • Norme 62 2001 de l’ASHRAE, Ventilation aux fins d’un niveau acceptable de qualité de l’air intérieur;
    • Nouvelle norme 161 proposée par l’ASHRAE, Qualité de l’air dans les aéronefs commerciaux8;
    • données provenant d’Air Canada – débit et volume de circulation d’air : A321;
  • la littérature médicale.
5 Document rédigé par le professeur Martin B. Hocking, Département de la chimie, Université de Victoria, Victoria (Colombie Britannique), volume 17, no 1, 2002.
6 Document préparé par l’équipe d’intervention à l’égard du Airliner Cabin Environment Report, daté du 6 février 2002.
7 Document présenté au sous comité de l’aviation de l’ASHRAE de TC 9.3 (Transports) par France Pelletier, présidente, Division de la santé et de la sécurité, le 23 juin 1998.
8 Document provisoire destiné à un examen public, daté du 15 septembre 2004.

[34] Toutefois, le Dr McGoveran a expliqué qu’idéalement, les données suivantes devraient être prises en considération :

  • données tirées du cycle complet des deux vols;
  • entrevue menée avec R. Rivers immédiatement après l’incident du mois de juillet 2004;
  • informations provenant des passagers sur leurs antécédents médicaux et sur les symptômes connexes;
  • renseignements sur la durée de l’appareil de protection respiratoire hors service.

[35] De l’avis du Dr McGoveran, les symptômes qu’a ressentis R. Rivers en juillet 2004 étaient attribuables à la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire. Il est possible qu’au cours du vol du mois de mars 2005, elle ait éprouvé les mêmes symptômes. Il a exprimé l’opinion selon laquelle l’appareil de protection respiratoire défectueux est la cause la plus probable des symptômes de R. Rivers, parce qu’il s’en est suivi une raréfaction de l’air dans la cabine.

[36] Le Dr McGoveran a expliqué que R. Rivers n’avait pas eu ces symptômes avant le vol du mois de juillet 2004. Elle les a éprouvés ce jour là, lors du vol de retour, et ce n’est qu’entre les vols, à Vancouver, lorsqu’elle a pu respirer un peu d’air frais, que ses symptômes ont diminué. Il a déclaré qu’elle éprouvait encore de la fatigue à la suite de ces vols.

[37] Le Dr McGoveran a déclaré que les symptômes qu’avait éprouvés R. Rivers étaient conformes à la littérature médicale. Puisqu’un certain nombre d’autres personnes avaient éprouvé les mêmes symptômes au cours du vol, ceux ci étaient à son avis attribuables à une exposition environnementale et non à une allergie.

[38] De l’avis du Dr McGoveran, aucun symptôme n’a été déclaré lors du vol du mois de mars 2005 parce que la température dans la cabine était inférieure à ce qu’elle était au mois de juillet 2004, ce qui signifie une exposition moindre à des COV. De même, la période au cours de laquelle la vérification de maintenance de type C9 a été effectuée à l’égard des deux aéronefs aurait pu aussi faire une différence relativement au filtre à air.

9 La vérification de type C est une vérification de maintenance de l’aéronef effectuée approximativement tous les 12 à 18 mois. Cette vérification rend l’aéronef inopérable pendant un certain temps (Source : Wikipedia).

[39] Le Dr McGoveran a déclaré que l’état de santé de R. Rivers avant le vol du mois de juillet 2004 n’était pas lié aux symptômes qu’elle a éprouvés au cours du vol. À son avis, R. Rivers se sentait bien avant ce vol. La preuve médicale a confirmé que les symptômes qu’elle avait éprouvés au cours du vol du mois de juillet 2004 étaient attribuables à l’appareil de protection respiratoire défectueux.

[40] En contre interrogatoire, le Dr McGoveran a déclaré qu’il avait effectué des recherches sur l’occupation par rapport à la qualité de l’air dans la cabine, mais qu’il ne s’était pas penché sur l’effet de la qualité de l’air sur les agents de bord, et qu’aucun des documents qu’il a consultés ne se rapportait à la qualité de l’air dans un aéronef. Il a indiqué qu’il s’était familiarisé avec les installations de conditionnement d’air des aéronefs sur le fondement des renseignements obtenus auprès de M. Robbins.

[41] Le Dr McGoveran a déclaré qu’il s’était fondé sur le témoignage de R. Rivers sur les symptômes des passagers et qu’il n’avait pas vérifié l’état de santé de ces derniers. Il n’a donc pas été en mesure de valider l’information auprès des passagers en question.

[42] France Pelletier, présidente de la Division de la santé et de la sécurité, a témoigné à l’audience. Je retiens de son témoignage qu’elle occupe ce poste depuis 2002 et qu’elle avait été agente de bord pendant plusieurs années auparavant.

[43] F. Pelletier a pris part à l’élaboration de la nouvelle norme de l’ASHRAE sur la qualité de l’air à bord des aéronefs à titre de membre du comité permanent ayant droit de vote.

Témoins de l’intimée

[44] Jay Musselman, directeur, Services hiérarchiques, chez Air Canada, a déclaré au cours du témoignage qu’il a donné à l’audience qu’il avait été mis au courant du refus de travailler de R. Rivers par le directeur du service de bord. L’aéronef en cause avait alors quitté Vancouver.

[45] J. Musselman a rencontré l’ASS Gass. En sa qualité, il lui a remis la perspective sur les opérations aériennes. Il l’a informé de l’incidence d’un appareil de protection respiratoire défectueux sur les opérations aériennes et lui a expliqué les exigences relatives à la LEM dans une telle situation. Il a indiqué également à l’ASS Gass que, malgré la présence d’un appareil de protection respiratoire hors service, le niveau d’oxygène demeure le même dans la cabine.

[46] Toutefois, en contre interrogatoire, J. Musselman a déclaré que le système de ventilation dans le poste de pilotage diffère de celui de la cabine. Il a déclaré également qu’il ne s’était jamais attardé aux questions de qualité de l’air par le passé.

[47] J. Musselman a indiqué que la présence d’un appareil de protection respiratoire défectueux est inhabituelle, mais que son incidence est négligeable sur les pilotes. Il a ajouté qu’un appareil de protection respiratoire défectueux a un effet sur la température de la cabine et sur l’air frais.

[48] Kay Mackenzie, directrice de la santé et de la sécurité au travail dans l’aviation chez Air Canada, a elle aussi témoigné à l’audience. Je retiens ce qui suit de son témoignage.

[49] K. Mackenzie a pris part à l’enquête que l’employeur a entreprise à la suite du refus de travailler de R. Rivers. Après avoir été informée de ce refus de travailler, elle a rencontré R. Rivers pour s’assurer qu’elle comprenait bien la situation. Elle a pris des dispositions pour remplacer R. Rivers lors de ce vol en particulier.

[50] K. Mackenzie a rencontré le commandant, qui lui a dit qu’il avait eu un entretien avec les membres de l’équipage avant le vol. K. Mackenzie a déclaré que le commandant n’avait pu comprendre pourquoi R. Rivers avait refusé de travailler, parce qu’à son avis, le vol était sécuritaire malgré l’appareil de protection respiratoire défectueux. À la suite de cette rencontre, le commandant a obtenu la permission de voler et a quitté Toronto en direction de Vancouver.

[51] K. Mackenzie a dit que son rôle au cours de l’enquête de l’ASS Gass avait consisté à expliquer les mesures qu’elle avait prises et la raison pour laquelle l’employeur avait refusé de conclure à l’existence d’un danger. Elle a expliqué que le vol était sécuritaire si le commandant suivait les restrictions eu égard à la LEM. Toutefois, elle a admis qu’aux fins de prendre sa décision, elle n’avait pas pris en considération l’incident du 24 juillet concernant R. Rivers.

[52] K. Mackenzie a dit que, sur demande de l’ASS Gass, elle avait informé le directeur, Opérations de sécurité et produits, chez Air Canada à Vancouver, du refus de travailler, et lui avait demandé d’obtenir des déclarations des membres de l’équipage et des passagers à leur arrivée à Vancouver.

[53] K. Mackenzie a déclaré que les membres de l’équipage avaient été interrogés après les passagers. Elle a reçu des rapports écrits du directeur de Vancouver, dont elle a remis une copie à l’ASS Gass aux fins de sa décision.

[54] En contre interrogatoire, K. Mackenzie a indiqué qu’elle ne connaissait pas bien les symptômes de l’hypoxie. Elle a dit également que l’appareil de protection respiratoire hors service de l’aéronef avait été réparé le lendemain. Il n’y a eu aucun autre suivi, la compagnie n’ayant reçu de plainte d’aucun passager, ni aucun rapport de blessures des membres de l’équipage.

[55] K. Mackenzie a expliqué qu’elle avait demandé au directeur de Vancouver de ne poser aux passagers aucune question suggestive liée à la qualité de l’air, craignant qu’ils profitent de cette occasion pour intenter une action contre Air Canada.

[56] Le Dr Edward Bekeris est médecin et directeur en chef adjoint pour les Services de santé d’Air Canada. Il a témoigné à titre de témoin expert pour l’appelant sur l’incidence de la présence à bord d’un seul appareil de protection respiratoire en état de fonctionner. J. Robbins, avocat de l’appelant, ne s’est pas opposé au témoignage du Dr Bekeris à titre d’expert médical, dont je retiens ceci.

[57] Appelé à s’exprimer à titre de médecin, le Dr Bekeris a déclaré que les symptômes éprouvés par R. Rivers au cours du vol du mois de juillet 2004 ne pouvaient être attribués à la défectuosité d’un appareil de protection respiratoire, parce qu’ils ne se rapportaient à rien en particulier. Il a formulé la même opinion médicale concernant les raisons de R. Rivers de refuser de travailler lors du vol du mois de mars 2005. Il a ajouté que lorsqu’un seul appareil de protection respiratoire est en état de fonctionner, les paramètres de vol seront rajustés par les pilotes, l’un de ceux là consistant à maintenir une altitude inférieure en cours de vol.

[58] Le Dr Bekeris a expliqué les divers éléments de preuve qu’il avait pris en considération avant d’exprimer son opinion médicale. Ils sont les suivants :

  • le témoignage de R. Rivers;
  • le témoignage du Dr Walkinshaw;
  • le témoignage du Dr McGoveran;
  • la preuve documentaire produite au cours de l’audience;
  • le Rapport de vol - Blessures/Maladie/Incident de Air Canada daté du 17 juillet 2004.

[59] Le Dr Bekeris a dit des symptômes décrits par R. Rivers dans sa déclaration consignée dans le rapport de vol qu’ils étaient très généraux et qu’ils ne pouvaient être liés à rien en particulier. Il a déclaré que le rapport ne contenait pas suffisamment de renseignements pour lier les symptômes de R. Rivers à l’appareil de protection respiratoire hors service. Ils pouvaient hypothétiquement être liés à la qualité de l’air, mais ils pouvaient également être liés aux opérations aériennes comme telles, par exemple aux manœuvres et à la turbulence, ou aux déficiences médicales personnelles des membres de l’équipage à bord (dont R. Rivers). Toutefois, il n’a pas eu accès au dossier médical de R. Rivers.

[60] Le Dr Bekeris a exprimé l’avis selon lequel les symptômes ressentis par R. Rivers auraient pu être attribuables à des facteurs autres que l’hypoxie. Se reportant au Rapport de vol - Blessures/Maladie/Incident du mois de mars 2005, il a affirmé que les symptômes décrits par R. Rivers lors du vol de retour du mois de juillet 2004 pouvaient être liés à de nombreux facteurs.

[61] Le Dr Bekeris s’est dit en désaccord avec l’opinion formulée par le Dr McGovern parce que les symptômes étaient trop généraux et pas suffisamment spécifiques. Il a ajouté que rien n’indiquait que R. Rivers avait pu être malade plus tôt ce jour là.

[62] Se reportant à une étude effectuée par le Dr Walkinshaw, le Dr Bekeris a dit croire que les données n’étaient pas convaincantes, car elles portaient sur des types d’aéronefs autres que ceux qui étaient en cause lors des vols des mois de juillet 2004 et mars 2005. Elles se rapportaient également à des altitudes plus élevées (39 000 pieds) que celles qui avaient été maintenues au cours des deux vols. En outre, les manœuvres et la turbulence, qui ont une incidence sur un aéronef, sont des facteurs importants qu’il y a lieu de prendre en considération, ce que n’a pas fait le Dr Walkinshaw. Enfin, le Dr Bekeris a dit des symptômes constatés chez R. Rivers qu’ils ne pouvaient être liés à des données résultant d’un environnement non contrôlé.

[63] Quant au problème d’asthme dont R. Rivers a souffert par le passé, le Dr Bekeris a jugé ce facteur important, car les symptômes liés à ce trouble peuvent s’aggraver à une altitude supérieure. À son avis, l’asthme dont souffre R. Rivers est susceptible de provoquer des symptômes d’hypoxie. Lors de son contre interrogatoire, le Dr Bekeris a dit que l’hypoxie ne pouvait être liée à des symptômes précis.

[64] Il a déclaré que les composés organiques volatils peuvent avoir une incidence sur la santé. Malgré tout, contrairement à ce que le Dr Walkinshaw a exprimé, il s’est dit d’avis que les COV n’ont aucune incidence sur les symptômes médicaux liés à un appareil de protection respiratoire défectueux, puisqu’il n’y a aucune preuve connexe fondée sur des données opérationnelles. Toutefois, il a dit ignorer ce qui avait causé les symptômes de R. Rivers, et il n’a pas été en mesure de dire non plus si les symptômes ressentis par une personne qui n’a aucun état préexistant sont liés à l’appareil de protection respiratoire défectueux.

[65] Enfin, le Dr Bekeris a déclaré qu’il n’avait examiné ni R. Rivers, ni aucun autre membre de l’équipage ou passager du vol du mois de juillet 2004, ni consulté le dossier personnel de R. Rivers.

Observations de l’appelant

[66] James Robbins a présenté pour le compte de l’appelant des arguments écrits, dont je retiens ce qui suit.

[67] J. Robbins a déclaré que la ventilation dans la cabine d’un Airbus A 321 est compromise lorsqu’il y a défectuosité d’un appareil de protection respiratoire, et que cela constitue un danger au sens de la partie II du Code canadien du travail.

[68] J. Robbins a fait valoir que R. Rivers avait reçu, dans le cadre de la formation de base et de la formation récurrente d’un agent de bord, une formation qui lui permettait de reconnaître les signes de l’hypoxie. R. Rivers a désigné les symptômes suivants de l’hypoxie : mal de tête, étourdissement, fatigue, nausée, manque de coordination, extrême coloration bleue des lèvres, incapacité visuelle et inconscience. D’une part, elle a à juste titre associé ses symptômes à la qualité de l’air, mais d’autre part, elle a à tort mais raisonnablement attribué ses symptômes à l’hypoxie Toutefois, a t il fait valoir, le Dr McGovern s’est dit d’avis que R. Rivers avait ressenti les symptômes de l’hypoxie lorsqu’elle avait souffert d’un mal de tête et qu’elle avait ressenti de la fatigue et un manque de coordination. Il a ajouté que le Dr Bekeris avait témoigné également que les symptômes éprouvés par R. Rivers étaient des symptômes de l’hypoxie.

[69] En ce qui concerne l’obligation des membres de l’équipage de répondre aux situations d’urgence à bord, J. Robbins a soulevé la question des membres de l’équipage qui souffrent d’étourdissements, de maux de tête, de fatigue, de nausées et de la perte de coordination, ce qui est dangereux tant pour l’équipage que pour les passagers. Il a ajouté que le Dr Bekeris avait déclaré dans son témoignage que ces symptômes compromettraient la capacité d’un membre de l’équipage de réagir dans une situation d’urgence.

[70] J. Robbins a indiqué qu’il existe une preuve d’expert non contestée concernant les niveaux de contaminants, surtout les COV, qui s’élèvent dans la cabine d’un aéronef lorsqu’un appareil de protection respiratoire cesse de fonctionner. La preuve médicale indique en outre que ces niveaux élevés de contaminants étaient associés à des symptômes qu’ont ressentis R. Rivers, ses collègues et des passagers du vol du 17 juillet 2004. Il a fait valoir que la maladie de R. Rivers était similaire au « syndrome des bâtiments malsains », médicalement reconnu.

[71] J. Robbins s’est reporté au témoignage du Dr McGovern sur les indicateurs pertinents au chapitre de la maladie au travail qui s’appliquent dans la présente affaire. Le Dr McGovern a noté que R. Rivers n’avait ressenti les symptômes que pendant le vol de retour à Toronto, le 17 juillet 2004. D’autres membres de l’équipage et certains passagers avaient fait état de symptômes identiques lors de ce vol. Seuls les membres de l’équipage étaient au courant de la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire, ce qui signifie que les passagers n’ont pas tenu pour acquis que leurs symptômes y étaient liés. En outre, les symptômes étaient conformes aux niveaux de COV élevés qui avaient été relevés dans des études sur la qualité de l’air intérieur.

[72] J. Robbins s’est rappelé également que le Dr McGovern avait exprimé l’opinion selon laquelle il était raisonnablement probable que les symptômes ressentis par R. Rivers soient attribuables à la défectuosité d’un appareil de protection respiratoire parce que celui ci avait eu pour effet d’accroître l’exposition dans la cabine à un niveau suffisamment élevé pour déclencher l’apparition de symptômes. Cette opinion reposait sur un raisonnement compatible avec des études médicales professionnelles types sur le lien entre une exposition et un résultat.

[73] En outre, J. Robbins a dressé une liste des importants facteurs qui forment le lien entre une exposition et un résultat, énoncés par le Dr McGovern dans son témoignage :

(a) Le lien temporel : les facteurs essentiels aux fins du lien temporel qui permet de conclure que les symptômes ont résulté d’une exposition au travail sont les suivants : l’absence de symptômes avant l’exposition; l’apparition de symptômes au cours de l’exposition; leur disparition après l’exposition.
(b) La présence de symptômes irritants chez plusieurs personnes plutôt que chez une seule personne permet de conclure que l’exposition au travail a déclenché les symptômes.
(c) Le contrôle aux fins de l’effet « placebo » : bien que, dans le domaine de la médecine du travail, les tests de contrôle au hasard au moyen de placebos soient habituellement impossibles, l’ignorance d’une exposition offre un contrôle semblable : lorsque des personnes ressentent des symptômes alors qu’elles ne sont pas au courant de l’exposition qui peut en causer l’apparition, l’on peut plus aisément conclure à l’existence d’une association entre l’exposition et le résultat que dans le cas où des personnes ressentent des symptômes et sont au courant de l’exposition.
(d) La documentation portant sur la qualité de l’air intérieur et le « syndrome des bâtiments malsains » : il existe une preuve convaincante de plus en plus volumineuse sur l’association entre l’exposition à un air intérieur mal ventilé et l’apparition de certains symptômes. Ils sont habituellement des symptômes multiples et incluent des symptômes neurologiques comme le mal de tête, la fatigue, le manque de coordination/la maladresse.

[74] J. Robbins a fait valoir que l’opinion du Dr McGovern doit être préférée à celle du Dr Bekeris, parce que le Dr McGovern a pris en considération des renseignements plus pertinents, et parce que son opinion se rapproche davantage des constatations tirées dans les études médicales professionnelles types sur le lien entre une exposition et un résultat. Il a souligné qu’au cours de son témoignage, le Dr McGovern avait exprimé l’avis selon lequel les symptômes éprouvés en juillet 2004 étaient davantage susceptibles d’être liés à l’environnement qu’aux personnes.

[75] En ce qui concerne le vol du 14 mars 2005, J. Robbins a fait valoir qu’il existe deux raisons pour lesquelles l’absence de plaintes et l’absence de preuve ne sont pas suffisants pour déterminer qu’il y a absence de danger :

  • l’absence de plainte lors du vol du mois de mars ne signifie pas que personne n’a alors ressenti les symptômes en raison de la mauvaise qualité de l’air;
  • certaines circonstances fortuites pourraient avoir atténué l’impact de l’appareil de protection respiratoire défectueux sur la qualité de l’air lors de ce vol.

[76] J. Robbins s’est reporté également au témoignage du Dr Walkinshaw concernant les différentes conditions, lors des deux vols, qui pourraient avoir entraîné l’obtention de niveaux différents de COV. Ces conditions sont les suivantes :

  • il faisait plus chaud en juillet qu’en mars, et l’activité microbienne ainsi que les particules biologiques (champignons et allergènes) sont accrus au cours des mois d’été;
  • le nombre de COV relâchés dans l’air est plus élevé en juillet qu’il ne l’est au mois de mars;
  • la période au cours de laquelle les aéronefs auraient été exploités alors que l’un des appareils de protection respiratoire était défectueux aurait un effet sur la qualité de l’air;
  • les conditions de la piste eu égard au temps passé au sol et à la question de savoir si l’aéronef se trouvait derrière d’autres aéronefs, dans lequel cas des contaminants d’échappement pourraient avoir un effet sur les niveaux de contaminants à bord; la ventilation réduite aurait aussi pour effet d’accroître le niveau des contaminants;
  • la qualité de l’air intérieur au moment où l’aéronef est au sol pourrait avoir pour effet de hausser les niveaux des contaminants.
  • certains produits d’entretien (peinture et matériel anticorrosif vaporisés sur le fuselage) pourraient avoir pour effet de hausser le niveau des contaminants;
  • l’humidité du revêtement isolant varie selon les conditions météorologiques, et l’historique du vol et l’entretien ont un effet sur la production de COV;
  • l’occupation et les effets personnels des passagers à bord auront un effet sur les niveaux de contaminants.

[77] En plus de ces facteurs, J. Robbins s’est reporté également au témoignage du Dr McGovern, qui a dressé une liste des motifs pour lesquels un appareil de protection respiratoire défectueux pourrait déclencher des symptômes au cours d’un vol donné et non au cours d’un autre vol. Ils sont les suivants :

  • Lors du vol du mois de mars, l’exposition à des COV aurait été inférieure parce que la température au sol était inférieure et, apparemment, la température à l’intérieur de la cabine était elle aussi inférieure;
  • les passagers qui dorment sont exposés à un niveau inférieur de COV, parce qu’ils respirent moins profondément;
  • la différence au chapitre de l’heure à laquelle l’entretien de routine est effectué — au cours duquel des produits de nettoyage sont utilisés pour éliminer les COV — et du vol lui même, laisse supposer un niveau d’exposition différent;
  • les antécédents médicaux des passagers : certains d’entre eux pourraient avoir cru que les symptômes qu’ils ressentaient étaient liés à leur état de santé plutôt qu’à des conditions environnementales.

[78] En ce qui concerne l’enquête menée par l’ASS Gass, J. Robbins a indiqué que l’agent n’avait aucune formation sur les questions touchant les aéronefs, qu’il n’avait jamais auparavant pris part à une telle enquête et qu’il n’avait aucune formation sur les installations de chauffage, de ventilation et d’air conditionné des aéronefs.

[79] À l’appui de sa thèse selon laquelle l’enquête menée par l’ASS Gass était inadéquate, J. Robbins a fait valoir que l’ASS n’avait pas pris en considération les conditions propres à l’aéronef et qu’il n’avait jamais fait enquête sur les conditions à bord (l’aéronef avait quitté l’aéroport avant qu’il n’entreprenne son enquête). En outre, l’ASS Gass n’a pas demandé que des tests sur la qualité de l’air soient menés à bord lorsque l’aéronef a atterri à Vancouver.

[80] J. Robbins a fait valoir que l’ASS Gass s’était fondé sur la procédure relative à la LEM qui lui avait été expliquée au cours de son enquête. Toutefois, l’objectif de la LEM est de régler la pression dans la cabine. Elle n’a rien à voir avec le danger environnemental que pose un appareil de protection respiratoire défectueux.

[81] J. Robbins s’est reporté à l’étude sur la qualité de l’air effectuée par le Dr Walkinshaw à l’égard d’un Boeing 737 200, à partir de laquelle ce dernier a extrapolé des données pour les appliquer à l’Airbus A321. Le Dr Walkinshaw a déclaré au cours de son témoignage que l’enveloppe d’un aéronef est une source importante de COV dans l’air de la cabine. J. Robbins a dit que le Dr Walkinshaw avait fait cette extrapolation sans effectuer quelque relevé direct que ce soit à l’égard du vol du 17 juillet 2004. Il a ajouté que, d’après le Dr Walkinshaw, les données étaient semblables aux données connexes de divers aéronefs qui n’étaient pas accessibles au grand public. Il a fait valoir que l’interprétation par le Dr Walkinshaw des données relevait de son domaine de spécialisation et qu’elle n’était pas contestée par l’intimée. Néanmoins, Air Canada a appelé un médecin, le Dr Bekeris, qui n’avait aucune expertise sur les questions de qualité de l’air intérieur, pour remettre en question le témoignage du Dr Walkinshaw. J. Robbins a fait valoir que le Dr Bekeris avait exprimé une opinion personnelle sur ces données et non une opinion d’expert. Il s’est dit d’avis qu’une telle opinion serait inadmissible en vertu des règles de preuve des tribunaux et d’autres tribunaux administratifs et que, si elle était admise, elle aurait peu de poids ou pas du tout.

[82] J. Robbins a déclaré que je ne devrais accorder que peu de poids à l’argument de l’intimée et de l’ASS Gass selon lequel l’absence de plainte d’autres membres de l’équipage et de passagers confirme qu’il n’existait aucun danger pour R. Rivers le 14 mars 2005.

[83] Pour appuyer sa thèse, J. Robbins s’est reporté à la partie II du Code canadien du travail, et à la jurisprudence, dont je retiens de ce qui suit.

[84] En ce qui concerne la définition de danger énoncée au paragraphe 122(1) du Code canadien du travail, J. Robbins a fait valoir que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que, étant donné les symptômes que R. Rivers avait ressentis et qu’elle avait décrits au cours de son témoignage, elle soit incapable de s’acquitter de ses fonctions, plus particulièrement à titre de membre de l’équipe d’intervention d’urgence.

[85] J. Robbins s’est reporté aux paragraphes 19 et 20 de la décision rendue dans l’affaire Darren Welbourne10, où l’agent d’appel Serge Cadieux a déclaré que « cette notion "d’être susceptible de causer" exclut toutes situations hypothétiques [...] on ne peut attendre qu’un accident se produise ».

10 Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée, DAACCT 01 008.

[86] J. Robbins s’est reporté également à la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Juan Verville11, où madame la juge Gauthier a déclaré au paragraphe 35 que le terme « susceptible » n’exige pas que « toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures ».

11 Juan Verville et Service correctionnel du Canada, Institution pénitentiaire de Kent, 2004 CF 767.

[87] J. Robbins a cité également le paragraphe 36 de cette même décision de la Cour fédérale, où madame la juge Gauthier a déclaré que « la définition [de danger] exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable ».

[88] Pour ces motifs, J. Robbins a demandé que la décision rendue par l’ASS Gass soit infirmée et qu’il soit conclu à l’existence d’un danger.

[89] J. Robbins a déclaré que l’appelant n’avait demandé aucune autre instruction, parce que l’appareil de protection respiratoire défectueux en question avait été réparé le lendemain du refus de travailler de R. Rivers.

[90] Néanmoins, J. Robbins a demandé qu’une instruction soit formulée à l’intention d’Air Canada en vertu du paragraphe 145(2) et (ou) du paragraphe (2.1) en vue d’enjoindre l’employeur de :

  • ne pas se fonder sur la Liste d’équipement minimal aux fins de régler à venir toute plainte sur la qualité de l’air;
  • ne pas autoriser le départ des aéronefs dont les appareils de protection respiratoire sont défectueux.

Observations de l’intimée

[91] Je retiens ce qui suit des observations formulées par Rhonda R. Shirreff pour le compte d’Air Canada.

[92] R. Shirreff a déclaré que la preuve a permis d’établir que R. Rivers avait travaillé lors de nombreux vols (14 à 21) où un appareil de protection respiratoire à bord était défectueux et avait été informée avant ces vols de la défectuosité de l’appareil en question.

[93] R. Shirreff a fait valoir qu’en dépit des symptômes ressentis au cours du vol de retour du mois de juillet 2004, R. Rivers n’avait pas demandé d’aide médicale au cours du vol et qu’elle n’avait consulté son médecin de famille que plusieurs jours après l’incident. Elle n’a pas déposé de plainte auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT).

[94] R. Shirreff a fait valoir également, concernant le vol de retour du mois de juillet 2004, que l’employeur n’avait aucune preuve qu’un autre agent de bord avait demandé une assistance médicale à la suite du vol ou déposé une demande auprès de la CSPAAT à cet égard.

[95] R. Shirreff a affirmé que R. Rivers avait déclaré dans son témoignage qu’elle avait décidé de refuser de travailler après avoir été informée par le commandant qu’un seul appareil de protection respiratoire fonctionnait et que les mesures nécessaires seraient prises conformément à la LEM pour faire en sorte qu’il y ait davantage d’oxygène.

[96] R. Shirreff a déclaré que la preuve avait permis de confirmer que le commandant avait informé les membres de l’équipage qu’il ferait en sorte que le vol soit sécuritaire et confortable et qu’il veillerait à atténuer les effets négatifs de la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire en maintenant une altitude inférieure en vol, en utilisant l’unique appareil à plein régime et en maintenant la cabine aussi fraîche que possible. R. Shirreff a noté que R. Rivers n’avait pas consulté le commandant concernant ces mesures correctives.

[97] R. Shirreff a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve médicale ou scientifique convaincante sur le lien de causalité entre la qualité de l’air lors du vol du mois de juillet 2004 et les symptômes non spécifiques dont R. Rivers a fait état. Elle s’est dite d’avis que la thèse du SCFP concernant un appareil de protection respiratoire défectueux qui pose un danger ne pouvait être considérée que comme étant conjecturale. Par opposition, elle a souligné la preuve de l’intimée selon laquelle il n’est pas rare qu’un appareil de protection respiratoire soit défectueux.

[98] R. Shirreff a fait valoir que le témoignage donné par le Dr Walkinshaw pour le compte de l’appelant à titre d’expert était problématique parce qu’il avait peu d’expérience au chapitre de la qualité de l’air à bord des aéronefs et au chapitre des questions de santé au travail dans le domaine de l’aviation. Elle a relevé d’importantes lacunes dans le témoignage du Dr Walkinshaw en ce qui concerne les données qu’il a prises en considération pour se forger une opinion sur l’impact sur la qualité de l’air d’un appareil de protection respiratoire défectueux.

[99] R. Shirreff a souligné que, lors de son contre interrogatoire, le Dr Walkinshaw a déclaré que, compte tenu du fait qu’aucune mesure n’avait été prise au cours des vols des mois de juillet 2004 et mars 2005, il aurait été « impossible » de suivre son processus ordinaire aux fins de recueillir les données en vue d’une enquête sur la qualité de l’air.

[100] D’après R. Shirreff, le Dr Walkinshaw a admis qu’il n’existait pas suffisamment de renseignements disponibles sur les importants facteurs suivants pour déterminer la qualité de l’air à bord de ces vols :

  • la qualité de l’air ambiant au sol avant le décollage;
  • les conditions et la direction du vent relativement à l’aéronef et aux autres aéronefs sur la piste;
  • le type et la quantité de poussière dans les tissus, les sièges et les moquettes;
  • la différentiation de la pression dans l’aéronef;
  • le type et la quantité de COV émanant des passagers eux mêmes;
  • l’utilisation des sorties d’air dont est muni chaque siège de passager.

[101] R. Shirreff a fait valoir que l’argument de l’appelant ne tenait pas compte du témoignage du Dr Walkinshaw concernant l’incidence des variations saisonnières et des températures sur la qualité de l’air dans la cabine.

[102] En outre, R. Shirreff a exprimé l’opinion selon laquelle l’extrapolation des données faite par le Dr Walkinshaw était problématique, parce que l’aéronef utilisé dans son étude, le Boeing 737 200, était du point de vue technique différent de l’aéronef A321 en cause dans les vols des mois de juillet 2004 et mars 2005, ce qui entraînait une différence au niveau des données évaluées.

[103] En ce qui concerne le témoignage d’expert en médecine donné par le Dr McGovern, R. Shirreff a déclaré que son expérience en matière de santé au travail dans le domaine de l’aviation était très limitée. Néanmoins, le Dr Bekeris comptait une vaste expérience à titre de médecin travaillant dans le domaine de l’aviation, ce qui ajoutait à la crédibilité de son témoignage.

[104] R. Shirreff a dit que le Dr McGovern n’avait pas tenté de valider la déclaration de R. Rivers en interrogeant des membres de l’équipage et des passagers à bord du vol du mois de juillet 2004.

[105] R. Shirreff a fait valoir que le Dr McGovern avait admis lors de son contre interrogatoire qu’il ne pouvait établir l’existence d’un « lien de causalité » entre les symptômes ressentis par R. Rivers et l’utilisation d’un seul appareil de protection respiratoire. En outre, le Dr McGovern a confirmé également qu’il ne pouvait établir l’incidence sur le vol du mois de mars 2005 de l’appareil de protection respiratoire défectueux.

[106] R. Shirreff a maintenu que l’ASS Gass avait effectué une enquête complète et demandé à l’employeur de suivre le progrès du vol en route vers Vancouver. Pour cette raison, elle a déclaré que l’ASS Gass avait reçu et examiné les résultats des entrevues menées avec les passagers et les membres de l’équipage à l’arrivée de ces derniers à Vancouver. En conséquence, sa décision relative à l’absence de danger était conforme à la définition de « danger » énoncée dans le Code.

[107] R. Shirreff a cité également l’agent d’appel Cadieux, qui a statué dans l’affaire Darren Welbourne, précitée, que « la situation, la tâche ou le risque — existant ou éventuel, mentionné dans la définition doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée ». Elle a souligné, tout comme lui, que « cette notion d’être “susceptible de causer” exclut toutes situations hypothétiques ».

[108] R. Shirreff s’est reportée également à la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Juan Verville, précitée, où madame la juge Gauthier a établi qu’il n’est pas nécessaire d’être en mesure de déterminer exactement à quel moment la situation ou le risque éventuel se produira. Il faut néanmoins être en mesure de déterminer dans quelles circonstances il est susceptible de causer des blessures et d’établir qu’il existe une « possibilité raisonnable » et non pas une « simple possibilité », que de telles circonstances se produisent à l’avenir.

[109] Compte tenu de ces décisions, R. Shirreff a signalé que le Dr Walkinshaw avait indiqué dans son témoignage que la qualité de l’air dans la cabine était déterminée par une interaction complexe de plusieurs facteurs environnementaux pertinents et qu’un certain nombre de ces facteurs étaient inconnus relativement au vol du mois de juillet 2004. Elle a fait valoir qu’en conséquence, il était impossible de confirmer dans quelle mesure, le cas échéant, la qualité de l’air dans la cabine avait été compromise lors du vol du mois de juillet 2004.

[110] R. Shirreff a fait valoir qu’en l’absence d’une preuve médicale ou scientifique convaincante établissant l’existence d’un lien de causalité entre l’appareil de protection respiratoire défectueux lors du vol du mois de juillet 2004 et les symptômes non spécifiques constatés par Mme Rivers en mars 2005, le risque éventuel ne pouvait être considéré que comme étant de nature conjecturale ou, tout au plus, comme étant une « simple possibilité ».

[111] R. Shirreff a ajouté que l’hypothèse de l’appelant selon laquelle des symptômes semblables pourraient se manifester au cours de n’importe quel vol était tout à fait conjecturale et qu’elle ne reposait que sur un facteur, celui de l’appareil de protection respiratoire hors service.

[112] R. Shirreff m’a demandé de confirmer la décision de l’ASS Gass relative à l’absence de danger et, en conséquence, de rejeter l’appel de l’appelant, parce que R. Rivers n’avait aucun motif raisonnable de croire que le fait qu’un seul appareil de protection respiratoire fonctionnait lors du vol du 14 mars 2005 aurait un effet négatif sur sa santé et sa sécurité. De plus, il n’y avait aucun motif raisonnable de conclure que R. Rivers était exposée à un « danger » lors du vol du mois de mars 2005 parce que l’un des appareils de protection respiratoire était défectueux. Enfin, il n’y avait aucun motif raisonnable de déterminer que le fait d’exploiter un aéronef doté d’un appareil de protection respiratoire hors service constituait un « danger » au sens de la partie II du Code canadien du travail.

Contre-preuve de l’appelant

[113] J. Robbins a répliqué que R. Rivers et les autres membres de l’équipage avaient ressenti des symptômes lors du vol du mois de juillet 2004 et qu’Air Canada n’avait ni nié la preuve du syndicat, ni produit de preuve contraire.

[114] En ce qui concerne l’argument de l’intimée relativement au fait que ni R. Rivers, ni aucun autre membre de l’équipage, ni aucun passager du vol de retour du mois de juillet 2004 n’a demandé d’aide médicale ou consulté un médecin, la preuve a établi qu’ils avaient effectivement éprouvé des symptômes, qui ont disparu après le vol. En conséquence, il n’y avait aucune raison pour un membre de l’équipage de présenter une demande auprès de la CSPAAT.

[115] J. Robbins a réfuté également l’argument de l’intimée relatif à l’extrapolation des données faite par le Dr Walkinshaw, en affirmant qu’il s’agissait des meilleures données disponibles et que l’intimée n’avait pas contesté l’opinion du témoin expert au moyen d’une contre opinion.

[116] J. Robbins a fait valoir que, contrairement à ce qu’a soutenu l’intimée, le Dr Walkinshaw a pris en considération les différences et les similarités au chapitre de la conception des aéronefs et décrit les sources possibles des COV que l’on retrouve couramment dans les aéronefs.

[117] J. Robbins a signalé qu’Air Canada n’avait pas contesté le fait que la défectuosité d’un appareil de protection respiratoire entraîne une réduction du taux de ventilation et que cette réduction a une incidence sur la qualité de l’air. En outre, l’expert médical d’Air Canada n’a pas indiqué qu’une autre explication était plus probable que celle qui se rapportait à des niveaux de COV élevés. Il a statué qu’il n’y avait à l’égard des symptômes communs aucune autre explication raisonnable que leur association à l’exposition à l’air dans la cabine.

[118] J. Robbins a fait valoir que l’intimée n’avait pas contesté l’existence des composés organiques volatils, leur présence dans les aéronefs et leurs niveaux élevés en cas de défectuosité d’un appareil de protection respiratoire. L’intimée n’a pas non plus contesté l’estimation du niveau de COV fournie par le Dr Walkinshaw.

[119] J. Robbins a réitéré que la LEM sur laquelle s’était fondée Air Canada ne traitait pas des questions de santé et de sécurité au travail ni de la contamination de l’air dans la cabine.

[120] J. Robbins a fait valoir que la différence entre les symptômes ressentis lors des vols des mois de juillet 2004 et de mars 2005 était liée à une combinaison de facteurs (c. à d. la température plus froide en mars), qui ont pu réduire l’impact d’un appareil de protection respiratoire hors service lors du vol du mois de mars 2005. Cet impact moindre ne signifie pas cependant qu’un appareil de protection respiratoire défectueux ne constitue pas un danger.

[121] J. Robbins a déclaré que la preuve avait permis d’établir qu’il arrivait rarement qu’un appareil de protection respiratoire soit défectueux et que l’intimée n’avait produit aucune preuve sur le nombre de vols au cours desquels un appareil de protection respiratoire avait été défectueux.

[122] J. Robbins a réfuté l’argument de l’intimée selon lequel R. Rivers avait travaillé à plusieurs reprises par le passé lors de vols de plus de trois heures dans un aéronef dont l’un des appareils de protection respiratoire était hors service. Il s’est rappelé que R. Rivers avait déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait travaillé que lors de quelques vols de courte durée, soit de moins de 90 minutes, dans des aéronefs dotés d’un appareil de protection respiratoire hors service. Il a mentionné à nouveau que, selon la preuve, il arrivait rarement que des aéronefs soient munis d’un seul appareil de protection respiratoire.

[123] J. Robbins a fait valoir que l’intimée n’avait pas contesté l’existence des contaminants COV, ni leur présence dans les aéronefs, ni leurs niveaux élevés dans les cas où un appareil de protection respiratoire est défectueux. L’intimée n’a pas contesté non plus les niveaux de COV estimés par le Dr Walkinshaw.

[124] En ce qui concerne l’argument de l’intimée selon lequel le Dr Walkinshaw avait peu d’expérience dans le domaine de la qualité de l’air dans les aéronefs, J. Robbins a répliqué que le Dr Walkinshaw siège au comité de l’ASHRAE chargé d’élaborer les normes en matière de qualité de l’air dans les cabines d’aéronefs et, par conséquent, qu’il est un très grand et très respecté expert dans son domaine.

[125] J. Robbins a déclaré que le témoignage du Dr Bekeris a permis d’établir qu’il ne s’était jamais penché sur les questions de qualité de l’air dans les cabines.

[126] J. Robbins a fait valoir que « le critère applicable aux fins de prendre une décision relative à l’existence d’un danger est la vraisemblance, selon la prépondérance des probabilités : La question est celle de savoir s’il est vraisemblable ou non, ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a indiqué dans l’affaire Martin12, que la situation entraîne un préjudice à l’avenir ». Il a fait valoir qu’il était raisonnablement vraisemblable que les symptômes ressentis par les agents de bord et les passagers lors d’un vol de longue durée en pleine charge aient été attribuables à la défectuosité d’un appareil de protection respiratoire et qu’il était suffisant d’établir l’existence d’un danger au sens du Code.

12 J. Robbins renvoie ici à l’affaire Douglas Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada et Procureur général du Canada, 2005 CAF 156.

[127] J. Robbins a indiqué que l’ASS Gass aurait pu exiger que l’aéronef demeure sur la piste pendant qu’il effectuait des tests. À la place, il a laissé le « lieu de travail » s’envoler plutôt que de faire enquête sur les lieux pour vérifier s’ils étaient dangereux. Il a ainsi manqué à l’obligation qui lui est imposée par la loi.

[128] Se reportant encore une fois à l’affaire Douglas Martin, précitée, J. Robbins a écrit ceci :

[Traduction]
Le critère énoncé dans le Code aux fins du danger est donc la question de savoir si l’activité « est susceptible de causer des blessures ou une maladie ». La « preuve convaincante d’un lien de causalité » d’Air Canada est substantiellement différente du critère énoncé dans le Code.

Le critère qui s’applique aux fins de déterminer s’il y a danger est la vraisemblance, selon la prépondérance des probabilités : La question est celle de savoir s’il est vraisemblable ou non, ainsi que la Cour d’appel l’a indiqué dans l’affaire Martin, que la situation entraîne un préjudice à l’avenir.

La preuve dans la présente affaire indique que la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire a pour effet de réduire considérablement la ventilation. Cette réduction entraîne une hausse des niveaux de contaminants. Il est raisonnablement vraisemblable que les symptômes ressentis par les agents de bord et les passagers lors d’un vol de longue durée en pleine charge aient été attribuables à la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire. Il est raisonnablement vraisemblable que des situations semblables à l’avenir entraînent un préjudice similaire. Cela suffit pour établir l’existence d’un danger au sens du Code.

Décision

[129] La question dans la présente affaire est celle de savoir si un danger existait pour R. Rivers, le 14 mars 2005, au moment où l’ASS Gass a fait enquête sur son refus de travailler à bord d’un aéronef doté d’un appareil de protection respiratoire hors service. Pour trancher cette question, je dois prendre en considération les dispositions de la partie II du Code canadien du travail, les faits de l’affaire et la jurisprudence citée par les parties.

[130] Le danger est défini au paragraphe 122(1) du Code canadien du travail dans les termes suivants :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur [.]

[131] Dans l’affaire dont je suis saisi, la situation en cause était la présence d’un appareil de protection respiratoire défectueux au cours du vol du 14 mars 2005 entre Toronto et Vancouver.

[132] Toutefois, le vol n’avait pas encore été entrepris lorsque R. Rivers a refusé de travailler le 14 mars 2005 au motif que l’un des deux appareils de protection respiratoire était hors service. En outre, R. Rivers a admis au cours de son témoignage qu’avant de refuser de travailler, elle n’avait pas demandé au commandant les mesures qui avaient été prises pour compenser la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire. L’employée craignait de ressentir les mêmes symptômes qu’elle et d’autres membres de l’équipage avaient éprouvés au cours d’un vol antérieur, en juillet 2004, où un appareil de protection respiratoire défectueux avait été aussi inopérant.

[133] Je suis d’accord avec J. Robbins que certains symptômes pourraient compromettre la capacité d’un agent de bord de réagir dans une situation d’urgence. Toutefois, la preuve qui a été produite ne m’a pas convaincu que chaque fois qu’un appareil de protection respiratoire est défectueux, il compromettra le temps de réaction d’un agent de bord au cours d’une urgence à bord.

[134] Contrairement à ce qu’a fait valoir J. Robbins, à savoir que la LEM ne traite pas du danger environnemental que pose un appareil de protection respiratoire défectueux, je crois que les mesures correctives prises par le commandant permettaient d’atténuer l’effet de l’appareil de protection respiratoire hors service et d’assurer un niveau de ventilation acceptable dans la cabine pour les membres de l’équipage et les passagers, parce qu’il avait réglé l’appareil de protection respiratoire en état de fonctionner au niveau maximum, ce qui avait eu pour effet de diminuer la température à bord.

[135] En ce qui concerne les conditions existantes en mars 2005 et en juillet 2004, je vais aborder le lien établi entre les deux incidents et je déterminerai ensuite s’il existait un danger en mars 2005.

[136] L’appelant a fait valoir qu’un appareil de protection respiratoire défectueux a une incidence sur la ventilation et la qualité de l’air dans la cabine, ce qui a exposé R. Rivers à un danger en juillet 2004. En conséquence, l’appelant a fait valoir que la situation en mars 2005 aurait exposé R. Rivers aux mêmes symptômes que ceux qu’elle avait éprouvés en juillet 2004.

[137] Toutefois, il a été établi par les témoins experts qu’il faut prendre en considération plusieurs facteurs avant de déterminer qu’une situation causera un problème au niveau de la qualité de l’air, susceptible de rendre une personne qui y est exposée malade. Ces facteurs pourraient varier d’un vol à un autre et, en ce qui concerne la qualité de l’air à bord, ils pourraient avoir pour effet de rendre malade un agent de bord travaillant dans la cabine au cours de ce vol.

[138] En dépit des observations de l’appelant, les faits ne permettent pas d’établir selon la prépondérance des probabilités que les membres de l’équipage étaient susceptibles d’être blessés ou d’être malades chaque fois qu’un appareil de protection respiratoire est défectueux.

[139] La juge Gauthier a écrit ceci dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Juan Verville, précitée :

[36] Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[140] Dans la présente affaire, les circonstances n’étaient pas susceptibles de causer des blessures à R. Rivers ou de la rendre malade parce que les faits ne peuvent établir qu’il existe une possibilité raisonnable que de telles circonstances se produisent à l’avenir. À mon avis, seule une étude détaillée sur la qualité de l’air effectuée au cours de vols d’un aéronef en pleine charge doté d’un appareil de protection respiratoire défectueux permettra d’obtenir une preuve plus solide aux fins de déterminer si un appareil de protection respiratoire hors service est susceptible de causer des blessures à un membre de l’équipage ou de le rendre malade.

[141] J’estime que ce n’est que sur le fondement de conjectures que R. Rivers pouvait s’attendre à être exposée aux mêmes symptômes qu’au cours du vol aller retour de Toronto Vancouver du mois de juillet 2004. La qualité de l’air peut varier d’un vol à un autre en raison des facteurs énumérés précédemment. Par conséquent, je n’accorde pas beaucoup de poids aux allégations de R. Rivers selon lesquelles, étant donné son expérience en juillet 2004, l’appareil de protection respiratoire hors service constituait un danger eu égard au vol au cours duquel elle devait travailler au mois de mars 2005.

[142] Je me pencherai maintenant sur les observations présentées par l’appelant sur cette question.

[143] J. Robbins a écrit ceci :

[Traduction]
Dans la présente affaire, l’on pouvait raisonnablement s’attendre, pour reprendre les termes de Mme Rivers, à ce que « tout soit pareil, l’aéronef, la destination, la pleine charge », et à ce que la même défectuosité de l’équipement ait le même résultat : une maladie causée par l’exposition à un air contaminé et insuffisamment ventilé. L’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que, si elle ressentait ces symptômes, elle soit incapable de s’acquitter de ses fonctions en toute sécurité, en particulier, de ses fonctions à titre de membre de l’équipe d’intervention d’urgence, ce qui engendrait un danger non seulement pour Mme Rivers, mais pour ses collègues et les passagers également.

[144] J. Robbins a ajouté que, dans la définition de « danger » énoncée dans le Code, l’expression « susceptible de causer » inclut les risques éventuels et à venir. À l’appui de sa thèse, il a renvoyé à la décision qu’a rendue l’agent d’appel Cadieux dans l’affaire Darren Welbourne, précitée.

[145] Comme J. Robbins, je suis d’avis que la notion de danger inclut un risque, une situation ou une activité qui est « éventuel », « possible » ou « susceptible de se présenter ou de se produire », et qu’elle exclut les situations hypothétiques ou conjecturales. Toutefois, dans l’affaire dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu que R. Rivers a été confrontée à une situation — un appareil de protection respiratoire hors service qui risquait de causer des problèmes au chapitre de la qualité de l’air — qui était susceptible de lui causer des blessures ou de la rendre malade avant que le risque ne soit écarté ou la situation corrigée. En outre, à mon avis, la question de savoir si R. Rivers aurait été blessée ou aurait été malade en raison de la défectuosité d’un appareil de protection respiratoire était des plus hypothétiques ou conjecturales.

[146] Le Dr McGovern a indiqué que les symptômes ressentis par R. Rivers lors du vol du mois de juillet 2004 étaient attribuables à la défectuosité de l’appareil de protection respiratoire. Il ne m’a pas convaincu, surtout parce que son opinion reposait sur des données limitées. Il avait expliqué au cours de son témoignage quelles étaient les données idéales pour fonder son opinion (voir le paragraphe 34). Par conséquent, son opinion sur l’établissement d’un lien entre les symptômes ressentis par R. River en juillet 2004 et la possibilité qu’elle ait pu éprouver les mêmes symptômes au cours du vol du mois de mars 2005 n’est pas décisive. L’on a fait la preuve au cours de l’audience et par la voie des arguments des deux parties qu’il y a lieu de prendre en considération plusieurs facteurs avant de prendre une décision. Je suis d’avis qu’une hypothèse qui ne repose pas sur des faits importants ne constitue pas un argument solide.

[147] J. Robbins s’est reporté à la décision que la Cour fédérale a rendue dans l’affaire Juan Verville, précitée, lorsqu’il a mentionné que l’expression « susceptible de causer » ne signifie pas que chaque fois que la situation ou l’activité se produit, elle causera des blessures ». Je souscrit à cette déclaration, qui s’applique à l’appareil de protection respiratoire défectueux. J’ai déjà affirmé que la présence d’un appareil de protection respiratoire défectueux ne signifie pas que, chaque fois, elle causera des blessures à un membre de l’équipage ou le rendra malade. Étant donné l’absence d’un lien solide entre l’appareil de protection respiratoire hors service et le risque éventuel susceptible de causer des blessures ou de rendre malade, j’en arrive à la conclusion que R. Rivers n’a pas été exposée à un danger le 14 mars 2005.

[148] Ayant pris une décision sur le lien entre les deux vols, je n’ai pas l’obligation d’aborder toute la preuve produite relativement au lien entre un appareil de protection respiratoire défectueux et la qualité de l’air à bord de l’aéronef, puisque les facteurs qui existaient en juillet 2004 ne sont probablement pas identiques à ceux qui existaient en mars 2005.

[149] En conclusion, je confirme la décision d’absence de danger rendue par l’ASS Gass le 14 mars 2005.

[150] J’aimerais souligner que, lorsqu’un agent de santé et de sécurité fait enquête sur un refus de travailler se rapportant à la qualité de l’air à bord d’un aéronef, il devrait, avant de rendre une décision, effectuer une évaluation appropriée de la qualité de l’air. Dans la présente affaire, l’ASS Gass n’a pas évalué la qualité de l’air.

[151] Je suggère aussi fortement à l’employeur de travailler étroitement avec le comité d’orientation et le comité en milieu de travail sur la question des appareils de protection respiratoire hors service et leur incidence sur la qualité de l’air dans la cabine, où les membres de l’équipage exécutent leurs fonctions.



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Pierre Guénette
Agent d'appel


Sommaire de la décision de l'agent d'appel

Décision : CAO -07-029

Appelant : Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) – élément Air Canada

Intimée : Air Canada

Dispositions : Code canadien du travail, 129 (7), 145(2), 122(1)

Mots clés : Refus de travailler, décision d’absence de danger, qualité de l’air, appareils de protection respiratoire, hypoxie, composés organiques volatils (COV), liste d’équipement minimal (LEM) et danger

Résumé :

La présente affaire concerne un appel interjeté par Karen Salt pour le compte de Rehab Rivers à la suite d’une décision d’absence de danger rendue par l’agent de santé et de sécurité (ASS) Bob Gass le 14 mars 2005.

L’employée avait refusé de travailler parce qu’un seul des deux appareils de protection respiratoire fonctionnait à bord de l’aéronef.

À la suite de son examen, l’agent d’appel a confirmé la décision d’absence de danger rendue par l’ASS Gass.

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