Archivée - Décision: 07-030 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

Informations archivées

Les informations archivées sont fournies aux fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elles ne sont pas assujetties aux normes Web du gouvernement du Canada et n'ont pas été modifiées ou mises à jour depuis leur archivage. Pour obtenir ces informations dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Dossiers nos : 2005-28
2005-29
2005-31
Décision no : CAO-07-030

P&O Ports Inc.
et Western Stevedoring Co. Ltd.
demandeur

et

Syndicat international des débardeurs et des magasiniers, section locale 500
intimé
___________________________
31 août 2007

Le présent appel a été entendu par l’agent d’appel Richard Lafrance, à Vancouver (Colombie-Britannique), les 19 et 20 septembre 2006, et les 19 et 20 octobre 2006.

Ont comparu

Pour les appelants
Thomas A. Roper, avocat de P&O Ports Inc. et de Western Stevedoring Co. Ltd.

Pour l’intimé
Leah Terai, avocate, Syndicat international des débardeurs et des magasiniers (SIDM), section locale 500

[1] La présente décision vise trois appels1 déposés par deux employeurs distincts, soit P&O Ports Inc. et Western Stevedoring Co. Ltd., relativement à des instructions données par les agents de santé et de sécurité (ASS) P. D’sa et J. Yeung. Comme les circonstances étaient semblables et mettaient en cause les mêmes employés qui exerçaient le même genre d’activités, à la demande des parties, l’agent d’appel soussigné a déterminé, en vertu du pouvoir que lui confère l’alinéa 146.2h) du Code canadien du travail (le Code), qu’il était préférable et plus efficace d’entendre les trois appels simultanément.

1

Dossiers du Bureau canadien d’appel no 2005-28, Western Stevedoring Co. c. SIDM, section locale 500; no 2005‑29, P&O Ports Inc. c. SIDM, section locale 500; no 2005-31, P&O Ports Inc. c. SIDM, section locale 500‑2

[2] Les questions en litige dans les présentes affaires sont les suivantes : est-ce que le fait de travailler sur les panneaux de cale des trois navires visés par les refus de travailler constitue un danger pour les employés ayant refusé de travailler et une instruction est-elle nécessaire pour corriger la situation?

[3] Pour trancher ces questions, il est nécessaire d’examiner le travail exécuté par les employés et les circonstances qui prévalaient au moment où l’agent de santé et de sécurité a mené son enquête et qui peuvent ou non exister encore aujourd’hui.

[4] À la lumière d’une telle analyse, je dois déterminer s’il convient de confirmer, de modifier ou d’annuler les instructions données aux appelants par les ASS. Si je conclus qu’il y a eu contravention au Code, je dois également décider s’il y a lieu de donner une instruction en vertu des paragraphes 145(1) ou 145(2) du Code.

[5] Pour ce faire, je dois tenir compte des dispositions pertinentes de la partie II du Code canadien du travail, des faits en cause et de la jurisprudence applicable.

Dossier no 2005-29

[6] La première affaire concerne un appel interjeté le 5 août 2005 en vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail par P&O Ports Inc. / Canadian Stevedoring (P&O Ports) relativement à une instruction donnée par l’agent de santé et de sécurité D’sa le 8 juillet 2005.

[7] Le gestionnaire responsable du service des grains de P&O Ports, Bob Wall, a déposé l’appel le 5 août 2005. Il n’a pas demandé la suspension de l’instruction.

[8] L’instruction donnée à Bob Wall, à titre de représentant de l’employeur, énonce ce qui suit :

[Traduction]

INSTRUCTION DONNÉE À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) ET b)

Le 8 juillet 2005, l’agent de sécurité soussigné a mené une enquête à la suite du refus de travailler de Glen Bolkowy qui a fait connaître son refus de travailler au lieu de travail exploité par P&O Stevedoring, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, à l’U.G.G., ce lieu de travail étant parfois appelé l’IKAN BELLIAK.

L’agent de sécurité soussigné estime que l’utilisation ou le fonctionnement d’une machine ou d’une chose ou encore qu’une situation existant dans un lieu constitue un danger pour un employé au travail, et ce pour les motifs suivants :

1. travail sur un panneau de cale ouvert non clôturé, à une hauteur supérieure à 2,4 m;

2. travail près du bord d’un panneau de cale dont la surface est glissante.

Les employés doivent être protégés des dangers énumérés ci-dessus avant qu’ils ne reprennent leur travail.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement les mesures nécessaires afin de parer au danger et de protéger toute personne du danger.

Je vous ORDONNE EN OUTRE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de ne pas utiliser le lieu, la machine ou la chose à l’égard duquel l’avis danger no ___ a été affiché conformément au paragraphe 145(3), jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée.

[9] Le rapport et les documents présentés par l’ASS D’sa, ainsi que son témoignage et celui d’autres témoins, permettent d’établir la chronologie suivante des événements qui ont donné lieu au refus de travailler à bord de l’Ikan Beliak.

[10] Le 8 juillet 2005, à 8 h, une équipe de trois débardeurs a été affectée au chargement d’une cargaison de grains à bord de l’Ikan Beliak. Comme il pleuvait à ce moment, le superviseur a demandé aux employés d’installer des bâches2 sur les panneaux de cale afin de protéger les grains de la pluie.

2

Le Webster New World Dictionary, 1996, définit le terme « tarp » (bâche) comme étant le diminutif de « tarpaulin » [traduction] : 1a) tissu imperméable; b) toile faite de ce tissu qui sert à recouvrir des objets pour les protéger des intempéries.

[11] Pendant qu’ils tentaient d’installer les bâches sur les panneaux de cale, deux des employés ont glissé et ont failli tomber du bord du panneau. Il y avait sur les panneaux plusieurs obstacles sur lesquels une personne pouvait trébucher, notamment les arrimages pour conteneurs.

[12] La hauteur entre le pont du navire et le dessus des panneaux de cale était de moins de 2,4 mètres. À de nombreux endroits situés immédiatement sous les panneaux se trouvaient des tuyaux, des pompes et d’autres objets métalliques sur lesquels les employés pouvaient se blesser en tombant. Lorsque les panneaux étaient ouverts, la profondeur de la cale était d’environ 20 m.

[13] Les employés devaient se pencher sur le bord des panneaux de cale pour saisir la bâche qui était amenée à bord au moyen du tuyau qui sert à charger le grain. De plus, ils devaient se tenir sur le bord des panneaux de cale afin d’étendre et d’attacher la bâche au-dessus de ceux-ci. Les employés craignaient pour leur sécurité parce qu’ils devaient se tenir trop près du bord des panneaux afin de bien attacher les bâches. En outre, les panneaux étaient devenus glissants en raison des grains et de la poussière de grain qui s’étaient mêlés à l’eau de pluie qui s’y accumulait.

[14] Après avoir tenté d’attacher les bâches pendant un certain temps et après que deux des employés ont glissé sur les panneaux de cale, les débardeurs ont décidé que l’arrimage de la bâche était une tâche dangereuse pour leur santé et leur sécurité. Ils ont informé leur agent syndical et leur superviseur immédiat de leur refus de travailler.

[15] Après discussion, vers 8 h 30, B. Wall, le gestionnaire du service des grains, a appelé un agent de santé et de sécurité afin qu’il fasse enquête sur le refus de travailler.

[16] Lorsque l’agent de santé et de sécurité D’sa est arrivé, vers 10 h, la pluie avait cessé. Toutefois, B. Wall a insisté pour que l’on démontre à l’ASS D’sa comment on attachait une bâche au-dessus d’un panneau de cale.

[17] L’ASS D’sa a conclu qu’il était dangereux d’attacher les bâches au-dessus des panneaux de cale ouverts puisqu’il n’y avait aucune protection sur le côté des panneaux ouverts. Il a demandé que les panneaux soient fermés pendant l’installation.

[18] L’ASS D’sa a également déclaré au cours de son témoignage que B. Wall avait ordonné aux employés d’installer les bâches à partir du pont du navire. Toutefois, comme les bâches s’accrochaient constamment aux panneaux de cale quand les employés tentaient de les ouvrir, ils ont abandonné après quelques tentatives.

[19] Dans son rapport, l’ASS D’sa a souligné les faits suivants :

[Traduction]

  1. Le panneau de cale se trouvait à une hauteur inférieure à 2,4 m.
  2. Lorsque le panneau est ouvert, la hauteur de l’ouverture, du panneau jusqu’au fond, est d’environ 20 m.
  3. Il était nécessaire de fournir une protection à cette hauteur et des garde-fous ont été installés avant l’ouverture de la cale.
  4. Il était possible d’installer les bâches de façon sécuritaire lorsque les panneaux étaient fermés, en se déplaçant des bords vers le centre et en fixant les bords à partir du pont principal.
  5. Une fois l’installation terminée, on peut ouvrir le panneau de cale en toute sécurité.
  6. D’après l’expérience de toutes les parties en cause, y compris celle de l’agent de sécurité, il a été convenu que la surface du panneau de cale devient glissante, en raison de la poussière de grain, des grains déversés et de l’eau de pluie, et en particulier lorsque le grain est de forme sphérique, comme le canola, les pois, etc.
  7. Les panneaux de cale doivent être fermés de temps à autre pour diverses raisons.
  8. Lorsqu’il pleut, l’eau s’accumule sur la bâche, entre les panneaux ouverts.
  9. Il est nécessaire d’enlever l’eau avant de refermer le panneau pour empêcher que l’eau ne s’infiltre dans la cargaison.
  10. Pour enlever l’eau, les employés doivent tirer sur les bâches, en se tenant près du bord du panneau.
  11. Cette partie du travail est considérée comme étant dangereuse parce que les employés risquent de glisser et de tomber sur le pont principal.
  12. De tels accidents se sont produits dans le passé.

Dossier no 2005-28

[20] La deuxième affaire est un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail par Western Stevedoring Co. Ltd. relativement à une instruction donnée par l’agent de santé et de sécurité D’sa le 8 juillet 2005.

[21] Le surintendant responsable des grains de Western Stevedoring, Co. Ltd., Guy Thomson, a déposé l’appel le 5 août 2005. Il n’a pas demandé la suspension de l’instruction.

[22] L’instruction énonce ce qui suit :

[Traduction]

INSTRUCTION DONNÉE À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) ET b)

Le 8 juillet 2005, l’agent de sécurité soussigné a mené une enquête à la suite du refus de travailler de Steve Suttie qui a fait connaître son refus de travailler au lieu de travail exploité par Western Stevedoring, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, au terminal Cascadia, ce lieu de travail étant parfois appelé le M.V. JUPITER CHARM.

L’agent de sécurité soussigné estime que l’utilisation ou le fonctionnement d’une machine ou d’une chose, ou encore qu’une situation existant dans un lieu constitue un danger pour un employé au travail, et ce pour les motifs suivants :

1. travail sur un panneau de cale ouvert non clôturé, à une hauteur supérieure à 2,4 m.

2. travail près du bord d’un panneau de cale dont la surface est glissante.

Les employés doivent être protégés des dangers énumérés ci-dessus avant qu’ils ne reprennent leur travail.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement les mesures nécessaires afin de parer au danger et de protéger toute personne du danger.

Je vous ORDONNE EN OUTRE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de ne pas utiliser le lieu, la machine ou la chose à l’égard duquel l’avis de danger no ___ a été affiché conformément au paragraphe 145(3), jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée.

[23] Le rapport et les documents présentés par l’ASS D’sa, ainsi que son témoignage et celui d’autres témoins, permettent d’établir la chronologie suivante des événements qui ont donné lieu au refus de travailler à bord du M.V. Jupiter Charm le 8 juillet 2005.

[24] Pendant que l’ASS D’sa faisait enquête sur le refus de travailler à bord de l’Ikan Beliak, il a été informé vers 10 h 30 qu’un autre employé refusait de travailler à bord du M.V. Jupiter Charm. Il est allé enquêter sur ce deuxième refus de travailler vers 11 h.

[25] L’ASS D’sa a conclu que les circonstances qui prévalaient sur le Jupiter Charm étaient très semblables à celles qui ont été constatées à bord de l’Ikan Beliak. Trois débardeurs ont refusé de travailler parce qu’ils estimaient dangereux d’installer et d’enlever une bâche au-dessus d’une cale ouverte à une certaine hauteur et sur une surface glissante parce qu’ils risquaient de tomber soit dans la cale ou sur le pont et de subir des blessures graves.

[26] D’après les employés ayant refusé de travailler, l’employeur voulait procéder au chargement du grain pendant qu’il pleuvait. En raison de la poussière, de la pluie et des grains déversés, les panneaux de cale étaient devenus glissants et les employés craignaient de glisser et de tomber dans la cale ouverte, une chute de 10 à 20 m. Ils risquaient également tomber sur le pont, une chute de moins de 2,4 m, mais où se trouvaient des tuyaux et de l’équipement sur lesquels ils pouvaient subir des blessures graves en tombant.

[27] L’ASS D’sa a souligné que, selon Guy Thompson, on chargeait le grain sous la pluie sous des bâches depuis plus de trente ans dans le Port de Vancouver et que, comme les employés ne devaient pas travailler à une hauteur supérieure à 2,4 m, il n’y avait aucun danger.

[28] Au cours de son enquête, l’ASS D’sa a établi les faits suivants :

  1. Le panneau de cale se trouvait à une hauteur inférieure à 2,4 m à partir du pont principal.
  2. Lorsque le panneau est ouvert, la hauteur de l’ouverture, du panneau jusqu’au fond est d’environ 15 m.
  3. Il était nécessaire de fournir une protection à cette hauteur, mais aucune mesure n’a été prise pour installer des garde-fous.
  4. Il était possible d’installer les bâches de façon sécuritaire lorsque les panneaux étaient fermés, en se déplaçant des bords vers le centre et en fixant les bords à partir du pont principal.
  5. Une fois l’installation terminée, on peut ouvrir le panneau de cale en toute sécurité.
  6. D’après l’expérience de toutes les parties en cause, y compris celle de l’agent de sécurité, il a été convenu que la surface du panneau de cale devient glissante, en raison de la poussière de grain, des grains déversés et de l’eau de pluie, et en particulier lorsque le grain est de forme sphérique, comme le canola, les pois, etc.
  7. Les panneaux de cale doivent être fermés de temps à autre pour diverses raisons.
  8. Lorsqu’il pleut, l’eau s’accumule sur la bâche, entre les panneaux ouverts.
  9. Il est nécessaire d’enlever l’eau avant de refermer le panneau pour empêcher que l’eau ne s’infiltre dans la cargaison.
  10. Pour enlever l’eau, les employés doivent tirer sur les bâches, en se tenant près du bord du panneau.
  11. Cette partie du travail est considérée comme étant dangereuse parce que les employés risquent de glisser et de tomber sur le pont principal.
  12. De tels accidents se sont produits dans le passé.

[29] L’ASS D’sa a déterminé que la procédure suivie pour installer et enlever les bâches et pour enlever l’eau des bâches était dangereuse. Il a souligné les deux dangers suivants :

1. travail à une hauteur supérieure à 2,4 m;
2. travail sur le bord d’un panneau de cale dont la surface est glissante.

[30] L’ASS D’sa a ordonné à l’employeur de protéger les employés de ces dangers.

Dossier no 2005-31

[31] La troisième affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail par P&O Ports Inc. relativement à une instruction donnée par l’agent de santé et de sécurité Yeung le 16 août 2005.

[32] Le gestionnaire responsable du service des grains de P&O Ports, Bob Wall, a déposé l’appel le 24 août 2005. Il n’a pas demandé la suspension de l’instruction.

[33] L’instruction, donnée à Peter Warner, surintendant, P&O Ports, énonce ce qui suit :

INSTRUCTION DONNÉE À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) ET b)

Le 16 août 2005, l’agent de sécurité soussigné a procédé à une inspection à la suite du refus de travailler de M.A. St.Denis qui a fait connaître son refus de travailler au lieu de travail exploité par P&O Ports, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, le M.V. THOMAS C, ce lieu de travail étant parfois appelé Pacific Elevator #2.

L’agent de sécurité visé estime que l’utilisation ou le fonctionnement d’une machine ou d’une chose ou qu’une situation existant dans un lieu constitue un danger pour un employé au travail.

L’UTILISATION DE BÂCHES SUR LES PANNEAUX DE CALE LORSQU'IL PLEUT CONSTITUE UN DANGER POUR UN EMPLOYÉ QUI Y TRAVAILLE.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement les mesures nécessaires afin de parer au danger et de protéger toute personne du danger.

Je vous ORDONNE EN OUTRE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de ne pas utiliser le lieu la machine ou la chose à l’égard duquel l’avis de danger no ___ a été affiché conformément au paragraphe 145(3), jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée.

[34] Le rapport et les documents présentés par l’ASS Yeung, ainsi que son témoignage et celui d’autres témoins, permettent d’établir la chronologie suivante des événements qui ont donné lieu au refus de travailler à bord du M.V. Thomas C. le 16 août 2005.

[35] Le soir du 16 août 2005, une équipe de débardeurs a été affectée au chargement de grains à bord du M.V. Thomas C. Comme il pleuvait, le superviseur a demandé aux employés d’installer des bâches sur les panneaux de cale afin de protéger les grains de la pluie.

[36] Les employés ont jugé qu’il était dangereux d’installer et d’enlever une bâche, parce que le panneau de cale était devenu glissant en raison de l’accumulation de poussière, de grains déversés et d’eau de pluie.

[37] Les employés craignaient de tomber sur le pont, une chute de 1,5 à 3 m. À nombreux endroits situés immédiatement sous les panneaux de cale se trouvaient des tuyaux, des pompes et d’autres objets métalliques sur lesquels les employés pouvaient se blesser en tombant. Ils craignaient aussi de tomber dans la cale lorsque les panneaux étaient ouverts, une chute d’environ 20 m, et de subir des blessures graves ou même mortelles.

[38] L’ASS Yeung a déclaré qu’il n’avait pas vraiment été témoin de l’activité d’installation de la bâche, mais que les employés et le représentant de l’employeur la lui avaient décrite et expliquée.

[39] L’ASS Yeung a affirmé que l’employeur n’était pas d’accord avec le renseignement qu’il avait consigné, soit que les employés devaient se tenir près du bord afin d’installer la bâche, mais qu’il croyait néanmoins fermement qu’il existait de nombreuses situations où les employés devaient se tenir près du bord afin d’installer ou d’enlever la bâche.

[40] L’ASS Yeung a reconnu que son rapport était, sur certains plans, très semblable à celui de l’ASS D’sa, parce que les circonstances étaient à ce point semblables à celles sur lesquelles avait enquêté l’ASS D’sa qu’il avait reproduit des éléments du rapport de ce dernier.

[41] Dans son rapport, l’ASS Yeung a souligné les faits suivants :

  1. Le panneau de cale se trouvait à une hauteur inférieure à 2,4 m.
  2. Lorsque le panneau est ouvert, la hauteur de l’ouverture, du panneau jusqu’au fond est d’environ 18 m.
  3. Il était nécessaire de fournir une protection à cette hauteur, mais aucune mesure n’a été prise pour installer des garde-fous.
  4. Il était possible d’installer les bâches de façon sécuritaire lorsque les panneaux étaient fermés, en se déplaçant des bords vers le centre et en fixant les bords à partir du pont principal.
  5. Une fois l’installation terminée, on peut ouvrir le panneau de cale en toute sécurité.
  6. D’après l’expérience de toutes les parties en cause, y compris celle de l’agent de sécurité, il a été convenu que la surface du panneau de cale devient glissante, en raison de la poussière de grain, des grains déversés et de l’eau de pluie, et en particulier lorsque le grain est de forme sphérique, comme les pois, le canola, etc.
  7. Les panneaux de cale doivent être fermés de temps à autre pour diverses raisons.
  8. Lorsqu’il pleut, l’eau s’accumule sur la bâche, entre les panneaux ouverts.
  9. Il est nécessaire d’enlever l’eau avant de refermer le panneau pour empêcher que l’eau ne s’infiltre dans la cargaison.
  10. Pour enlever l’eau, les employés doivent tirer sur les bâches en se tenant près du bord du panneau.
  11. Cette partie du travail est considérée comme étant dangereuse parce que les employés risquent de glisser et de tomber sur le pont principal.
  12. De tels accidents se sont produits dans le passé.

[42] L’ASS Yeung a déterminé qu’il existait un danger dans l’exécution de la procédure d’installation et d’enlèvement des bâches et d’enlèvement de l’eau des bâches. Il a ordonné à l’employeur de protéger les employés du danger.

Témoins des appelants

[43] Je retiens ce qui suit du témoignage de B. Wall, gestionnaire responsable du service des grains de P&O Ports Inc.

[44] B. Wall a affirmé que les bâches sont habituellement installées lorsque les panneaux de cale sont fermés, sinon les grains seraient exposés à la pluie. De plus, normalement, les employés ne devraient pas se tenir sur le bord des panneaux pour installer les bâches. Ce travail peut être exécuté à partir du pont principal. Toutefois, il arrive à l’occasion que les employés se placent sur le dessus du panneau, mais ils ne devraient pas se tenir à moins de 1,5 ou 2 m du bord.

[45] B. Wall a reconnu que les panneaux de cale pouvaient devenir glissants lorsque les grains et l’eau s’y accumulent. Néanmoins, il a affirmé que si les bâches étaient bien installées, aucune eau de devrait s’y accumuler et, le cas échéant, elle pouvait être enlevée en resserrant les cordes qui sont attachées à la bâche à partir du pont principal. Il a ajouté que les employés devraient porter des bottes antidérapantes pour travailler à bord des navires.

[46] B. Wall a expliqué que des rencontres avaient eu lieu récemment avec le syndicat afin de discuter de la procédure d’installation des bâches, mais qu’on n’était pas parvenu à s’entendre. Il a également rappelé un accident survenu en 2000, au cours duquel un employé est tombé d’un panneau de cale pendant qu’il pliait la bâche et qu’il avait subi des blessures au dos.

[47] G. Thompson, le surintendant responsable des grains pour Western Stevedoring, a rendu un témoignage très semblable à celui de B. Wall concernant les circonstances du refus de travailler à bord du M.V. Jupiter Charm.

[48] Selon G. Thompson, l’eau ne devrait pas s’accumuler si les bâches sont bien installées, mais que le cas échéant, les panneaux de cale peuvent devenir glissants. Néanmoins, les employés ne sont généralement pas tenus de travailler près du bord, puisque les bâches peuvent être serrées à partir du pont principal à l’aide des cordes qui y sont attachées.

[49] G. Thompson a ajouté qu’il n’existait aucune procédure écrite concernant l’installation de bâches sur les panneaux de cale au moment des refus. Depuis ce temps, les employeurs ont proposé des procédures qui ont été élaborées en consultation avec le syndicat et la British Columbia Maritime Employers Association (BCMEA). Mais après quelques réunions, on n’en est arrivé à aucun consensus.

[50] De l’avis de G. Thompson, le jour du refus ne différait en rien des autres jours où les employés devaient utiliser des bâches pour charger le grain pendant qu’il pleuvait.

[51] Selon P. Warner, surintendant pour la P&O Ports Inc., les panneaux de cale peuvent devenir glissants lorsqu’ils sont recouverts d’eau et de débris de grains, mais les employés ne devrait pas être tenus de travailler près du bord. Ils devraient travailler au centre des panneaux de cale et se tenir loin des bords. Dans les lignes directrices qui ont été proposées, une zone interdite de deux mètres devra être délimitée autour du bord des panneaux de cale dans l’avenir.

Témoignage d’un expert

[52] B. Johnston a témoigné relativement aux trois affaires à titre d’expert en sécurité maritime. D’après son curriculum vitæ, il a pris sa retraite de la Garde côtière canadienne, après avoir occupé le poste d’expert principal de la navigation maritime, Sécurité des navires. Son domaine d’expertise était l’inspection de l’outillage de chargement et les procédures de chargement. Il a été agent de projet chargé de la compilation des paramètres et des procédures d’essai ainsi que des limites d’usure de l’outillage de chargement à bord des navires. Après sa retraite, il a participé à l’enquête portant sur des accidents mettant en cause des personnes et de l’équipement. De plus, il a révisé les aspects techniques des rampes d’évacuation. Enfin, il a pris part à plusieurs colloques d’enseignement pour Transports Canada portant sur l’inspection d’engins de manutention.

[53] Mme Leah Terai, avocate de l’intimé, a accepté le témoignage de B. Johnston en tant qu’expert en sécurité maritime.

[54] B. Johnston a déclaré que la pratique qui consiste à installer des bâches existe depuis le début des années 1960. Les employés sont formés sur le tas pour effectuer ce travail et sont supervisés par des personnes compétentes.

[55] B. Johnston a ajouté que la question fondamentale dans cette affaire est que les employés doivent se tenir à une distance raisonnable du bord des panneaux de cale afin de pouvoir exécuter leur travail en toute sécurité. Le Règlement sur l’outillage de chargement3 précise qu’il doit y avoir un espace raisonnable pour qu’il soit sécuritaire de travailler dans un lieu donné.

3

Loi habilitante : Loi sur la marine marchande du Canada, L.R. 1985, ch. S-9; Règlement sur l’outillage de chargement, C.R.C., ch. 1494

[56] En outre, selon B. Johnston, il est nécessaire de prendre en compte l’expérience des employés et du superviseur, mais il faut également tenir compte des circonstances exceptionnelles. Les employés doivent se servir de leur jugement et il revient au superviseur de leur rappeler de ne pas se tenir dans une zone non sécuritaire.

[57] B. Johnston a également déclaré qu’il est possible de conclure qu’un travailleur qui se tient à au moins 2 m du bord d’un panneau de cale devrait être en sécurité et qu’il ne risquerait pas de tomber à la lumière des dispositions suivantes :

  • le paragraphe 2.9(2) du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires)4 (le RSST), qui prévoit l’installation d’un filet de sécurité d’une largeur d’environ 6 pieds sous les échelles d’accès ou les passerelles d’embarquement;
  • le projet de Règlement sur les cargaisons, la fumigation et l’outillage de chargement, en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande, qui exige que des filets de sécurité soient installés et qu’ils s’étendent des deux côtés d’un passage ou d’une voie d’accès sur une distance de 1,8 m.
4

Loi habilitante : Code canadien du travail, L.R. 1985, ch. L-2; Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires), DORS/87-183

2.9(1) Un filet de sécurité doit être installé sous chaque échelle d’accès ou passerelle d’embarquement, sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) l’échelle d’accès ou la passerelle d’embarquement et leurs abords sont construits de façon que la présence d’un filet de sécurité est inutile;
b) l’installation d’un filet de sécurité est impossible.

(2) Le filet de sécurité visé au paragraphe (1) doit à la fois :

a) s’étendre des deux côtés de l’échelle d’accès ou de la passerelle d’embarquement, sur une distance de 1,8 m;
b) être toujours tendu;
c) être conforme à la norme visée au paragraphe 2.15(2).

[58] B. Johnston a affirmé que l’accumulation d’eau sur les panneaux de cale due à une installation inadéquate des bâches doit être corrigée dès que possible et nécessite un plus grand nombre d’effectifs afin que le travail soit exécuté à partir du pont principal.

[59] De plus, les employés doivent porter des bottes antidérapantes pendant qu’ils travaillent sur des panneaux de cale et, malgré cette mesure, les panneaux devraient être gardés propres par l’équipage du navire. Le travail sur les panneaux de cale constitue depuis très longtemps une condition de travail et les employés devraient savoir qu’ils doivent se tenir loin des bords.

[60] B. Johnston est d’avis que les exigences du RSST concernant les systèmes de protection contre les chutes visent l’équipement de protection contre les chutes où des employés doivent travailler sur une structure non protégée se trouvant à une hauteur de plus de 2,4 m. Il croit qu’il n’est pas nécessaire de fournir de l’équipement de protection contre les chutes dans ce cas, puisque les employés n’ont qu’à travailler loin des bords des panneaux de cale.

[61] B. Johnston a déclaré que les lignes directrices proposées par l’employeur à l’égard des deux types de panneaux de cale, comme dans les trois affaires en l’espèce, peuvent répondre à toute préoccupation des employés quant au risque de chute des panneaux de cale. Les lignes directrices règlent la question des risques de glisser en exigeant que les panneaux soit gardés bien propres et que les employés portent des bottes de travail antidérapantes.

[62] En outre, en établissant un lien entre les conditions de travail, le Règlement sur l’outillage de chargement et le projet de Règlement sur les cargaisons, la fumigation et l’outillage de chargement, B. Johnston a soutenu qu’une distance de travail sécuritaire de 2 m à partir des bords des panneaux était suffisante pour protéger les employés contre les risques occasionnels de trébucher ou de glisser. Selon lui, il serait très difficile d’utiliser des systèmes de protection contre les chutes.

[63] B. Johnston a affirmé que la hauteur ne constituait pas un danger pour un employé, quelle que soit l’activité, à condition qu’il se tienne à un ou deux mètres des bords du panneau de cale.

[64] B. Johnston a ajouté que lorsqu’il a participé à l’examen du projet de Règlement sur les cargaisons, la fumigation et l’outillage de chargement, le groupe de travail a pris en compte les activités des employés et s’est assuré qu’ils disposaient d’un espace de travail suffisant.

[65] B. Johnston est d’avis que le fait d’informer les employés de la zone de travail sécuritaire ou de la délimiter était suffisant pour protéger les employés des risques de chute du bord des panneaux de cale. À son avis, de façon générale, les débardeurs ont une bonne idée de l’endroit où ils se trouvent sur les panneaux.

[66] B. Johnston a affirmé que les risques de trébucher, comme les taquets et les points d’amarrage, surtout lorsqu’ils sont couverts par des bâches, sont des conditions normales, mais que de toute façon les employés doivent rarement travailler sur le dessus des panneaux de cale. Il a reconnu en outre que, dans la plupart des cas, la hauteur des panneaux de cale sur les nouveaux navires était d’environ 2,4 m ou plus.

[67] B. Johnston a déclaré que les zones qui se trouvent immédiatement à côté des panneaux de cale étaient très dangereuses en cas de chute à partir des panneaux, parce qu’on y trouvait habituellement des objets comme des tuyaux d’acier, des pompes et des marches. Il s’agit d’une autre raison pour laquelle, par mesure de précaution, les employés devraient travailler loin des bords.

Témoins de l’intimé

[68] Je retiens les passages suivants du témoignage de J. Brooks, qui a témoigné en faveur du SIDM. J. Brooks, qui est membre du SIDM, travaille à titre de débardeur et est également porte-parole du comité de santé et de sécurité en plus d’être membre du comité des grains. En sa qualité de débardeur, J. Brooks charge du grain sur des navires depuis plus de 30 ans. Il a installé des bâches à maintes reprises et il connaît très bien la procédure.

[69] Au cours de son témoignage J. Brooks a déclaré que, lorsqu’il pleut, la bâche est amenée sur les panneaux de cale à l’aide du chargeur à grains. Les débardeurs doivent grimper sur les panneaux pour déplier et étendre la bâche de 40 pieds sur 60 pieds. Une fois la bâche étendue, les cordes qui y sont attachées environ tous les 3 pieds, sont resserrées à partir du pont principal.

[70] J. Brooks a ensuite expliqué que, pendant le chargement, les employés doivent ajuster les cordes si l’eau de pluie s’accumule sur les bâches. Cette tâche est exécutée à certains moments à partir du pont principal, bien que des employés doivent parfois grimper sur les panneaux de cale, selon l’ajustement qui doit être fait.

[71] J. Brooks a également expliqué qu’une fois le chargement terminé, si l’eau s’est accumulée sur la bâche et forme une poche dans l’ouverture de la cale, les employés doivent grimper sur le dessus et tirer la bâche afin d’enlever l’excès d’eau pour pouvoir fermer le panneau de cale. Ils tirent sur les cordes et secouent la bâche afin de vider les poches d’eau. Parfois, ils peuvent exécuter cette tâche à partir du centre du panneau de cale ou ils doivent se tenir près du bord de la cale ouverte ou du panneau de cale. Puis, les débardeurs détachent les cordes et restent sur le dessus du panneau pour plier la bâche et l’attacher au chargeur à grains afin de la débarquer du navire.

[72] J. Brooks a reconnu que si les bâches sont bien installées, aucune eau ne devrait s’y accumuler. Toutefois, sur de si grandes surfaces et selon les vents qui soufflent et la quantité de pluie qui tombe, il peut être très difficile de garder les bâches tendues et il se forme souvent des poches d’eau. Il a également reconnu que, dans la plupart des cas, peut-être 80 % du temps, l’accumulation d’eau sur les bâches ne représente pas un problème.

[73] J. Brooks a souligné que, pendant l’enquête de l’ASS, ils ont tenté de démontrer comment installer une bâche à partir du pont principal, comme l’a exigé B. Wall, mais ils n’ont pas réussi à le faire. Ce n’est pas une opération courante. La bâche ne cessait de s’accrocher et de se déchirer sur le panneau de cale lorsqu’on ouvrait celui-ci.

[74] En ce qui concerne les lignes directrices qui sont proposées par l’employeur, J. Brooks s’est demandé d’où venait la zone d’interdiction de 2 mètres. Il s’est rappelé que l’employeur souhaitait au départ définir une zone d’un mètre. Des membres du syndicat ont soutenu qu’une zone de deux mètres constituait une meilleure protection contre les risques de chute des panneaux de cale. Cependant, il s’est demandé si cette zone était vraiment sécuritaire. Qui sait exactement ce qui constitue une distance sécuritaire du bord, selon le type de travail exécuté et les diverses conditions de travail, étant donné les différents types de panneaux de cale et de navires?

[75] A. Laumonier a témoigné à titre de troisième vice-président local du SIDM. Il est également coordonnateur syndical en santé et sécurité et membre du comité des grains. Ce comité a été mis sur pied par la BCMEA et le SIDM afin de discuter des questions de santé et de sécurité propres au transport du grain. Il a précisé qu’il s’agit d’un comité de santé et de sécurité mis sur pied conformément à la convention collective et non un comité créé en vertu du Code canadien du travail, même s’ils n’ont pas obtenu la dispense ministérielle prévue à l’article 130 du Code.

[76] A. Laumonier a expliqué que les membres du comité des grains s’étaient réuni à diverses occasions afin de tenter de régler les questions relatives aux bâches en ce qui concerne la santé et la sécurité, mais qu’ils n’étaient jamais parvenus à s’entendre. Le SIDM n’est pas d’accord avec les lignes directrices proposées en ce qui concerne la protection contre les chutes. Dans ce secteur d’activités, une aide visuelle visant à délimiter une zone dangereuse est insuffisante et une aide mécanique, telle une barrière, est nécessaire pour délimiter la zone.

[77] D. McGhie, qui est débardeur depuis 38 ans, était l’un des employés qui ont refusé de travailler. Il a expliqué que ses deux collègues et lui ont décidé de refuser de travailler après que l’un d’eux a glissé en raison de l’eau accumulée qui était mélangée à des résidus de grain. Ils ont déterminé qu’il y avait du danger parce qu’ils travaillaient à moins de six pouces du bord du panneau de cale et qu’ils risquaient de tomber du panneau s’ils glissaient à nouveau.

[78] D. McGhie a expliqué qu’ils devaient se pencher au bord du panneau de cale pour tirer sur la bâche afin de l’amener à bord du navire. Cette tâche était rendue nécessaire parce que la galerie, d’où provenait le grain, était trop basse et que le tuyau servant à charger le grain et à transporter les bâches sur les navires ne pouvait pas atteindre la hauteur nécessaire pour amener la bâche sur le panneau de cale. Il a confirmé qu’il n’a pas demandé à son superviseur de faire venir une grue mobile afin d’embarquer la bâche sur le navire au lieu d’utiliser un tuyau qui ne pouvait pas atteindre la hauteur voulue.

[79] G. McGhie a précisé que, lorsque l’ASS est venu faire son enquête à la suite du refus de travailler, il pleuvait encore et la bâche avait été partiellement installée. L’ASS a conclu qu’il y avait du danger, parce que le travail devait être exécuté trop près du bord des panneaux de cale.

[80] L’agent syndical du SIDM, S. Suttie, a confirmé qu’il y avait eu deux refus de travailler durant la journée en question et qu’il avait collaboré à l’enquête relative aux deux refus de travailler avec l’agent de santé et de sécurité. Il a aussi confirmé que les employés n’avaient pas réussi à démontrer qu’il était possible d’installer la bâche à partir du pont principal parce que la bâche ne cessait de s’accrocher aux panneaux en mouvement.

Arguments des appelants

[81] L’avocat des deux appelants, T. Roper, a fait valoir que, comme les rapports des ASS D’sa et Yeung étaient presque en tous points identiques, les mêmes motifs d’appel s’appliquaient aux trois instructions.

[82] T. Roper a soutenu que les décisions des agents de santé et de sécurité D’sa et Yeung devaient être annulées aux motifs que leurs enquêtes étaient viciées parce qu’ils ne disposaient pas de tous les renseignements nécessaires pour rendre une décision. Comme ils n’avaient pas vu l’installation ou de l’enlèvement de la bâche sous la pluie, ils n’avaient pas été témoins du seul élément qui selon eux constituait un danger pour les employés, notamment l’enlèvement de l’eau, ce que les employés devaient faire en tirant sur les bâches pendant qu’ils se tenaient près du bord du panneau de cale. De plus, T. Roper a soutenu que les trois instructions contenaient des erreurs de faits et de droit.

[83] Subsidiairement, T. Roper a fait valoir que les lignes directrices proposées par l’employeur pour l’installation des bâches sur les panneaux de cale éliminaient le prétendu danger. Par conséquent, il n’existait aucun danger, si jamais ce fut le cas.

[84] Se fondant sur la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI – auparavant connu sous le nom de Conseil canadien des relations du travail ou CCRT) dans l’affaire Simon c. Société canadienne des postes5, T. Roper a soutenu que le droit d’un employé de refuser de travailler pour des raisons de sécurité ne doit pas servir de moyen pour obtenir un avantage en matière de relations de travail ou pour exercer des pressions sur les relations de travail.

5

Simon c. Société canadienne des postes (1993) 91 di 1, décision du CCRT no 988

[85] En invoquant la décision du CCRT dans l’affaire Brailsford c. Worldways Canada Ltd.6, T. Roper a fait valoir que le droit de refuser de travailler est censé être invoqué dans des situations où les employés font face à un danger immédiat, quand le risque de blessure est vraisemblablement inévitable à tout moment si le danger n’est pas éliminé.

6

Brailsford c. Worldways Canada Ltd. (1992) 87 di 98, décision du CCRT no 921

[86] T. Roper a soutenu que les débardeurs installent des bâches sur les navires depuis plus de 30 ans et qu’il ne s’agissait pas d’une situation qui est survenue de façon inattendue. Au moment du refus, on n’avait pas demandé aux employés de faire ce que les agents de santé et de sécurité ont jugé dangereux.

[87] T. Roper a ajouté que rien ne prouvait qu’on avait demandé aux débardeurs, au moment de leur refus, d’enlever l’eau des bâches en [Traduction] « tirant sur les bâches, pendant qu’ils se tenaient près du bord du panneau de cale ».

[88] T. Roper a soutenu que le témoignage de R. McGhie ne concordait pas avec les conclusions des ASS, ni avec le témoignage de B. Wall selon lequel les panneaux de cale étaient en mouvement au moment du refus ou que l’équipement était utilisé pour embarquer la bâche à bord du navire. Il a cité l’extrait suivant de la décision rendue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Faryna c. Chorny7 afin de faire valoir que je ne devrais accorder aucun poids au témoignage de R. McGhie :

[Traduction]

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu'il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l'espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu'une personne éclairée et douée de sens pratique peut d'emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances.

7

Faryna c. Chorny [1952] 2 D.L.R. 354, Cour d’appel de la Colombie-Britannique, pages 356 et 357

[89] De plus, T. Roper a soutenu que le moment du refus de travailler et l’absence d’explication crédible quant à savoir pourquoi la « mesure d’urgence » d’un refus de travailler était nécessaire dans les trois cas ne peut que mener à la conclusion que les refus de travailler visaient un objectif illégitime : précipiter les discussions en cours entre l’employeur et le syndicat concernant la sécurité de l’installation de bâches sur des navires sous la pluie.

[90] T. Roper a prétendu qu’il est nécessaire qu’une personne soit en mesure de démontrer que, dans les circonstances, il existe une possibilité raisonnable que les employés subissent des blessures, tel que l’a écrit la Cour fédérale dans la décision Juan Verville8.

8

Juan Verville et Service correctionnel du Canada, Institution pénitentiaire de Kent, 2004 CF 767

[91] T. Roper a ajouté qu’aucune preuve objective ne montrait qu’il existait un danger ou qu’un danger pouvait survenir, que la bâche se gonflerait ou que les panneaux étaient particulièrement glissants et que les employés seraient appelés à enlever l’eau de la bâche. Il a conclu que, dans les circonstances, la possibilité hypothétique qu’un employé puisse subir des blessures pendant qu’il installait une bâche sur un navire céréalier ne correspondait pas à la définition de « danger » énoncée dans le Code. Il a cité à l’appui l’extrait suivant de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Douglas Martin9 :

Je conviens qu'une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. […] L[e rôle du tribunal] en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu'affirme le demandeur se produise plus tard.

9

Douglas Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada et Procureur général du Canada, 2005 CAF156, par. 37

[92] Subsidiairement aux arguments présentés, T. Roper a fait valoir que le seul risque qui aurait pu se poser pendant l’installation de la bâche était la surface glissante des panneaux de cale. Il a soutenu que le risque était une condition de travail normale pour laquelle un refus ne pouvait être autorisé en vertu de l’alinéa 128(2)b) du Code canadien du travail. Il a ajouté que tout risque de glisser était atténué par l’exigence du port de bottes antidérapantes par les débardeurs.

[93] T. Roper a également soutenu que le travail de débardeur comportait des dangers inhérents, comme l’a déclaré J. Brooks lors de son témoignage, et que les cours10 et autres tribunaux11 ont statué que, si un danger allégué constitue une condition de travail normale, l’employé ne peut refuser de travailler.

10

Juan Verville, supra

11

Zafar c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1996) 102 di 154

[94] T. Roper a soutenu que, dans les trois instructions données par les agents de santé et de sécurité, la menace hypothétique d’une activité exercée près du bord du panneau de cale dans des conditions correspondant à un niveau normal de danger inhérent au travail ne constituait pas un danger aux termes du Code.

[95] En outre, T. Roper a fait valoir que les lignes directrices proposées par l’employeur concernant l’installation de bâches sur les deux types de panneaux de cale éliminaient tout danger allégué déterminé par les agents de santé et de sécurité, les débardeurs et le syndicat.

[96] Par conséquent, T. Roper a soutenu que les trois instructions devaient être annulées pour les motifs suivants :

  • les enquêtes viciées et incomplètes;
  • la décision de donner une instruction était erronée parce qu’il n’existait pas de danger immédiat;
  • l’apparence de danger faisait partie du travail;
  • les refus de travailler étaient fondés sur des situations hypothétiques et spéculatives et étaient liés à des questions de relations de travail.

Arguments de l’intimé

[97] En réponse aux arguments de T. Roper, à savoir que je devrais annuler les instructions parce que les enquêtes étaient viciées et incomplètes, Leah Terai a soutenu que, tel que mentionné aux paragraphes 59 à 64 de la décision de l’agent d’appel du Bureau canadien d’appel (BCA) dans l’affaire Hogue-Burzynski12, un appel porté devant un agent d’appel est un appel de novo. L’agent d’appel n’est pas tenu de trancher seulement sur la question à savoir si l’enquête de l’agent de sécurité était complète ou non. De plus, l’agent d’appel peut tenir compte des conditions ou des risques éventuels ainsi que des activités courantes ou futures qui ont trait au refus de travailler.

12

Bernadette Hogue-Burzynski et autres et Via Rail Canada, décision du BCA no 2006-015

[98] Invoquant les paragraphes 31 et 32 de la décision Juan Verville, supra, L. Terai a fait valoir que la version modifiée en vigueur du Code vise les situations, tâches ou risques « existants » et « éventuels » et que le Code ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l’employé refuse de travailler.

[99] L. Terai a également souligné l’interprétation suivante du terme « danger », faite par l’agent d’appel Malanka dans la décision Charmion Cole et Lynn Coleman et Air Canada13 :

13

Charmion Cole et Lynn Coleman et Air Canada, décision du BCA no 2006-04, par. 70

[70] Compte tenu des dispositions déjà mentionnées du Code et des conclusions des juges Tremblay‑Lamer et Gauthier, j’estime qu’il y a danger quand l’employeur n’a pu, dans une mesure raisonnable :

  • éliminer un danger, une situation ou une activité;
  • contrôler un danger, une situation ou une activité dans une mesure raisonnable de sécurité;
  • s’assurer que ses employés sont personnellement protégés contre un danger, une situation ou une activité;
et qu’on établit :
  • que les circonstances dans lesquelles le danger, la situation ou l’activité qui subsistent [sic] pourraient raisonnablement être susceptibles de causer des blessures ou des maladies pour une personne qui y serait exposée avant que le danger, la situation ou l’activité puissent être éliminés ou modifiés;
  • qu’il existe une possibilité raisonnable que les circonstances se produisent à l’avenir par opposition à une simple possibilité ou à une forte probabilité.

[100] À la lumière de la jurisprudence susmentionnée, L. Terai a fait valoir que la tâche qui consiste à placer, à surveiller et à enlever les bâches sur deux types de panneaux de cale est visée par la définition de danger du Code. Elle a ajouté que la tâche décrite par les employés et les conditions dans lesquelles elle était exécutée pouvaient être raisonnablement susceptibles de causer des blessures aux employés concernés.

[101] En ce qui concerne les conditions de travail, L. Terai a affirmé que, au moment des refus, ni l’un ni l’autre des employeurs n’avait adopté des procédures concernant la manipulation sécuritaire des bâches. Par conséquent, le risque lié à la manipulation des bâches n’était pas normal et dépendait de la méthode employée pour ce faire, tel que précisé dans l’extrait suivant du paragraphe 55 de la décision Juan Verville, supra :

Le sens ordinaire des mots de l'alinéa 128(2)b) milite en faveur des points de vue exprimés dans ces décisions de la Commission, parce que le mot « normal » s'entend de quelque chose de régulier, d'un état ou niveau des affaires qui est habituel, de quelque chose qui ne sort pas de l'ordinaire. Il serait donc logique d'exclure un niveau de risque qui n'est pas une caractéristique essentielle, mais qui dépend de la méthode employée pour exécuter une tâche ou exercer une activité.

[102] L. Terai a aussi invoqué la décision de l’agent d’appel Malanka dans l’affaire C. Brazeau et Securicor Canada Ltd.14, dans laquelle il a appliqué la définition du mot « danger » énoncée dans la décision Juan Verville, supra :

[175] Conformément aux paragraphes 36 et 55, je suis d’avis qu’il y a danger si les faits montrent qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un risque potentiel entraîne une blessure ou une maladie et si on peut établir la probabilité, et non la simple possibilité, que ces circonstances se produiront dans le futur. Le danger demeure effectif ou imminent jusqu’à ce qu’on ait modifié les circonstances pour éliminer le risque u le réduire dans des limites raisonnables. Si après avoir pris des mesures raisonnables, il subsiste un danger, ce danger peut être considéré comme normal et représentant une caractéristique permanente du travail.

14

C. Brazeau et al. et Securicor Canada Ltd., décision du BCA no 2004-049

[103] L. Terai a souligné que, au paragraphe 217 de la même décision, l’agent d’appel Malanka a retenu le passage suivant de la décision de l’agent d’appel Cadieux dans l’affaire Agence Parcs Canada et M. Doug Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada15 :

15

Agence Parcs Canada et M. Doug Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada, décision du BCA no 02-009

[217] Pour interpréter l’alinéa 128(2)(b), je me reporte aux décisions suivantes invoquées par les parties :

[…]

L’agent d’appel Cadieux a écrit au paragraphe 180, de sa décision relative à l’affaire Agence Parcs Canada et M. Doug Martin, supra :

[180] Je souscris, toutefois, à la proposition suivante de M. Raven :

Qu’il y ait des risques ou des dangers inhérents à un travail ne veut pas dire, en soi, que le travailleur est censé assumer tous les risques pour sa santé et sa sécurité parce qu’ils font partie de son métier. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour les réduire le plus possible.

[218] J’ai retenu des citations ci-dessus que les employeurs doivent prendre les mesures nécessaires pour réduire les risques au minimum. Relativement à cette obligation, les articles 122.2 et 124 du Code stipulent les points suivants :

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.16

16

R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[219] Si, en dépit de tous ses efforts, un employeur ne peut éliminer ou réduire un risque associé à un travail donné, on estime alors que ce risque est une caractéristique intrinsèque ou essentielle au travail et une condition de travail normale. L’alinéa 128.2b) du Code stipule qu’un employé ne peut refuser de travailler si le danger est une condition de travail normale.

[220] Toutefois, cela ne signifie pas que les employés qui exécutent une tâche doivent le faire au mépris de leur vie, de leur santé ou de leur sécurité sans égard aux conséquences. Au contraire, quand l’employeur ne s’est pas acquitté de ses responsabilités en vertu des articles 124 et 125 du Code, il est dangereux pour l’employé de travailler dans ces conditions et le danger ne constitue pas une condition de travail normale décrite à l’alinéa 128(2)b) du Code.

[104] À la lumière de la jurisprudence qui précède, L. Terai a fait valoir que les employeurs ne disposaient d’aucune preuve permettant d’établir que, malgré tous leurs efforts, ils n’ont pas pu prendre les mesures préventives envisagées à l’article 122.2 du Code ou de réduire le risque le plus possible.

[105] L. Terai a soutenu que, tel qu’énoncé au paragraphe 220 de la décision Brazeau, supra :

quand l’employeur ne s’est pas acquitté de ses responsabilités en vertu des articles 124 et 125 du Code, il est dangereux pour l’employé de travailler dans ces conditions et le danger ne constitue pas une condition de travail normale décrite à l’alinéa 128(2)b) du Code.

[106] L. Terai a affirmé que, étant donné l’activité décrite par les employés, il existait un risque à l’égard duquel les employeurs auraient dû prendre des mesures.

[107] L. Terai a indiqué que, selon le témoignage des employés, ils travaillent au bord d’un panneau de cale glissant, dans des conditions où ils peuvent tomber du panneau jusqu’au pont principal, une chute de plus de 2,4 m par endroit, dans une zone où se trouvent des tuyaux de tous genres et des pièces d’équipement sur lesquels ils peuvent se blesser en tombant.

[108] À cet égard, L. Terai a soutenu que l’employeur a omis d’appliquer l’alinéa 125(1)b) du Code qui prévoit l’installation de dispositifs protecteurs, de garde-fous et d’autres protections, conformément aux normes prescrites à l’alinéa 10.9a) du RSST, qui énonce ce qui suit :

10.9 (1) L’employeur doit fournir un dispositif de protection contre les chutes à toute personne qui travaille sur l’une des structures suivantes, à l’exception d’un employé qui installe ou démonte un tel dispositif selon les instructions visées au paragraphe (5) :

a) une structure non protégée qui est :

(i) soit à plus de 2,4 m au-dessus du niveau permanent sûr le plus proche;

(ii) soit au-dessus des pièces mobiles d’une machine ou de toute autre surface ou chose sur laquelle l’employé pourrait se blesser en tombant;

(iii) soit au-dessus d’une cale ouverte;

[109] L. Terai a fait valoir que B. Johnston, qui a témoigné à titre d’expert à l’appui de la thèse des employeurs, a fondé son opinion sur les rapports rédigés par les agents de santé et de sécurité. Il n’a pas satisfait au critère énoncé par la Cour suprême du Canada16 comme étant nécessaire pour aider le juge des faits dans l’affaire en l’espèce :

16

R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9

(1) Témoignage d’opinion d’un expert

b) La nécessité d’aider le juge des faits

Dans l'arrêt R. c. Abbey, précité, le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a dit à la p. 42 :

Quant aux questions qui exigent des connaissances particulières, un expert dans le domaine peut tirer des conclusions et exprimer son avis. Le rôle d'un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. [traduction] « L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire » (Turner (1974), 60 Crim. App. R. 80, à la p. 83, le lord juge Lawton)

Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits. Le mot «utile» n'est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas. Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte. L'exigence est que l'opinion soit nécessaire au sens qu'elle fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury »: cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité. Comme le juge Dickson l'a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d'apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique. Dans l'arrêt Kelliher (Village of) c. Smith, [1931] R.C.S. 672, à la p. 684, notre Cour, citant Beven on Negligence (4e éd. 1928) à la p. 141, a déclaré que la preuve d'expert était admissible si [traduction] « l'objet de l'analyse est tel qu'il est peu probable que des personnes ordinaires puissent former un jugement juste à cet égard sans l'assistance de personnes possédant des connaissances spéciales ».

[110] L. Terai a prétendu que B. Johnston n’a pas fourni de renseignements qui vont au-delà de l’expérience et des connaissances des agents de santé et de sécurité ou de l’agent d’appel. Dans la présente instance, il n’y a rien de technique à propos de la question à savoir s’il existe ou non un danger. Les faits nécessaires pour en arriver à une conclusion ne dépassaient pas l’expérience ou les connaissances de gens ordinaires. Le témoignage de B. Johnston le place dans le rôle de défenseur des intérêts de l’employeur, au lieu de fournir une aide objective à l’agent d’appel.

[111] L. Terai a en outre fait valoir que l’opinion de B. Johnston, à savoir que l’activité en cause ne représentait aucun danger, est une question que doit déterminer l’agent d’appel. Ainsi, cette opinion ne devrait pas écarter le pouvoir décisionnaire de l’agent d’appel.

[112] En ce qui concerne la procédure proposée par les employeurs, L. Terai a fait valoir que la façon adéquate de déterminer ce qui était nécessaire pour protéger les employés est de consulter le comité de santé et de sécurité, comme le prescrit le Code. Aucune consultation du genre n’a eu lieu.

[113] Quant à la zone de sécurité de deux mètres mentionnée dans la procédure proposée par les employeurs, L. Terai a affirmé que les employeurs s’étaient fondés sur B. Johnston pour démontrer qu’elle était acceptable, mais que, dans les faits, B. Johnston s’était fondé sur un document de travail réglementaire qui n’a jamais été sanctionné.

[114] En outre, L. Terai a soutenu que B. Johnston a fondé son opinion sur l’article 2.9 du RSST, qui prévoit ce qui suit :

2.9 (1) Un filet de sécurité doit être installé sous chaque échelle d’accès ou passerelle d’embarquement, sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) l’échelle d’accès ou la passerelle d’embarquement et leurs abords sont construits de façon que la présence d’un filet de sécurité est inutile

b) l’installation d’un filet de sécurité est impossible.

(2) Le filet de sécurité visé au paragraphe (1) doit à la fois :

a) s’étendre des deux côtés de l’échelle d’accès ou de la passerelle d’embarquement, sur une distance de 1,8 m;

b) être toujours tendu;

c) être conforme à la norme visée au paragraphe 2.15(2).

[115] L. Terai a affirmé que B. Johnston avait omis de mentionner que des personnes utilisent la passerelle d’accès visée par le RSST pour grimper ou marcher, et que celle-ci est munie de rampes. Il ne s’agit pas d’endroits où les travailleurs tirent sur des cordes, tirent et resserrent des bâches ou secouent des bâches pour en enlever l’eau. Les dispositions invoquées concernant les filets de sécurité n’ont aucun lien avec les circonstances en l’espèce.

[116] En conclusion, L. Terai a fait valoir que la détermination de danger et les instructions données aux employeurs devaient être confirmées, puisqu’il existait un danger pour les employés qui ont refusé de travailler.

Réplique des appelants

[117] En guise de réplique, T. Roper a commenté de façon systématique les arguments de Leah Terai. Je retiens ce qui suit de ses commentaires.

[118] T. Ropers a convenu que les appels interjetés devant l’agent d’appel sont des procédures de novo. Toutefois, il est d’avis que l’agent d’appel ne doit pas écarter l’enquête de l’ASS, mais doit plutôt tenir compte des conclusions de l’ASS.

[119] T. Roper a observé à maintes reprises que, même si L. Terai avait déterminé que l’ensemble de l’activité visant à installer, à surveiller et à enlever les bâches constituait un danger pour les employés, les ASS avaient signalé dans leurs instructions que le danger résidait dans le travail sur une structure élevée ainsi que sur le bord des panneaux de cale.

[120] Néanmoins, T. Roper a souligné et a maintenu tout au long de sa réplique qu’aucune preuve ne démontrait qu’on avait demandé aux employés de travailler près du bord des panneaux, ou même de la cale.

[121] En ce qui concerne le prétendu danger, T. Roper a affirmé qu’il n’existait aucun danger parce que, conformément à la définition de danger énoncée dans le Code, l’activité pouvait être modifiée avant l’exposition au danger.

[122] T. Roper a soutenu qu’il incombait aux employés de ne pas s’exposer au danger. Même s’il a convenu que les employés devaient de temps à autre travailler sur les panneaux de cale et enlever l’eau qui s’était accumulée sur les bâches, il a soutenu qu’ils n’avaient qu’à se tenir loin des bords des panneaux afin d’éviter le danger éventuel. Par conséquent, il n’existait aucun danger.

[123] T. Roper a fait remarquer qu’aucune preuve n’établissait qu’on avait ordonné aux employés de travailler près des bords. Le prétendu danger était hypothétique puisque l’activité pouvait être modifiée en tout temps avant que les employés n’y soient exposés, c’est-à-dire qu’ils pouvaient travailler loin des bords. Il a soutenu que, comme on l’a déterminé dans la décision Juan Verville, supra, le refus de travailler ne doit pas être fondé sur un danger hypothétique, mais sur un danger réel et apparent.

[124] T. Roper a ajouté que toute l’affaire avait été orchestrée par le syndicat afin de précipiter des discussions qui perduraient concernant la procédure d’installation des bâches. Il n’y avait aucune urgence réelle le jour des refus.

[125] Enfin, T. Roper a répété que les instructions devaient être annulées parce qu’il n’existait aucun danger pour les employés qui avaient refusé de travailler. Toutefois, si celles-ci étaient confirmées, elles ne devraient pas s’appliquer à l’ensemble de l’activité de chargement du grain, mais seulement aux lieux de travail qui ont fait l’objet d’une enquête, soit les trois navires où sont survenus les refus de travailler.

Analyse et décision

[126] Comme je l’ai indiqué au début de la présente décision, j’examinerai ici les trois appels que j’ai entendus en même temps à la demande des parties.

[127] À titre d’agent d’appel, selon le mandat que me confère le paragraphe 146.1(1) du Code, je dois mener une enquête sur les circonstances et les motifs des décisions ou des instructions. Je peux soit les modifier, les annuler ou les confirmer et je peux donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions que je juge indiquées.

[128] En outre, comme on l’a mentionné dans la décision Douglas Martin, supra, un agent d’appel « est maintenant investi des mêmes pouvoirs que l’agent de santé et de sécurité, il peut aussi modifier les instructions en donnant celles que, selon lui, l’agent de santé et de sécurité aurait dû donner ». Par conséquent, l’agent d’appel peut donner des instructions en vertu des alinéas 145(1)a) ou b) du Code.

[129] En ce qui concerne la question de la procédure de novo, le juge Rothstein a clairement indiqué, au paragraphe 28 de la décision Douglas Martin, supra, qu’un appel interjeté devant un agent d’appel est un appel de novo.

[130] En outre, comme l’a expliqué le juge Gauthier au paragraphe 32 de la décision Verville supra, « [a]vec l’ajout de mots tels que "potential" (dans la version anglaise) ou "éventuel" et "tâche", le Code ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l’employé refuse de travailler ». À mon avis, ce passage signifie qu’en plus de la preuve recueillie par l’ASS, je peux accueillir des éléments de preuve qui tiennent compte des situations ou des risques éventuels en plus de toute activité actuelle ou future en rapport avec les circonstances qui entourent le refus de travailler, que cette preuve ait été ou non mise à la disposition de l’ASS qui a mené l’enquête.

[131] Les questions à trancher en l’espèce comportent deux volets.

  • La première question consiste à déterminer si les employés qui ont refusé de travailler étaient exposés à un danger tel que défini dans la partie II du Code.
  • La deuxième question est de déterminer si des instructions sont requises dans les circonstances.

[132] Afin de rendre une décision sur ces questions, je dois examiner la définition de « danger » qui est énoncée dans le Code, la jurisprudence applicable ainsi que les faits et les circonstances des affaires en l’espèce.

[133] Au paragraphe 122(1) de la partie II du Code canadien du travail, on définit de la façon suivante le terme « danger » :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur [.]

[134] L’agent d’appel Malanka a bien résumé dans la décision Charmion Cole et Lynn Coleman et Air Canada, supra, la conclusion du juge Gauthier à l’égard du danger. Je partage entièrement son avis lorsqu’il affirme ce qui suit :

[70] Compte tenu des dispositions déjà mentionnées du Code et des conclusions des juges Tremblay ‑Lamer et Gauthier, j’estime qu’il y a danger quand l’employeur n’a pu, dans une mesure raisonnable :

  • éliminer un danger, une situation ou une activité;
  • contrôler un danger, une situation ou une activité dans une mesure raisonnable de sécurité;
  • s’assurer que ses employés sont personnellement protégés contre un danger, une situation ou une activité;

et qu’on établit :

  • que les circonstances dans lesquelles le danger, la situation ou l’activité qui subsistent [sic] pourraient raisonnablement être susceptibles de causer des blessures ou des maladies pour une personne qui y serait exposée avant que le danger, la situation ou l’activité puissent être éliminés ou modifiés;
  • qu’il existe une possibilité raisonnable que les circonstances se produisent à l’avenir par opposition à une simple possibilité ou à une forte probabilité.
[C’est moi qui souligne.]

[135] T. Roper a déclaré que l’agent de santé et de sécurité D’sa avait clairement indiqué dans son instruction que c’est l’activité qui consistait à travailler près du bord d’une structure élevée de plus de 2,4 m qui représentait un danger. Il a reconnu que les employés pouvaient à l’occasion être tenus de travailler sur le dessus des panneaux de cale, mais qu’on ne leur demandait pas de travailler près du bord des panneaux ce jour-là. Par conséquent, il n’y avait aucun danger.

[136] La tâche qui consiste à installer et à enlever des bâches a été décrite de façon détaillée par les employés qui ont témoigné et reprise par L. Terai dans ses observations. Rien ne me porte à mettre en doute leur témoignage, ni à croire qu’il faut des connaissances techniques particulières pour comprendre que le travail sur une structure élevée, à une hauteur d’environ 2,4 mètres au-dessus de pièces de machine mobiles ou de toute autre surface ou chose pouvant causer des blessures en cas de chute, ou au-dessus d’une cale ouverte, pourrait être considéré comme un danger.

[137] La principale question soulevée par les employés était que, lorsqu’ils installent ou enlèvent des bâches, ils doivent se tenir sur les panneaux de cale. Pour pouvoir les plier afin que les bâches puissent être débarquées du navire, ils doivent saisir les bâches ou les cordes, les tirer et secouer l’eau qui s’y est accumulée avant de pouvoir les replier.

[138] T. Roper a soutenu que, comme l’a déclaré J. Brooks au cours de son témoignage, si les bâches étaient installées convenablement, l’eau ne devait pas s’y accumuler. Toutefois, il a reconnu que, pour diverses raisons, des employés pouvaient être appelés à grimper sur les panneaux de cale afin d’ajuster les bâches en tirant sur les cordes ou sur les bâches et que, en de rares occasions, l’eau pouvait s’accumuler et exiger que des employés l’enlèvent en tirant sur les cordes ou sur les bâches elles-mêmes. Cette tâche était habituellement effectuée à partir du pont principal ou, à l’occasion, à partir du dessus des panneaux de cale. Toutefois, il a soutenu que les employés n’étaient jamais obligés de se tenir près du bord.

[139] B. Johnston a aussi déclaré que les employés devaient à l’occasion travailler sur le dessus des panneaux de cale. Il a également reconnu que, dans la plupart des cas, la hauteur des panneaux de cale sur les navires plus récents était de 2,4 m ou plus. Il a ajouté que les zones qui se trouvaient immédiatement à côté des panneaux de cale étaient très dangereuses si une personne tombait des panneaux parce qu’on y trouvait habituellement des objets tels que des tuyaux d’acier, des pompes et des marches.

[140] Par conséquent, je conclus que les employés doivent travailler sur le dessus des panneaux de cale afin d’installer et d’enlever des bâches. Je crois aussi que, de temps à autre, afin de pouvoir enlever l’eau accumulée sur les bâches, des employés doivent tirer sur les bâches et les secouer. Il semble raisonnable de croire que, pour être en mesure de faire écouler l’eau d’une poche qui peut se former entre les panneaux de cale, les employés doivent tirer vers le haut pour diriger l’eau dans la bonne direction. Il est aussi très probable que, pour être en mesure de tirer vers le haut, ils doivent se tenir sur les panneaux.

[141] T. Roper a souligné que, même si les employés devaient grimper sur les panneaux de cale, les employeurs ont maintenant délimité dans la procédure de travail proposée une zone interdite autour du périmètre des panneaux de cale, où les employés ne doivent jamais aller. Il a soutenu qu’il revient aux employés de respecter cette zone et de ne pas s’exposer au risque de chute.

[142] Je reconnais que les employés ont des obligations en ce qui concerne leur sécurité, aux termes du paragraphe 126(1) du Code. Toutefois, le paragraphe 126(2) énonce aussi ce qui suit :

126.(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet de relever l’employeur des obligations qui lui incombent sous le régime de la présente partie.

[143] En outre, l’alinéa 125(1)b) du Code prévoit ce qui suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

b) d’installer des dispositifs protecteurs, garde-fous, barrières et clôtures conformes aux normes réglementaires[.]

[144] Les normes réglementaires visant la disposition du Code citée ci-dessus figurent à la partie X du RSST, notamment celles-ci :

10.1 Toute personne à qui est permis l’accès au lieu de travail doit utiliser l’équipement de protection prévu par la présente partie lorsque :

a) d’une part, il est en pratique impossible d’éliminer ou de restreindre à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la sécurité ou la santé;

b) d’autre part, l’utilisation de l’équipement de protection peut empêcher les blessures pouvant résulter de ce risque ou en diminuer la gravité.
10.2 L’équipement de protection doit à la fois :

a) être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni;

b) ne pas présenter de risque en soi.

10.3 L’équipement de protection fourni par l’employeur doit :

a) d’une part, être entretenu, inspecté et mis à l’épreuve par une personne qualifiée;

b) d’autre part, lorsque cela est nécessaire pour éliminer les risques pour la santé, être tenu dans un état propre et salubre par une personne qualifiée.
10.9 (1) L’employeur doit fournir un dispositif de protection contre les chutes à toute personne qui travaille sur l’une des structures suivantes, à l’exception d’un employé qui installe ou démonte un tel dispositif selon les instructions visées au paragraphe (5) :

a) une structure non protégée qui est :

(i) soit à plus de 2,4 m au-dessus du niveau permanent sûr le plus proche,

(ii) soit au-dessus des pièces mobiles d’une machine ou de toute autre surface ou chose sur laquelle l’employé pourrait se blesser en tombant,

(iii) soit au-dessus d’une cale ouverte[.]

[145] Même si des témoins des appelants ainsi que B. Johnston ont déclaré dans leurs témoignages que, tant et aussi longtemps que les employés ne travaillent pas près du bord des panneaux de cale, il n’existe pas de danger, j’estime qu’il est raisonnable de croire qu’en raison des obstacles sur lesquels il est possible de trébucher, comme les points d’amarrage et les cales, qui sont cachés ou qui ne sont pas couverts par les bâches en plus de la poussière de grain, les grains ou l’eau, une personne pourrait, pendant qu’elle tire sur une bâche ou sur des cordes, trébucher ou glisser et tomber du panneau de cale et pourrait se blesser en tombant sur des pièces de machinerie ou d’autres surfaces ou choses tels que des tuyaux.

[146] B. Johnston a déclaré que, selon l’esprit du RSST, il estimait qu’une zone interdite de deux mètres autour du périmètre des panneaux était suffisante pour protéger les employés contre les chutes. Toutefois, il n’a fourni aucune preuve technique ou mécanique démontrant qu’une zone interdite de deux mètres suffisait à protéger les employés contre les risques de chute des panneaux de cale pendant qu’ils travaillent sur ces panneaux. Comme l’a mentionné L. Terai, B. Johnston a omis de mentionner que, bien que le RSST exige que des filets de sécurité soient installés de chaque côté d’une passerelle, ces mêmes passerelles doivent être clôturées de façon sécuritaire à une hauteur libre d’au moins 915 mm tel que l’exige le Règlement sur l’outillage de chargement17.

17

Loi habilitante : Loi sur la marine marchande du Canada; L.R. 1985, ch. S-9; Règlement sur l’outillage de chargement, C.R.C., ch. 1494, partie III, sous-al. 8.(2) (ii)

[147] Enfin, je suis d’accord avec A. Laumonier qui a affirmé que le fait d’apposer un panneau ou de peindre une ligne ou d’utiliser tout autre avertissement visuel de démarcation n’est pas suffisant pour protéger un employé contre le risque de chute. Comme le prévoit l’article 122.2 du Code, les mesures de prévention devraient consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture d’équipement de protection. Un panneau d’avertissement n’est pas une mesure de prévention.

[148] B. Johnston ne m’a pas convaincu que le port de bottes antidérapantes était suffisant pour empêcher une personne de glisser sur des grains de céréale ronds. Bien que le port de bottes antidérapantes ait sa place dans ce genre de travail, ces bottes constituent normalement une protection contre les surfaces mouillées et graisseuses ou huileuses, et non contre les objets roulants comme les grains de céréale ou les risques de trébucher comme les points d’amarrage.

[149] Ceci étant dit, après lecture du RSST, je conclus qu’on n’y mentionne aucune distance sécuritaire à partir des bords d’une structure élevée non protégée. Le règlement est très clair et exige que l’on fournisse un équipement de protection aux employés qui travaillent sur une structure non protégée qui est à plus de 2,4 m au-dessus du niveau permanent sûr le plus proche, au-dessus des pièces mobiles d’une machine ou de toute autre surface ou chose sur laquelle les employés pourraient se blesser en tombant, ou au-dessus d’une cale ouverte.

[150] Toutefois, T. Roper a soutenu que le danger apparent faisait partie du travail. En outre, la preuve fournie par les deux parties indique que le travail sur des panneaux de cale constitue ce qu’ils appellent une condition de travail normale pour des débardeurs et que celle-ci existe depuis au moins 30 ans.

[151] Dans la décision Juan Verville, supra, l’honorable juge Gauthier a écrit que « le mot " normal " s’entend de quelque chose de régulier, d’un état ou niveau des affaires qui est habituel, de quelque chose qui ne sort pas de l‘ordinaire ». Bien qu’il ait été normal dans le passé de travailler au-dessus d’un panneau de cale sans protection contre les chutes, les choses ont évolué, les navires sont plus grands, les panneaux de cale sont plus élevés que par le passé, souvent à plus de 2,4 m comme l’a mentionné B. Johnston. De plus, ces panneaux sont entourés de toutes sortes d’équipements mécaniques, de tuyaux et d’autres pièces du genre.

[152] Je crois qu’avant qu’un employeur puisse affirmer qu’un danger est une condition de travail normale, il doit reconnaître chaque risque, existant et éventuel, et il doit, conformément au Code, mettre en place des mesures de sécurité visant à éliminer le danger, la situation ou l’activité; s’il ne peut l’éliminer, il doit élaborer des mesures visant à réduire et à contrôler le risque, la situation ou l’activité dans une mesure raisonnable de sécurité, et finalement, si le risque existant ou éventuel est toujours présent, il doit s’assurer que ses employés sont munis de l’équipement, des vêtements, des appareils et du matériel de protection personnelle nécessaires pour les protéger contre le danger, la situation ou l’activité. Ces règles s’appliquent évidemment, dans la présente affaire, au risque de chute ainsi qu’au risque de trébucher ou de glisser sur les panneaux de cale.

[153] Une fois toutes ces mesures suivies et toutes les mesures de sécurité mises en place, le risque « résiduel » qui subsiste constitue ce qui est appelé une condition de travail normale. Toutefois, si des changements sont apportés à une condition de travail normale, une nouvelle analyse de ce changement doit avoir lieu en conjonction avec les conditions de travail normales.

[154] Aux fins de la présente instance, je conclus que les employeurs ont négligé, dans la mesure où la chose était raisonnablement possible, d’éliminer ou de contrôler le danger dans une mesure raisonnable de sécurité ou de s’assurer que les employés étaient personnellement protégés contre le danger de chute des panneaux de cale.

[155] La preuve déposée par les deux parties établit qu’au moment des refus de travailler, dans les trois cas, les employés travaillaient sur les panneaux de cale. De plus, en présence de tous les risques de trébucher et de glisser que comportaient les panneaux, il est raisonnable de croire que le risque de trébucher ou de glisser pendant l’exécution du travail sur les panneaux est une possibilité raisonnable et qu’elle augmente le risque de tomber des panneaux de cale. Je conclus qu’en l’absence de mesures de prévention des chutes ou d’équipement de protection contre les chutes, le danger est réel et non hypothétique. Comme l’a indiqué B. Wall, de tels accidents sont survenus par le passé et une telle chute entraînerait vraisemblablement des blessures, avant que le risque ne soit corrigé ou l’activité modifiée.

[156] La preuve démontre que ce n’est pas l’usage des bâches qui constitue le danger, mais l’activité qui consiste à travailler sur une structure élevée non protégée en l’absence d’une mesure de prévention des chutes. Par conséquent, je conclus que le risque de chute pendant l’exécution de l’activité présente et future sur le dessus des panneaux de cale des trois navires plaçait les employés ayant refusé de travailler dans une situation dangereuse tel que le décrit la partie II du Code et que, par conséquent, l’employeur est tenu de protéger ses employés.

[157] T. Roper a soutenu que, si les instructions étaient confirmées, elles ne devraient pas s’appliquer à l’ensemble de l’activité de chargement du grain, mais seulement aux lieux de travail ayant fait l’objet d’une enquête, c’est-à-dire les trois navires où ont eu lieu les refus.

[158] Bien que je convienne avec T. Roper qu’une instruction s’applique en particulier aux objets de l’enquête, qu’il s’agisse d’une machine, d’une chose, d’une situation ou de l’exécution d’une activité, je suis d’avis que l’employeur qui reçoit une telle instruction devrait en toute justice l’appliquer de façon universelle à son lieu de travail dans des circonstances semblables; autrement, la même situation ne fera que se répéter et créer un cercle vicieux.

[159] Par conséquent, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail, je modifie les deux instructions données à P&O Ports Inc. par l’ASS D'sa et celle qui a été donnée par l’ASS Yeung à Western Stevedoring Co. Ltd., afin d’ordonner aux employeurs de protéger les employés ou toute autre personne du risque de chute des panneaux de cale visés.

[160] Les deux employeurs sont également tenus de faire rapport aux agents de santé et de sécurité D’sa et Yeung ou à tout autre agent de santé et de sécurité, dans les dix jours de la réception de la présente décision, quant aux mesures prises afin de se conformer aux instructions.

Dossiers nos 2005-28
2005-29
2005-31
Décision no : CAO-07-030

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Le 8 juillet 2005, l’agent de santé et de sécurité D’sa a mené une enquête à la suite du refus de travailler de Glen Bolkowy au lieu de travail exploité par P&O Ports Inc., un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, à l’U.G.G., ce lieu de travail étant parfois appelé l’IKAN BELLIAK.

À la suite d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail, et en vertu de l’article 146.1 du Code canadien du travail, l’agent d’appel soussigné a mené une enquête sur les circonstances ayant donné lieu à l’instruction donnée le 8 juillet 2005 par l’agent de santé et de sécurité D’sa en vertu du pouvoir que lui confèrent les alinéas 145(2)a) et b) du Code canadien du travail, à P&O Stevedoring, aussi connu sous le nom de P&O Ports Inc.

Après analyse des circonstances, des faits, de la Loi et de la jurisprudence applicable en droit du travail, l’agent d’appel soussigné modifie l’instruction visée en vertu de l’alinéa 146.1(1)a)du Code canadien du travail.

INSTRUCTION DONNÉE À : Robert Wall, gestionnaire, Service des grains, P&O Ports Inc., 777, route Centennial, Vancouver (C.-B.) V6A 1A3 – EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) et b)

L’agent d’appel soussigné estime que l’activité suivante et la situation constatée à bord de l’IKAN BELLIAK constituent un danger pour tout employé au travail.

Glenn Bolkowy travaille sur les panneaux de cale, une structure élevée non protégée, qui se situe à une hauteur de 2,4 m ou au-dessus des pièces mobiles d’une machine ou de toute autre surface ou chose sur laquelle l’employé pourrait se blesser en tombant, sans aucun dispositif de prévention des chutes ou de protection contre les chutes.

Cette situation expose l’employé au risque de chute dans des endroits où il est raisonnable de croire qu’il pourrait subir des blessures avant que l’activité ne soit modifiée.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour protéger du danger l’employé ainsi que toute autre personne.

Je vous ORDONNE EN OUTRE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de n’exécuter aucun travail sur lesdits panneaux de cale jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre de l’instruction.

Modifiée à Ottawa, le 31 août 2007

Richard Lafrance
Agent d’appel

Dossiers nos : 2005-28
2005-29
2005-31
Décision no : CAO-070-030

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Le 8 juillet 2005, l’agent de santé et de sécurité D’sa a mené une enquête à la suite du refus de travailler de Steve Suttie au lieu de travail exploité par Western Stevedoring, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, au terminal Cascadia, ce lieu de travail étant parfois appelé le M.V. JUPITER CHARM.

À la suite d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail, et en vertu de l’article 146.1 du Code canadien du travail, l’agent d’appel soussigné a mené une enquête sur les circonstances ayant donné lieu à l’instruction donnée le 8 juillet 2005 par l’agent de santé et de sécurité D’sa en vertu du pouvoir que lui confèrent les alinéas 145(2)a) et b) du Code canadien du travail, à Western Stevedoring.

Après analyse des circonstances, des faits, de la Loi et de la jurisprudence applicable en droit du travail, l’agent d’appel soussigné modifie l’instruction visée en vertu de l’alinéa 146.1(1)a) du Code canadien du travail.

INSTRUCTION DONNÉE À - Guy Thompson, surintendant des grains, Western Stevedoring, 15, route Mountain, Vancouver Nord (C.-B.) V7J 2J9 - EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) ET b)

L’agent d’appel soussigné estime que l’activité suivante et la situation constatée à bord du M.V. JUPITER CHARM constituent un danger pour tout employé au travail.

Steve Suttie travaille sur les panneaux de cale, une structure élevée non protégée, qui se situe à une hauteur de 2,4 m ou au-dessus des pièces mobiles d’une machine ou de toute autre surface ou chose sur laquelle l’employé pourrait se blesser en tombant, sans aucun dispositif de prévention des chutes ou de protection contre les chutes.

Cette situation expose l’employé au risque de chute dans des endroits où il est raisonnable de croire qu’il pourrait subir des blessures avant que l’activité ne soit modifiée.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour protéger du danger l’employé ainsi que toute autre personne.

Je vous ORDONNE EN OUTRE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de n’exécuter aucun travail sur lesdits panneaux de cale jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre de l’instruction.

Modifiée à Ottawa, le 31 août 2007

Richard Lafrance
Agent d’appel

Dossiers nos : 2005-28
2005-29
2005-31
Décision n o: CAO-070-030

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Le 16 août 2005, l’agent de santé et de sécurité Yeung a mené une enquête à la suite du refus de travailler de M.A. St Denis au lieu de travail exploité par P&O Ports Inc., un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, au Pacific Elevator #2, ce lieu de travail étant parfois appelé le M.V. THOMAS C.

À la suite d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 146.(1) du Code canadien du travail, et en vertu de l’article 146.1 du Code canadien du travail, l’agent d’appel soussigné a mené une enquête sur les circonstances ayant donné lieu à l’instruction donnée le 16 août 2005 par l’agent de santé et de sécurité Yeung en vertu du pouvoir que lui confèrent les alinéas 145(2)a) et b) du Code canadien du travail, à P&O Ports Inc, aussi connu sous le nom de P&O Stevedoring.

Après analyse des circonstances, des faits, de la Loi et de la jurisprudence applicable en droit du travail, l’agent d’appel soussigné modifie l’instruction visée en vertu de l’alinéa 146.1(1)a) du Code canadien du travail.

INSTRUCTION DONNÉE À – Peter Warner, surintendant, P&O Ports, 777, route Centennial, Vancouver (C.-B.) V6A 1A3 – EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) ET b)

L’agent d’appel soussigné estime que l’activité suivante et la situation constatée à bord du M.V. THOMAS C. constituent un danger pour tout employé au travail.

M.A. St Denis travaille sur les panneaux de cale, une structure élevée non protégée, qui se situe à une hauteur de 2,4 m ou au-dessus des pièces mobiles d’une machine ou de toute autre surface ou chose sur laquelle l’employé pourrait se blesser en tombant, sans aucun dispositif de prévention des chutes ou de protection contre les chutes.

Cette situation expose l’employé au risque de chute dans des endroits où il est raisonnable de croire qu’il pourrait subir des blessures avant que l’activité ne soit modifiée.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour protéger du danger l’employé ainsi que toute autre personne.

Je vous ORDONNE EN OUTRE PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de n’exécuter aucun travail sur lesdits panneaux de cale jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre de l’instruction.

Modifiée à Ottawa, le 31 août 2007

Richard Lafrance
Agent d’appel

Sommaire de la décision de l’agent d’appel

Décision : CAO-07-030

Appelants : P & O Ports Inc. et Western Stevedoring Co. Inc.

Intimé : Syndicat international des débardeurs et des magasiniers, section locale 500

Dispositions : Code canadien du travail, 146

Mots clés : panneaux de cale, navires, surface glissante, modification.

Sommaire :

Le 5 août 2005, P & O Ports Inc. et Western Stevedoring Co. Ltd. ont interjeté appel de trois instructions qui leur ont été données le 8 juillet 2005 par les agents de santé et de sécurité P. D’Sa et J. Yeung. Les agents de santé et de sécurité ont conclu qu’il existait un danger lorsque les travailleurs exécutaient des tâches sur des navires pour lesquelles ils se tenaient près du bord des panneaux de cale dont la surface était glissante et qu’il était nécessaire d’installer des barrières lorsque la hauteur de chute est supérieure à 2,4 mètres. L’agent d’appel a modifié deux des instructions.

Détails de la page

Date de modification :