Archivée - Décision: 07-036 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

Informations archivées

Les informations archivées sont fournies aux fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elles ne sont pas assujetties aux normes Web du gouvernement du Canada et n'ont pas été modifiées ou mises à jour depuis leur archivage. Pour obtenir ces informations dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

No de dossier : 2006-33
No de décision : CAO-07-036

Brian Duplessis
Appelant

et

Forest Products Terminal
Corporation Ltd.
intimé
___________________________
Le 27 septembre 2007

La présente affaire a été entendue par l’agent d’appel Serge Cadieux le 19 juin 2007 à Saint John, au Nouveau-Brunswick.

Pour l’appelant
Robert D. Breen, avocat

Pour l’intimé
Bradley D.J. Proctor, avocat

Décision de la Cour fédérale

[1] Le présent appel résulte d’une décision rendue par la Cour fédérale dans Brian Duplessis et Procureur général du Canada et Forest Products Terminal Corporation Ltd., [2006] CF 482, qui annulait la décision du BACCT no 05-059 rendue par l’agent d’appel (AA) Pierre Guénette et qui renvoyait l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un agent d’appel différent.

[2] En l’espèce, l’AA a été saisi d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) par le demandeur, Brian Duplessis, un arrimeur qui travaillait chez Forest Products Terminal Corporation Ltd.1. L’appel a été interjeté à l’encontre de la décision de l’agent de santé et sécurité (ASS) Ian Rennie selon laquelle il n’y avait pas de danger pour l’employé au moment de l’enquête de l’ASS.

1

Également désignée dans le texte sous le nom de « la société » ou « Forterm ».

[3] La décision rendue par la Cour fédérale décrit sommairement, au paragraphe 3, le fond de l’affaire qui a mené à la décision de l’ASS selon laquelle il y avait absence de danger et à l’appel subséquent interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code. Madame le juge Tremblay-Lamer a décrit le prétendu danger soulevé par M. Duplessis, question qui est devenue l’élément central à trancher dans cette affaire. M. Breen, avocat de l’appelant, a fait référence à cette question dans son exposé introductif et la jugeait cruciale et déterminante en l’espèce. Madame le juge Tremblay-Lamer a écrit :

[3] Le 1er février 2005, le demandeur travaillait comme arrimeur pour Forests Product Terminal Corporation Ltd. (l’employeur) au port de Saint-Jean quand son employeur lui a donné l’ordre de porter un casque de protection pendant qu’il faisait son travail. Il s’est alors prévalu du droit prévu à l’article 128 du Code de refuser de travailler, arguant que le port d’un casque de sécurité dans son lieu de travail constituait un « danger » suivant le paragraphe 122(1) du Code, pendant qu’il s’occupait, à titre de chef d’équipe, de mettre en place des planches pour faire tourner des rouleaux de papier sous l’aile de l’ouverture de la cale du navire, le NM Reefer Prince. Le danger allégué était le suivant : un chef d’équipe travaillant sous l’aile de l’ouverture de la cale court plus de risques de se retrouver coincé entre des rouleaux de papier ou d’être écrasé par un rouleau qui se déplace s’il est distrait par son casque de sécurité, qui pourrait glisser de sa tête ou créer un obstacle visuel l’empêchant de voir qu’un rouleau se déplace subitement.

[4] Dans son analyse de la question, Madame le juge Tremblay-Lamer décrivait les trois opérations rattachées à la mise en cale de rouleaux de papier dans l’ouverture de la cale. Elle écrivait au paragraphe 14 de sa décision :

[14] En l’espèce, la mise en cale des rouleaux de papier dans un navire comporte trois opérations distinctes : premièrement, la grue descend les rouleaux de papier par l’ouverture de la cale du navire; deuxièmement, on met en place des planches pour faire tourner les rouleaux de papier afin de les mettre en place ou de les stocker sous l’aile de l’ouverture de la cale; troisièmement, les rouleaux de papier sont arrimés et fixés solidement.

[5] Madame le juge Tremblay-Lamer a déclaré que l’AA n’a pas traité du soi-disant danger soulevé par Brian Duplessis. Dans le cadre de sa décision, il a tenu compte de l’existence du danger pour M. Duplessis au cours de la première opération de mise en cale des rouleaux de papier, alors que le refus de travailler de Brian Duplessis s’appuyait seulement sur le fait qu’il existait un danger à porter un casque de sécurité en exécutant la deuxième opération. Comme l’AA a pris en compte l’existence du danger dans la mauvaise aire de travail, Madame le juge Tremblay-Lamer a conclu qu’il n’a pas statué sur la question dont il a été saisi. D’où l’annulation de la décision de l’AA et son renvoi pour qu’une nouvelle décision soit rendue par l’agent d’appel soussigné.

Enquête de l’agent de santé et sécurité

[6] L’ASS Ian Rennie a déclaré que le 1er février 2005, il a fait une marche sur le navire NM Reefer Prince pour effectuer une inspection pour le contrôle par l'État du port. En regardant dans la cale du navire, il a remarqué que certaines personnes portaient un casque de sécurité tandis que d’autres portaient une casquette de golf ou de balle. Il a demandé au superviseur qui était présent : « Pourquoi ne portent-ils pas tous un casque de sécurité? » Il a poursuivi son inspection. Après l’avoir terminée, il s’est rendu dans la cabine du capitaine pour remplir la paperasse. Pendant qu’il s’y trouvait, il s’est fait demander de se rendre au bureau de Forterm en raison du refus de travailler de Brian Duplessis.

[7] L’ASS a rencontré Gary Alport, directeur des opérations de Forterm, Brian Duplessis et M. Weaver, représentant en santé et sécurité, ont eu une discussion générale au sujet de ce qui s’est produit. Il a parlé à B. Duplessis au sujet de son emploi et des restrictions. Comme le comité de santé et de sécurité et l’employeur n’ont pu en venir à une entente concernant le refus de travailler de Brian Duplessis, on lui a demandé de prendre une décision. Le Rapport d’enquête et de la décision de l’ASS nous informe que :

[Traduction]
[c’]est l’agent de santé et sécurité qui décide que le fait de porter un casque de sécurité lors de l’opération de chargement de la marchandise ne constitue pas un danger ou un péril pour l’employé.

[8] En contre-interrogatoire, l’ASS a reconnu qu’il ne pouvait pas voir sous l’ouverture d’accès à la cale, soit l’endroit où travaillait M. Duplessis, et qu’il ne voyait cet endroit ni ne s’y est rendu. Il a également admis qu’il n’était pas au courant que trois opérations distinctes étaient effectuées lors de la mise en cale des rouleaux de papier dans l’ouverture de la cale et que sa décision n’a pas tenu compte de ce facteur. Il était d’accord avec l’affirmation de M. Breen selon laquelle sous l’ouverture d’accès à la cale, rien ne peut tomber et par conséquent, il n’y aurait pas, pour autant qu’il sache, de danger de chute d’objets dans cette aire. Par ailleurs, l’ASS convenait avec M. Proctor que des objets peuvent tomber dans la cale du navire, car il y a de l’activité au-dessus, comme des déplacements de rouleaux de papier par une grue.

[9] L’ASS a déclaré qu’il ne savait pas qu’une évaluation des risques datée du 14 mai 1997(pièce E1) avait été effectuée par le comité de santé et sécurité et qu’elle avait été révisée le 14 mars 2002. Dans cette évaluation des risques, le comité a reconnu qu’il existait un risque de traumatisme crânien pour les employés travaillant comme caliers en général, mais a recommandé que l’on ne porte pas de casques de sécurité parce que « [i]l y a un risque de traumatisme crânien, mais il est plus élevé si on porte un casque protecteur, car celui-ci peut cacher la vue ».

Témoignages

[10] Brian Duplessis a témoigné qu’il est débardeur depuis 1975. Il est membre de la section locale 273 de l’Association internationale des débardeurs (AID) et a occupé le poste de vice-président et de président du syndicat pour des mandats de un an chaque fois. Il a expliqué que les fonctions d’un débardeur comprennent la réception de la marchandise par divers modes de transport (par bateau, par train et par camion) et le déchargement ainsi que le déchargement de ladite marchandise. Il a décrit les divers postes et le rôle occupé par les membres de la section locale 273. Par exemple, pour l’essentiel, les vérificateurs disent aux débardeurs où aller et quoi faire avec la marchandise, comme des rouleaux de papier, à quel endroit l’apporter sur le bateau, où la placer, notent les dommages, etc. M. Duplessis a également été un employé coprésident du comité de santé et sécurité de la société du début de 1990 à 2002, année au cours de laquelle il est devenu président du syndicat.

[11] Le 1er février 2005, le navire NM Reefer Prince était au port. M. Duplessis a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Il se trouvait là pour le chargement de rouleaux de papier cannelé moyen, une couche de carton utilisée pour fabriquer des boîtes, etc. Dans ces types de navires, ils les chargent sur le rouleau [de côté] […] plutôt que de les placer en position verticale de la manière conventionnelle. Ils descendent, nous les roulons dans l’aile, nous les plaçons, puis les préposés les fixent.

[12] M. Breen a demandé à Brian Duplessis de décrire chacune des opérations de chargement des rouleaux de papier, en mentionnant les trois opérations citées dans la décision rendue par Madame le juge Tremblay-Lamer, précitée. M. Duplessis a expliqué que la grue se sert de deux sangles caoutchoutées pour ne pas endommager les rouleaux de papier. Elle ramasse un ou deux rouleaux, selon la grue utilisée pour procéder à la levée, et les ramènent dans l’ouverture de la cale. Neuf hommes se trouvaient dans la cale. Ils en sortent et défont les sangles. Trois hommes s’assurent que les rouleaux ne roulent pas, car le navire est constamment en mouvement. Les autres hommes déplacent les rouleaux dans l’aile, où M. Duplessis attend avec deux planches, qu’il place sous les rouleaux pour les faire pivoter et les immobiliser contre les autres rouleaux, afin de les empêcher de se déplacer pendant le transport. De dire M. Duplessis : [Traduction] « C’est ce à quoi servent les planches. »

[13] Brian Duplessis a expliqué qu’en tant que calier, il prenait les planches et proposait où et comment placer les rouleaux de papier de façon efficace et sûre. Il ne travaillait jamais sous l’ouverture de la cale du navire, mais plutôt seulement sous les ailes de l’ouverture de la cale. Il ne se déplaçait pas entre l’ouverture et les ailes. Il demeurait toujours sous les ailes pour accomplir son travail, qui consistait à placer les planches. Il continuait ainsi jusqu’à ce qu’il se retrouve à l’extrémité des ailes de l’ouverture, parce que les ailes seraient alors pleines. Une fois sous l’ouverture de la cale, les rouleaux seraient déposés au moyen de sangles en nylon pour pouvoir être tirés ou ils seraient mis sur le sol et roulés à l’intérieur. Le travail de Brian Duplessis qui consisterait à utiliser des planches prendrait alors fin, car des planches sont très rarement utilisées dans l’ouverture de la cale.

[14] Lorsque Brian Duplessis s’est fait demander ce qui a fait en sorte que cette question du danger a été soulevée, il a répondu que le tout a débuté deux mois plus tôt, quand Laurie Garfield, un autre débardeur qui faisait le même travail, a été coincé2 par un rouleau. Il a dit :

2

Voir la pièce E2, Logistec Stevedoring (Atlantic) Inc. Hazardous Occurrence And Incident Report.

[Traduction]

Le rouleau s’est en quelque sorte libéré parce que le navire a donné de la bande3 et le rouleau s’est libéré de la planche. Il ne s’est pas enlevé et a été coincé. C’est à ce moment-là que j’ai refusé de me coiffer d’un casque de sécurité pour effectuer ce travail. J’avais cet incident à l’esprit. Je ne voulais pas qu’il m’arrive la même chose.

3

Le terme « donner de la bande » signifie (particulièrement dans le cas d’un navire) incliner sur un bord.

[15] M. Duplessis a déclaré que la hauteur de l’ouverture de la cale où il travaillait était d’environ huit à dix pieds, et qu’il n’y avait rien d’autre au plafond que des lumières. L’ouverture de la cale était d’une longueur approximative de soixante pieds, une distance de vingt pieds séparant chaque coin de l’ouverture au centre de la cale. Chaque rouleau pesait environ 2 700 kg (soit 5 940 lbs).

[16] M. Duplessis a décrit la procédure qu’il a suivi pour disposer les planches de manière à positionner les rouleaux de papier. Il a dit :

[Traduction]

[N]ous faisons rouler le rouleau et s’il n’est pas dans la position adéquate, il nous faut enlever les planches et nous devons le faire rapidement pour obtenir le résultat souhaité par déplacement. Il faut faire preuve de la plus grande précision possible. Il faut donc être rapide.Vous devez vous pencher, laisser tomber la planche rapidement et sauter en arrière. Si cela ne fonctionne pas, vous pourriez être coincé. Il vous faut bouger rapidement. Vous devez être précis dans vos gestes sinon vous devrez tout recommencer.
(Non souligné dans le texte)

[17] Il s’agissait d’un travail continu. Comme Brian Duplessis arrimait les deux rouleaux qui descendaient, deux autres descendaient et il les arrimaient également, et ainsi de suite, sans arrêt.

[18] Lorsqu’il a refusé de travailler, M. Duplessis ne portait pas de casque de sécurité. Il a témoigné qu’il ne le portait pas parce que :

[Traduction]

J’estime qu’il limite ma mobilité, ma capacité de me déplacer. Il tombe ou glisse sans cesse en raison de la sueur. Toutes ces conditions sont présentes quand je porte le casque de sécurité pendant que je fais ce travail.

[19] Le dossier révèle à la pièce E3 que dans sa déclaration initiale de refus de travailler, M. Duplessis a écrit :

[Traduction]
J’AI REFUSÉ DE PORTER UN CASQUE PROTECTEUR PENDANT QUE J’ÉTAIS CALIER DANS LA CALE DU REEFER PRINCE. TOUT LE TRAVAIL SE FAISAIT SOUS LE VANTAIL D’ACCÈS À LA CALE. ON ROULAIT DES ROULEAUX DE 3 TONNES DANS LE VANTAIL ET JE PLAÇAIS DES PLANCHES DE COUPE POUR FAIRE TOURNER LES ROULEAUX. DONC, SI LE CASQUE ÉTAIT TOMBÉ PAR TERRE, J’AURAIS COURU PLUS DE RISQUE D’ÊTRE DISTRAIT ET DE RESTER COINCÉ ENTRE LES ROULEAUX.

C’EST POUR CELA QUE J’AI DEMANDÉ DES PRÉCISIONS SUR LE DANGER POUR MA TÊTE. DE PLUS, L’AGENT DE SÉCURITÉ A REFUSÉ D’EXAMINER L’ENDROIT OÙ JE TRAVAILLAIS.

[20] Dans le document d’appel (pièce E4), M. Duplessis a précisé les problèmes auxquels il faisait face. Il a dit :

[Traduction]

Il y a plus de risque que je sois coincé entre les rouleaux à la suite d’une distraction du fait que le casque de sécurité tombe de ma tête ou se déplace parce que j’étais constamment penché pour placer les planches sous les rouleaux et que je me déplace rapidement pour m’enlever si le rouleau bondit comme c’est arrivé quand Laurie Garfield a été coincé il y a moins de un mois.

(Non souligné dans le texte)

[21] Tels étaient les problèmes que Brian Duplessis avait à l’esprit au moment de son refus de travailler. Par conséquent, lorsque son superviseur lui a donné la directive de se coiffer de son casque de sécurité, comme il ne le portait pas, M. Duplessis a exercé son droit de refuser de travailler pour ces motifs. Il estimait qu’il était plus dangereux pour lui de porter le casque de sécurité dans ces conditions que de ne pas le porter.

[22] Bien que Brian Duplessis ait demandé au superviseur de descendre constater ses conditions de travail, ce dernier a refusé. Quand il a demandé à l’ASS Rennie de descendre pour la même raison, sa demande a de nouveau été rejetée. Une enquête de l’ASS a suivi et la décision d’absence de danger a été rendue.

[23] Au moment de son refus de travailler, M. Duplessis a déclaré qu’il était au courant de l’existence de l’évaluation des risques mentionnée précédemment. Elle avait été faite par le comité de santé et sécurité pour le secteur portuaire et un représentant de chacune des sociétés ainsi qu’un représentant syndical siégeaient au comité. Elle faisait expressément mention de Forterm. Brian Duplessis savait qu’elle recommandait que le casque de sécurité ne soit pas porté parce que « [i]l y a un risque […] plus élevé si on porte un casque protecteur, car celui-ci peut cacher la vue ».

[24] Lorsqu’il s’est fait demander d’illustrer ce qu’il faisait effectivement dans le cadre de son travail, M. Duplessis a décrit ses gestes de la façon suivante :

[Traduction]

J’ai des planches dans la main. Le rouleau entre et si j’ai besoin de le couper à ce moment précis, je dois sauter à l’intérieur, placer la planche et sauter de nouveau vers l’arrière à l’extérieur. C’est aussi simple que cela : je suis constamment en mouvement.

(Non souligné dans le texte)

[25] Brian Duplessis a répété que rien ne pouvait lui tomber sur la tête. De plus, il a mentionné que rien d’autre que la planche utilisée pour positionner les rouleaux contre les autres rouleaux ne pouvait empêcher le rouleau de rouler. La nature du travail consistait à déplacer les rouleaux.

[26] En réponse aux questions qui lui ont été posées par M. Proctor, M. Duplessis a déclaré que bien qu’il ne décidait pas où seraient positionnés les rouleaux, il donnait à l’équipe se trouvant dans l’ouverture de la cale l’orientation générale de ce positionnement et l’équipe donnait l’angle de positionnement voulu aux rouleaux et les roulaient dans cette direction. Toutefois, il ne communiquait pas avec le gardien, soit la personne se trouvant au-dessus de l’ouverture qui communique avec l’opérateur de grue et les personnes qui se trouvent dans la cale qui enlevaient les sangles et plaçaient les rouleaux dans l’orientation générale indiquée par M. Duplessis.

[27] M. Duplessis convenait avec M. Proctor qu’il devait parfois sortir de sous les ailes. Dans ces cas, il portait toujours son casque de sécurité; il l’apportait avec lui sous les ailes au cas où devrait le porter pour sortir. Même lorsqu’un rouleau se trouvait à mi-chemin entre l’ouverture et une aile, B. Duplessis maintenait catégoriquement qu’il travaillait encore sous l’aile et demeurait là jusqu’à ce que les ailes aient été remplies. Il a reconnu qu’il finirait par travailler sous l’ouverture une fois les ailes remplies. Dans une telle éventualité, il coifferait son casque de sécurité, car il ne se servirait plus de planches pour placer les rouleaux.

[28] Quand M. Proctor a fait référence à l’accident qui est survenu en 2004 à Laurie Garfield (pièce E2), M. Duplessis a reconnu que le port du casque de sécurité ne constituait pas un facteur ayant contribué à cet accident. D’après lui, M. Garfield a été frappé parce qu’un rouleau a sauté par-dessus la planche. Il ne voulait pas se trouver dans cette position. Il estimait que le casque de sécurité l’exposait au danger de se faire frapper. En outre, B. Duplessis était d’avis que les mentonnières étaient inutiles, parce que le casque tombait sans cesse lorsque la personne qui le portait regardait simplement vers le haut.

[29] M. Gary Alport est directeur des opérations de Forterm depuis 2001. Il supervise les opérations des installations, du terminal et de chargement du navire. Il est le coprésident pour l’employeur du comité de santé et sécurité depuis 2004. M. Alport a souligné que la sécurité est cruciale chez Forterm. L’employeur élabore sans cesse des politiques en matière de santé et de sécurité, parce que les choses changent : les navires, les normes de sécurité, la santé et la sécurité, les techniques, la qualité des casques de sécurité, et ainsi de suite.

[30] M. Proctor a présenté une série de documents d’orientation (pièce E5) sur les casques de sécurité. Les politiques énoncent essentiellement que les casques de sécurité doivent être portés par toutes les personnes qui travaillent sur les navires, y compris dans la cale. Comme les dates changeaient dans les documents d’orientation, M. Alport a expliqué que les documents avaient pour objet de donner plus de poids aux politiques de la société par rapport à l’équipement de sécurité en général et, dans le cas qui nous intéresse, par rapport aux casques de sécurité. Certains documents s’adressaient aux employés en général, certains aux surintendants, d’autres aux gérants et d’autres encore aux superviseurs. L’observation des politiques sur les casques de sécurité est obligatoire. Les politiques sont mises en application au moyen de mesures disciplinaires, quoiqu’il fût considéré plus important de faire comprendre aux gens l’importance de porter des casques de sécurité.

[31] Gary Alport a déclaré que les casques de sécurité sont facilement accessibles aux employés et que ceux-ci ont suivi une formation sur l’utilisation adéquate des casques.

[32] M. Alport a expliqué que lorsqu’il a été informé des gestes de Brian Duplessis, il les a traités comme de l’insubordination, car l’employé a refusé de se conformer à une politique de la société. Gary Alport estimait que Brian Duplessis n’a jamais fait part d’une préoccupation en matière de santé et sécurité avant de se faire ordonner de se conformer à la politique sur le port du casque de sécurité. Pour ce motif, il estimait que cette question n’était pas visée par le Code canadien du travail. Il a communiqué ultérieurement avec l’ASS Ian Rennie pour faire faire une enquête sur la question en vertu du Code. Gary Alport a reconnu à M. Breen qu’il n’a pas visité le site où M. Duplessis a refusé de travailler.

[33] En ce qui concerne le document d’évaluation des risques mentionné précédemment, Gary Alport a expliqué qu’il a été élaboré de concert avec le comité de santé et sécurité pour l’ensemble du Port de Saint John. Y ont donc participé des représentants de l’employeur et des employés de toutes les sociétés du Port de Saint John, dont deux gestionnaires de Forterm, Bruce Harding en 1997 et Sandy Thomson en 2002. M. Alport a souligné que cette évaluation des risques ne constituait pas une politique de la société; il s’agissait d’un outil fondé sur des informations et des opinions subjectives. Il reconnaissait toutefois qu’il n’a pas pris part à son élaboration. Il a accepté la déclaration de M. Breen selon laquelle cela constituait une analyse interne visant à déterminer les secteurs de risque, y compris ceux qui présentaient une possibilité de traumatisme crânien. Il a également accepté que l’évaluation des risques entraîne des zones d’exclusion des casques de sécurité.

[34] M. Alport a expliqué que certains employés affectés au chargement de navires, comme les grutiers ou les conducteurs de véhicules à quai, n’avaient pas besoin de porter de casques de sécurité. Ces personnes, qui étaient identifiées dans l’évaluation des risques, travaillaient dans une cabine et étaient donc protégées pendant qu’elles étaient dans la cabine.

[35] D’autres groupes de personnes identifiées dans l’évaluation des risques, notamment les gardiens, les caliers, les opérateurs de lift et les élingueurs, pouvaient subir des traumatismes crâniens, mais il était recommandé qu’ils ne portent pas de casques de sécurité. La justification était donnée dans une note désignée par un astérisque rattaché à chaque groupe, comme caliers*, qui se lisait comme suit :

*note : il y a un risque de blessure à la tête, mais, pour des questions de visibilité, le port du casque de sécurité présente un risque plus grave.

M. Alport n’était pas d’accord avec la position du comité qui recommandait que les casques de sécurité ne soient pas portés. Il maintenait catégoriquement qu’il ne s’agissait pas d’une politique de la société et que la société ne donnait pas son aval à cette recommandation. Il estimait par exemple que les gardiens pouvaient subir des traumatismes crâniens et qu’ils devraient porter des casques de sécurité. Il hésitait toutefois à se montrer d’accord avec la déclaration générale de M. Breen selon laquelle les employés travaillant avec quelque chose au-dessus de leur tête, comme les grutiers, n’avaient pas besoin de porter un casque de sécurité.

[36] Gary Alport a affirmé, en décrivant ce que faisaient les caliers et l’endroit où ils se trouvaient, que les caliers travaillent dans la cale d’un navire. Il a ajouté qu’il était difficile de le visualiser parce que les navires diffèrent de l’un à l’autre. Le NM Reefer Prince est un navire à ponts multiples. Certains navires ont des cales très profondes à grande ouverture. Il a expliqué que l’ouverture de la cale était effectivement une ouverture. C’est de cette façon que la cargaison se rend dans la cale du navire et en sort. Lors du chargement d’une cargaison de rouleaux de papier, on chargerait d’abord un bout par opposition à un côté parce que le navire bougera. On chargerait ensuite graduellement les côtés, d’un côté à l’autre. L’élément clé consistait à équilibrer les deux côtés. À un moment donné, les caliers devraient travailler sous l’ouverture dans la cale et se déplacer sous celle-ci.

[37] M. Alport a expliqué que chaque fois que du travail était effectué au-dessus, il existait un risque que quelque chose tombe. Ce pourrait être n’importe quoi, comme une charge de graisse qui s’est durcie pendant l’hiver ou des débris; une écoutille penchée pourrait faire en sorte que quelque chose soit renversé, et ainsi de suite. D’après lui, il était impossible d’empêcher la chute d’objets par l’ouverture de la cale. Outre un objet qui chute, il a déclaré qu’il y avait également le risque de se cogner la tête sur quelque chose parce que le plafond était d’une hauteur inférieure à huit pieds, malgré les témoignages antérieurs à l’effet contraire. De plus, le câble d’une grue pourrait se rompre, comme en fait foi la pièce E9, et se retrouver sous l’aile sur six ou sept pieds et blesser la personne qui y travaille comme Brian Duplessis. Enfin, Gary Alport a affirmé avec insistance que le casque de sécurité ne constituait pas un facteur ayant contribué à l’accident de M. Garfield.

[38] En commentant l’accident subi par M. Garfield, Gary Alport a déclaré qu’en roulant le rouleau en position,

[Traduction]

[i]l lui a, finalement, échappé, et qu’il s’agit malheureusement d’un danger inhérent au sujet duquel nous disons constamment à nos employés d’être vigilants. Il a été coincé entre ce rouleau et un autre rouleau. (Non souligné dans le texte)

[39] M. Alport a expliqué que pour arrêter un rouleau, il faut lancer quelque chose sous le rouleau, comme un bloc, une cale ou une rame. Toutefois, la meilleure méthode consiste à s’enlever de la voie du rouleau. Il y a des préposés4 qui travaillent dans la cale et ils ont pour tâcher de fixer la cargaison dans les ailes. Il arrive donc que les rouleaux se retrouvent en partie sous l’ouverture et en partie dans les ailes. M. Alport estimait qu’il y avait des risques de traumatisme crânien dans la cale et que l’employé devait porter un casque de sécurité pour se protéger. Il ne croyait pas que le port du casque de sécurité nuisait à la vision de l’employé.

4

Although the role of ship liners was not fully explained at the hearing, M. Proctor submitted that ship liners have chocks on them and could intervene if necessary.

[40] Pat Riley est l’agent d’affaires à temps plein de la section locale 273 de l’AID depuis 1986. Auparavant, il a été coprésident du comité de santé et sécurité au Port de Saint John de sa constitution en 1979 jusqu’en 1984. M. Riley a déclaré que le comité le consulte sur des questions de santé et sécurité et qu’il peut parfois intervenir au nom du syndicat relativement à des questions qui touchent leur lien avec l’association des employeurs.

[41] En ce qui concerne l’évaluation des risques, M. Riley a déclaré qu’il a participé à son élaboration. Il a siégé au comité de santé et sécurité de Port de Saint John en mai 1997 quand l’évaluation des risques a d’abord été élaborée et en mars 2002 quand elle a été révisée. M. Riley a expliqué que ce sont le comité de santé et sécurité de Port de Saint John, la section locale 273 de l’AID et l’association des employeurs qui ont élaboré l’évaluation des risques en 1997 et en 2002. Le comité s’est donné beaucoup de mal pour s’assurer qu’il consultait tout le monde, c’est-à-dire tous les employeurs du port, les employés directement et les syndicats directement, pour veiller à obtenir la contribution de tous à l’évaluation.

[42] M. Riley a affirmé qu’une déclaration antérieure faite par Gary Alport selon laquelle l’évaluation des risques n’a pas été établie sur la base de statistiques était tout à fait incorrecte. Les statistiques des accidents avec traumatisme crânien pour les cinq années précédentes jusqu’en 2002, pour chaque occupation au port, ont été prises en compte et une période plus longue a été étudiée avant 1997. M. Riley a confirmé que les responsables de la direction nommés précédemment ont participé activement à l’élaboration et à la révision de l’évaluation des risques. De fait, il a affirmé qu’il a consulté directement M. Harding et d’autres cadres supérieurs de l’association du Port de Saint John ainsi que certaines sociétés pour dresser l’évaluation des risques. Le comité a donc consulté toutes les parties avant de parachever le document.

[43] M. Riley a témoigné qu’un accident très grave impliquant les casques de sécurité est survenu en 1979 et que les membres du comité avaient cet accident à l’esprit lorsqu’ils élaboraient l’évaluation des risques. En effet, un homme travaillait sous l’aile de l’ouverture de la cale et portait un casque. Il est sorti de sous l’aile et a regardé vers le haut. Il croyait que la voie était libre et est sorti de sous l’aile. Le grutier l’a vu venir et a brusquement cessé le chargement. Le câble s’est rompu. Le rouleau de papier de couverture, de mêmes dimensions que celui dont il est question dans la présente affaire, est tombé, a rebondi sur l’homme et l’a tué. Une enquête a été faite au sujet de l’accident et le jury a conclu que le champ de vision d’un débardeur ne devrait être affaiblie d’aucune manière lorsqu’il travaille dans l’ouverture de la cale. À compter de ce jour-là, les débardeurs ont associé les casques de sécurité à un problème de champ de vision.

[44] Bruce Harding, directeur général des opérations de Forest Products Terminal Corporation Ltd., a renvoyé M. Riley à la pièce E10, une pile de documents initialement soumis par M. Harding. Les documents avaient été présentés le 18 mars 2002 en réponse à une Promesse de conformité volontaire reçue par un ASS. Dans ce document, sous la rubrique [traduction] CASQUE DE SÉCURITÉ, M.Harding a écrit à l’ASS :

[Traduction]

Le Comité a convenu qu’un casque de sécurité serait profitable aux employés qui travaillent dans certaines aires désignées du Port. Ces aires ont été désignées après une étude des différentes aires de travail et des accidents survenus au cours des cinq dernières années, étude qui n’a révélé aucun accident pendant cette période. Plus précisément, le Comité a recommandé le port d’un casque de sécurité au terminal à conteneurs lorsque le travail est exécuté sur le pont, dans la cale et sur le quai dans l’aire immédiate du bras de la grue.

Le Comité a également discuté des aires notées pendant votre visite, notamment des élingueurs, des gardiens et des caliers sur les navires conventionnels. Le Comité est d’avis que la réduction du champ de vision occasionnée par les casques de sécurité prévaudrait sur tout avantage au niveau de la sécurité dans ce que les membres du Comité considèrent comme des aires à faible danger pour les motifs suivants :

  • Le risque le plus grand est celui d’être frappé par une unité de pulpe ou par un rouleau de papier journal et la sécurité d’une personne est davantage fonction du plus grand champ de vision possible pour reconnaître le danger dès que possible et s’enlever.
  • L’utilisation de casques de sécurité réduit le champ de vision global, et fait donc diminuer le temps de réaction.
  • Les employés qui occupent ces emplois consacrent une proportion beaucoup plus grande de leur temps à regarder vers le haut pour assurer le suivi de la cargaison et des grues pendant le chargement du bateau et estiment que l’utilisation d’un casque ferait diminuer leur niveau de sécurité.

De plus, de nombreuses pratiques de sécurité sont en place pour protéger les employés contre une exposition à des blessures causées par les éléments qui précèdent, telles que les suivantes :

  • Les sociétés emploient un gardien à temps plein qui a pour seule responsabilité d’agir comme signaleur entre le grutier, les caliers et les élingueurs, afin que les hommes qui travaillent dans la cale soient en sécurité lorsque des élingues sont transportées dans la cale.
  • Les employés reçoivent la directive de marcher du côté de la terre lorsqu’ils se déplacent sur le pont.
  • Aucune élingue n’est palantée au-dessus de la tête des employés.

Pour les motifs décrits précédemment, la section 12.2a) devrait avoir préséance sur la section 12.4.

Nous mettrons en œuvre une politique de port obligatoire du casque de sécurité lorsque nous aurons déterminé de manière définitive quel sera le type et le processus d’approvisionnement du casque de sécurité. Nous vous informerons de la date de mise en œuvre d’ici le 23 mai 1997.

Voici une copie de l’avis de sécurité qui décrit la politique devant être mise en œuvre au Port de Saint John. Veuillez …

[45] L’avis de sécurité mentionné précédemment, joint à la présente, soulignait que les employés devaient porter des casques de sécurité dans les aires désignées. En plus de l’avis, le document d’évaluation des risques de 1997, également joint, recommandait que les caliers au service de Forterm ne portent pas de casques de sécurité.

[46] M. Riley souscrivait tout à fait à la déclaration écrite faite par M. Bruce Harding, dans une lettre en date du 20 mars 2002 (pièce E11) présentée dans le cadre d’un appel distinct. Voici un extrait de cette lettre :

[Traduction]

Au cours des dernières années, les employeurs et les employés ont de nouveau mené leur propre analyse de risques à l’interne pour établir les aires de risque. Ils ont notamment étudié les traumatismes crâniens subis au fil des ans et chaque fonction liée à l’emploi pour déterminer les risques et la protection découlant de l’utilisation du casque de sécurité. Résultat, des aires de port du casque de sécurité ont été établies dans certaines zones des opérations du Port.

(Non souligné dans le texte)

[47] M. Riley était d’avis que :

[Traduction]

[s]i vous pouvez regarder vers le haut lorsque quelque chose se produit, vous obtenez ainsi davantage de temps de réaction pour vous enlever de là.

[48] Enfin, M. Riley a déclaré que les mentonnières n’étaient pas nécessairement conçues pour maintenir fixe un casque de sécurité sur la tête. Lorsque les gens travaillaient, plutôt que de simplement marcher, et qu’ils ajustaient la sangle au besoin, ils transpiraient et leurs cheveux se mouillaient. Résultat, le casque penchait vers l’avant ou vers l’arrière quand l’employé regardait vers le hait ou se penchait vers l’avant. Le casque était à l’étude à Montréal pour être remanié de manière à être muni d’une visière plus courte comme c’est le cas ailleurs dans le monde.

Arguments en faveur de l’appelant

[49] M. Breen a fait valoir que la question précise à trancher en l’espèce était énoncée au paragraphe 24 de la décision de la Cour fédérale, précitée. Ce paragraphe est ainsi rédigé

[24] En résumé, jamais l’agent d’appel ne traite de la question de savoir si un casque de sécurité représentait un « danger » pour le demandeur pendant que ce dernier effectuait son travail particulier, lequel consiste à utiliser des planches pour mettre en place les rouleaux de papier dans la cale du navire. C’est là la seule raison pour laquelle le demandeur avait refusé de travailler.

(Je souligne)

[50] M. Breen a ajouté que ce n’est pas seulement la mention générale du travail dans une cale de navire qui revêtait beaucoup d’importance, mais également le travail sous les ailes du navire, car lorsque M. Duplessis est sorti de sous les ailes, il portait son casque de sécurité. Il s’agissait donc expressément de statuer sur le positionnement des planches pour placer les rouleaux de papier pendant que la personne se trouve sous les ailes du navire.

[51] M. Breen a souligné que l’ASS a reconnu, comme le lui a dit le tribunal, qu’il a commis une erreur lorsqu’il a décidé de ne pas visiter le site. L’ASS était également d’accord pour affirmer qu’il n’y avait pas de risque de blessure découlant de la chute d’un objet sur la tête d’une personne travaillant sous l’aile. Par conséquent, aux termes du Code, il n’y avait pas de danger de chute d’objets pendant le travail sous l’aile. Brian Duplessis a établi clairement qu’il croyait que le casque représenterait un danger pour lui s’il devait tomber ou obstruer son champ de vision d’une manière telle qu’il pourrait se retrouver coincé par les rouleaux de papier. M. Breen a dit qu’il fallait garder à l’esprit que dans le Port de Saint John, on reconnaissait qu’en l’absence d’un danger de chute d’un objet sur la tête de quelqu’un, par exemple dans le cas d’un grutier ou d’un opérateur de machine, il n’était pas nécessaire de porter un casque de sécurité. Pour dresser une analogie avec les grutiers, M. Duplessis avait littéralement un toit au-dessus de sa tête lorsqu’il travaillait sous l’aile.

[52] L’évaluation des risques mentionnés dans la présente affaire a été consignée dans un document soigneusement élaboré par les employés et la direction, en conformité parfaite avec le rôle des comités de santé et sécurités prévu par le Code. Le document faisait expressément mention de l’emploi occupé par Brian Duplessis depuis que toutes les fonctions exercées dans la cale d’un navire, comme l’a déclaré M. Riley, ont été étudiées. Dans ce document, élaboré en 1997, sous la rubrique Forterm – Navires se trouvaient quatre classifications5 auxquelles il a été répondu « oui » à la question de savoir s’il y avait un risque de traumatismes crâniens, mais « non » relativement au port des casques de sécurité; en effet, la note jointe mentionnait :

5

Gardien, caliers, opérateurs de lift, élingueurs.

[i]l y a un risque de blessure à la tête, mais, pour des questions de visibilité, le port du casque de sécurité présente un risque plus grave.

[53] M. Breen faisait valoir que ce document était le document le plus fiable parce qu’il a été élaboré par les deux parties. Par ailleurs, les documents présentés par M. Proctor étaient contradictoires parce que ces documents, qui étaient des documents d’orientation, mentionnaient que le casque de sécurité doit être porté dans tous les cas.

[54] M. Breen a donc dit que la seule question qui lui a été soumise consistait à déterminer si Brian Duplessis était justifié de refuser de travailler ce jour-là et dans ces circonstances de juger que le port d’un casque de sécurité constituait un danger pour lui. Il s’est dit d’avis que je devrais conclure qu’il était justifié d’en venir à une telle conclusion et a confirmé l’existence du danger.

Argumentation de l’intimé

[55] M. Proctor a fait valoir qu’à titre d’employeur, Forterm avait des obligations qui lui étaient imposées par le Code canadien du travail. Les articles 122.1 et 122.2 du Code prévoient :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

[56] La preuve présentée dans cette affaire révélait qu’il était impossible d’éliminer complètement les dangers comme des débris provenant du travail effectué au-dessus de la tête. Des politiques régissant les casques de sécurité ont été adoptées à compter de 1997. Elles étaient en place au moment du refus de travailler et M. Proctor estimait qu’elles étaient et avaient toujours été cohérentes. Elles exigeaient que les caliers portent des casques de sécurité dans la cale des navires. Des lettres rédigées par des représentants de la société en réponse aux autres appels ne s’inscrivaient pas dans la politique de la société.

[57] M. Proctor a fait mention de la pièce E6, intitulée Logistec Stevedoring (Atlantic) Inc., Safety Equipment Policy, révisée le 7 février 2005, comme politique actuelle. Elle ne différait pas de la pièce E5 (politique précédente), sauf qu’elle a été émise de nouveau après le refus de travailler de M. Duplessis le 1er février 2005 pour établir clairement à l’intention de tous les employés quelle était la politique relativement aux casques de sécurité.

[58] M. Proctor a affirmé que selon les preuves présentées, le comité de santé et de sécurité au travail et l’employeur formaient un seul et même groupe. Ce n’était pas le cas. À la lecture du Code et plus précisément des articles 124 et 125, M. Proctor était d’avis que des obligations ont été imposées aux employeurs, et uniquement à eux, a-t-il souligné. En vertu de ces dispositions, l’employeur doit veiller6 à la protection de tous les employés de l’employeur en matière de santé et de sécurité. Le comité de santé et de sécurité au travail est un mécanisme qui permet aux employés et aux syndicats d’apporter leur contribution à l’obligation des employeurs d’assurer un milieu de travail sûr. M. Proctor a été clair : le comité collabore à l’élaboration de la politique, mais ne l’établit pas.

6

M. Proctor a fait observer que le mot « veiller » est un terme très strict utilisé par la loi.

[59] M. Proctor a fait observer que le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires) (le Règlement) s’appliquait également en l’espèce. M. Alport a témoigné qu’il était impossible d’éliminer tous les dangers de chute d’objets ou de coups sur la tête et que pour ce motif, le casque de sécurité devait être porté conformément à l’article 10.1 du Règlement. Il s’agit aujourd’hui de déterminer si le casque de sécurité créait par lui-même un danger, comme l’entendait l’alinéa 10.2b) du Règlement.

[60] M. Proctor a allégué que pour maintenir le caractère raisonnable du refus de travailler de M. Duplessis, je dois décider s’il a identifié un danger suffisant en vertu du Code pour justifier son refus de travailler. À son avis, tout ce qui a été entendu à l’audition n’était que pure spéculation : un simple risque de blessure, c’est-à-dire un risque que le roulement d’un rouleau de papier puisse le blesser. Il n’y avait aucune preuve étayant cette situation. Il a été établi que le port d’un casque de sécurité n’a pas contribué à l’accident dont Laurie Garfield a été victime en 2004. L’employeur estimait donc que le 1er février 2005, Brian Duplessis ne pouvait en vertu de l’article 128 identifier un danger tel qu’il est défini à l’article 122 du Code.

[61] M. Proctor souscrivait à l’opinion de M. Breen selon laquelle la Cour fédérale a identifié au paragraphe 24 de la décision précitée la question en litige en l’espèce. L’examen de la preuve nous permet de constater qu’avant le refus de travailler, l’employeur disposait de mécanismes pour faire diminuer le danger de roulement de rouleaux de papier, à savoir un itinéraire de fuite prévu et une couverture de bateau munie de cales.

[62] M. Proctor a soumis de la jurisprudence pour étayer la position de l’employeur et pour donner une orientation en l’espèce.

[63] Dans Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, qui traitait du danger couru par les gardiens de parc qui demandaient par conséquent d’être armés pour exercer leurs fonctions, la Cour fédérale a déclaré au paragraphe 37 :

[37] Je conviens qu’une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu’on cherche à déterminer si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l’avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu'affirme le demandeur se produise plus tard.

(Soulignement ajouté par M. Proctor)

[64] Dans Chapman et Agence des douanes et du revenu du Canada, [2003] décision du BACCT no 03-019, qui portait sur une épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) à l’Aéroport international Pearson (AIP) de Toronto, l’agent d’appel a déclaré au paragraphe 83 :

[83] […] et le fait que deux passagers qui s'étaient présentés aux douanes de l'aéroport international Pearson étaient ensuite morts du SRAS. Néanmoins, aucun élément ne peut permettre d'établir qu'un passager atteint du SRAS était vraiment à bord d'un vol à destination de l'aéroport international Pearson et que ce passager arriverait aux douanes pendant le quart de M. Chapman, ou qu'un passager atteint du SRAS s'apprêtait à monter à bord d'un avion partant de cet aéroport. Je conclus donc que la peur d'être infecté par le SRAS qu'éprouvait M. Chapman n'était fondée que sur des hypothèses, et non sur des faits.

[65] Dans Caverly and Human Resources Development Canada, [2005] CLCAO Decision 05-011, qui portait encore une fois sur une épidémie de SRAS dans un Centre des ressources de DRHC de Toronto, les agents d’appel ont donné au paragraphe 27 une liste des critères qui doivent être appliqués au concept de danger. Plus précisément, l’AA a fait référence, comme elle l’a fait au paragraphe 31, au concept de [traduction] « possibilité raisonnable » que survienne une blessure.

[66] Dans Hogue-Burzynski et autres et Via Rail Canada, [2006] décision du BACCT no 06‑015, qui portait sur l’insalubrité dans les véhicules de chemin de fer et sur l’exposition possible au virus de type Norwalk, l’agent d’appel a déclaré au paragraphe 85 :

[85] Enfin, je dois me demander si de telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable, et qu'elles seront susceptibles de causer des blessures aux personnes exposées ou de les rendre malades.

[67] Dans Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée, [2001] décision du BACCT no 01-008, qui portait sur la possibilité que survienne un détachement de la soufflette du collier, l’agent d’appel a déclaré au paragraphe 25 :

[25] La possibilité hypothétique que M. Welbourne pourrait être blessé de la manière qu’il décrit à la suite du détachement de la soufflette du collier ne correspond pas à la définition du mot «danger» énoncée dans le Code.

[68] Comme le disait M. Proctor, toutes ces affaires étayaient la proposition selon laquelle il existait une différence entre une simple possibilité et une possibilité raisonnable. Il fallait examiner la preuve de ce qui aurait pu survenir le 1er février 2005 sur la question du port du casque de sécurité et des rouleaux de papier qui roulent. De l’avis de M. Proctor, outre la mention d’accidents antérieurs au cours desquels les casques de sécurité n’ont pas constitué un facteur contributif, il n’y avait aucune preuve que M. Duplessis pourrait subir un accident.

[69] M. Proctor a traité de la question du papier qui roule. Il a reconnu que c’aurait pu être un risque, mais c’était un risque contrôlé. Le roulement du papier ce jour-là était purement spéculatif, car le risque était effectivement contrôlé. Les mécanismes mis en place, comme les couvertures de bateau munis de cales ou le fait de connaître un itinéraire de fuite et de pouvoir en disposer, constituaient des mécanismes de contrôle qui auraient dû permettre à un employé de réagir si un rouleau de papier avait roulé vers lui. M. Proctor soutenait que le paragraphe 90 de la décision Via Rail, précitée, s’appliquait ici. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

[90] En conséquence, comme l’employeur a fait tout le nécessaire pour réduire au minimum l’exposition de ses employés à un agent pathogène, j’estime que la simple possibilité d’être exposés à un virus semblable au virus Norwalk fait partie de leurs conditions de travail normales.

[70] Outre l’affaire Via Rail, précitée, l’employeur estimait que lorsque quelque chose prévu par l’alinéa 128(2)b) du Code constituait une condition normale d’emploi, il n’y avait pas de motifs de refuser de travailler. En conséquence le travail sur un bateau et le chargement ainsi que le déchargement d’une cargaison ont pu présenter un danger associé à ce travail, c’est-à-dire que la cargaison pourrait se déplacer. Toutefois, en l’espèce, l’employeur avait pris des mesures de sécurité adéquates aux termes du Code pour contrôler ce danger.

[71] M. Proctor a fait valoir que l’évaluation des risques mentionnée en l’espèce constituait un outil utilisé en vertu du Code, mais ne formait pas une politique. Elle ne régissait pas les règles du milieu de travail. Depuis 1997, la politique de l’employeur était que les casques de sécurité étaient obligatoires. Il y avait des exceptions à cette politique, comme les grutiers, parce qu’ils étaient protégés par une cabine ou les personnes qui déplaçaient de l’équipement parce qu’ils étaient protégés par une cage. Bien que M. Proctor ait reconnu que la politique n’était pas conforme à l’évaluation des risques, telle était la politique et elle prévalait. Elle tenait lieu de règle en milieu de travail. Aux termes de la politique, l’employeur devait s’acquitter de son obligation prévue à l’article 124 du Code.

[72] Le directeur des opérations, M. Alport, a témoigné au sujet de la preuve de dangers qui pourraient survenir, comme la chute de glace ou de graisse, l’utilisation d’émetteurs-récepteurs portatifs, la chute de planches de contreplaqué, les chocs à la tête, et ainsi de suite. Il a été fait mention d’une personne qui s’est cognée la tête dans la cale d’un navire. Il a été rapporté que le port d’un casque de sécurité constituait un facteur atténuant qui empêchait la survenance d’une blessure plus importante. M. Alport a déclaré qu’advenant la rupture d’un câble de grue, ce câble emprunte n’importe quelle direction, notamment sous les ailes. Croire que les employés sont protégés pendant qu’ils sont sous les ailes équivaudrait à croire en une sécurité illusoire.

[73] M. Proctor a fait valoir que quoique l’ASS a commis l’erreur de ne pas se rendre dans la cale pour faire enquête au sujet du refus de travailler, il a vu des employés porter des casquettes de baseball. Au dire de M. Proctor, il a pu conclure qu’en ne portant pas de casque de sécurité, ils étaient exposés à un risque important de chute de matériel.

[74] M. Proctor a fait mention des décisions du BACCT nos [2003] 03-013, 03-014 et 03‑015 dans Forest Products Terminal Corporation Ltd. et Association internationale des débardeurs (AID), section locale 273. Elles portaient sur un employé ayant refusé de porter un casque de sécurité parce qu’il obstruait son champ de vision et sur un autre employé ayant refusé de porter le casque de sécurité parce qu’il limitait sa mobilité. Les employés étaient exposés à des dangers pendant qu’ils travaillaient sur les docks. Bien que ces affaires portaient sur des refus d’employés de porter des casques de sécurité, M. Proctor a reconnu que ces décisions ne tenaient pas compte des employés travaillant dans la cale d’un navire sous les ailes de l’ouverture de la cale.

[75] Dans Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd. v. International Longshore and Warehouse Union, Ship and Dock Foremen, Local 514, [2004] C.L.A.D. No. 505, qui portait, dans le cadre du processus d’arbitrage, sur la politique de la société exigeant que tous les employés porte un casque de sécurité conforme à la norme de l’ACNOR, l’arbitre a conclu que la politique obligatoire de la société sur les casques de sécurité était raisonnable et a maintenu la politique.

[76] Compte tenu de tout ce qui précède, M. Proctor était d’avis que le refus de travailler de M. Duplessis n’était pas justifié dans les circonstances.

[77] M. Breen a attiré l’attention de l’agent d’appel sur les faits qui suivent, pour lesquels une décision d’absence de danger a été rendue. Dans l’affaire Via Rail, précitée, le danger possible avait disparu lorsque l’employé a refusé de travailler. Dans les affaires sur le SRAS, précitées, il devait exister une possibilité raisonnable d’exposition au virus du SRAS. Dans l’affaire Darren Welbourne, précitée, il a été conclu qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable de blessure. Toutes ces affaires traitent de caractère raisonnable.

[78] En outre, M. Breen était d’avis qu’en vertu de l’alinéa 125(1)z.03) du Code, l’employeur est tenu d’élaborer des politiques visant les employés de concert avec le comité. M. Breen soutient que l’évaluation des risques mentionnée en l’espèce faisait exactement cela.

Décision

[79] Avant de statuer sur la question à trancher en l’espèce, je répondrai aux questions préliminaires suivantes qui ont été soulevées par les parties au début de l’audience et pendant celle-ci.

[80] Premièrement, les parties ont reconnu qu’il ne serait pas possible pour l’agent d’appel soussigné de voir7 l’aire de travail de M. Duplessis et de prendre connaissance des conditions à bord du navire NM Reefer Prince ou de tout autre navire. Le navire avait quitté et aucun autre navire présentant des aires et des conditions de travail semblable n’était disponible au moment de l’audition. Toutefois, trois photographies et un diagramme schématique illustrant les différentes aires et conditions de travail dans la cale d’un navire semblable ont été produites par M. Breen comme pièce E2. Cette preuve s’est révélée utile en l’espèce.

7

Madame le juge Tremblay-Lamer a commenté l’erreur commise par l’agent d’appel du fait qu’il a examiné l’existence d’un danger dans la mauvaise aire de travail. Elle a écrit au paragraphe 20 de sa décision :

[20] Cette erreur est peut-être liée au fait que l’ASS, en premier lieu, n’a pas pris en considération l’endroit qui, selon moi, est crucial pour trancher la question d’un risque « existant » ou d’une activité « courante », de même que la question d’un risque « potentiel » ou d’une activité « future », comme l’indique la définition présentement en vigueur du mot « danger ». L’agent d’appel, s’il avait entendu à nouveau l’affaire, aurait pu remédier à la situation en examinant le lieu de travail lui-même, ainsi qu’il était habilité à le faire en vertu du paragraphe 145.1(2) du Code.

[81] Deuxièmement, M. Breen a soulevé la question des limites imposées à un agent d’appel qui est instruit d’un appel de novo. Dans ces conditions, il a soutenu que je ne pouvais recevoir de nouveaux éléments de preuve et que je devrais être limité aux mêmes éléments de preuve que ceux qui ont été présentés par les parties à l’appel initial en l’espèce. Je ne suis pas d’accord. Le paragraphe 145.1(2) du Code prévoit ce qui suit :

145.1(2) Pour l’application des articles 146 à 146.5, l’agent d’appel est investi des mêmes attributions — notamment en matière d’immunité — que l’agent de santé et de sécurité.

[82] J’estime que cette disposition signifie qu’une fois qu’un agent d’appel est saisi d’un appel en particulier en vertu du Code, il possède, outre les attributions, notamment en matière d’immunité, conférées à un AA, toutes celles dont est investi un agent de santé et sécurité en vertu du Code. Par exemple, l’AA qui siège en appel d’une décision rendue ou d’une instruction donnée par un ASS peut utiliser les pouvoirs conférés à un ASS pour visiter8 un site ou pour donner une instruction en vertu du paragraphe 145(1)9 du Code, même s’il n’est pas précisé dans le Code que ces pouvoirs sont conférés à l’AA. L’AA saisi d’une question de novo possède suffisamment de pouvoirs pour recevoir de nouveaux éléments de preuve, notamment des preuves qu’un ASS pourrait ou devrait avoir reçu, dans la mesure où elles ont trait aux circonstances qui ont donné lieu au refus de travailler ou au prononcé d’une instruction en appel.

8

Brian Duplessis c. Procureur général du Canada et Forest Products Terminal Corporation Ltd., 2006 CF 482, paragraphe 20.

9

Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, paragraphes 26-28.

[83] Troisièmement, quand M. Proctor a présenté comme pièce E5 une série de documents de politique sur les casques de sécurité, M. Breen s’est opposé à leur production en raison des restrictions qui devraient être imposées à un AA qui entend une affaire de novo et en raison de leur pertinence. Les documents étaient jugés pertinents en l’espèce et compte tenu des pouvoirs de l’AA mentionnés précédemment, ils ont été accueillis.

[84] Enfin, M. Proctor a terminé son argumentation en faisant valoir que dans l’appel initial sur la question, l’AA a ordonné la réalisation d’une évaluation des risques rattachés à l’emploi de Brian Duplessis, ce qui a été fait et terminé le 15 février 2006. Il entendait déposer ce document en preuve mais M. Breen s’y est opposé, en invoquant que la Cour fédérale a annulé la décision de l’AA dans son intégralité. De plus, ce document n’a pas été élaboré avec l’accord du comité de santé et sécurité ou du syndicat, quoique M. Proctor ait indiqué qu’un membre du syndicat a pris part à son élaboration. Cependant, il n’était pas certain si le syndicat était d’accord avec les résultats. Par conséquent, M. Breen a fait valoir que ce document n’avait aucune existence juridique, était nul et de nul effet et devait être rejeté.

[85] Ayant entendu ces arguments, j’étais d’accord avec M. Breen essentiellement pour les mêmes motifs qu’il a présentés et j’ai rejeté la présentation de cette nouvelle évaluation des risques. Pour ces raisons, je conclus que l’évaluation des risques n’est pas recevable. De plus, comme la section locale 273 n’était pas au courant de l’existence de ce document, je crois que mon jugement serait perçu comme vicié si je devais m’appuyer sur un document qui portait sur la question précise qui m’est soumise.

[86] En l’espèce, je dois déterminer que la question, telle qu’elle a été rapportée dans la décision de la Cour fédérale précitée, à laquelle ont souscrit MM. Proctor et Breen :

[…] si un casque de sécurité représentait un « danger » pour le demandeur pendant que ce dernier effectuait son travail particulier, lequel consiste à utiliser des planches pour mettre en place les rouleaux de papier dans la cale du navire. [Non souligné dans l’original.]

[87] Comme l’utilisation du mot « cale » peut porter à confusion parce qu’il englobe de nombreuses aires de travail sur un navire, j’ajouterais, à des fins de clarification, la description donnée par la Cour au paragraphe 19 de la décision, qui est ainsi rédigée :

[19] Manifestement, l’agent d’appel a omis de différencier les opérations de travail différentes qu’effectuent des personnes différentes se trouvant dans la cale du navire. L’aire de travail en question (c’est-à-dire, là où le demandeur avait refusé de travailler) se trouvait sous l’aile de l’ouverture de la cale du navire, où il mettait en place des planches pour faire tourner les rouleaux de papier.

(Soulignement ajouté par Madame le juge Tremblay-Lamer)

[88] Pour décider s’il existe un danger au sens du Code, je dois me reporter à la définition qui se trouve au paragraphe 122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur [.]

[89] La décision la plus récente de la Cour d’appel fédérale qui porte sur le concept de « danger » au sens du Code est Douglas Martin et Alliance de la fonction publique du Canada et Procureur général du Canada, 2005 CAF 156. Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a conclu son analyse sur la question de savoir si les gardiens de parc étaient en danger lorsqu’ils s’acquittaient de leurs fonctions d’application de la loi sans avoir d’armes de poing pour le faire en affirmant au paragraphe 42 :

[42] Il n'appartient pas à notre Cour d'apprécier ces éléments de preuve ou de tirer des conclusions sur la question de savoir si la preuve permettait de conclure que l'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que des gardiens de parc soient blessés ou même si l'on devrait fournir des armes de poing aux gardiens de parc. Cette décision incombe à l'agent d'appel.

(Non souligné dans l’original)

[90] En ce qui concerne la question du danger dans l’affaire qui nous occupe, M. Proctor a présenté de la jurisprudence, comme l’affaire Darren Welbourne, précitée, à l’appui de son argumentation selon laquelle la possibilité spéculative que survienne une blessure ne s’inscrit pas dans l’interprétation à donner à un danger au sens où l’entend le Code. En réponse, M. Breen a fait valoir que cette décision renvoyait expressément à la doctrine de l’attente raisonnable de blessure plutôt qu’à une simple spéculation. M. Breen a raison. Dans cettedécision, précitée, j’ai conclu au paragraphe 24 :

[24] À mon avis M. Welbourne ou toute autre personne dans la même situation n'est pas susceptible de subir des blessures, dans l'immédiat ou à l'avenir.

[91] Les autres décisions présentées par M. Proctor appuient une approche presque identique, c’est-à-dire une possibilité raisonnable de blessure par opposition à une simple possibilité de blessure. Je suis d’accord avec M. Proctor sur ce point et j’appliquerai les principes susmentionnés en l’espèce.

[92] J’ajouterais qu’il existe d’autres décisions de jurisprudence portant sur le concept de danger, y compris l’élément de temps qui fait partie intégrante de la définition de danger.

[93] Avant que la Cour d’appel fédérale rende sa décision dans Douglas Martin,précitée, la Cour fédérale s’est penchée sur la définition de danger et sur l’élément de temps inclus dans la définition dans deux décisions consécutives. La première était la décision Martin c. Canada (Procureur général), [2003] CF 1158, rendue par l’honorable juge Tremblay-Lamer. La deuxième décision était Juan Verville c. Service Correctionnel du Canada, Institution Pénitentiaire de Kent, [2004] CF 767, par l’honorable juge Gauthier.

[94] Il convient de préciser que la décision la plus récente, Juan Verville, précitée, est une décision importante en ce qui touche l’interprétation à donner au mot « danger » au sens où l’entend le Code. Dans cette décision, la juge Gauthier a ajouté à l’analyse effectuée précédemment par la juge Tremblay-Lamer du concept de danger et à son élément de temps. En ce faisant, la juge Gauthier a établi, aux paragraphes 34, 35 et 36, les principes détaillés à appliquer pour interpréter la notion de danger en insistant sur l’élément du temps. Voici ce qu’elle écrit:

[34] Les propos susmentionnés ne sont pas tout à fait exacts. Comme il est indiqué dans l’affaire Martin, précitée, la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu’elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée. Donc, ici, l’absence de menottes sur la personne d’un agent correctionnel impliqué dans une empoignade avec un détenu doit être susceptible de causer des blessures avant que des menottes ne puissent être obtenues du poste de contrôle ou par l’intermédiaire d’un surveillant K-12, ou avant que tout autre moyen de contrainte ne soit fourni.

[35] Je ne crois pas non plus que la définition exige que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures. La version anglaise « could reasonably be expected to cause » nous dit que la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n’exigent pas la preuve d’un délai précis à l’intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. ...Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[95] Je dois donc examiner la preuve soumise en l’espèce et décider si elle appuie une conclusion selon laquelle il existe une attente raisonnable que M. Duplessis soit blessé en effectuant son travail alors qu’il porte un casque de sécurité. De plus, en tenant compte de l’élément de temps inclus dans la définition de danger, je dois être convaincu que les circonstances susceptibles de causer une blessure à M. Duplessis constitueront dans l’avenir une possibilité raisonnable.

[96] Contrairement à ce que soutient M. Proctor, à savoir que tous les témoignages entendus et tous les éléments de preuve produits à l’audience ne sont que pure spéculation, il existe de multiples éléments de preuve qui, pris globalement, indiquent que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que M. Duplessis soit blessé dans l’exécution de son travail avant que des mesures soient prises pour le protéger. Par exemple :

  • Des rouleaux de papier pesant environ 3 tonnes chacun se déplacent en direction de M. Duplessis pour être arrimés. M. Duplessis a dit que rien ne peut arrêter un rouleau de rouler à part les planches.
  • M. Duplessis doit décider où et comment il arrimera le rouleau qui se déplace. Une fois cette décision prise, il doit se pencher vers l’avant et laisser tomber la planche sous le rouleau de papier en mouvement pour positionner le rouleau. Il doit le faire avec précision et rapidité. Il doit faire un saut en arrière rapidement une fois que la planche a été placée pour ne pas être frappé par un rouleau en mouvement qui, compte tenu de son poids, lui infligerait probablement une blessure grave, voire le tuerait. Comme il l’a dit :

[Traduction]

J’ai des planches dans la main. Le rouleau entre et si j’ai besoin de le couper à ce moment précis, je dois sauter à l’intérieur, placer la planche et sauter de nouveau vers l’arrière à l’extérieur. C’est aussi simple que cela : je suis constamment en mouvement.

Dans ces circonstances, la marge d’erreur est pratiquement inexistante.

  • Le travail est continu, des rouleaux de papier se déplaçant sans cesse dans sa direction. Il arrive souvent que deux rouleaux de papier soient déchargés dans la cale et qu’ils soient tous deux roulés successivement dans sa direction, ce qui lui laisse peu de temps pour placer le premier rouleau. Il doit ensuite diriger son attention vers le deuxième rouleau qui s’en vient vers lui pour être positionné à son tour. Dans l’intervalle, deux rouleaux de papier additionnels sont déchargés dans la cale pour être arrimés par M. Duplessis. Ce dernier doit demeurer concentré sur l’exécution de son travail. Dans ces circonstances, il ne peut se permettre d’être distrait. Toute distraction pourrait avoir des conséquences catastrophiques.
  • Les conditions de travail sous les ailes de l’ouverture de la cale sont difficiles car le navire bouge constamment, ce qui entraîne une instabilité générale du navire et des rouleaux de papier, sans compter que le navire peut pencher sur un côté dans certaines circonstances. Dans de tels cas, un rouleau de papier pourrait passer par-dessus une planche et frapper M. Duplessis comme c’est arrivé dans le cas de M. Laurie Garfield. Il serait raisonnablement possible que cela se produise pendant que M. Duplessis place des planches ou une fois cette opération terminée. Il est nettement insuffisant de se contenter de donner des instructions aux employés sur la vigilance dont ils doivent faire preuve. Il serait inutile pour M. Duplessis de disposer d’une voie d’évacuation lorsqu’il se penche rapidement vers l’avant pour placer les planches. De plus, malgré la présence de préposés pour fixer les rouleaux de papier, il n’y aurait pas assez de temps pour réagir et protéger M. Duplessis pendant qu’il place les planches.

[97] Ce qui ajoute au problème, c’est que M. Duplessis transpire abondamment et doit porter un casque de sécurité qui, a-t-il dit, glisse et tombe constamment en raison des mouvements rapides qu’il fait pendant qu’il place les planches. En ce qui concerne les mentonnières, d’après le témoignage non contredit de M. Riley, les gens transpirent pendant qu’ils travaillent et leurs cheveux se mouillent. Résultat, le casque bouge vers l’avant et vers l’arrière quand l’employé regarde vers le haut ou se penche en avant. Selon moi, le casque de sécurité de M. Duplessis constitue une entrave à son champ de vision, comme il l’a dit, et conséquemment à sa mobilité.

[98] Si l’on fait exception d’un commentaire formulé par M. Alport selon lequel il ne croit pas que le casque de sécurité nuit au champ de vision de M. Duplessis, le témoignage de M. Duplessis est très crédible. J’accorde beaucoup de valeur probante10 à ce témoignage, d’abord parce que je considère que M. Duplessis est un débardeur expérimenté et très compétent et ensuite, parce que j’étais choqué d’entendre M. Duplessis déclarer qu’il doit se placer de façon vulnérable pour positionner les planches sous des rouleaux de papier en mouvement qui pèsent environ trois tonnes tout en ayant à composer avec un casque de sécurité qui nuit à sa capacité de contrôler tout à fait la situation qui se déroule devant lui.

10

Dans la décision Juan Verville, précitée, la juge Gauthier a écrit au paragraphe 51 :

[51] Finalement, la Cour relève qu'il existe plus d'un moyen d'établir que l'on peut raisonnablement compter qu'une situation causera des blessures. Il n'est pas nécessaire que l'on apporte la preuve qu'un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d'expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l'expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l'opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d'une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

(Non souligné dans l’original)

[99] L’employeur estime que bien qu’il existe un risque de blessure dans le cadre de l’exécution de ces opérations, ce risque est contrôlé. Les mesures de contrôle mentionnées par M. Proctor sont la présence d’un préposé muni de cales qui est prêt à intervenir et, ce qui importe davantage, une vois d’évacuation prévue. M. Proctor soutient donc que le travail effectué par M. Duplessis est une condition normale d’emploi qui ne l’autorise pas à refuser du travail en vertu du Code. Je suis en désaccord avec cette proposition telle qu’elle est formulée.

[100] La notion de ce qu’est une condition normale d’emploi a été étudiée par l’honorable juge Gauthier dans sa décision Juan Verville, précitée. La juge Gauthier a déclaré au paragraphe 55 :

[55] Le sens ordinaire des mots de l’alinéa 128(2)b) milite en faveur des points de vue exprimés dans ces décisions de la Commission, parce que le mot « normal » s’entend de quelque chose de régulier, d’un état ou niveau des affaires qui est habituel, de quelque chose qui ne sort pas de l’ordinaire. Il serait donc logique d’exclure un niveau de risque qui n’est pas une caractéristique essentielle, mais qui dépend de la méthode employée pour exécuter une tâche ou exercer une activité. En ce sens, et à titre d’exemple, dirait-on qu’il entre dans les conditions normales d’emploi d’un gardien de sécurité de transporter de l’argent à partir d’un établissement bancaire si des modifications étaient apportées à son emploi de telle sorte que cette tâche doive être exécutée sans arme à feu, sans compagnon et dans un véhicule non blindé?

(Non souligné dans l’original)

[101] Le fait d’avoir à arrimer des rouleaux de papier dans la cale d’un navire qui bouge est une condition normale d’emploi.

Le fait d’avoir à les arrimer en utilisant la méthode qui consiste à placer des planches sous les rouleaux de papier en mouvement est certes discutable11, car M. Duplessis peut se placer de façon vulnérable pour le faire, quoique ce ne soit pas la raison précise pour laquelle M. Duplessis a refusé de travailler. Toutefois, le fait d’avoir à arrimer les rouleaux de papier de la façon décrite précédemment avec un casque de sécurité qui gêne son champ de vision et sa mobilité ne constitue manifestement pas une condition normale d’emploi.

11

Lors de la conférence téléphonique préparatoire à l’audience tenue afin de discuter des questions se rappoirtant à la preésente affaire, l’agent d’appel soussigné s’est fait demander par M. Breen de ne pas lire la décision no 05-059 antérieure du BACCT pour ne pas être influencé par celle-ci. Quoique j’ai considéré qu’il s’agissait là d’une demande inhabituelle, j’ai néanmoins acquiescé à cette demande. Je comprends que lors de l’audience précédente d’appel de cette affaire, l’AA a ordonné qu’une évaluation des risques soit effectuée relativement à l’opération exécutée par M. Duplessis le jour de son refus de travailler. Je traiterai ultérieurement de cette question importante.

[102] De plus, quand M. Proctor prétend que

[Traduction]

[79] […] l’employeur estime que lorsque quelque chose prévu par l’alinéa 128(2)b) du Code constitue une condition normale d’emploi, aucun motif ne justifie un refus de travailler

il fait valoir que l’alinéa 128(2)b) du Code s’applique. Cette disposition est ainsi rédigée :

128(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;
b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi[.]

(Non souligné dans l’original)

[103] Un tel argument laisse croire que le danger tel qu’il est défini dans le Code existe. De fait, M. Alport a reconnu, en commentant l’accident grave subi par Laurie Garfield qu’en roulant le rouleau en position,

[Traduction]
[i]l lui a, finalement, échappé, et qu’il s’agit malheureusement d’un danger inhérent au sujet duquel nous disons constamment à nos employés d’être vigilants. Il a été coincé entre ce rouleau et un autre rouleau

(Non souligné dans le texte)

[104] Pour l’essentiel, M. Alport reconnaît que les rouleaux de papier peuvent s’éloigner de M. Duplessis et le feront dans les bonnes conditions. Quoique je n’estime pas que M. Alport faisait référence à un danger au sens où il est déféni dans le Code, je crois toutefois qu’il parlait d’un risque inhérent12, c’est-à-dire un risque [traduction] « présent sous forme de caractéristique ou de qualité permanente ». Cette reconnaissance comme telle exige que l’employeur mette en place des mesures de protection strictes afin d’atténuer le risque de blessure parce que la possibilité de blessure est toujours présente.

12

Traduction de la définition donnée dans The New Lexicon Webster’s Encyclopedic Dictionary of the English Language, 1988

[105] Par conséquent, je dois me demander si l’employeur a pris les mesures de protection nécessaires pour veiller à la santé et à la sécurité de Brian Duplessis. Compte tenu de la preuve présentée en l’espèce, je ne crois pas que l’employeur veille à la santé et à la sécurité de M. Duplessis lorsqu’il place des planches sous les rouleaux de papier qui roulent. J’ai déjà expliqué précédemment qu’« [i]l serait inutile pour M. Duplessis de disposer d’une voie d’évacuation lorsqu’il se penche rapidement vers l’avant pour placer les planches. De plus, malgré la présence de préposés pour fixer les rouleaux de papier, il n’y aurait pas assez de temps pour réagir et protéger M. Duplessis pendant qu’il place les planches. »

[106] En outre, M. Duplessis a déclaré que

[Traduction]

[i]l y a plus de risque que je sois coincé entre les rouleaux à la suite d’une distraction du fait que le casque de sécurité tombe de ma tête ou se déplace parce que j’étais constamment penché pour placer les planches sous les rouleaux et que je me déplace rapidement pour m’enlever si le rouleau bondit comme c’est arrivé quand Laurie Garfield a été coincé il y a moins de un mois.

(Non souligné dans le texte)

[107] J’ai également indiqué précédemment que « M. Duplessis […] doit demeurer concentré sur l’exécution de son travail. Dans ces circonstances, il ne peut se permettre d’être distrait. Toute distraction pourrait avoir des conséquences catastrophiques. » Je suis convaincu que le casque de sécurité constitue une grave distraction pour M. Duplessis et que celle-ci menace sa santé et sa sécurité lorsqu’il exécute l’opération qui précède. Je ne peux imaginer que M. Duplessis doit sauter pour placer une planche sous un rouleau de papier qui roule et que son casque de sécurité glisse ou tombe pendant qu’il exécute cette opération, et considérer cette situation raisonnable. Il ne faut pas s’étonner que M. Duplessis n’ait pas voulu porter de casque de sécurité dans ces circonstances.

[108] Non seulement l’employeur n’a pas respecté l’exigence de veiller à la santé et à la sécurité de M. Duplessis, mais il a également contribué directement à la situation difficile de M. Duplessis en établissant unilatéralement une politique de port du casque de sécurité d’application obligatoire sans tenir compte des opinions des membres du comité de santé et sécurité de Port de Saint John, de la section locale 273 de l’AID, des autres syndicats et des employeurs et employés du port. Toutes ces personnes, dont les hauts dirigeants du Port de Saint John et de Forterm, reconnaissent, à la suite de l’évaluation des risques, que le port du casque de sécurité représente un risque accru pour les personnes qui travaillent, comme c’est le cas de M. Duplessis en l’espèce, sous les ailes de l’ouverture de la cale, car tous s’entendent sur le fait que le casque nuit au champ de vision. De plus, l’employeur n’a pas tenu compte de la plainte légitime de M. Duplessis en la qualifiant de refus de se conformer à la politique de la société sur les casques de sécurité. Finalement, l’employeur n’a pas mené d’enquête adéquate sur le refus de travailler de M. Duplessis au moment de son refus comme il était tenu de le faire en vertu du Code et malheureusement, l’ASS ne l’a pas fait non plus.

[109] Il ne faudrait pas conclure de mes observations sur l’évaluation des risques que je donne mon aval à cette analyse interne des risques en général et à ses recommandations au sujet du port des casques de sécurité. Je ne dispose pas d’assesz d’éléments de preuve pour le faire maintenant. Je reconnais simplement que l’évaluation des risques recommande que les caliers en général ne portent pas le casque de sécurité parce qu’il accroît le risque en nuisant au champ de vision. Le terme « caliers » est un terme général qui renvoie à différentes personnes qui travaillent dans la cale d’un navire, dont M. Duplessis qui travaille sous les ailes de l’ouverture de la cale. Le fait que M. Duplessis a un toit au-dessus de sa tête pour le protéger de la chute d’objets ajoute de la crédibilité à la recommandation contenue dans l’évaluation des risques de ne pas porter de casque de sécurité parce que le port du casque de sécurité accroît le risque en raison de la visibilité gênée. Il y a plus. M. Duplessis a déclaré qu’il ne sort pas de sous les ailes de l’ouverture de la cale tant qu’il n’a pas terminé d’arrimer les rouleaux de papier et lorsqu’il le fait, il porte son casque de sécurité.

[110] Toutes les personnes présentes à l’audience ont reconnu que certaines personnes qui travaillent au port sont dispensées d’avoir à porter un casque de sécurité parce qu’elles sont protégées par l’équipement dont elles se servent. Par exemple, les grutiers sont réputés être protégés pendant qu’ils travaillent dans la cabine de la grue parce qu’ils ont un toit au-dessus de la tête. Il en va de même des personnes qui déplacent de l’équipement parce qu’elles sont protégées par une cage. M. Duplessis fait valoir que la même dispense devrait s’appliquer à lui parce qu’il a un toit au-dessus de la tête lorsqu’il travaille sous les ailes de l’ouverture de la cale; par conséquent, rien ne peut lui tomber sur la tête tant qu’il reste sous les ailes de l’ouverture de la cale, et c’est exactement ce qu’il fait. Compte tenu de la preuve présentée en l’espèce, je suis d’accord avec M. Duplessis sur ce point. Contrairement à ce qu’il a été statué dans les décisions 03-013, 03-014 et 03-015 du BACCT rendues par l’AA Michèle Beauchamp, quand des employés ont été exposés à des dangers au-dessus de leur tête alors qu’ils travaillaient sur les docks, rien qui se trouve à l’intérieur et sous les ailes ne peut chuter sur la tête de M. Duplessis, car il n’y a aucune activité juste au-dessus de sa tête. Il n’y a qu’un toit de huit pieds sur dix pieds muni de luminaires au-dessus de sa tête. Rien d’autre ne s’y trouve.

[111] La proposition selon laquelle un objet comme un câble de grue qui se rompt et des débris qui se retrouvent à l’intérieur pourraient blesser M. Duplessis n’est pas une éventualité contre laquelle un casque de sécurité était destiné à protéger ceux et celles qui le portent. Un casque de sécurité est censé protéger la tête contre les objets qui tombent. Il pourrait également protéger la tête contre les coups accidentels si la tête se heurtait à un objet fixe ou en mouvement au niveau de la tête. Toutefois, de telles situations ne se produisent pas sous les ailes de l’ouverture de la cale. Je ne possède pas de preuves à l’effet contraire. En outre, si l’on présume qu’un tel danger, à savoir un débris provenant de la rupture d’un câble, pourrait se concrétiser et peut-être blesser M. Duplessis, il est tellement peu probable que cette situation survienne qu’elle n’a pas préséance sur le risque que représente le port du casque de sécurité sur une base continue pour M. Duplessis.

[112] Je ne peux accepter que M. Duplessis doive mettre sa santé et sa sécurité en péril pour respecter la politique de l’employeur qui, soutient-on, est conforme à la loi et constitue la règle du milieu de travail. En vertu de la loi, personne n’est tenu de travailler dans des conditions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles causent des blessures. En fait, le Règlement prévoit :

10.1 Toute personne à qui est permis l'accès au lieu de travail doit utiliser l'équipement de protection prévu par la présente partie lorsque

a) d'une part, il est en pratique impossible d'éliminer ou de restreindre à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la sécurité ou la santé;
b) d'autre part, l'utilisation de l'équipement de protection peut empêcher les blessures pouvant résulter de ce risque ou en diminuer la gravité.

10.2 L'équipement de protection doit à la fois :

a) être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni;
b) ne pas présenter de risque en soi.

[113] Par conséquent, pour que les alinéas 10.1a) et b) s’appliquent, il doit exister un danger sous les ailes de l’ouverture de la cale qui ne peut être éliminé ou restreint et qui peut causer une blessure à la tête de M. Duplessis. Toutefois, compte tenu de la preuve présentée, le danger n’existe pas. Ces dispositions ne s’appliquent donc pas en l’espèce. De plus, en vertu de l’alinéa 10.2b), le casque de sécurité que M. Duplessis est tenu de porter ne doit pas présenter de risque en soi, ce qu’il fait manifestement étant donné le témoignage de Brian Duplessis. En outre, tous conviennent que le casque nuit au champ de vision.

[114] Sauf si des mesures sont prises pour éliminer ou restreindre le seul risque ou la condition existante de M. Duplessis, soit le port d’un casque de sécurité qui nuit à son champ de vision et, nécessairement, à sa mobilité, on s’attend raisonnablement à ce que M. Duplessis soit blessé en plaçant des planches rapidement et avec précision pour positionner les rouleaux de papier en mouvement sous les ailes de l’ouverture de la cale, avant que le risque ou la condition soit corrigé ou avant que l’activité soit modifiée. Cela peut se produire chaque fois que M. Duplessis s’expose au danger de placer rapidement une planche sous un rouleau de papier en mouvement, voire une fois qu’il a exécuté cette opération si un rouleau passe par-dessus la planche. Le fait d’avoir à composer avec un casque de sécurité qui tombe ou glisse sans cesse pendant que la personne effectue l’opération ci-dessus équivaut à un accident en attente de survenir.

[115] Comme l’employeur a une politique de port obligatoire du casque de sécurité qui exige que tous les employés travaillant dans la cale portent un casque de sécurité et comme cette politique est appliquée rigoureusement au moyen de mesures disciplinaires, il est raisonnablement possible que M. Duplessis soit blessé dans l’avenir.

[116] En conséquence, M. Duplessis était justifié de refuser de travailler le 1er février 2005 en raison du danger.

[117] Pour ces motifs, j’annule la décision d’absence de danger rendue par l’ASS Ian Rennie à M. Brian Duplessis le 1er février 2005 et je la remplace par une décision selon laquelle il existait un danger au sens où l’entend le Code.

[118] De plus, je donne à l’employeur l’instruction ci-jointe de danger en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code. Je suis convaincu que l’ASS veillera au respect de l’instruction.

[119] En outre, conformément au paragraphe 145(5) du Code, l’employeur doit afficher sans délai une copie de cette instruction et remettre une copi au comité des politiques, s’il en existe un, et au comité de santé et sécurité en milieu de travail ou au représentant en santé et sécurité.

[120] Toutefois, compte tenu du temps qui s’est écoulé et de l’absence d’un navire similaire dans le Port de Saint John, et compte tenu de l’existence d’une évaluation des risques dont l’exécution a été ordonnée par l’agent d’appel précédent dans ce dossier, je n’ordonnerai pas à l’employeur de réaliser une nouvelle évaluation des risques quant à l’opération exécutée par M. Duplessis. Je compte plutôt sur les parties pour qu’elles étudient l’évaluation des risques existante afin de veiller à la protection de M. Duplessis ou de toute autre personne dans l’exécution de l’opération décrite précédemment. L’évaluation des risques devrait tenir compte de la méthode de placement des planches sous les rouleaux de papier en mouvement, qui fait en sorte que M. Duplessis doit s’exposer au danger de positionner rapidement les planches sous les rouleaux de papier. De plus, l’évaluation des risques devrait également assurer la protection de M. Duplessis ou de toute autre personne si un rouleau se trouvait hors de contrôle pour quelque motif que ce soit.

DANS L’AFFAIRE DE LA PARTIE II DUCODE CANADIEN DU TRAVAIL, SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL,

INSTRUCTION À : Forest Products Terminal Corporation Ltd., Saint John, Nouveau-Brunswick,E2M 4Y1, EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)a)

L’agent d’appel soussigné a mené une enquête conformément à l’article 146.1 de la partie II du Code canadien du travail, sur les circonstances qui ont amené l’agent de santé et sécurité Ian Rennie à rendre une décision d’absence de danger après son enquête au sujet d’un refus de travailler de M. Brian Duplessis, employé à la Forest Products Terminal Corporation Ltd., employeur visé par la partie II du Code canadien du travail, alors qu’il travaillait sur la navire NM Reefer Prince au port de Saint John, au Nouveau-Brunswick.

L’agent d’appel soussigné est d’avis que la situation suivante représente un danger pour un employé :

Le port d’un casque de sécurité qui nuit au champ de vision de M. Brian Duplessis constitue un danger, au sens où l’entend le Code, pour M. Duplessis pendant qu’il accomplit le travail particulier qui consiste à placer des planches afin de positionner les rouleaux de papier sous les ailes de l’ouverture de la cale d’un navire.

Par conséquent, IL VOUS EST ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de protéger immédiatement toute personne contre le danger.

Fait à Ottawa le 26 septembre 2007.



_________________
Serge Cadieux
Agent d'appel


Sommaire de la décision de l’agent d’appel

Décision : CAO-07-036

Appelant : Brian Duplessis

Intimé : Forrest Products Terminal Corporation Ltd.

Dispositions : Code canadien du travail, 129(7), 122.1, 122.2, 124, 125, 128, 125(1)(z.03),
145.1(2), 122(1),
Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires), 10.1

Mots-clés : Cour fédérale, décision d’absence de danger, casque de sécurité, zone de chargement
de la cargaison, vérificateurs, planche, instruction.

Résumé :

Le présent appel résulte de l’appel interjeté à l’encontre de la décision 05-059 rendue par la Cour fédérale qui renvoyait l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un agent d’appel différent.

Le 1er février 2005, l’agent de santé et sécurité qui faisait enquête sur le refus de travailler a décidé que l’employé ne s’exposait pas à un danger en portant un casque de sécurité dans le cadre de l’opération de chargement de la cargaison.

À la suite de son analyse, l’agent d’appel a annulé la décision de l’agent de santé et sécurité

Détails de la page

Date de modification :