Archivée - Décison: 08-024-I Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Dossier no : 2007-35
Décision no : OHSTC-08-024(I) Décision interlucutoire

Terminaux Portuaires du Québec Inc.
appelant- requérant

et

Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1375
intimé à l'appel

et

Association des employeurs maritimes
intimée à la requête l'appel

Le 11 septembre 2008

Décision visant l'objection formulée par l'Association des employeurs maritimes quant à la recevabilité d'une requête pour adjonction d'une partie à l'appel déposée par Terminaux portuaires du Québec Inc., entendue par l'agent d'appel Katia Néron à Trois-Rivières, Québec, le 8 juillet 2008.

Pour l'Association des employeurs maritimes
Me Robert Monette, Ogilvy Renaud

Pour Terminaux Portuaires du Québec Inc.
Me Pierre Jolin, McCarthy Tétrault

Pour le Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières
Me Danny Venditti, Trudel, Nadeau Avocats

[1] Le 12 décembre 2007, Denis Caron, au nom de Terminaux Portuaires du Québec Inc. (TPQ), logeait un appel en vertu du paragraphe 146(1) de la Partie II duCode canadien du travail (leCode), à l'encontre des deux instructions émises le 5 décembre 2007 à leur endroit par l'Agent de santé et de sécurité (ASS) Claude Léger.

[2] Le 30 janvier 2008, Me Pierre Jolin, au nom de TPQ, formulait une requête aux fins que j'accorde à l'Association des employeurs maritimes (AEM) le statut de partie dans la présente affaire. Alléguant qu'une des questions à trancher dans le cadre de la présente affaire vise à déterminer si les instructions précitées auraient dû viser - en totalité, sinon en partie - l'AEM et non TPQ, Me Jolin soutient que le débat dans cette affaire ne peut se faire qu'en y incluant l'AEM.

[3] Le 14 mars 2008, en réponse à la demande formulée par écrit le 5 mars 2008 par l'agent de la gestion des affaires du Tribunal , Stéphane Saucier, directeur de la santé et sécurité au travail pour l'AEM, indiquait que celle-ci ne recherchait pas le statut de partie à l'affaire.

[4] Le 28 mars 2008, Me Jolin réitérait sa demande à l'effet que l'AEM devait être considérée comme partie intéressée dans cette affaire, soutenant que sa présence était essentielle à tout éventuel débat.

[5] En début d'audience tenue le 8 juillet 2008 sur cette seule question, Me Robert Monette, au nom de l'AEM, a soulevé une objection préliminaire à l'effet que la requête de désigner l'AEM comme une partie à l'instance est irrecevable en droit et en fait. Je dois trancher cette question avant de déterminer si je désignerai l'AEM comme partie à l'affaire.

Les faits

[6] Le 3 décembre 2007, Steve Richard, débardeur membre du Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières, Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 1375, avait été assigné au quai B1 du terminal portuaire de Bécancour, lieu de travail exploité par TPQ, en tant qu'amarreur pour le démarrage du navire M/V Sichem New-York. Lors de l'exécution de cette manoeuvre, une amarre a frappé S. Richard lui sectionnant une jambe sous le genou et causant d'autres blessures à l'autre jambe.

[7] Le 4 décembre 2007, l'ASS Léger s'est présenté sur le lieu de l'accident pour faire enquête. Il a alors été informé que les débardeurs, membres du même syndicat que S. Richard, refusaient d'accomplir des manœuvres d'amarrage compte tenu du grave accident survenu la veille.

Jean Poliquin, gérant du lieu de travail, lui a de plus affirmé que des employés non syndiqués de TPQ pouvaient effectuer des opérations d'amarrage et de démarrage d'un navire.

[8] Dans son rapport du 18 février 2008 donnant les motifs à l'appui de l'émission de ses instructions du 5 décembre 2007, l'ASS Léger écrit en partie ce qui suit :

Monsieur Steve Richard est débardeur et son nom figure sur une liste de débardeurs qui peuvent être assignés à l'amarrage et au démarrage de navire au terminal portuaire de Bécancour. Cette liste a été fournie à TPQ par Monsieur Jean-Pierre Langlois, conseiller principal en relation de travail de l'Association des employeurs maritimes (AEM) le 10 juillet 2007.

[…]Tout comme au port de Montréal, il y a pour le port de Trois-Rivières-Bécancour, une accréditation syndicale (local 1375) en lien avec tous les travaux reliés aux opérations de débardage des navires de la région. L'Association des employeurs maritimes (AEM) est également l'association qui représente les employeurs de ces activités effectuées dans la région.

Cependant lors de mon entretien avec Monsieur Jean Poliquin, ce dernier m'a affirmé que des employés de TPQ qui ne sont pas membres du Syndicat des débardeurs SCFP section local 1375 peuvent effectuer des opérations d'amarrage et de démarrage de navire. Cette situation prévalait lors de notre enquête, car les débardeurs refusaient de se présenter sur les lieux pour faire de l'amarrage suite à l'accident de M. Steve Richard. Tenant compte de cette affirmation je n'avais pas à déterminer immédiatement si les débardeurs assignés aux opérations du 3 décembre 2007 étaient des employés de l'AEM ou de TPQ mais bien de m'assurer que la situation ayant conduit à un accident grave ne se répète pas. Mon instruction s'adressait donc à TPQ étant donné que cette entreprise est responsable des opérations d'amarrage/démarrage de navires pour le port de Bécancour et que ces opérations pouvaient être faites par ses employés.

[9] Dans le même rapport précité, l'ASS Léger décrit comme suit les conditions de travail existantes pour les employés au moment de son enquête :

Les employés qui font des opérations d'amarrage/démarrage n'ont pas de consignes spécifiques pour effectuer ce type de travail.

Pendant mon entretien avec Monsieur Poliquin ce dernier m'a remis une copie d'un plan d'urgence daté d'août 2000 […] Suite à ma question concernant la mise en place de ces mesures, M. Poliquin m'a répondu que certaines de ces mesures comme l'utilisation d'un zodiaque ne sont pas mises en force et qu'elles ne sont pas connues de tous les intervenants […]

M. Poliquin m'a également confirmé que le moyen de communication disponible entre le navire et les amarreurs […] étaient une communication fait de vive voix si le navire est assez près et si les employés effectuant les opérations parlent anglais ou, par des signes, dans les autres cas.

Aucun moyen de communication n'est disponible pour communiquer directement avec les pilotes et/ou capitaine du navire pour connaître les intentions ou procédures choisies par ces derniers lors des opérations d'amarrage/démarrage d'un navire ou dans les cas d'urgence.

[10] Basé sur ce qui précède, le 5 décembre 2007, l'ASS Léger a donné à TPQ une instruction relative à un danger en vertu des alinéas 145(2)a) et b) duCode, indiquant qu'il était d'avis que l'exécution des manœuvres d'amarrage tout comme celles de démarrage d'un navire sans procédures écrites ni formation adéquate, sans moyens de communication adéquats avec le navire et sans procédures en cas d'urgence adéquates ni connues de tous les intervenants, constituait un danger pour un employé au travail. Cette instruction se lit en partie comme suit :

Le 5 décembre 2007, l'agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par Terminaux Portuaires du Québec (T.P.Q.), employeur assujetti à la partie II duCodecanadien du travail, et sis au 355 boul. Alphonse-Deshaies, Bécancour, Québec, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Port de Bécancour, TPQ.

Ledit agent de santé et de sécurité estime que l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour un employé au travail, à savoir :

que l'amarrage et le démarrage des navires sans procédure écrite, sans formation adéquate, sans moyen de communication adéquat avec le navire et sans procédure en cas d'urgence adéquate et connue de tous les intervenants, peut occasionner des blessures graves ou un risque de décès y compris par noyade.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la partie II duCodecanadien du travail, de procéder immédiatement à la prise de mesures propres à écarter le risque.

Conformément au paragraphe 145(3) un avis portant le numéro 3496 a été apposé au bureau de T.P.Q. à Bécancour et ne peut être enlevé sans l'autorisation de l'agent.

Il vous est EN OUTRE INTERDIT PAR LES PRÉSENTES, conformément à l'alinéa 145(2)b) de la partie II duCodecanadien du travail, d'accomplir la tâche en cause, jusqu'à ce que ces instructions aient été exécutées.

[11] Afin d'empêcher l'exécution par les employés des manœuvres d'amarrage ou de démarrage d'un navire au port de Bécancour jusqu'à ce que TPQ se soit conformée à l'instruction précitée, l'ASS Léger a donné, toujours à TPQ, une seconde instruction mais cette fois en vertu du paragraphe 145(2.1) duCode. Celle-ci se lit en partie comme suit :

Le 5 décembre 2007, l'agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par Terminaux Portuaires du Québec (TPQ), employeur assujetti à la partie II duCodecanadien du travail, et sis au 355 boul. Alphonse-Deshaies, Bécancour, Qc, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Port de Bécancour.

Ledit agent de santé et de sécurité estime que l'accomplissement de la tâche constitue un danger, à savoir :

De la partie II :

que l'amarrage et le démarrage des navires sans procédure écrite, sans formation adéquate, sans moyen de communication adéquat avec le navire et sans procédure d'urgence adéquate et connue de tous les intervenants, peut occasionner des blessures graves ou un risque de décès y compris par noyade.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(2.1) de la partie II duCodecanadien du travail, de :

ne pas effectuer la tâche.

La requête de désigner l'AEM comme partie à la présente instance est-elle irrecevable en fait et en droit?

Argumentation de l'AEM

[12] Se référant au rapport du 18 février 2008 de l'ASS Léger ainsi qu'aux libellés des instructions attaquées, Me Monette a soutenu, au nom de l'AEM, que l'ASS Léger avait intentionnellement et spécifiquement voulu viser TPQ par ses instructions, désignant nommément cette dernière comme étant l'employeur, non l'AEM, tout comme le lieu de travail visé, celui exploité par TPQ au port de Bécancour.

[13] Il a ajouté qu'à son avis, lesdites instructions ont été données à la bonne partie, soit celle qui employait les employés pouvant être visés par celles-ci et qui contrôlait leur lieu de travail et les tâches qu'ils y exécutaient. Selon Me Monette, cette définition est la seule s'appliquant à l'employeur véritable d'employés telle que la jurisprudence le reconnaît. Il a de plus soutenu que le fait que certaines responsabilités ont été déléguées à l'AEM par le biais d'une convention collective, entre autres au niveau du déploiement des débardeurs, ne fait pas d'elle l'employeur véritable de ceux-ci.

[14] Pour appuyer ces arguments, Me Monette a référé aux autorités suivantes :

  • Reine c. Société de Terminus Racine (Montréal), Cour du Québec, dossier no: 500-73-002272-041, jugement rendu le 16 février 2007, G. Garneau, jcq
  • Reine c. Société Terminus Racine (Montréal), Cour supérieure, dossier no: 500-73-02272-041, jugement rendu le 12 octobre 2007, A. Vincent, jcs
  • Association des Employeurs Maritimes et Syndicat des débardeurs SCFP section locale 375, 2006 C.A.F. 360.
  • Procureur général c. Compagnie d'arrimage de Québec Ltée et Denis Dupuis, dossier no: 200-72-001488-944/200-72-001487-946, jugement rendu le 16 décembre 1996, M. Babin, Cour des poursuites sommaires
  • Her Majesty the Queen v. Fednav Limited et al , jugement rendu le 19 septembre 1996, Zabel j., Ontario court of justice( Provincial division)
  • Location de Main-d'oeuvre Excellence inc. c. Commission de la construction du Québec, 2008 QCCA 999, Cour d'appel du Québec

[15] Sur la base de ce qui précède, Me Monette a allégué que mon pouvoir d'enquête sous l'autorité duCode- même s'il est de novo - ne s'étend pas jusqu'à examiner, tel que le recherche TPQ dans la présente instance, si une personne autre que TPQ aurait dû être visée par les instructions du 5 décembre 2007 de l'ASS Léger ou encore que d'autres instructions auraient dû être émises à une ou d'autres personnes sous l'autorité duCode.

[16] Me Monette a de plus allégué que le pouvoir d'un agent d'appel, en vertu de l'alinéa 146.2g) duCode, d'" accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties et pourrait être concerné par la décision… " sous-entend que cette personne ou ce groupe doit en faire la demande ou qu'elle accepte volontairement qu'on lui accorde ce statut. Le mot " contraindre ", ou " to compel ", n'étant également pas spécifié sous l'alinéa précité, et l'AEM s'y objectant, je n'ai ainsi aucune autorité, de l'avis de Me Monette, de nommer cette dernière comme partie à la présente affaire.

[17] À l'appui de cette position, il a référé à la décision de l'agent d'appel Douglas Malanka dans l'affaire Correctional Service of Canada - Drumheller Institution and CO's Schelleberg and Wood, Correctional Service of Canada employees, and Larry DeWolfe, Co-Chair Work Place Occupational Health and Safety Committee, Drumheller Institution (a.k.a. Drumheller Penitentiary), for the employees, and Neil S. Campbell, Health and Safety Officer . Dans cette affaire, l'agent d'appel Malanka écrit aux paragraphes 34 et 52 de sa décision ce qui suit :

34 On a separate matter, Mr. DeWolfe complained to me on the last day of the hearing that his supervisor had informed him the previous evening that he would not receive salary or travel expenses for his participation at the hearing. Mr. Fader indicated that he was not aware of what the employer would finally do, but suggested that Mr. DeWolfe was not a party to the hearing because he was at the hearing to represent Drumheller Institution employees.

I interpret from subsection 146(1) and paragraph 146(2)(h) that a party includes an employee, employer or trade union that feels aggrieved by a direction. Paragrah 146(2)(g) authorizes an appeals officer to make a party to a hearing any person or group that in the officer's opinion, has substantially the same interest as one of the parties and could be affected by the decision.

[18] Me Monette a en outre référé à la correspondance échangée entre TPQ et l'AEM suite aux instructions de l'ASS Léger émises le 5 décembre 2007.

[19] Dans la lettre du 21 décembre 2007 de Jean Gaudreau de TPQ, ce dernier nie, à la page 1, dernier paragraphe, toute responsabilité reliée à l'accident de S. Richard comme suit :

Toute responsabilité reliée à cet accident, et non limitativement la procédure de travail, les aspects de formation et de santé et sécurité au travail sont de votre responsabilité et, en conséquence, les instructions ci-jointes auraient dû vous être destinées.

[20] M. Saucier de l'AEM, dans sa lettre du 22 janvier 2008, page 4, paragraphes 6 et 7, écrit en partie ce qui suit :

[…] il est mal-fondé de croire que l'AEM va se tenir responsable d'un accident de travail relié à des fonctions pour lesquels elle n'exerce aucun contrôle sur la tâche, la méthode, les lieux de travail et, au surplus, pour lesquels elle n'a pas assigné à accomplir. Si vous aviez perçu qu'une formation octroyée par l'AEM était souhaitable, comme vous l'avez fait par le passé, j'ose espérer que vous nous l'auriez communiquée. Dans le cas des amarreurs, il n'en est aucunement le cas. Comme la raison d'être de notre organisation n'est pas le chargement et le déchargement de navire, mais plutôt la négociation de la convention collective et le déploiement de la main-d'œuvre, il est évident qu'il en va de votre responsabilité et discrétion de nous signaler vos besoins.

Dans ce contexte, bien que nous soyons sensibles à l'ensemble des conséquences engendrées par cet évènement malheureux, nous n'en sommes d'aucune façon responsable et défendrons notre position énergiquement si elle devait être contestée davantage par vous-même ou par d'autres.

[21] En s'appuyant sur ces documents, Me Monette a fait valoir que les intérêts de l'AEM et de TPQ dans cette affaire sont, non pas les mêmes, mais bien à l'opposé. Il a ainsi soutenu que le critère " …a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties " spécifié à l'alinéa 146.2g) duCodepermettant de déterminer si l'AEM devrait être désignée comme partie à l'affaire n'est pas rencontré.

[22] De plus, si après enquête dans cette affaire il en résultait qu'une nouvelle instruction soit émise à l'endroit de l'AEM, cette dernière ne pourrait jouir du droit prévu sous l'autorité du paragraphe 146(1) duCode. De l'avis de Me Monette, une telle chose porterait préjudice à l'AEM et constituerait un déni de justice.

[23] Quant à la nécessité de la présence de l'AEM à l'instruction de l'affaire, Me Monette a allégué que celle-ci n'est ni essentielle ni requise pour la défense pleine et entière de TPQ dans cette affaire. À l'appui de cette position, il a fait remarquer que TPQ peut entre autres me demander, sous l'autorité de l'alinéa 146.2a) duCode, de convoquer un représentant de l'AEM comme témoin et " …de le contraindre à comparaître et à déposer sous serment ainsi qu'à produire les documents ou pièces… " que j'estime nécessaires pour me permettre de rendre ma décision dans cette affaire.

Argumentation de Terminaux Portuaires du Québec Inc.

[24] Me Jolin, au nom de TPQ, a soutenu que le rôle de l'agent d'appel en vertu duCoden'est pas uniquement de faire avancer le droit. Selon Me Jolin, le mandat d'un agent d'appel revêt, avant toute chose, un caractère curatif, l'objectif ultime duCode, spécifié à l'article 122.1, étant " …de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions ".

[25] Me Jolin a de plus référé à la définition du terme " employeur " stipulée sous le paragraphe 122(1) duCode. Il a souligné que, non pas une, mais bien trois entités sont incluses dans la définition d'un employeur tel que s'appliquant auCode. Cette définition se lit comme suit :

" employeur " Personne qui emploie un ou plusieurs employés - ou quiconque agissant pour son compte - ainsi que toute organisation patronale.

[26] Me Jolin a en outre référé à l'arrêt du juge de Montigny de la Cour fédérale dans l'affaire Association des employeurs maritimes v. Syndicat des débardeurs S.C.F.P. Section Locale 375 ainsi qu'à la décision du juge Décary de la Cour d'appel fédérale dans la même cause . Dans ces affaires, la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont confirmé les conclusions de l'agent d'appel Pierre Guénette dans l'affaire Association des employeurs maritimes , à savoir que l'AEM pouvait être considérée comme un employeur pour les fins duCodeet pouvait faire l'objet d'une instruction sous l'autorité de cette loi. Le juge Décary écrit entre autres, au paragraphe 6 de son jugement, qui souscrit aux conclusions du juge de Montigny :

[6] … L'AEM se trouve dans une position hybride. Le fait qu'elle soit en pratique une organisation patronale qui regroupe les employeurs des débardeurs dont la santé et la sécurité sont en cause, son statut de représentant patronal des employeurs maritimes pour les fins de la convention collective signée avec le Syndicat des débardeurs et les engagements qu'elle prend à son compte dans ladite convention en matière de santé et de sécurité au travail, ne permettent pas de l'exclure de l'application de la Partie II duCodecanadien du travail.

[27] Me Jolin a également référé à ma propre décision dans l'affaire Association des employeurs maritimes et Syndicat des débardeurs, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 375 . Dans cette affaire, j'ai modifié une instruction de danger donnée à l'endroit de l'AEM, le 18 février 2005, par l'ASS Léger pour y inclure la violation commise, à mon sens, par cette dernière en regard de la responsabilité qu'elle avait sous leCode- via leur convention collective - quant à la formation des débardeurs syndiqués visés par ladite instruction.

[28] Me Jolin a aussi soumis la convention collective liant l'AEM aux débardeurs membres du Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières, SCFP, section locale 1375.

[29] Sur la base de ce document, le libellé des instructions attaquées ainsi que l'ensemble des autorités précitées, Me Jolin a soutenu qu'il était tout à fait raisonnable et justifié, dans cette affaire - alléguant que c'est ce qu'aurait dû faire l'ASS Léger avant d'émettre ses instructions du 5 décembre 2007 - de se questionner à savoir si la personne visée par la ou lesdites instructions est la bonne et ce, en regard des circonstances reliées à l'émission de ces instructions et en tenant compte des obligations faites à un employeur sous leCode, l'une de ces circonstances étant liées, de l'avis de Me Jolin, aux débardeurs syndiqués ainsi qu'à leur formation prévue sous leur convention collective.

[30] Sans égard aux faits ni au droit venant justifier l'émission des instructions du 5 décembre 2007 à l'endroit de TPQ plutôt qu'à une autre personne ou groupe, et se référant également au contenu des instructions en cause et aux circonstances à l'origine de leur émission, Me Jolin a allégué qu'une instruction aurait très bien pu être émise à l'endroit de l'AEM dans cette affaire. Or, si je comprends bien l'argument de Me Jolin, sans la présence de l'AEM comme partie à la présente affaire, une autre instruction ne pourrait être donnée à son endroit, du moins si je le juge indiqué. Par conséquent, selon Me Jolin, tout le débat concernant cette affaire aura été vain.

[31] La question de savoir qui de l'AEM ou TPQ, au sens duCode, était le véritable employeur des débardeurs en cause au moment de l'enquête de l'ASS Léger est également, selon Me Jolin, au cœur de cette affaire tout comme celle de trancher quelles étaient concrètement les responsabilités de chacun compte tenu des trois entités définissant le terme " employeur " tel que s'appliquant auCode.

[32] Me Jolin a soutenu que, dans cette affaire, toutes ces questions doivent être examinées non seulement afin de les éclaircir une fois pour toutes mais, plus particulièrement - tenant compte de l'objet duCode- afin de prévenir que ne se reproduise un accident semblable à celui du 3 décembre 2007.

[33] Me Jolin a de plus référé aux éléments considérés par les cours fédérales pour décider d'ordonner qu'une personne soit constituée comme partie à une instance ou, au contraire, pour la mettre hors de cause. Il a fait référence au paragraphe 104(1) des règles de pratique des cours fédérales , dans sa version anglaise et française, et qui se lit comme suit :

  • 104(1) Order for joinder or relief against joinder - At any time, the Cour may :
  • (a) order that a person who is not a proper or necessary party shall cease to be a party; or
  • (b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.
  • 104(1) Ordonnance de la Cour - La Cour peut, à tout moment, ordonner :
  • a) qu'une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n'est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause;
  • b) que soit constituée comme partie à l'instance toute personne qui aurait dû l'être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour l'ordonne.

[34] Me Jolin a également cité les versions anglaise et française de l'alinéa 146.2g) du Code qui se lisent comme suit :

  • 146.2 For the purpose of a proceeding under subsection 146.1(1), an appeals officer may : […]
  • (g) make a party to the proceeding, at any stage of the proceeding, any person who, or any group that, in the officer's opinion, has substantially the same interest as one of the parties and could be affected by the decision.
  • 146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l'agent d'appel peut : […]
  • g) en tout état de cause, accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties et pourrait être concerné par la décision.

[35] Si même on peut penser - ce qu'il ne soutient pas - que le terme français " accorder " utilisé sous l'alinéa 146.2g) du Code peut faire planer un doute tel que celui allégué par Me Monette, le libellé retrouvé sous l'alinéa 146.2g) dans la version anglaise du Code " …make a party to the proceeding…in the officer's opinion… ", indique, selon Me Jolin, qu'un agent d'appel peut poser ce geste d'autorité de façon unilatérale et ce, sans avoir nécessairement le consentement de la personne ou du groupe concerné.

[36] Me Jolin a de plus soutenu que les termes " en tout état de cause " et " à son avis ", tels que spécifiés à l'alinéa 146.2g) du Code, signifient, en droit, qu'un agent d'appel a d'office toute l'autorité d'établir par lui-même si l'instruction juste et complète d'une instance nécessite la présence d'une personne ou un groupe. Pour ce faire, il doit déterminer si ladite personne ou ledit groupe a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties à l'instance et pourrait être concerné par sa décision dans l'affaire.

[37] De plus, de l'avis de Me Jolin, " affected ", tel que spécifié sous l'alinéa précité, signifie que l'agent d'appel doit examiner si la personne ou le groupe en cause aura un rôle à jouer dans sa décision et que, si tel est le cas, il doit voir à lui donner toute la possibilité de faire partie du débat lors de l'instruction de l'affaire.

[38] Si l'agent d'appel estime que les deux critères précités sont satisfaits, ce dernier peut non seulement utiliser toute son autorité pour nommer une personne ou un groupe à l'affaire mais, qui plus est, il en a l'obligation en droit. De l'avis de Me Jolin, c'est là tout le sens qu'on doit donner à l'autorité conférée à un agent d'appel sous l'alinéa 146.2g) du Code.

Argumentation du Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières

[39] Me Venditti, au nom du Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières, SCFP, section locale 1375, endossant la requête formulée par Me Jolin de nommer l'AEM comme partie à l'instance, a indiqué être également en accord avec l'ensemble des arguments présentés par ce dernier.

[40] Il a toutefois souligné que le pouvoir d'enquête de novo qui m'est conféré sous l'autorité du paragraphe 146.1(1) du Code ainsi que ceux stipulés sous ce même paragraphe me permettent d'enquêter sur toutes les circonstances à l'origine de l'émission des instructions faisant l'objet de l'appel et " …de modifier, annuler ou confirmer…" lesdites instructions ou " …de donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions… " que je juge indiquées. Pour Me Venditti, cela signifie que j'ai le plein pouvoir, sous l'autorité du paragraphe précité, d'examiner cette affaire sous tous les aspects que je jugerai indiqués tout comme j'ai le pouvoir d'émettre toute autre instruction autorisée sous le Code si je l'estime nécessaire.

[41] Me Venditti a de plus souligné que lorsque des instructions sont émises sous l'autorité du Code elles ont pour but la protection des employés. Cela implique, selon Me Venditti, qu'elles doivent être données aux bonnes personnes, soit toutes celles pouvant prendre les mesures pour voir à leur application.

[42] Le contenu des instructions de l'ASS Léger du 5 décembre 2007 ainsi que les circonstances qui y ont donné lieu pouvant inclure un partage de responsabilités dictées sous le Code s'adressant autant à une organisation patronale telle que l'est l'AEM qu'à d'autres personnes telles que celles définissant un employeur au sens de cette loi, Me Venditti a soutenu que l'interprétation qu'on doit donner en regard des obligations de chacun sous le Code est une question qui, dans cette affaire, doit être élucidée.

Décision sur l'objection préliminaire à la requête pour adjonction de l'AEM

[43] Pour trancher sur l'objection préliminaire quant à l'irrecevabilité en fait et en droit de nommer l'AEM comme partie à la présente instance, je suis d'avis que je dois répondre aux deux questions suivantes :

  • Le pouvoir conféré sous l'autorité de l'alinéa 146.2g) du Code permet-il à un agent d'appel de contraindre une personne ou un groupe à devenir une partie dans une affaire si cette dernière ou ce dernier ne le désire pas?
  • Si je réponds par la négative à cette question, alors je ne pourrai que conclure que la requête faite par Me Jolin et soutenue par Me Venditti d'obliger l'AEM à prendre part à l'affaire est irrecevable. Dans le cas contraire, la deuxième question à examiner sera de déterminer si, sur la base des faits, de la jurisprudence et des arguments soumis, l'AEM a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties à l'affaire et si elle pourrait être concernée par ma décision. Si j'estime que tel est le cas, j'en conclurai que la requête telle qu'indiquée plus haut est recevable.

[44] En examinant l'ensemble des pouvoirs conférés à un agent d'appel sous l'article 146.2 du Code, j'en comprends, tel que soutenu par Me Monette, que si le législateur avait voulu, en vertu de l'alinéa g) de l'article précité, donner l'autorité à un agent d'appel de contraindre une personne ou un groupe à devenir une partie à une affaire, il l'aurait clairement indiqué tel que cela a été fait sous l'alinéa a) de ce même article dans lequel le mot " contraindre " est stipulé. Somme toute, si à l'alinéa g), le législateur a cru bon employer les mots '' accorder le statut de partie'' à la différence de l'alinéa a) qui comporte les mots ''contraindre à comparaître'', force est de conclure qu'on doit y voir des significations différentes.

[45] Je conviens avec Me Jolin que les deux alinéas précités n'ont pas les mêmes visées et que les termes " make a party to the proceeding " et " accorder le statut de partie " retrouvés sous l'alinéa 146.2g) du Code peuvent présenter une certaine cohérence avec les règles établies par les cours fédérales citées précédemment et dont je pourrais m'inspirer pour trancher sur une question relative à l'adjonction d'une partie à une affaire. Toutefois, outre le fait que le Code ne comporte pas de disposition qui soit aussi claire et spécifique que lesdites règles, je dois également prendre note du fait que ce pouvoir prévu aux règles en question comporte également des limites. Ainsi, je suis d'avis que sans aucune spécification telle que " …toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement… " comme retrouvée sous ces dites règles, je ne peux que conclure que l'alinéa 146.2g) ne permet l'adjonction d'une partie à une affaire, quelque soit le statut que l'agent d'appel juge indiqué de lui accorder, que si cette dernière en a fait la demande ou que si elle y consent.

[46] Quant à l'argument soulevé par Me Jolin et soutenu par Me Venditti à savoir que la présence de l'AEM comme partie dans la présente affaire est nécessaire, je n'en suis pas convaincue. À mon sens, la seule raison valable qui pourrait soutenir cet argument serait qu'en l'absence de l'AEM comme partie à la présente affaire, il en résulterait le rejet de l'appel tel que formulé par TPQ, ce qui n'est nullement le cas ici. Il importe de rappeler ici que l'appel dont je suis saisie vise des instructions qui s'adressent exclusivement à TPQ.

[47] Je suis de plus d'avis, comme souligné par Me Venditti et confirmé par la cour d'appel fédérale dans l'affaire Douglas Martin and Public Service Alliance of Canada and Attorney General of Canada , qu'un agent d'appel a toute l'autorité dans une affaire dont il est saisi d'utiliser le plein pouvoir de novo qui lui est conféré sous les paragraphes 145.1(2) et 146.1(1) du Code s'il le juge indiqué et ce, en considération de l'objet premier dicté par cette loi.

[48] Dans l'affaire précitée, le juge J. A. Rothstein écrit, aux paragraphes 26, 27 et 28 de son jugement traduit en français :

[26] […] Dans le passé on doutait qu'un agent d'appel puisse agir en vertu du paragraphe 145(1) lorsqu'un agent de santé et de sécurité avait déjà pris une décision en vertu du paragraphe 145(2) (voir le jugement Terminaux maritimes fédéraux c. Syndicat des débardeurs SCFP, section locale 375 (2000). 192 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), confirmé à (2001), 213 F.T.R. 59 (C.A.F.)). À la suite de cette décision, le Code a cependant été modifié par l'insertion du paragraphe 145.1(2), qui dispose :

(2) Pour l'application des articles 146 à 146.5, l'agent d'appel est investi des mêmes attributions - notamment en matière d'immunité - que l'agent de santé et de sécurité.

(2) For the purposes of sections 146 to 146.5, an appeals officer has all of the powers, duties and immunity of a agent de santé et de sécurité [sic].

[27] Aux termes de l'article 146.1, l'agent d'appel peut " modifier, annuler ou confirmer " les instructions de l'agent de santé et sécurité. L'agent d'appel peut par ailleurs annuler les instructions que l'agent de santé et de sécurité a données en vertu du paragraphe 145(2) et qui, selon lui, ne sont pas indiquées. Toutefois, comme il est maintenant investi des mêmes pouvoirs que l'agent de santé et de sécurité, il peut aussi modifier les instructions en donnant celles que, selon lui, l'agent de santé et de sécurité aurait dû donner.

[28] L'appel interjeté devant l'agent d'appel est de novo. Aux termes de l'article 146.2, l'agent d'appel peut convoquer des témoins et les contraindre à comparaître, recevoir sous serment, par voie d'affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu'il juge indiqués, qu'ils soient admissibles ou non en justice, et procéder, s'il le juge nécessaire, à l'examen de dossiers ou registres et à la tenue d'enquêtes. Compte tenu de ces vastes pouvoirs et de l'ajout du paragraphe 145.1(2), il n'y a aucune raison qui justifierait d'empêcher l'agent d'appel de rendre une décision en vertu du paragraphe 145(1), s'il estime qu'il y a eu contravention à la partie II du Code et ce, malgré le fait que l'agent de santé et de sécurité a donné des instructions en vertu du paragraphe 145(2).

[49] J'en comprends que j'ai toute l'autorité d'agir tel que décrit plus haut et ce, dans le respect des principes de justice naturelle.

[50] Cela signifie également que TPQ ou encore le Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières, SCFP, section locale 1375, peuvent, s'ils le jugent nécessaire, me demander de contraindre un représentant de l'AEM à comparaître comme témoin dans l'affaire et à produire des documents et ce, aux fins de contester lesdites instructions émises par l'ASS Léger. J'attendrai toutefois qu'une telle demande me soit formulée avant de l'ordonner.

[51] Pour les raisons telles qu'indiquées plus haut, j'en conclus cependant que je n'ai pas l'autorité sous l'alinéa 146.2g) du Code, sans le consentement de l'AEM, de la nommer comme partie à la présente affaire.

[52] Par conséquent, l'objection soulevée par l'AEM quant à l'irrecevabilité en droit de cette requête est retenue et ainsi, ladite requête pour adjonction est rejetée.

Katia Néron
Agent d'appel

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