Archivée - Décison: 08-029-I Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail
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Dossier no
: 2008-04
Décision no
: OHSTC-08-029(I)
Société canadienne des postes
appelante
et
Doreen J. Radcliffe
intimée
Le 5 novembre 2008
Pour l'appelante
Stephen Bird, avocat
Pour l'intimée
Heather D. Neun, avocate
Pour le demandeur
Heather D. Neun, avocate
[1] Le 21 février 2008, Stephen Bird, avocat pour la Société canadienne des postes (Postes Canada), a interjeté appel, en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail, Partie II (le Code), d'une instruction, délivrée le 28 janvier 2008, par l'agente de santé et de sécurité (ASS) Betty Ryan. Me Bird a maintenu que l'une des deux personnes touchées par la dite instruction - en l'occurrence, une assistante de facteur(trice) rural(e) et suburbain(e) (FRS), l'employée non syndiquée Doreen (Jan) Radcliffe - n'était pas une employée de Postes Canada au sens où l'entend le Code.
[2] Au cours des étapes préliminaires aux procédures de l'instruction du présent appel, S. Bird a soulevé une question relative à l'intitulé de cause formulé par le Tribunal pour identifier l'espèce. Ledit intitulé d'affaire se lit : " Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes ".
[3] En conséquence, l'intitulé de l'affaire a été modifié pour se lire " Société canadienne des postes c. Doreen Radcliffe ".
[4] À la suite de cette modification, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a présenté une demande en vue d'obtenir l'autorisation d'être partie au présent appel.
[5] La présente décision traite de la demande présentée par le STTP en vue de prendre part à l'audition de cet appel.
Les faits
[6] Le 15 novembre 2007, alors qu'elle travaillait comme assistante de FRS, D. Radcliffe a été blessée au dépôt de Postes Canada de Parksville (Colombie Britannique), après avoir été heurtée par un chariot. Au moment de l'accident, Eric Christopher Adams, FRS et membre du STTP, s'est porté au secours de D. Radcliffe en essayant de déplacer le chariot sous lequel la travailleuse se trouvait. Pendant cette manœuvre, M. Adams s'est lui aussi blessé.
[7] Le 3 décembre 2007, l'ASS Marlene Yemchuk a amorcé une enquête sur l'accident susmentionné, laquelle enquête a révélé ce qui suit :
- la situation comportant des risques qui a causé des blessures invalidantes tant qu'à D. Radcliffe et E. C. Adams n'a pas été signalée par Postes Canada à un agent de santé et de sécurité;
- le représentant en matière de santé et sécurité qui était en poste au lieu de travail n'avait pris part à aucune enquête de l'employeur sur ladite situation comportant des risques;
- aucun rapport d'enquête sur une situation comportant des risques concernant tant l'accident de D. Radcliffe que celui d'E. C. Adams n'avait été transmis à un agent de santé et de sécurité par Postes Canada.
[8] Le 4 décembre 2007, Andrew Johnston, agent de santé et sécurité à Postes Canada, Division du Pacifique, a indiqué à l'ASS Yemchuk que les assistants de FRS n'étaient pas considérés comme des employés de Postes Canada. Ainsi donc, D. Radcliffe, n'étant pas une employée de la Société canadienne des postes, Postes Canada n'était pas assujetti aux exigences du Code touchant la production et la présentation d'un rapport d'enquête à un agent de santé et de sécurité au sujet de l'accident de D. Radcliffe.
[9] En raison de la complexité de la question particulière soulevée plus haut, l'affaire a été déferrée à l'ASS Betty Ryan le 7 décembre 2007.
[10] Après avoir effectué une analyse de la relation employeur-employée de D. Radcliffe avec Postes Canada, l'ASS Ryan a conclu que l'assistante de FRS D. Radcliffe était une employée de Postes Canada aux fins du Code. Mme Ryan a donc demandé à l'agent de sécurité de Postes Canada A. Johnston (région du Pacifique) de mener une enquête sur l'accident survenu à D. Radcliffe au nom de Postes Canada. Elle a également demandé à ce qu'une copie du rapport d'enquête demandé sur l'accident lui soit envoyée.
[11] Malgré plusieurs courriels envoyés à Dale Versfelt, gestionnaire régional responsable de la santé, de la sécurité et de l'environnement au travail pour la Division du Pacifique, à Postes Canada, l'ASS Ryan n'a reçu aucune réponse à ses deux demandes susmentionnées.
[12] C'est ainsi que, le 28 janvier 2008, elle a émis une instruction à Postes Canada en vertu du paragraphe 145(1) du Code, pour l'aviser qu'elle était d'avis que l'alinéa 125(1)(c) du Code et les alinéas 15.5(c), 15.8(1)(a), 15.8(2)(b) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST) - alinéas qui découlent de cette disposition du Code - avaient été enfreints et a ordonné à Postes Canada de mettre un terme à ces infractions au plus tard le 8 février 2008.
[13] L'instruction de l'ASS Ryan se lit en partie comme suit :
[traduction]
[…]
Ladite agente de santé et de sécurité est d'avis que les dispositions suivantes du Code canadien du travail, Partie II, ont été enfreintes :
Premièrement Aliéna 125(1)(c) de la partie II du Code canadien du travail, et l'alinéa 15.5(c) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail
L'employeur a omis de signaler dans les 24 heures la situation comportant des risques qui a causé des blessures invalidantes à deux employés. Cet accident s'est produit le 16 novembre 2007 sur la personne du facteur rural et suburbain (FRS) Eric Christopher et de l'assistante de FRS Doreen (Jan) Radcliffe, à Parksville (C. B.).
Deuxièmement Aliéna 125(1)(c) de la partie II du Code canadien du travail et aliéna 15.8(1)(a) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail
La Société canadienne des postes n'a pas produit de rapport d'enquête sur une situation comportant des risques ni rempli d'autres formulaires comportant les renseignements requis au sujet de l'accident survenu à Mme Radcliffe le 16 novembre 2007.
Troisièmement Aliéna 125(1)(c) de la partie II du Code canadien du travail et aliéna 15.8(2)(b) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail
L'employeur n'a pas produit de rapport d'enquête complet sur une situation comportant des risques relativement à l'accident survenu à Mme Radcliffe le 16 novembre 2007, dans les 14 jours de l'accident.
Les assistants de facteur(trice) rural(e) et suburbain(e) (FRS) sont des employés aux fins de la partie II du Code canadien du travail et les exigences en matière de rapport et d'enquête sur une situation comportant des risques s'appliquent. […]
Observations du demandeur et de l'intimée
[14] Dans son argumentation, Heather D. Neun, avocate pour le STTP, a fait valoir que deux conditions doivent être remplies pour qu'un demandeur obtienne l'autorisation de prendre part à une procédure d'appel.
[15] Ces deux conditions sont stipulées à l'aliéna 146.2g) du Code et se lisent :
146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l'agent d'appel peut :
[…]
g) en tout état de cause, accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties et pourrait être concerné par la décision;
[16] Me H. D. Neun, qui représente aussi D. Radcliffe, a déclaré que cette dernière avait un double intérêt à la présente instance, lequel est de s'assurer :
- que les causes de son accident fassent l'objet d'une enquête en vertu des exigences de rapport et d'enquête que prévoient le Code et son règlement;
- qu'à l'avenir, Postes Canada se conforme à ces exigences que les accidents ou situations comportant des risques mettent en cause ou non des remplaçants de FRS, peu importe que la personne directement touchée soit ou non un membre du syndicat ou un employé au terme du Code.
Me H. D. Neun a indiqué qu'elle soutiendrait non seulement que D. Radcliffe est une employée au fin de l'application du Code, mais aussi que le statut d' " employé " en vertu du Code n'est pas nécessaire pour déclencher l'application des exigences du Code relatives à un employeur.
[17] Me H. D. Neun, au nom du STTP, a déclaré qu'essentiellement le STTP avait le même second intérêt que celui de D. Radcliffe du fait que, dans cette affaire, le STTP veut s'assurer que tous les accidents qui surviennent à des remplaçants et des assistants de FRS aux lieux de travail de Postes Canada fassent l'objet d'une enquête afin d'assurer la protection de tous les travailleurs, y compris les membres du STTP qui sont en poste à ces lieux de travail.
[18] Elle a ajouté que la protection et l'avancement de la santé et de la sécurité aux lieux de travail de Postes Canada par la production de rapports, la conduite d'enquêtes et la mise en œuvre de mesures correctives étaient au cœur des principales préoccupations du STTP et influeraient toute décision limitant les obligations de l'employeur à cet égard. Dans cette optique, de l'avis de Me H. D. Neun, la décision qui sera rendue en l'espèce pourrait avoir des effets sur les membres du STTP, une question qui préoccupe directement le STTP.
[19] Me H. D. Neun a également déclaré que le fait qu'elle représentait à la fois D. Radcliffe et le STTP ne constituait pas un abus de procédure ni ne donnait lieu à des préoccupations d'ordre logistique. Elle a ajouté que, du fait que les intérêts de D. Radcliffe et du STTP sont essentiellement similaires mais pas identiques, leurs observations seront différentes et que le fait qu'elle soit l'avocate à la fois de D. Radcliffe et du STTP garantit qu'il n'y aura pas de duplication de leurs représentations.
Observations de l'appelante
[20] S. Bird, au nom de Postes Canada, a fait valoir que, même si le demandeur d'une autorisation d'être partie à une procédure d'appel avait un intérêt similaire à celui de l'intimée et pouvait être touché par la décision, c'était toujours à la discrétion de l'agent d'appel que cette autorisation pouvait être accordée. Ainsi, Me Bird a affirmé que, au moment de déterminer si le STTP devait obtenir l'autorisation de prendre part à cette procédure, il me faudrait prendre en considération les critères de common law s'appliquant à la qualité pour agir dans l'intérêt public qu'a établis la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Finlay c. Canada (Ministre des finances) .
[21] Dans l'arrêt Finlay, la Cour suprême a déterminé les trois critères de la reconnaissance discrétionnaire de la qualité pour agir dans l'intérêt public, qui sont les suivants :
- que l'action soulève des questions qui relèvent des tribunaux;
- que les questions soient graves et que le demandeur ait un intérêt réel à leur égard;
- que si on lui refuse la qualité pour agir, il n'existe aucune autre façon de soumettre ces questions aux tribunaux.
[22] S. Bird a déclaré que, dans le présent appel, Postes Canada ne remettait pas en cause les obligations en vertu du Code qu'elle a à l'égard de n'importe lequel de ses employés, mais affirmait plutôt que D. Radcliffe n'est pas une employée de Postes Canada qui déclencherait l'application de ces obligations. Pour ces raisons, Me Bird a allégué que la seule question à trancher en l'instance était de savoir si Postes Canada avait l'obligation de signaler à un agent de santé et sécurité des blessures survenues à une non employée de Postes Canada. Il a subséquemment argué que les autres questions, comme celle de savoir si un rapport est produit eu égard à des non employés ou au maintien de lieux de travail sécuritaires, non seulement pour les membres du STTP mais aussi pour les remplaçants et assistants, ne pouvaient être des questions d'intérêt pour D. Radcliffe dans le présent appel. Ainsi, de l'avis de Me Bird, la question soulevée par le STTP n'est pas l'objet de l'appel en l'instance et, en conséquence, ne constitue pas une question qui relève des tribunaux.
[23] S. Bird a également argué, en gardant à l'esprit le fait que D. Radcliffe n'était pas membre du STTP et la portée limitée de l'affaire en instance, que le STTP ne saurait prétendre avoir un intérêt à l'issue de la décision du point de vue de la façon dont des accidents similaires survenant à des membres du syndicat feraient l'objet d'une enquête et dont des mesures correctives seraient apportées. Par conséquent, la décision à rendre en l'espèce ne saurait, de l'avis de Me Bird, avoir un effet direct ou indirect sur les membres du STTP.
[24] En outre, S. Bird a déclaré que les FRS sont tenus de se trouver eux mêmes un remplaçant lorsqu'ils ou elles sont incapables d'effectuer eux mêmes les livraisons. Il a également fait valoir que la clause 14.02 de la convention collective entre le STTP et la Société canadienne des postes prévoyait que la personne qui couvrait pareille absence n'était pas considérée comme un employé de la Société lorsqu'elle accomplissait ce travail et que le STTP a contractuellement convenu que les remplaçants ne sont pas des employés aux fins des droits de représentation par le STTP.
[25] S. Bird a également indiqué que, en vertu de la partie I du Code canadien du travail, le Conseil canadien des relations industrielles a toujours soutenu, dans l'affaire PCL, Constructors Northern Inc, qu'il détenait seul le pouvoir de déterminer la portée des unités de négociation appropriées et qu'il n'était pas lié par l'entente entre les parties, laquelle peut faire varier la composition de l'unité de négociation par la négociation collective ou autrement. Par conséquent, aux fins de l'application de la partie I du Code canadien du travail, un agent d'appel n'est pas habilité si les travailleurs remplaçants sont membres de l'unité de négociation aux termes de la convention collective.
[26] Sur la base de ce qui précède, S. Bird a argué qu'une constatation selon laquelle D. Radcliffe est une employée aux fins de la partie II du Code ne donnerait pas de droits de représentation par le STTP ni ne donnerait lieu à un intérêt majeur pour le statut de santé et de sécurité de D. Radcliffe, hormis celui que pourrait avoir une personne concernée de l'extérieur, et que, en conséquence, le STTP n'a pas soulevé de question véritable qui pourrait faire partie du présent appel ou qui le toucherait directement en tant que représentant d'une catégorie différente d'employés.
[27] Puisque l'ASS Ryan a déterminé que D. Radcliffe était une employée de Postes Canada, étant la personne touchée, S. Bird estime que Mme Radcliffe est la seule personne pouvant participer au processus d'appel et la seule qui sera tenue de traiter raisonnablement et efficacement de ses intérêts dans cette tribune.
[28] S. Bird a ajouté que, en incluant le STTP au nombre des parties à la présente affaire, on ne ferait que dédoubler les représentations de D. Radcliffe concernant le signalement de l'accident et que cela ne ferait que compliquer la procédure en ce qu'il faudrait se prononcer sur l'intérêt, sans rapport avec l'affaire en instance, d'un STTP soucieux d'élargir la base de son unité de négociation sans avoir à présenter, comme il se doit, de demande à cet effet au CCRI pour parvenir à ce résultat.
[29] S. Bird a ajouté que, au cas où j'en conclurais que le STTP a un intérêt similaire et important à l'affaire en l'instance, il me faudrait alors exercer mon pouvoir discrétionnaire pour refuser néanmoins d'accorder ce statut au syndicat.
[30] Étant donné que D. Radcliffe et le STTP sont tous deux représentés par la même avocate, cela signifie que le STTP sera de toute façon mêlé à l'instruction de l'appel et que toute question que le STTP souhaiterait ajouter peut être traitée par H. D. Neun au nom de D. Radcliffe.
[31] S. Bird a ajouté que puisque j'avais donné à D. Radcliffe l'occasion de répondre aux observations du STTP, étant donné que cette réplique sera rédigée par H. D. Neun, qui est aussi l'avocate du STTP, la réception et la prise en considération de son argumentation constituerait à mon sens un abus de procédure.
Analyse et décision
[32] L'avocat de Postes Canada s'est opposé à l'ajout du STTP comme partie à la procédure, essentiellement au motif que le STTP n'a pas soulevé de questions graves ou relevant des tribunaux, pas plus qu'il n'a établi l'existence d'un intérêt véritable dans ces questions, si bien qu'il ne satisfait pas aux principaux critères de common law s'appliquant à la qualité pour agir dans l'intérêt public qu'a établis la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Finlay, (supra). S. Bird a argué que la question à trancher en l'espèce était de déterminer si D. Radcliffe était une employée de Postes Canada pouvant déclencher l'application des obligations d'employeur prévues par le Code et si cette question ne concernait que D. Radcliffe, une non membre du STTP. Pour ces raisons, les deux questions soulevées par H. D. Neun - la première, mise de l'avant au nom de D. Radcliffe, qui veut que l'on s'assure qu'à l'avenir Postes Canada enquête sur tout accident ou situation à risque impliquant des remplaçants de FRS, soit parce que les remplaçants sont des employés de Postes Canada ou peu importe leur statut, et la seconde, présentée au nom du STTP, qui veut que l'on assure que tous les accidents impliquant des assistants ou des remplaçants de FRS fassent désormais l'objet d'une enquête pour faire en sorte d'assurer la protection de tous les travailleurs, y compris les membres du STTP, en poste aux lieux de travail - ne sont ni des questions graves ni des questions légitimes dans le présent appel et ne sauraient constituer un intérêt légitime à l'affaire en instance pour le STTP. S. Bird a également soulevé quelques préoccupations procédurales liées au fait que D. Radcliffe et le STTP sont représentés par la même avocate.
[33] Au sujet de l'objection soulevée par l'employeur, je ferai le commentaire qui suit.
[34] L'aliéna 146.2g) du Code m'autorise à ajouter tout groupe qui, à mon sens, a satisfait aux conditions énoncées dans cette disposition. À cet égard, ne pas accepter la participation du STTP à la présente procédure au motif que le syndicat présente des questions et des intérêts qui diffèrent de ceux soulevés par l'appelante reviendrait, selon moi, à faire une interprétation trop restrictive de cette disposition, en particulier au regard du fait que l'intérêt du STTP n'est pas sans rapport avec l'objet général du Code, qui consiste à assurer la protection de la santé et de la sécurité de tous les employés lorsqu'ils travaillent, et du fait que c'est ce qui devrait guider mon interprétation de toute disposition du texte législatif. Qui plus est, en me fondant sur la preuve selon laquelle, en premier lieu, D. Radcliffe travaillait comme assistante de FRS dans cette affaire et, en deuxième lieu, son accident s'est produit à un lieu de travail de Postes Canada où les employés de Postes Canada - qui sont aussi membres du STTP - travaillent, je conclus que le second intérêt susmentionné de l'intimée dans l'appel en instance, tel que décrit par son avocate, est pertinent et lié à l'intérêt général du STTP.
[35] En plus de cela, l'alinéa 146.2g) du Code fixe deux conditions à remplir pour présenter une demande d'autorisation à prendre part à la procédure d'un appel devant un agent d'appel. En vertu de cette disposition, toute personne ou tout groupe sollicitant le statut de partie doit tout d'abord avoir essentiellement, de l'avis de l'agent d'appel, les mêmes intérêts que l'une des parties à la procédure. L'emploi du terme " essentiellement " indique que la personne ou le groupe qui cherche à prendre part à l'appel n'a pas besoin d'avoir exactement les mêmes intérêts que l'une des parties, mais simplement des intérêts qui, à mon sens, sont étroitement liées aux intérêts de la partie en cause. En outre, l'aliéna 146.2g) requiert que la personne ou le groupe qui sollicite un statut de partie avec essentiellement les mêmes intérêts puisse être concerné par la décision rendue dans l'appel.
[36] Quoi qu'il en soit, ainsi que l'a mentionné S. Bird, la jurisprudence a établi d'autres critères à remplir pour autoriser une intervention par voie d'octroi de statut de partie. Je citerai ici la récente décision que l'agent d'appel Jean-Pierre Aubre a rendue dans l'affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN Rail) et James Poirier et Conférence ferroviaire Teamsters Canada et dans laquelle il devait se prononcer sur des demandes d'autorisation d'intervenir dans un appel. Aux paragraphes 41 à 47 de sa décision, l'agent d'appel Aubre a examiné et commenté comme suit la jurisprudence pertinente relative à cette question :
[41] La jurisprudence de la plupart des tribunaux s'est montrée assez cohérente au fil des ans en retenant, comme règle pour autoriser une intervention par l'octroi de la qualité pour agir, la nécessité que la partie qui demande la qualité pour agir ait un intérêt valide et direct dans le litige, et non simplement un intérêt passager ou superficiel, et le risque d'être touché directement par la décision. Ainsi, dans La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu national (no 1), [1976] 2 C.F. 500, Monsieur le Juge Ledain, de la Cour d'appel fédérale, a affirmé que la règle de la reconnaissance du statut ou locus standi exige que la partie qui le demande ait un véritable grief qui lui donne le droit de contester l'interprétation des tribunaux d'instance inférieure, et que cette interprétation puisse nuire aux droits que la loi confère à la partie ou impose à celle-ci des obligations juridiques additionnelles, ce qui créé la possibilité directe d'occasionner un préjudice direct aux intérêts de cette partie. Dans William (Billy) Solosky c. La Reine, (1978) 1 C.F. 609, le juge Heald a réitéré et approuvé le même critère formulé par le juge Ledain dans l'affaire Rothmans, ajoutant toutefois qu'il faut être davantage que simplement intéressé ou préoccupé par l'obtention du statut. Il a déclaré : " Cependant, un intérêt et une préoccupation bien motivés quant à l'issue d'une action intentée devant la Cour ne constituent pas, par eux-mêmes, des motifs légaux permettant l'intervention et la participation d'une partie dans cette action. "
[42] Dans Re Schofield and Minister of Consumer and Commercial Relations, (1980) O.J. No.3613, le juge Wilson, de la Cour d'appel de l'Ontario, a fait référence à la décision du juge Ledain dans l'affaire Rothmans, précitée, et à une décision antérieure rendue par le juge en chef Jackett dans R. c. Bolton (1976) 1 C.F. 252, pour reformuler le critère de la façon suivante :
[Traduction]
Il me semble que les décisions Bolton et Soloski (sic) appuient la proposition selon laquelle pour obtenir la qualité pour agir à titre de personne " intéressée " à un litige entre d'autres parties, le demandeur doit avoir un intérêt dans le litige entre ces parties.
[43] La Cour d'appel fédérale a essentiellement adopté la même position dans Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1989] 3 C.F. 611 (C.A.), à la p. 614, faisant valoir que " le seul intérêt dans l'issue éventuelle d'une affaire soumise à un tribunal, qu'il soit pécuniaire ou autre, ne suffit pas en lui même à conférer à un particulier qualité pour agir. Les exigences de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure n'en demandent certainement pas tant, et en tout état de cause, il serait impossible en pratique d'aller jusque là. À mon sens, pour compter au nombre des parties intéressées auxquelles un tribunal doit accorder qualité pour agir dans une affaire dont il est saisi afin de satisfaire aux exigences de la règle audi alteram partem, un particulier doit être touché directement et nécessairement par la décision à rendre. Son intérêt ne doit pas être simplement indirect ou éventuel, comme c'est le cas lorsqu'une décision peut l'atteindre par un intermédiaire étranger aux préoccupations du tribunal, tel un rapport contractuel avec une des parties directement concernées. "
[44] Toutefois, bien que l'intervention puisse être fondée sur la question de savoir si l'intérêt suffisant est présent ou non, elle ne peut être écartée sans réserve, car un intervenant peut ne pas avoir les mêmes intérêts ou des intérêts aussi complets qu'une partie ayant un intérêt direct, tout au moins dans la plupart des cas. À ce titre, il faut donc reconnaître que le degré d'intérêt peut ne pas être le même. C'est ce qu'a reconnu la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Canada (Attorney General) v. Aluminum Co. of Canada Ltd, 35 D.L.R. (4e) 495. Dans cette affaire, le juge Seaton, ayant admis la nécessité d'imposer des limites à ce droit d'intervention, a affirmé : [traduction] " [l]orsque nous étudions la possibilité de permettre une intervention, nous devons prendre en compte la portée de cette intervention. Nous devons adopter des restrictions, probablement comme celles qui sont adoptées aux États-Unis, si nous sommes pour profiter d'interventions plus fréquentes. Les intervenants ne devraient pas être autorisés à éloigner du litige des personnes qui sont affectées directement par celui-ci. Les parties au litige devraient être autorisées à définir les questions en litige et à demander le règlement des affaires qu'elles jugent à juste titre litigieuses. Elles ne devraient pas être contraintes de régler des questions soulevées par d'autres.
[45] Il faut maintenir un équilibre entre les intérêts des personnes qui cherchent à intervenir et les personnes qui, à titre de parties principales ou de parties ayant un intérêt direct, ont pour but le règlement de la question ou de la situation qui les affectent directement. Le juge Rouleau, de la Cour fédérale, résume assez succinctement cette question, en affirmant : " Les considérations clés sont la nature de la question en jeu et la possibilité que la requérante contribue utilement au règlement sans que les parties immédiates soient victimes d'injustice. " (Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général) (1re inst.), (1990) 1 C.F. 74)
[46] Au-delà de la question des intérêts des parties en présence, qu'il s'agisse de celles qui cherchent à intervenir ou de celles qui seraient les parties directement concernées par la question en litige, la question de la contribution possible des intervenants au règlement de la question centrale doit également être examinée du point de vue de l'aide qu'elle peut apporter au décideur. Dans Papaschase Indian Band v. Canada (Attorney General), 2005 ABCA 320, le J.C.A. Fraser, de la Cour d'appel de l'Alberta, invoquant l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Morgentaler, a déclaré :
[Traduction]
On peut affirmer à juste titre que de façon générale, une intervention peut être autorisée si l'intervenant proposé est particulièrement touché par la décision à laquelle la Cour fait face ou si l'intervenant proposé possède des compétences particulières ou des connaissances à appliquer aux questions soumises à la cour. Comme l'explique la Cour suprême du Canada dans R. c. Morgentaler, (1993) 1 R.C.S. 462, au paragraphe 1 : " [u]ne intervention vise à saisir la cour d'allégations utiles et différentes du point de vue d'un tiers qui a un intérêt spécial ou une connaissance particulière de la question visée par la procédure d'appel. "
[47] La prise en compte de tous les éléments qui précèdent amène à formuler un certain nombre de questions auxquelles il faut répondre pour décider d'accorder ou non la qualité pour agir à un demandeur. Cependant, il n'est manifestement pas nécessaire de répondre affirmativement à chacune d'entre elles pour prendre une décision. Voici ces questions :
- L'intervenant peut-il contribuer au règlement de la question?
- L'intervenant peut-il apporter un point de vue différent à la question?
- L'intervenant peut-il apporter une contribution utile à la procédure?
- L'intervenant possède-t-il des compétences pertinentes auxquelles le tribunal n'aurait pas accès autrement?
- La participation de l'intervenant occasionnerait-elle une injustice aux autres parties?
- L'intervenant a-t-il un intérêt réel, substantiel et identifiable à l'égard de la question?
- L'intérêt de l'intervenant est-il plus grand que celui d'un membre du grand public?
- L'intervenant est-il dans une position unique qui diffère de celle des parties?
- Les intérêts de l'intervenant seront-ils ou seraient-ils affectés par l'issue de l'audience?
- […]
[37] Étant donné que toutes les questions formulées ci-dessus reposent sur un examen détaillé de la jurisprudence pertinente relative à la présente question, j'examinerai à la lumière de cette jurisprudence les motifs invoqués par le STTP pour prendre part à l'appel en instance.
[38] Pour motiver sa demande d'obtention de statut de partie à l'instance, le STTP a fait valoir que les membres qu'il représentait étaient des employés de Postes Canada travaillant comme assistants de FRS et pouvant être impliqués, ainsi qu'il ressort de la preuve, dans des accidents se produisant aux lieux de travail de Postes Canada qui pourraient également toucher, toujours comme l'indique la preuve, les membres du STTP. Je considère que l'intérêt du STTP, tel que formulé par l'avocat de ce syndicat, est un intérêt réel, important et identifiable qui constitue une perspective aussi bien différente que pertinente à l'affaire en instance, au regard du groupe d'employés que représente le STTP. À cet égard, il m'est d'avis que le STTP peut apporter une contribution utile à la procédure, étant donné le but recherché par la législation, que son intérêt est assurément plus marqué que celui d'un membre de la population en général et qu'il pourrait être concerné par l'issue du présent appel. Qui plus est, je suis convaincue que le STTP satisfait aux deux critères à l'aliéna 146(2)g) du Code, en ce qu'il m'a convaincue qu'il avait non pas un intérêt second à celui de D. Radcliffe mais un intérêt qui l'équivalait et que cet intérêt était relié au groupe d'employés qu'il représente, lequel peut aussi être touché par la décision rendue en l'espèce eu égard audit intérêt.
[39] J'ajouterais que je ne considère pas que la participation du STTP a causé ou causera une injustice à la position de Postes Canada du fait que D. Radcliffe et le STTP ont ou seront représentés par la même avocate. Le fait est que S. Bird a reçu en même temps que la soussignée les observations écrites de H. D. Neun concernant à la fois D. Radcliffe et le STTP relativement à l'affaire en instance, et ce, avant qu'il ait formulé, au nom de Postes Canada, sa réplique. Autrement dit, S. Bird a disposé de toute l'information reliée à l'affaire avant de formuler et soumettre sa réponse. En outre, les derniers arguments écrits que j'ai reçus étaient ceux formulés par le STTP en réponse à la réplique écrite de S. Bird. J'ajouterais que je ne considère pas que donner une occasion à l'intimée de répondre au demandeur d'une qualité pour agir constitue un abus de procédure. À mon sens, dans cette procédure, on a fait en sorte que chaque partie ait amplement la possibilité de présenter ses observations à la lumière de toute l'information relative à l'affaire.
[40] Pour ces motifs, j'accorde au STTP le statut d'intervenant dans le présent appel.
Katia Néron
Agent d'appel
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