Archivée - Décison: 09-004 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Dossier : 2007-03
Décision : OHSTC-09-004

Dominique Tremblay
appelant(e)

et

Air Canada
intim(é)

Décision  OHSTC-09-004

Le 3 février 2009

Cette affaire a été décidée par l'agent d'appel Jean-Pierre Aubre.

Pour l'appelant(e)
M. Dominique Tremblay

Pour l'intimé(e)
Me Michael McCrory

[1] La décision qui suit vise un appel logé par l'appelant Dominique Tremblay le 13 février 2007 à l'encontre de la décision rendue le 7 février de la même année par l'agent de santé et sécurité Laurent Gallant, assisté de l'agent de santé et sécurité Philippe Nantel. Seul l'agent Gallant est venu témoigner à l'instruction de l'appel en instance. La décision dudit agent de santé et sécurité mettait un terme à l'enquête relative au refus de travail logé par l'appelant Tremblay conformément à l'article 128 du Code canadien du travail, Partie II (Code) et concluait, aux termes du paragraphe 129(7) du Code, que dans les circonstances et selon les faits présentés par l'appelant pour justifier ledit refus de travailler, il y avait absence de danger.

[2] À la date du début de l'instruction de l'appel, soit le 29 mai 2007, l'agent d'appel soussigné a été informé par le procureur de l'employeur Air Canada que M. Tremblay, l'appelant en l'instance, était à ce moment l'objet d'une mesure disciplinaire, ie. qu'il était « suspendu et en instance de congédiement » pour reprendre les mots du Chef d'équipe Benoît Parisien qui assistait le procureur d'Air Canada à l'audition, ou, pour citer l'avis disciplinaire écrit et daté du 9 mai 2007 (pièce E-3), qu'il faisait « l'objet d'une mise à pied disciplinaire en attendant (son) congédiement » et ce en raison du fait que l'employeur considérait que M. Tremblay était depuis le 4 avril 2007 en absence de son travail non justifiée et non autorisée et donc avait abandonné son poste au sein de la société Air Canada. Aucune indication n'a été transmise à l'agent d'appel à ce moment ou en aucun autre temps au cours de l'instruction à savoir quand ladite mise à pied disciplinaire s'est transformée en congédiement définitif. Ce qui est clair toutefois, c'est que le lien d'emploi de l'appelant avec la société Air Canada était effectivement rompu lors de la reprise de l'instruction dudit appel le 26 février 2008. On a d'ailleurs informé l'agent d'appel soussigné qu'un grief à l'encontre de ladite mesure disciplinaire avait été déposé le 9 mai 2007 (pièce E-4) pour être traité selon la procédure accélérée de traitement des griefs faisant l'objet d'une lettre d'entente entre l'employeur et le syndicat représentant M. Tremblay (TCA-Canada) (pièce E-5) annexée à la convention collective. La procédure en question prévoit un traitement en deux étapes des griefs, soit en premier lieu une médiation suivie, dans les cas de défaut de résolution, d'un arbitrage effectué par un arbitre désigné aux termes de ladite lettre d'entente.

[3] L'instruction qui avait débuté le 29 mai 2007 a été interrompue le 30 mai afin de permettre au soussigné de rendre une décision concernant l'exception déclinatoire de compétence formulée par la partie intimée Air Canada. Cette décision préliminaire a été rendue le 18 octobre 2007, concluant à la compétence de l'agent d'appel pour instruire l'appel logé par M. Tremblay et en décider sur le fond.

[4] Aux fins de faciliter la compréhension des conclusions à venir ci-après, il m'appert utile de rappeler certaines affirmations qui apparaissent à ladite décision préliminaire (: BCA-07-038(A)). Ainsi, me fondant sur les propos de Mme la juge Gauthier concernant la définition au Code du mot « danger » dans la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Verville c. Canada (Service correctionnel), (2004 CF 767) au paragraphe 32, à l'effet qu'…« avec l'ajout de mots tels que « potential » (dans la version anglaise) ou « éventuel » et « tâche », le Code ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l'employé refuse de travailler », j'ai formulé ce qui suit au paragraphe 31:

« Il est donc évident que la nouvelle définition, laquelle est indissociable de l'exercice du droit de refus, ne comporte pas cette notion d'urgence. J'ajouterai qu'il est également erroné de prétendre que le Code et les dispositions visant le refus ne s'appliquent pas à des cas où les raisons invoquées pour justifier de refuser de travailler existent depuis un certain temps, de prétendre en somme que l'employé qui refuse doive le faire immédiatement lorsque des situations ou circonstances qui peuvent fonder un refus surviennent. Il est important de noter que le Code vise non seulement à prévenir des blessures, mais également des maladies liées à l'emploi (occurring in the course), lesquelles peuvent prendre un certain temps à se manifester ou à atteindre un degré de gravité satisfaisant pour que celui qui en est atteint estime approprié, ie. qu'il estime qu'il a un motif raisonnable, de recourir au refus de travail. »

[5] Relativement à la nature du droit de refus, j'ai commenté comme suit au paragraphe 32 de cette même décision :

« …le droit de refuser de travailler accordé par le Code est un droit personnel conféré à l'employé et dont l'exercice n'est soumis à aucune condition d'exercice dans le temps. Ainsi donc, le moment d'initier la procédure appartient à l'employé qui estime qu'il a une raison de le faire, ce que le Code énonce par les mots « motifs raisonnables de croire », et ce même si les conséquences liées au motif du refus existent déjà à ce moment. La question du caractère raisonnable des motifs et l'impact du délai de recourir au droit de refus sont des questions qui vont à la substance, au mérite du refus et non à la question de la compétence à instruire l'appel. »

[6] Finalement, comme dès le début le refus de travail fait par M. Tremblay a été présenté dans le rapport des agents de santé et sécurité ayant agi dans cette affaire (pièce E-1) comme invoquant une situation perdurant depuis quelques années au sein de son lieu et milieu de travail, laquelle pouvant engendrer du stress chez l'appelant et affecter sa santé psychologique, j'ai jugé nécessaire de commenter sur le sens à donner au mot « risque » qu'on retrouve dans la définition du terme « danger » à l'article 122 :

« Je ne peux souscrire à une interprétation qui assimilerait le « stress » à « risque », fut-il existant ou éventuel, ou à « situation », comme le fait la Commission (Commission des relations de travail dans la fonction publique) dans sa décision Boivin. À mon avis, ce ne sont ni le stress, ni l'impact ou la maladie psychologique qui doivent être associés au facteur de danger, mais bien les circonstances dans lesquelles l'employé se trouve qui résultent en stress ou maladie psychologique. Le stress ou la maladie doivent être vus comme la résultante de la situation et non pas la situation. Aux termes de la Loi, il est important de se rappeler que le « danger » ne se définit pas uniquement par les conséquences d'une situation, mais plutôt par la corrélation de la situation, tâche ou risque avec les conséquences qu'il ou elle entraîne ou est susceptible d'entraîner (…) ».

[7] L'instruction de l'appel de M. Tremblay a repris le 26 février 2008. Dès l'ouverture de la séance, l'employeur intimé a donné suite à l'avis que son procureur avait transmis au tribunal et à l'appelant le 19 février, lequel indiquait qu'il présenterait une requête pour suspension indéterminée de l'instruction de l'appel au motif que « l'Appelant (n'était) plus à l'emploi d'Air Canada ». Selon cet avis, « suite au dépôt de son appel, l'Appelant a été congédié par Air Canada, congédiement qui a été maintenu en arbitrage ».

[8] M. McCrory, procureur de l'employeur, explique sa demande de suspension indéterminée par le fait que même si au moment de la reprise de l'instruction, toutes les conditions sont réunies qui permettraient au tribunal de conclure que l'appel de M. Tremblay n'est que théorique puisqu'il n'est plus à l'emploi de l'employeur, qu'en conséquence il n'existe plus de litige concret entre les parties et que donc aucune mesure corrective ne pourrait être ordonnée par le présent agent d'appel en l'instance compte tenu de la situation prévalant à ce moment précis, ce caractère théorique ne serait possiblement pas définitif en raison de certaines procédures entamées par M. Tremblay dans un autre forum, plus précisément le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil), suite au rejet du grief qui avait été formulé à l'encontre de son congédiement, lesquelles procédures n'étant pas encore complétées au moment de la reprise.

[9] M. McCrory rappelle que suite à la lettre de l'employeur adressée à M. Tremblay le 9 mai 2007, laquelle l'avisait qu'il était mis à pied en « attendant (son) congédiement » (pièce E-3), son syndicat avait déposé un grief en son nom au motif qu'il s'agissait d'une mesure disciplinaire excessive et demandant qu'on procède à une audience dudit grief (pièce E-4) dans le cadre de la procédure accélérée de traitement des griefs incorporée à la convention collective entre ces parties (pièce E-5), laquelle prévoit la considération des griefs en deux étapes, la première étant la médiation suivie, et en cas d'échec, d'un arbitrage par un arbitre désigné par l'arbitre en chef nommé dans ladite procédure.

[10] Or, le 24 septembre 2007, dans une décision concernant le grief de M. Tremblay relativement à son congédiement, de même qu'un second grief également logé par M. Tremblay à l'encontre d'une mesure prise par l'employeur à son endroit en rapport avec un plainte pour harcèlement faite à l'endroit de M. Tremblay en 2003 par une collègue de travail, laquelle plainte est liée au refus de travail fait subséquemment (7 février 2007) par l'appelant, l'arbitre Martin Teplitsky (arbitre en chef) a rejeté les deux griefs dans les termes suivants (pièce E-6):

« The grievor seeks $20,000.00 for being segregated in the workplace. He also grieves his discharge. In my opinion, the Employer acted reasonably in segregating the grievor from the employee who claimed harassment. Indeed, the grievor agreed to this solution. His co-employee's negative reaction to being segregated motivates his grievance. There is no medical evidence to support his allegations that the segregation has caused him emotional harm nor is there any evidence to justify his absences from work. In the result, both grievances are dismissed ».

[11] Suite à cette decision, le 20 décembre 2007, l'appelant Tremblay a logé auprès du Conseil (pièce E-7) une plainte à l'endroit de son syndicat au motif que ce dernier aurait manqué à son obligation de juste représentation dans le traitement des griefs mentionnés ci-dessus (pratique déloyale de travail). Le Conseil a fixé les 18, 19 et 20 juin 2008 pour l'audition de ladite plainte (pièce E-9). Selon M. McCrory, si le Conseil devait décider en faveur de M. Tremblay relativement à ladite plainte, une mesure de redressement possible pourrait être d'ordonner que son grief de congédiement soit soumis à un nouvel arbitrage, avec la possibilité d'une conclusion différente, par exemple une ordonnance de réintégration dans son emploi chez Air Canada. C'est ainsi que le procureur explique sa position à l'effet que la nature théorique du recours dont je suis saisi ne soit pas acquise définitivement, et donc que pour l'instant, il ne puisse requérir qu'une suspension indéterminée de l'instruction du présent appel.

[12] M. McCrory fait valoir que sur la base de l'alinéa 146.2 (e) du Code, lequel m'autorise à « suspendre ou remettre la procédure à tout moment », je dispose de l'entière discrétion pour accorder la requête en question. Il reconnaît néanmoins que je dispose également de l'autorité de procéder à entendre l'appel au fond, étant donné l'incertitude quant au résultat à venir dans le cas de la plainte de l'appelant devant le Conseil, et ce pour raison d'efficacité et d'économie des ressources du tribunal, les parties étant assemblées, les témoins présents et les facilités d'audience acquises, et que je peux réserver ma décision en ce qui a trait au caractère théorique de l'appel. Le procureur invoque l'exemple de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Joseph Borowski c. Le Procureur général du Canada et autres, (1989) 1 R.C.S. 342, le précédent-phare en matière de caractérisation théorique d'un pourvoi, laquelle stipule à la page 344 de la décision :

« Dès le début du pourvoi, la question du caractère théorique du pourvoi se posait sérieusement. En outre il paraissait douteux que le demandeur ait encore qualité pour agir et même que la question puisse être réglée par voie de justice. Ces points ont été débattus à titre de questions préliminaires et on été mis en délibéré. La Cour a alors entendu le pourvoi au fond, de manière à être en mesure de statuer sur la totalité du pourvoi sans devoir rappeler les parties pour plaider si, malgré les questions préliminaires, elle décidait que le pourvoi devait suivre son cours. »

[13] En réponse à la requête pour suspension, M. Tremblay s'oppose à ce que l'instruction soit suspendue. Selon lui, une première raison pour ne pas accorder la requête a trait aux délais déjà encourus dans cette affaire, soulignant que plus d'une année s'est écoulée depuis qu'il a fait son refus de travail, alors que le droit de recourir au refus prévu par le Code est une mesure d'urgence, tel que l'avait affirmé le procureur même de l'employeur lors de la première séance dans cette affaire. Selon M. Tremblay, l'employeur soulève des questions d'ordre procédural qui ont pour effet de retarder l'instruction de l'appel au fond, avec le résultat qu'il s'est écoulé plus d'une année depuis le refus, et que retarder encore plus, cette fois encore pour des raisons de procédure, irait à l'encontre de ses droits au titre de la justice naturelle. Il souligne que les parties sont assemblées, les témoins sont présents et le tribunal est présent et que donc il n'y a pas lieu de retarder encore l'instruction au fond, d'autant plus que son appel n'est aucunement théorique et veut faire ressortir les agissements de l'employeur Air Canada à son endroit depuis un long moment, ce qui l'a amené à formuler son refus puisque sa santé était menacée. Selon lui, on doit sans délai aller au fond de l'affaire et examiner les agissements de Air Canada à son endroit. M. Tremblay ajoute qu'attendre l'issue d'un possible arbitrage qui pourrait s'ensuivre de la plainte dont il a saisi le Conseil pourrait retarder pendant des années le traitement de son appel devant le Tribunal.

[14] Faisant référence au recours prévu à l'article 133 du Code, ie. le droit pour un employé de présenter au Conseil une plainte contre son employeur à l'effet que ce dernier a pris à son endroit des mesures disciplinaires contrairement aux dispositions du Code qui interdisent de telles mesures suite à l'exercice par un employé de droits que lui accorde ladite loi (article 147 du Code), M.Tremblay fait valoir que je devrais assimiler la plainte pour pratique déloyale dont il a saisi le Conseil, laquelle découle du grief pour mesure disciplinaire excessive logé par son syndicat et la manière dont ce dernier l'y a représenté, à une plainte aux termes de l'article 133. M. Tremblay reconnaît toutefois du même souffle qu'il n'a pas formé ladite plainte comme émanant de l'article 133. Selon ce dernier, sa suspension est survenue 3 semaines avant que ne débute l'exercice du droit que lui confère le Code, soit le droit d'en appeler de la décision d'un agent de santé et sécurité suite à un refus de travailler, mais de toute évidence une fois qu'il se soit prévalu du droit de refus et du droit d'ester en appel suite à la décision sur le refus par l'agent de santé et sécurité.

[15] Finalement, l'appelant attire l'attention sur ce qu'il estime être une indication que la décision de l'arbitre Teplitsky ne viserait pas les mêmes griefs de M. Tremblay que ce qu'a invoqué M. McCrory. Ainsi, alors que le document comportant la décision de l'arbitre Teplitsky produit comme pièce E-6, porte la nomenclature : « ( Seq.23) Grievance A01-400-07/G07-4-4-03-Dominique Tremblay », le document que présente M. Tremblay (pièce E-8), lequel apparaît comme étant au même effet que le précédent, porte la nomenclature suivante Seq. 23) Grievance A01-400-07-Dominique Tremblay.

[16] Devant le fait que les deux documents portent la même date, soit le 24 septembre 2007, que dans un cas comme dans l'autre, les textes de la décision sont précédés d'une nomenclature qui identifie directement M. Tremblay, et qui plus est, que les deux textes n'en sont en réalité qu'un seul, en ce que dans les deux pièces déposées en preuve, la décision est mot-à-mot la même, ie. celle qui est citée au paragraphe 9 ci-dessus, je n'accorde aucune importance à cette différence de numérotation mentionnée ci-dessus, et donc n'en tire aucune conclusion ou inférence.

[17] En réplique, M. McCrory a fait valoir que la plainte logée par M. Tremblay auprès du Conseil ne pouvait être assimilée à une plainte en vertu de l'article 133 du Code pour la simple raison que la plainte vise les agissements du syndicat qui représentait M.Tremblay (devoir de représentation), et non pas les agissements, les mesures prises par l'employeur à l'endroit de M. Tremblay, tel le congédiement, et qu'en outre, M. Tremblay n'a jamais prétendu que sa plainte en était une fondée sur l'article 133. Quant au retard indu que causerait la suspension de l'instruction, le procureur souligne que le Conseil a déjà prévu entendre la plainte de M. Tremblay en Juin 2008, et qu'advenant que la plainte soit retenue et qu'un nouvel arbitrage soit requis, celui-ci pourrait survenir rapidement. En ce qui a trait à la question d'urgence soulevée par M. Tremblay, M. McCrory note qu'il n'y a pas d'urgence en rapport avec le refus de M. Tremblay puisque ce dernier n'est plus à l'emploi de l'employeur. Finalement, M. McCrory fait valoir que le fait d'accorder la suspension indéterminée demandée par sa requête n'aurait pas pour effet que l'appel logé par M. Tremblay, et donc les questions que ce dernier prétend qu'elle soulève, échapperait à l'examen judiciaire puisque ledit appel pourrait être entendu éventuellement, advenant le succès de la plainte de M. Tremblay auprès du Conseil.

Décision sur la requête pour suspension d'instruction

[18] Ayant pris en considération les arguments avancés tant par le procureur de l'intimé que par l'appelant, j'ai rendu une décision verbale à l'audience rejetant la requête pour suspension indéterminée de l'instruction et réservant toute décision relative à la nature théorique du recours. J'ai décidé de procéder à entendre l'appel au fond. Bien qu'au moment où j'ai rendu cette décision, tenant compte des circonstances particulières du dossier à ce moment, la prétention selon laquelle ce recours n'était plus que théorique me soit apparue comme ayant possiblement du mérite, du même souffle j'ai conclu que l'admission de l'intimé, par son procureur, à l'effet que le statut de l'appelant vis-à-vis Air Canada n'était possiblement pas définitif était déterminante, puisque la question de la relation d'emploi entre Air Canada et M. Tremblay, ou plutôt sa reconstitution, m'apparaît comme centrale à la détermination du caractère théorique du recours dont je suis saisi, et donc que je ne pouvais me prononcer à ce moment sur la question.

[19] Ceci étant, et comme à ce moment les parties étaient assemblées, les témoins assignés présents et prêts à témoigner, que le tribunal s'était déplacé et donc pour éviter, s'il y avait suspension, que dans un avenir que personne ne pouvait définir les parties et personnes assemblées puissent être appelées à revenir devant le tribunal, j'ai donc décidé de réserver ma décision sur la question du recours théorique et de procéder à entendre l'appel au fond. Ma conclusion s'inspire des propos tenus par la Cour suprême dans l'arrêt Borowski (supra) cités au paragraphe 12 ci-dessus.

L'instruction au fond

[20] L'instruction au fond de l'appel s'est poursuivie sur une période de cinq jours pour se terminer le 29 mai 2008. L'appelant a fait entendre cinq témoins avant de témoigner lui-même très longuement. Pour sa part, M. McCrory a fait entendre trois témoins pour étayer la position de la partie intimée. Chose quelque peu surprenante, ces trois témoins dont les dépositions étaient généralement favorables à la position de la partie intimée, faisaient partie des témoins préalablement cités à témoigner par M. Tremblay et ayant effectivement témoigné lors de la présentation de sa preuve par ce dernier.

[21] Le témoignage de M. Tremblay à l'appui de son appel, à tout le moins pour ce qui est de la partie qui aurait normalement été l'interrogatoire principal, a été livré de façon narrative puisque M. Tremblay se représentait seul. Tel que je l'avais établi lors de la conférence préparatoire à l'instruction de la présente affaire tenue avec les parties et tel que je l'ai rappelé à plusieurs reprises en cours d'audition, vu l'inexpérience de M. Tremblay en ce qui a trait au fonctionnement d'une procédure contradictoire telle que celle de l'instruction du présent appel et surtout sa méconnaissance évidente des règles habituelles concernant l'interrogatoire de témoins et la présentation de preuves tant testimoniales que matérielles et écrites, j'ai accordé à l'appelant, tel que le Code m'y autorise, une très grande flexibilité relativement à la conduite de sa cause et à la présentation de ce qu'il considérait comme de la preuve.

[22] Ceci dit, à maintes reprises j'ai dû faire des rappels à M. Tremblay relativement aux questions qu'il adressait à ses témoins ou aux témoins de la partie adverse, allant jusqu'à lui suggérer des exemples de formulation appropriée de questions aux différents stage d'un interrogatoire et ce aux fins de lui faciliter la tâche de présenter sa cause seul face à un procureur expérimenté. Sur ce point, je dois souligner l'assistance au tribunal de la part de M. McCrory qui a accepté de limiter ses objections et interventions au minimum, reconnaissant que l'agent d'appel soussigné saurait jauger le poids à accorder à la preuve présentée par M. Tremblay et reconnaissant qu'aux termes de la loi, le tribunal jouit de la discrétion d'accepter des preuves non autrement admissibles dans une cour de justice.

[23] De la même manière, en cours d'audience, et même hors de l'audience mais en présence de M. Tremblay et de M. McCrory, j'ai jugé nécessaire de faire quelques interventions et apporter certaines précisions aux fins de faciliter la marche de l'audition et l'apport des éléments et informations nécessaires à ma décision. Ainsi, au-delà d'un très long et détaillé exposé-historique fait par M. Tremblay et portant sur des faits ou incidents survenus au lieu de travail entre l'année 2001-2002 et son refus de travail le 5 février 2007, et plus particulièrement ceux survenus à partir de cette même époque 2001-2002 et impliquant des collègues de travail, dont en particulier une collègue (qui n'est plus à l'emploi d'Air Canada) qui avait logé une plainte de harcèlement contre M. Tremblay et à laquelle ce dernier avait répliqué par sa propre plainte (pièces E- 39 et E-40)(toutes deux rejetées), le tout lié directement au refus de travail éventuellement présenté par M. Tremblay le 5 février 2007, il est devenu évident très tôt au cours de l'audience, malgré les précisions apportées par le soussigné lors de la conférence préparatoire mentionnée ci-dessus, que je devrais apporter des précisions relativement à une preuve médicale que l'appelant voulait censément présenter à l'appui de son appel. Cette intervention ne visait pas tant le contenu mais plutôt la manière dont j'entendais que telle preuve soit apportée pour assurer que la partie adverse puisse avoir l'opportunité de la soumettre à question. À cet égard, j'ai précisé aux parties qu'il ne serait pas suffisant qu'un rapport médical soit déposé par l'une ou l'autre des parties sans la participation de son auteur pour que j'accorde le poids recherché à cette preuve.

[24] Malgré ce qui précède, la seule preuve médicale présentée le fut par M. Tremblay lui-même, par le simple dépôt de documents sans explication et évidemment en l'absence de leur auteur, rendant donc impossible pour la partie adverse d'en tester le contenu. En outre, les documents en question sont datés en 2003, 2004 et 2005, alors que le refus de travail de l'appelant est survenu en février 2007.

[25] Aux mêmes fins de permettre à l'appelant de mieux présenter sa cause, j'ai également précisé que même si dans un premier temps j'avais conclu avoir compétence pour instruire ledit appel, que cette compétence, dans l'éventualité où j'accueillerais l'appel de M. Tremblay, ne me permettrait pas d'annuler son congédiement et d'ordonner sa réintégration chez l'employeur. Lors de ces mêmes interventions, j'ai d'ailleurs expliqué à l'appelant, et ce à plus d'une reprise, que puisque je procédais de novo, il lui incombait de m'établir l'existence de faits, circonstances ou situation dans son lieu et milieu de travail ayant au moins un rapport et une certaine concomitance avec le refus de travail, que ces faits, circonstances ou situation devaient avoir été portés à la connaissance de l'employeur et avoir un rapport de cause à effet avec son état de santé actuel ou éventuel.

[26] Tel que mentionné précédemment, l'audition des témoins produits par les deux parties s'est prolongée sur plusieurs journées, avec une journée additionnelle pour permettre auxdites parties de présenter leur argumentation respective. À la fin des différents témoignages, force m'a été de conclure qu'à part certaines différences sans grande conséquence, le portrait de la situation qui m'a été présenté, même s'il est beaucoup plus détaillé, diffère bien peu de celui qui ressort du rapport d'enquête déposé par l'agent de santé et sécurité Gallant lors de son témoignage (pièce E-1) en ce qui a trait aux éléments essentiels, jumelé à l'exposé des faits non contestés déposé en début d'instruction (pièce E-2). Ainsi donc, et pour des raisons additionnelles qui deviendront évidentes dans l'énoncé de ma conclusion, il ne m'apparaît pas nécessaire à ce stade d'en faire le résumé.

[27] L'instruction de l'appel a été ajournée le 29 mai 2008 dans le but de me permettre de rédiger ma décision, tenant compte toutefois que j'aurais à me prononcer en premier lieu sur la question de la nature théorique du pourvoi, comme l'avait fait valoir le procureur de l'employeur, et également conscient du fait que la plainte de l'appelant auprès du Conseil canadien des relations industrielles, centrale à cette question, débuterait le 18 juin suivant.

[28] Le 23 juin 2008, le procureur d'Air Canada en la présente instance, a fait parvenir au présent agent d'appel, avec copie à l'appelant, une lettre avisant le tribunal que l'appelant Tremblay s'était désisté des plaintes logées auprès du Conseil à l'encontre de son syndicat pour représentation déloyale, ce qui avait comme conséquence de consacrer le fait que M. Tremblay ne serait pas réintégré chez l'employeur Air Canada, et donc confirmait la nature théorique du pourvoi dont j'étais saisi. Ce document se lit comme suit :

« Suite à l'audience du dossier mentionné en titre, la présente a pour but de vous aviser que le Conseil canadien des relations industrielles a, dans une lettre datée du 17 juin 2008, fait droit à la demande de l'Appelant de se désister de ses deux plaintes contre le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) dans lesquelles il allègue une violation de l'article 37 du Code canadien du travail.

En raison de ce qui précède, nous vous soumettons respectueusement qu'il est maintenant clair que l'Appelant ne sera pas réintégré dans son emploi au sein d'Air Canada et qu'en conséquence, la question soulevée dans le dossier en titre est purement théorique.«

[29] Était annexée à la lettre de M. McCrory une lettre émanant du Greffier principal du Conseil adressée à Dominique Tremblay, laquelle faisait état du fait que le Conseil avait fait droit à la demande de désistement que ce dernier avait transmise au Conseil le 16 juin 2008.

[30] Suite à ce qui précède et sur instruction du soussigné, une lettre a été transmise à l'appelant le 25 juin 2008 (copie à l'autre partie) recherchant confirmation de son désistement. M. Tremblant y a donné réponse le 2 juillet suivant en produisant le texte de sa demande de désistement au Conseil, y compris les motifs de ladite demande, qu'il a annexé à sa lettre au tribunal. Dans la lettre en question, il s'objecte en premier lieu à ce que je prenne en considération ledit désistement puisque l'instruction de l'appel serait terminée et que la cause serait en délibéré, et en second lieu en réitérant sa prétention selon laquelle son congédiement, survenu quelques jours avant le début de l'instruction de la présente affaire, constituerait un violation de l'article 147 du Code. Il reprend également sa prétention selon laquelle il aurait subi au travail du harcèlement psychologique dont l'employeur serait en partie responsable et que le fait de « faire reconnaître la violence psychologique (dans son cas) par le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada , fait partie intégrante du processus de guérison ».

[31] J'ai également pris connaissance des divers motifs et explications que M. Tremblay a offert au Conseil pour motiver sa demande de désistement, et bien que de façon générale, ces motifs ne soient pas expressément pertinents à la décision que je dois rendre dans la présente affaire, je ne peux m'empêcher de constater qu'à bien des égards, M. Tremblay y reprend plusieurs des éléments de son témoignage devant moi. Il en est un toutefois qui ne peut échapper à ma considération puisqu'il touche directement à la question de la nature théorique du pourvoi de M. Tremblay en appel de la décision de l'agent de santé et sécurité relativement à son refus de travail. Il importe de rappeler que la plainte auprès du Conseil qui est directement reliée à cette question et qui en fait est centrale à ma décision de réserver ma décision sur cette nature théorique du pourvoi, concerne le grief de M. Tremblay à l'encontre de son congédiement et la prétention que son syndicat aurait manqué à son obligation de représentation loyale et équitable. J'ai décidé de réserver ma décision sur cette question en raison de la possibilité, aussi lointaine fut-elle, que si la plainte de M. Tremblay était reçue par le Conseil, la possibilité pouvait être envisagée, tel que l'a reconnu la partie intimée en l'instance, que M. Tremblay puisse être réintégré dans son emploi. Or, dans sa demande de désistement, lequel fait à toutes fins pratiques disparaître cette possibilité, M. Tremblay écrit ce qui suit au Conseil :

« Le deuxième grief, concernant mon congédiement, ne m'importe pas, puisque je ne compte pas retourner travailler dans cet endroit malsain. »

Décision sur la nature théorique du pourvoi

[32] Tel que mentionné précédemment, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Borowski (supra) se veut l'arrêt-phare concernant la détermination du caractère théorique d'un pourvoi. Dans ce jugement, l'honorable juge Sopinka explique clairement cette doctrine et son application. Ainsi, dans le jugé de la décision, on énonce :

« La doctrine relative au caractère théorique relève du principe général en vertu duquel un tribunal peut refuser de trancher une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Un appel est théorique lorsque la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Un litige actuel doit exister non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. Le principe général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer.

La démarche à suivre pour déterminer si le litige est théorique comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. Si c'est le cas, le tribunal décide alors s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. (Pour être précis, une affaire est « théorique« si elle ne présente pas de litige concret même si le tribunal choisit de trancher la question théorique).«

[33] Cependant, au-delà de la possibilité pour tout tribunal de conclure à la nature théorique d'un pourvoi et conséquemment de choisir de ne pas procéder à l'instruire et en décider au fond, la Cour reconnaît qu'un tribunal est toujours investi du pouvoir discrétionnaire de procéder au fond. Toutefois, l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit tenir compte des assises mêmes de la doctrine du caractère théorique. Sur ce point, la Cour en décrit les fondements dans Borowski :

« La première raison d'être de la politique en matière de causes théoriques tient à ce que la capacité des tribunaux de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire. Le contexte réellement contradictoire, dans lequel les deux parties ont un intérêt dans l'issue du litige, est un élément fondamental de notre système juridique. La deuxième raison tient à l'économie des ressources judiciaires qui oblige les tribunaux à se demander si, compte tenu des circonstances d'une affaire, il y a lieu de consacrer des ressources judiciaires limitées à la solution d'un litige devenu théorique. La troisième raison d'être de la doctrine tient à la nécessité pour les tribunaux d'être sensibles à l'efficacité et à l'efficience de l'intervention judiciaire et d'être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique. En exerçant son pouvoir discrétionnaire à l'égard d'un pourvoi théorique, la Cour doit tenir compte de chacune de ces trois principales raisons d'être. Il ne s'agit pas d'un processus mécanique. Il se peut que les principes ne tendent pas tous vers la même conclusion. L'absence d'un facteur peut prévaloir malgré la présence de l'un ou des deux autres, ou inversement. »

Même s'il est évident que le raisonnement ci-dessus vise le fonctionnement de la Cour suprême et, par extension peut être appliqué au fonctionnement de toute autre cour de justice traditionnelle, je suis d'avis qu'il peut et même doit trouver application dans le cas d'un tribunal administratif tel que le présent, et ce en raison de cette même nécessité d'être sensible à l'efficacité et à l'efficience de son intervention en regard d'une fonction juridictionnelle sans cesse grandissante des tribunaux administratifs dans notre structure politique.

[34] Tenant compte de ce qui précède, qu'en est-il de la présente affaire? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de noter les points suivants :

  • L'appelant Tremblay n'est plus à l'emploi de l'employeur Air Canada, et suite au retrait de sa plainte pour représentation déloyale devant le Conseil canadien des relations industrielles, il n'y a pas possibilité qu'il réintègre ses fonctions au sein de cet employeur. En conséquence, le fondement initial de sa qualité pour agir est disparu.
  • L'appelant n'a pas saisi le Conseil d'une plainte en vertu de l'article 133 du Code pour violation de l'article 147 de ladite loi et par conséquent, il n'y a pas possibilité que M. Tremblay puisse réintégrer ses fonctions chez Air Canada suite à une conclusion du tribunal qui lui serait favorable. Quant à la prétention de l'appelant à l'effet que le pourvoi qu'il exerce en appel devrait être assimilé à une telle plainte, elle n'a aucun fondement, et même si je devais arriver à une conclusion différente sur ce point, le texte même du Code me prive de toute compétence pour agir en lieu et place du Conseil.
  • Lors du désistement de sa plainte devant le Conseil, les documents fournis par l'appelant au tribunal indiquent clairement que peu importaient les résultats des procédures qu'il aurait pu initier, il n'avait aucune intention de chercher à retourner chez Air Canada.
  • Le litige à la base du présent appel et, par extension du refus de travail fait par l'appelant, est entièrement spécifique à M. Tremblay, concerne des circonstances qui lui sont propres, même si à certains égards ce dernier invoque les agissements de certains collègues de travail à son endroit, dont en particulier ceux d'une collègue, elle-même ayant quitté l'emploi chez Air Canada. Or suite à l'interruption du lien d'emploi entre Air Canada et M. Tremblay, interruption pouvant dorénavant être considérée comme permanente, il n'existe plus à mon avis de litige tangible et actuel entre ces parties, à tout le moins un litige où j'aurais compétence pour intervenir, ayant présent à l'esprit que l'exercice du droit de refus à l'origine de la présente instance est un droit personnel réservé aux employés d'un employeur et destiné à obtenir un redressement s'appliquant à l'employé s'en étant prévalu. En somme, le substratum du litige a effectivement disparu.
  • La spécificité des circonstances de cette affaire s'ajoutant à la disparition du lien d'emploi a comme conséquence qu'aucune mesure corrective valable ou utile n'est possible dans le cas de l'appelant dans le cadre du présent pourvoi. En outre, en raison de cette même spécificité factuelle, aucune mesure corrective à portée plus large ne saurait être formulée.
  • Le fait de caractériser de théorique le présent pourvoi n'aurait pas comme conséquence d'empêcher que les questions soulevées par la présente affaire puissent être considérées dans d'autres affaires dont les circonstances en rendraient la considération utile. J'ajouterai qu'une question soulevée par la présente affaire avait trait à la compétence de l'agent d'appel en matière de santé psychologique et que cette question a fait l'objet d'une décision préliminaire dans la présente affaire.
  • Finalement, étant donné les circonstances particulières de la présente affaire, je suis d'avis que rendre une décision sur le fond en l'instance n'aurait aucun effet concret sur les droits des parties, même en ne décidant pas du litige entre M. Tremblay et Air Canada, lequel est devenu aléatoire depuis la confirmation de la permanence du bris d'emploi.

[35] Considérant ce qui précède, je suis d'avis que le présent pourvoi en appel est théorique et que je ne dois pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour rendre une décision sur le fond. L'appelant n'a plus qualité pour continuer le pourvoi puisque les circonstances sur lesquelles sa qualité pour agir reposaient ont disparu.

[36] L'appel est en conséquence rejeté.

Jean-Pierre Aubre
Agent d'appel

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