Archivée - Décison: 09-010 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Dossier : 2008-03
Décision : TSSTC-09-010

John Radovich
appelant

et

Western Stevedoring
intimée

Le 31 mars 2009

La présente affaire a été tranchée par l'agent d'appel Katia Néron.

Pour l'appelant
Frank Morena, secrétaire-trésorier, International Longshore and Warehouse Union Ship and Dock Foremen, section locale 514

Pour l'intimée
Brian Whitfield, directeur, relations du travail, pour la British Columbia Maritime Employers Association

I - Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail

[1] La présente affaire concerne un appel interjeté le 13 février 2008 en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail (Code), par Frank Morena, secrétaire trésorier, International Longshore and Warehouse Union (International Longshore and Warehouse Union) Ship and Dock Foremen, section locale 514, pour le compte de John Radovich, un employé de Western Stevedoring, Vancouver (Colombie Britannique).

[2] L'appel a été interjeté à l'encontre de la décision d'absence de danger que l'agent de santé et de sécurité (ASS) Harvinder Singh de Transports Canada - Sécurité maritime, a rendue le 7 février 2008 au terme de son enquête sur le refus de travailler de J. Radovich exercé le même jour.

II - Résumé de la preuve

[3] La présente affaire a été tranchée sur la foi d'observations écrites.

[4] Voici un résumé des faits tirés des cinq documents produits par l'appelant et des quatre documents produits par l'intimée, dont des photographies soumises par les deux parties.

[5] Le 7 février 2008, J. Radovich travaillait à titre de contremaître principal pour Western Stevedoring au terminal de Lyntern West Seaboard dans le port de Vancouver Nord. Les employés qui travaillaient sous sa supervision devaient charger des paquets de bois d'œuvre hauts de vingt huit pouces à l'aide de chariots élévateurs à fourche sur le navire appelé M/V Skaugran.

[6] Le M/V Skaugran est un navire de type roulier 1 qui a été conçu expressément pour le transport de paquets de bois d'œuvre. Il effectue ce type de transport à partir de la Colombie Britannique depuis qu'il a été mis en service en 1979.

[7] La hauteur des paquets de bois d'œuvre transportés sur le navire varie de vingt huit à trente pouces. Les paquets de vingt quatre à vingt six pouces sont considérés comme appartenant à la variété plus basse. Les paquets de vingt sept à trente pouces de hauteur sont considérés comme appartenant à la variété plus haute.

[8] Chaque paquet de bois d'œuvre est placé sur une palette de bois de quatre pouces de hauteur dans laquelle l'on glisse la fourche du chariot élévateur pour ensuite élever et déplacer le paquet aux fins de son chargement.

[9] Le navire est doté d'une rampe que l'on abaisse sur le bassin en vue des activités de chargement. Ainsi, les conducteurs du chariot élévateur à fourche peuvent apporter leurs chargements directement sur le navire.

[10] Celui ci est doté de trois ponts et de trois rampes, qui permettent le chargement de cargaisons au moyen d'un chariot élévateur à fourche. Il est chargé de la proue (avant) à la poupe (arrière).

[11] De même, afin d'être maintenu à niveau pendant le chargement, le navire est doté d'un inclinomètre et d'un manomètre. L'inclinomètre sert à déterminer et à maintenir l'assiette du navire tandis que le manomètre sert à en déterminer la gîte. Le lest d'eau du navire est réglé de manière à en maintenir l'assiette et à en prévenir l'inclinaison pendant toute l'étape du chargement.

[12] Le chargement est effectué sur les trois ponts du navire. Huit paquets de bois d'œuvre sont empilés l'un par dessus l'autre, solidement attachés ensemble et maintenus en place, en bout de ligne, au moyen de câbles d'acier. Lorsque les ponts sont chargés à capacité, le bois d'œuvre est chargé sur les rampes. L'on peut accéder aux trois rampes par la poupe (arrière) du navire.

[13] La rampe 3 est une rampe fixe dont la pente ascendante est de 6,2 degrés, alors que les deux autres rampes ont une pente descendante. La pente ascendante de la rampe 3 pose le risque que les paquets de bois d'œuvre arrimés basculent.

[14] En outre, les sangles de plastique qui ceinturent chaque paquet de bois d'œuvre tendent à se rompre.

[15] Pour éliminer ces dangers, l'on a mis en place des pratiques qui ont été décrites à mon intention dans les termes suivants.

[16] Pendant que le chariot élévateur à fourche tient les paquets de bois d'œuvre en place, deux employés, que l'on dit responsables des blocs, placent un bloc de bois de quatre pouces par quatre pouces par douze pouces, appelé le « kicker », sous chaque côté du premier paquet. Ils répètent la même opération sous chacune des rangées de paquets de bois d'œuvre empilés sur la rampe afin que ceux ci penchent légèrement vers l'arrière sur la rampe. En outre, les employés sont avisés de s'écarter complètement de l'endroit après avoir placé les blocs de bois, avant que la fourche ne soit retirée et que le chariot élévateur à fourche ne se déplace, de manière que les responsables des blocs ne puissent être frappés par le celui ci.

[17] De plus, aucun bloc de bois - fait de bois de noyau dur - n'est utilisé plus d'une fois.

[18] Par ailleurs, lorsque les employés remarquent la présence de sangles brisées sur les chargements qui se trouvent encore sur le bassin, ils les remplacent par des bandes de métal avant que les paquets ne soient déplacés.

[19] Au moment du refus de travailler, les chariots élévateurs à fourche utilisés pour effectuer le chargement pesaient 30 000 livres avec les mâts qui servent à protéger les conducteurs.

[20] Pendant l'année qui a précédé le 7 février 2008, il est arrivé que six paquets de bois d'œuvre hauts de trente pouces chacun soient chargés l'un par dessus l'autre sur la rampe 3 du M/V Skaugran ou un même type de navire.

[21] Il n'y a eu aucun rapport d'incident signalant qu'un bloc se serait brisé ou qu'un chargement serait tombé pendant les activités de chargement. Personne n'a signalé non plus que des conducteurs de chariot élévateur à fourche se seraient blessés en raison de la chute de chargements sur les rampes.

[22] Une évaluation des risques et des dangers concernant les billots, l'acier, le bois d'œuvre, la pâte et le papier, et les marchandises générales, a été effectuée en 2006, et les résultats de cette évaluation sont contenus dans un document publié en 2007, intitulé [TRADUCTION] « Guide des procédures normales d'arrimage ». Des représentants syndicaux et les entreprises d'arrimage ont participé à l'élaboration de ce document. Les sections locales de l'International Longshore and Warehouse Union et du Canadian Longshore Union ont pris part à l'évaluation, alors que la section locale 514 des Foremen s'est gardée d'y participer.

[23] Le guide susmentionné énonce à la section 7.3, sous le titre « Discussions sur la sécurité de l'arrimage du bois d'œuvre sur les navires », que le contre maître doit passer en revue les questions de sécurité au début de chaque quart de travail. Ce document a été mis en application et distribué à tous les contremaîtres de Western Stevedoring.

[24] Le guide ne formule cependant aucune procédure de sécurité propre au chargement par roulage sur une rampe dont la pente est ascendante, comme la rampe 3 du M/V Skaugran. Il n'offre non plus aucun renseignement spécifique sur les matériaux, comme les sangles de plastique, qui doivent faire l'objet d'une vérification avant que ne soient entreprises les activités de chargement, ni ne précise t il la hauteur maximale à laquelle les paquets peuvent être empilés sur la rampe pour assurer la stabilité du chargement compte tenu des conditions dans lesquelles cette activité est menée.

[25] La section 7 du guide susmentionné renvoie aux activités de chargement par roulage; elle est libellée en partie dans les termes suivants :

7.3 Objectif des discussions sur la sécurité de l'arrimage du bois d'œuvre sur les navires

écoutez les instructions du contremaître de la cale ou gardien de cale

lorsque vous travaillez sur une péniche, vous devez porter un vêtement de flottaison individuel (VFI) à haute visibilité.

Vous devez porter en tout temps un habillement à haute visibilité.

attention - Faites attention aux câbles et au matériel de levage (têtes de levage, tendeurs, têtes de câble, amarrages, etc.). des blessures graves pourraient s'ensuivre.

[…]

lorsque vous vous déplacez sur une cargaison, faites attention à l'endroit où vous vous tenez ou marchez, évitez les espaces vides entre les paquets de bois d'œuvre et les surfaces inégales (vous pourriez glisser, tomber ou perdre pied).

faites attention lorsque vous regroupez et (ou) formez de nouveau des paquets de bois d'œuvre. surveillez les points de traction.

[…]

[…] 7.4.1.4. Le contremaître principal du navire ou le contremaître de cale doit tenir des discussions sur la sécurité avec son équipage de cale en vue de renforcer les pratiques de travail sécuritaires tout au long du quart de travail (p. ex. éviter les espaces vides entre les paquets de bois d'œuvre de même que les points de traction, se tenir loin du danger, accéder à différents niveaux de la péniche, etc. Se reporter à 7.3.

[…] 7.4.2.15. Pour les rouliers, les travailleurs reçoivent des instructions du contremaître de pont (p. ex. configuration du trafic/congestion du matériel roulant, mise en place de baguettes ou de blocs, érection de rangées stables 2 - mise en place de blocs sur le pont de chaque rangée, profil de charge, fait de se tenir loin du danger 3 et installation de chaînes au besoin).

[…] 7.4.3.3. Les travailleurs doivent être conscients de ce qui les entoure (p. ex. les trajets des cargaisons qui sont élevées sur le navire, les trajets des chariots élévateurs qui assemblent des chargements, etc.).

[…] 7.4.5 Chariots élévateurs / Conducteurs de camions de bois d'œuvre - rouliers

[…] 7.4.5.2. Pour les rouliers, les travailleurs reçoivent des instructions du contremaître de pont (p. ex. configuration du trafic et congestion du matériel roulant, mise en place de baguettes/blocs, érection de rangées stables, mise en place de blocs sur le pont de chaque rangée, profil de charge, fait de se tenir loin du danger/de l'endroit. Hauteur maximale des chargements sur les voies d'évitement : trois).

7.4.5.3. Les conducteurs de chariots élévateurs et de camions de bois d'œuvre reçoivent leurs instructions du contremaître de pont concernant le rangement des paquets de bois d'œuvre et l'érection de rangées stables. […]

[26] Avant d'entreprendre les activités de chargement sur la rampe 3, J. Radovich avait reçu l'ordre de son superviseur, P. Vieweg, surintendant, d'ordonner aux employés d'arrimer le bois d'œuvre six paquets l'un par dessus l'autre sur cette rampe. J. Radovich a refusé d'obtempérer parce qu'il avait toujours chargé sur la rampe 3 cinq paquets de bois d'œuvre de la variété la plus haute l'un par dessus l'autre et, pour la variété la plus basse, six paquets l'un par dessus l'autre. Il a cru que s'écarter de la pratique de chargement susmentionnée augmenterait le risque que le bois bascule, ce qui était susceptible de causer des blessures aux employés ou quiconque se trouverait près de l'endroit où était effectué le chargement. Dans une déclaration datée du 8 février 2008 et déposée par l'appelant, J. Radovich a expliqué davantage le danger potentiel :

  • Placer les blocs de bois dur de quatre pouces par quatre pouces par douze pouces directement sous les sangles de plastique qui ceinturent le premier paquet de chaque pile de paquets de bois d'œuvre exercerait sur les sangles de plastique une pression qui, combinée au froid qui sévissait alors, créerait une probabilité que le bois bascule.
  • En outre, compte tenu de la demande de l'employeur que les paquets de bois d'œuvre soient empilés plus haut, l'angle de projection limité des rangées de bois d'œuvre à l'arrière de la rampe 3 comparativement à l'angle naturel des deux autres rampes et le fait que les paquets de bois d'œuvre chargés avaient diverses hauteurs, longueurs et largeurs et qu'ils étaient coupés sur mesure, pourraient accroître la probabilité que les blocs de quatre pouces par quatre pouces par douze pouces ou les sangles de plastique se brisent et que le bois d'œuvre emballé se renverse sur la rampe et frappe le chariot élévateur à fourche ou, pire encore, le responsable des blocs au moment où ce dernier mettrait en place un bloc sous une pile de paquets de bois d'œuvre adjacente.

[27] Il a ajouté que le danger allégué, tel qu'il est décrit précédemment, devait être pris en compte à ce moment là et (ou) corrigé par l'employeur.

[28] Dans une autre déclaration soumise le 26 juin 2008 en réponse à une série de questions posées par l'agent d'appel (lettre datée du 19 juin 2008), J. Radovich a déclaré qu'il arrivait que les conducteurs de chariot élévateur à fourche n'aient pas suffisamment d'expérience ou de formation pour effectuer les activités de roulage aux fins de charger le bois d'œuvre emballé aux quais de Vancouver et de Fraser Surrey. Néanmoins, a t il déclaré les conducteurs qui utilisaient les chariots élévateurs à fourche à ce moment là étaient expérimentés dans l'exécution des activités de chargement.

[29] Dans la même déclaration, cependant, J. Radovich a admis éprouver des réserves concernant l'entretien, l'utilisation et l'opération des chariots élévateurs à fourche et concernant l'interaction entre les employés chargés de mettre les blocs de bois en place et les conducteurs de chariot élévateur à fourche lorsqu'ils travaillaient dans un espace restreint.

[30] À ce moment là, J. Radovich comptait approximativement vingt années d'expérience à titre de superviseur dans le secteur de la manutention de produits forestiers et dans le domaine d'activités.

[31] P. Vieweg est devenu contremaître chez Western Stevedoring en 1971. Au cours des 37 dernières années, il a travaillé à titre de contremaître, de contremaître principal suppléant et de contremaître principal. Il est devenu surintendant de navire chez Western Stevedoring en 2006.

[32] J. Radovich et P. Vieweg ont tous deux déclaré qu'ils possèdent de l'expérience de travail sur l'empilage sécuritaire du bois d'œuvre.

[33] Compte tenu de l'expérience respective de J. Radovich et de P. Vieweg, j'accorde à leurs déclarations beaucoup de poids et de crédibilité.

[34] En réponse au refus de J. Radovich d'ordonner aux employés d'effectuer le chargement sur la rampe 3, P. Vieweg lui a dit de prendre en charge le chargement sur la rampe 1 jusqu'à ce que l'affaire puisse être réglée. Il a ensuite communiqué avec le vice président des opérations pour discuter de l'affaire. Par la suite, il a informé J. Radovich que, puisque la question ne pouvait être réglée, la décision avait été prise de faire venir un ASS de Transports Canada - Sécurité maritime, pour faire enquête.

[35] À son arrivée sur les lieux, l'ASS Singh a inspecté l'endroit où les activités de chargement avaient été menées. Il s'est ensuite rendu au bureau du navire, où il a conféré avec P. Vieweg, J. Radovich et F. Morena, avant de prendre sa décision.

[36] L'ASS Singh a déterminé qu'il n'y avait aucun danger pour les employés compte tenu des conclusions suivantes :

  • La pente ascendante de la rampe 3 n'était pas supérieure à dix degrés. De l'avis de l'ASS Singh, elle était donc sécuritaire.
  • Le navire était équilibré par l'avant de manière à maintenir l'angle de la pente sur la rampe à un minimum.
  • Le quai était suffisamment solide.
  • Quoi qu'il en soit, il neigeait et le sol était mouillé, mais le quai était protégé et recouvert d'un grillage, de sorte qu'il n'était pas glissant.
  • De l'avis de l'ASS Singh, le conducteur du chariot élévateur à fourche ne court pas le risque que le chargement se renverse, puisque celui ci est élevé et placé sur le dessus par le chariot élévateur à fourche à un angle très limité.
  • Le navire a été conçu et certifié.
  • Le navire a été chargé à d'autres plateformes de service à une hauteur maximale beaucoup plus élevée que les cinq paquets de bois d'œuvre empilés l'un par dessus l'autre.

III - Résumé des observations

A) Observations de l'appelante

[37] J'ai retenu les éléments suivants des observations écrites produites par F. Morena, pour le compte de J. Radovich.

[38] F. Morena soutient que la décision de l'ASS Singh d'intervenir dans le dossier ne tient pas compte du fait qu'il (l'ASS) a été informé que les paragraphes 127.1(1) à 127.1(11) du Code, qui énoncent le Processus de règlement interne des plaintes, n'avaient pas été suivis par l'employeur, de sorte qu'il était trop tôt pour que l'agent de santé et de sécurité puisse mener son enquête.

[39] F. Morena soutient également que les droits de M. Radovich ont été mis en échec par l'employeur lorsque celui ci a choisi unilatéralement de faire venir Transports Canada - Sécurité maritime directement plutôt que d'essayer d'abord de régler la question en en saisissant le comité de santé et de sécurité au travail.

[40] M. Morena a ensuite renvoyé au point 10 du rapport d'enquête de l'ASS Singh, appendice B, où l'on peut lire ceci :

[TRADUCTION] Personne accompagnant l'agent de santé et de sécurité : aucune.

[41] Compte tenu de cette déclaration, a t il ajouté, il fallait conclure que la décision de l'ASS Singh reposait uniquement sur ses propres observations, puisqu'il avait effectué seul l'inspection du lieu du chargement. De l'avis de M. Morena, en effectuant son enquête de cette manière, l'ASS Singh n'a pas examiné correctement les préoccupations de J. Radovich en cause à ce moment là. Il a fait valoir qu'en n'acceptant ou en n'examinant pas les observations de J. Radovich fondées sur sa vaste expérience comme contremaître d'arrimage et en ne demandant aucune expertise, ainsi qu'il y était tenu pour prendre suffisamment connaissance de tous les facteurs en cause, l'ASS Singh n'a pas appliqué un critère équilibré avant de prendre une décision.

[42] M. Morena a ajouté que le rapport d'enquête de l'ASS Singh n'offre aucune explication sur la manière dont il en est arrivé à ses conclusions et sur le fondement de sa décision d'absence de danger. Ainsi, comment a t il déterminé que l'angle de la pente sur la rampe 3 était sécuritaire en ce qui concerne l'activité de chargement en cause, ou comment le fait que l'assiette du navire était réglée par l'avant avait il pour effet de maintenir la pente de la rampe 3 à un minimum, ou quel était l'angle - pente descendante ou ascendante - des autres plateformes de service sur lesquelles plus de cinq paquets de bois d'œuvre avaient été arrimés l'un par dessus l'autre?

[43] F. Morena a déclaré également que l'ASS Singh n'avait pas expliqué la raison pour laquelle il avait conclu que le bois d'œuvre emballé ne se renverserait pas ni ne mettrait en danger les employés. De l'avis de F. Morena, l'angle de la pente de la rampe 3 sur le navire M/V Skaugran est substantiel, ce qui signifie que plus les paquets de bois d'œuvre sont empilés haut, plus ils sont instables et plus il est probable que la pile se renverse sur le conducteur du chariot élévateur à fourche ou sur le responsable des blocs qui est en train de mettre des blocs en place sur cette rampe.

[44] De l'avis de F. Morena, l'ASS Singh a omis de prendre en considération dans sa décision également les divers types de produits de bois d'œuvre emballés qui sont empilés, la manière dont ils doivent être empilés, la question de savoir si une hauteur limitée de la pile de bois d'œuvre emballé était déterminée, ainsi que la question de savoir si des pratiques de travail écrites sur la sécurité étaient en place ou s'il avait été contrevenu aux pratiques de travail de l'industrie.

[45] En ce qui concerne l'employé qui a allégué l'existence d'un danger que les sangles de plastique se rompent, F. Morena a renvoyé à la déclaration de P. Vieweg, produite le 3 avril 2008. Dans cette déclaration, P. Vieweg affirme ceci : [TRADUCTION] « Il arrive souvent que les sangles de plastique qui ceinturent le bois d'œuvre se rompent ». F. Morena a déclaré qu'il est vrai que les sangles de plastique tendent à se rompre, et que cela explique pourquoi celles qui sont brisées sont remplacées par des bandes d'acier. Il a ajouté qu'il n'y a aucune mention dans le rapport d'enquête de l'ASS Singh que ce dernier a fait l'inspection des sangles ceinturant les paquets de bois d'œuvre.

[46] De même, M. Morena soutient que, dans sa décision, l'ASS Singh a omis de prendre en considération la définition de danger, énoncée dans le Code, qui soulève la question de savoir si une tâche existante ou éventuelle est susceptible de causer des blessures. Il a ensuite déclaré que l'ASS Singh avait commis une erreur en limitant le danger à la situation factuelle en cause alors, de sorte qu'il avait pris la décision de ne pas appliquer correctement le paragraphe 122(1). À l'appui de ces arguments, F. Morena s'est reporté à la jurisprudence suivante :

  • Verville c. Canada (Services correctionnels) ;4
  • C. Brazeau, B. Martin, B. Thoms, B. Woods, A. Ozga et P. Gour et CAW -Canada c. Securicor Canada Ltd.5

[47] Il a ajouté que, dans sa décision, l'ASS Singh ne prend pas en considération l'article 122.2, qui porte sur les mesures de prévention que l'employeur doit mettre en œuvre pour prévenir les accidents et les blessures aux employés, lequel est l'objectif véritable du Code. F. Morena a déclaré que même si jamais personne n'a été blessé en effectuant le travail en suivant la méthode de travail établie par l'employeur, cela ne prouve pas qu'il n'existait aucun danger au sens du Code au moment du refus de travailler, surtout compte tenu du fait qu'aucune procédure de sécurité écrite n'a été élaborée par l'employeur pour l'activité en question afin d'informer et de renseigner les employés. Il s'est ensuite reporté à la disposition du Code qui en énonce l'objet et à l'affaire R. c. Chrima Iron Works Ltd 6, plus particulièrement aux paragraphes 32, 39 et 43.

[48] En ce qui concerne également la décision susmentionnée, F. Morena a déclaré que la responsabilité qu'encourt un employeur à l'égard des contraventions en matière de santé et de sécurité au travail repose sur des actions et des omissions spécifiques, et non sur son rendement général passé. Prétendre qu'il n'y a aucune preuve que des blessures ont probablement été subies revient, de l'avis de F. Morena, à prétendre qu'un dossier sans tache de conformité et l'absence d'incidents de sécurité pourraient être le fruit d'un pur hasard. En d'autres termes, d'après M. Morena, un dossier apparemment sans tache ne fait pas la preuve d'une diligence raisonnable.

B) Observations de l'intimé

[49] Je retiens ce qui suit des observations formulées par Brian Whitfield pour le compte de Western Stevedoring.

[50] B. Whitfield a fait valoir qu'en refusant d'ordonner aux employés d'empiler le bois d'œuvre sur la rampe 3 plus de cinq paquets l'un par dessus l'autre, J. Radovich a en fait refusé de faire son travail et, en conséquence, a bel et bien exercé son droit de refuser de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code.

[51] Il a ajouté qu'aux termes du paragraphe 127.1(1), les droits conférés par les articles 128, 129 et 132 constituent une exception à l'article 127.1.

[52] Il a fait valoir en outre que, lorsqu'il s'est présenté au lieu de travail, l'ASS Singh a exigé la présence d'un représentant syndical avant de prendre une décision. C'est pourquoi F. Morena, un représentant syndical en matière de santé et de sécurité, était alors sur les lieux et a eu l'occasion de présenter des observations sur la manière dont les activités en cause étaient dangereuses.

[53] B. Whitfield a déclaré que la question était très simple et que, de toute évidence, elle n'avait pu être réglée à ce moment là avec l'aide de F. Morena. C'est pourquoi la décision a été prise d'appeler Transports Canada - Sécurité maritime directement et l'ASS Singh a mené correctement son enquête avant de prendre une décision.

[54] En ce qui concerne le fait qu'aucune procédure de sécurité écrite ne s'appliquait expressément à l'activité de chargement par roulage effectuée sur une rampe ayant une pente ascendante, B. Whitfield a déclaré que les procédures écrites en place reposaient sur des évaluations du danger visant tous les dangers qui découlent d'activités de roulage ainsi que d'autres activités, et qu'elles étaient le fruit de consultations tenues avec l'International Longshore and Warehouse Union, à l'exception de la section locale 514, qui avait choisi de ne pas y participer. Il a déclaré également qu'aucun danger précis concernant le chargement de six paquets l'un par dessus l'autre sur la rampe en question n'avait été relevé dans le cadre de ce processus.

[55] B. Whitfield a présenté également une déclaration du surintendant P. Vieweg, datée du 27 juin 2008. Dans cette déclaration, P. Vieweg affirme ce qui suit :

[TRADUCTION] […] La procédure de chargement de six paquets l'un par dessus l'autre sur la rampe n'est pas une procédure écrite, mais une pratique qui a été mise en place il y a plus de 20 ans. Les entreprises d'arrimage ont établi cette pratique en conjonction avec les subrécargues des propriétaires de navires et le personnel naviguant, et ont depuis effectué plusieurs chargements. Elle a été élaborée et mise en place en toute sécurité au fil des années ainsi que le démontre le dossier sans tache d'absence de blessure. Les contremaîtres doivent chaque jour tenir des discussions sur les questions de sécurité avec les débardeurs avant que le quart de travail ne commence. En tout temps pendant le chargement, les contremaîtres doivent s'assurer qu'ils connaissent la procédure, ce qui signifie qu'aucun ouvrier ne doit être présent lorsque le conducteur du chariot élévateur à fourche retire la fourche de la palette, etc.

[56] B. Whitfield a fait valoir également que plus les paquets de bois d'œuvre sont empilés haut sur la rampe 3, moins il est possible qu'ils se renversent. Il a ensuite déclaré que les palettes de bois hautes de quatre pouces et les blocs de bois hauts de quatre pouces sous ces palettes créent une élévation de huit pouces à l'avant du chargement qui, à son avis, ne peut donc pencher vers l'avant sur la rampe. Il a déclaré également que l'on n'avait jamais allégué l'existence d'un danger relativement aux paquets qui étaient empilés cinq l'un par dessus l'autre. Grâce à l'ajout d'un autre paquet, le poids de la pile est accru et, comme cette pile est légèrement penchée vers l'arrière, les forces de la gravité font en sorte qu'elle risque encore moins de basculer vers l'avant. Pour appuyer ces arguments, il s'est reporté à la déclaration de P. Vieweg datée du 3 avril 2008. Dans sa déclaration, P. Vieweg dit également ceci :

[TRADUCTION] […] Il y a en fait moins de chance que le chargement bascule sur la rampe lorsqu'il compte six paquets que s'il en contient cinq, car la pile penche légèrement vers l'arrière sur la rampe.

Le chargement sur la rampe est retenu par des câbles d'acier dans la partie inférieure de la rampe et, au bas de celle ci, il est fixé dans la partie inférieure au moyen de portes fermées, et maintenu fermement contre des piles de bois d'œuvre formées de huit paquets, au bas de la rampe.

[57] B. Whitfield a aussi fourni des photographies. Cependant, sur ces photographies, ainsi que l'a admis B. Whitfield, il est difficile d'obtenir un relèvement sur la rampe par rapport au niveau.

[58] En ce qui concerne les préoccupations de J. Radovich relativement à l'entretien, à l'utilisation et à la manipulation de l'équipement de manutention des matériaux et à l'interaction entre les employés qui placent les blocs de bois et le conducteur du chariot élévateur à fourche, B. Whitfield déclare que ne se pose encore aujourd'hui aucune question relativement à ces préoccupations et que la question n'a pas été soulevée pendant le refus de travailler. Il a ensuite souligné que la seule question soulevée par J. Radovich à ce moment là, comme on peut le voir dans sa première déclaration datée du 8 février 2008, était le risque que le bois d'œuvre bascule.

IV) Motifs

A) Question en litige

[59] La question qu'il faut trancher dans la présente affaire est celle de savoir si l'ASS Singh a commis une erreur en déterminant qu'il n'existait aucun danger au moment du refus de travailler de l'employé.

[60] Pour ce faire, je devrai déterminer si l'empilage de six paquets de bois d'œuvre de vingt huit pouces l'un par dessus l'autre sur la rampe 3 a créé un danger pour les employés à ce moment là compte tenu du risque que ces paquets de bois d'œuvre basculent en raison, comme l'a allégué l'employé, de l'angle incliné du bois d'œuvre empilé sur la rampe ainsi que du risque que les blocs de bois se brisent et que les sangles de plastique se rompent en raison de la pression exercée sur celles ci, cela en conjonction avec le froid qui régnait à ce moment là. J'expliquerai plus loin dans la présente décision les motifs qui fondent mon opinion selon laquelle il s'agit là de la seule question qui doit être tranchée dans la présente affaire.

B) Analyse

[61] Pour répondre à l'observation de l'appelante, je dois premièrement déterminer si J. Radovich a exercé son droit de refuser de travailler à ce moment là ou formulé une plainte conformément au Code, puisqu'il semble régner une certaine confusion sur la question.

[62] Conformément au paragraphe 127.1(1) du Code, l'employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l'existence d'une situation constituant une contravention au Code ou qu'il est probable qu'un accident se produise ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l'occupation d'un emploi doit, avant de pouvoir exercer les recours prévus dans cette partie, à l'exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 du Code, adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique. L'employé et son supérieur hiérarchique doivent ensuite suivre le Processus de règlement interne des plaintes énoncé aux paragraphes 127.1(2) à 127.1(8). Le paragraphe 127.1(1) est libellé dans les termes suivants :

127.1(1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie - à l'exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 - , l'employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l'existence d'une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l'occupation d'un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.

[63] L'employé peut également, sous le régime du Code, exercer son droit de refuser de travailler dans une situation de danger en vertu du paragraphe 128(1). Cette disposition est libellée en partie dans les termes suivants :

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche s'il a des motifs raisonnables de croire que […] :

c) l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[64] En ce qui concerne les deux dispositions précitées, je suis d'avis que le droit de refuser de travailler exercé en vertu de l'article 128 se distingue du droit de présenter une plainte exercé en vertu du paragraphe 127.1(1). Ainsi que le prévoit le paragraphe 127.1(1), le droit conféré par l'article 128 est exclu de l'obligation créée par le paragraphe 127.1(1). En outre, lorsqu'un employé exerce son droit de refuser de travailler en vertu du paragraphe 128(1), c'est qu'il estime que l'accomplissement de la tâche - qui, de l'avis de l'employé constitue un danger - ne doit pas se poursuivre. Cela est différent du cas de l'employé qui présente une plainte en vertu du paragraphe 127.1(1). Dans une telle situation, le travail en cause continue d'être accompli, sauf lorsque l'enquête telle qu'elle est prescrite par cette disposition conclut qu'il existe un danger.

[65] J. Radovich a déclaré que, lorsque son surintendant lui a donné l'ordre d'ordonner aux employés d'arrimer six paquets de bois d'œuvre l'un par dessus l'autre sur la rampe 3, il a refusé d'obtempérer parce qu'il était d'avis que l'exécution de cette tâche sur la rampe en question n'était pas sécuritaire compte tenu du danger allégué tel qu'il a été décrit dans sa déclaration du 8 février 2008.

[66] Compte tenu de ce qui précède, il est clair que J. Radovich souhaitait que l'activité en cause soit interrompue au moment où l'ordre a été donné parce qu'il estimait que les employés tenus de l'exécuter de la manière requise par l'employeur couraient un danger.

[67] Je suis d'avis que, lorsqu'il a refusé d'obtempérer à l'ordre que lui a donné son surintendant, J. Radovich a effectivement exercé son droit de refuser de travailler en vertu de l'article 128.

[68] À l'égard de cette disposition, le Code prescrit également un processus de refus de travailler qui diffère du Processus de règlement interne des plaintes énoncé aux paragraphes 127.1(2) à 127.1(8). Ce processus est décrit dans les termes suivants.

[69] Dès qu'il est informé du refus de travailler d'employé, et s'il estime lui aussi qu'un danger existe, l'employeur doit, en vertu du paragraphe 128(8) du Code, prendre des mesures immédiates pour protéger les employés contre le danger et en aviser le comité de santé et de sécurité au travail ou le représentant de l'affaire et de la mesure prise pour le régler.

[70] Si, par contre, le dossier n'est pas réglé, l'employeur doit, conformément au paragraphe 128(10) du Code, dès qu'il est informé du refus continu de l'employé de travailler, suivre le processus suivant :

128(10) […] fait enquête sans délai à ce sujet en la présente de l'employé et […] :

  1. d'au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;
  2. du représentant;
  3. lorsque ni l'une ni l'autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n'est disponible, d'au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l'employé.

[71] Conformément au paragraphe 128(13) du Code, au terme de l'enquête susmentionnée et uniquement si l'employeur conteste l'existence d'un danger tel qu'il a été signalé par l'employé - ou après avoir pris des mesures pour protéger les employés contre le danger et être informé que l'employé continue de croire que le danger existe et continue de refuser de travailler - l'employeur doit alors porter la question à l'attention d'un agent de santé et de sécurité pour que ce dernier puisse faire enquête. Le paragraphe 128(13) est libellé comme suit :

128(13) L'employé peut maintenir son refus s'il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d'exister malgré les mesures prises par l'employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu'il est informé du maintien du refus, l'employeur en avise l'agent de santé et de sécurité.

[72] L'enquête de l'agent de santé et de sécurité doit être effectuée ainsi qu'il est prévu au paragraphe 129(1) du Code, dont le libellé est reproduit ci après :

129(1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l'agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l'employeur, de l'employé et d'un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l'employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

[73] Le paragraphe 129(3) du Code prescrit cependant ce qui suit :

129(3) L'agent peut procéder à l'enquête en l'absence de toute personne mentionnée aux paragraphes (1) ou (2) qui décide de ne pas y assister.

[74] Selon la preuve, après avoir été informé par J. Radovich de son refus de travailler et après avoir porté l'affaire à l'attention du vice président aux opérations, l'employeur a décidé d'appeler Transports Canada - Sécurité maritime plutôt que d'enquêter d'abord sur le dossier. En adoptant cette voie, je suis d'avis que l'employeur n'a pas suivi le processus prescrit par le paragraphe 128(10). Pour cette raison, l'ASS Singh aurait dû demander à l'employeur de se conformer à la disposition en question avant d'effectuer sa propre enquête. Ainsi, il aurait pu simplement aviser l'employeur de le rappeler si le dossier n'était pas réglé au terme de l'enquête prévue au paragraphe 128(10).

[75] La preuve démontre aussi que l'ASS Singh n'a pas effectué son enquête en la présence des personnes énumérées au paragraphe 129(1) du Code. En ce qui a trait à cette disposition, je suis d'avis que l'enquête de l'agent de santé et de sécurité doit être effectuée, du début à la fin, en la présence de toutes les personnes mentionnées dans la disposition, sauf si ces personnes choisissent de ne pas y assister.

[76] Nonobstant ce qui précède, au terme de son enquête, l'ASS Singh a rendu une décision d'absence de danger en vertu du paragraphe 129(7) du Code, et c'est de cette décision dont je suis saisie aujourd'hui.

[77] Le paragraphe 146.1(1) du Code précise que lorsqu'un appel est interjeté en vertu du paragraphe 129(7), l'agent d'appel examine les circonstances de la décision rendue par l'agent de santé et de sécurité et les motifs sur lesquels elle repose. Cela signifie que mon enquête doit porter surtout sur les circonstances telles qu'elles existaient au moment du refus.

[78] Le 28 février 2008, J. Radovich a produit une déclaration dans laquelle il expliquait les raisons l'ayant amené à refuser de travailler le 7 février 2008. Dans sa déclaration datée du 26 juin 2008, il a mentionné trois autres points qui, soutient il, devaient être réglés. Ces trois autres points ont été formulés en réponse à une série de questions que j'ai posées et ils n'avaient pas été mentionnés en février 2008, au moment du refus de travailler. Ils ne sont donc pas des questions qui doivent être tranchées comme tel dans le cadre du présent appel. Cependant, j'ai trouvé utiles les réponses à mes questions aux fins de bien comprendre l'activité de chargement qui est menée sur le type de navire en cause.

[79] Néanmoins, en raison de la gravité de ces trois autres préoccupations, je suggère fortement à l'employeur de mener une enquête sur celles ci avec la participation du comité de santé et de sécurité au travail. Je suis d'avis également que les pratiques qui sont déjà établies pour protéger les employés en réponse à l'une ou l'autre de ces préoccupations et à celles qui pourraient ressortir au terme de l'enquête susmentionnée, doivent être incorporées dans des procédures écrites.

[80] Compte tenu des motifs susmentionnés et en ce qui concerne la déclaration de J. Radovich datée du 8 février 2008, je suis d'avis que l'unique question qui doit être tranchée dans la présente affaire est celle de savoir si oui ou non le fait pour les employés d'empiler six paquets de vingt huit pouces de bois d'œuvre l'un par dessus l'autre sur la rampe 3 créait un danger à ce moment là compte tenu du risque que les paquets empilés sur cette rampe basculent en raison - ainsi que l'a allégué l'employé - de l'angle d'inclinaison du bois d'œuvre emballé sur la rampe et du risque que les blocs de bois tombent ou que les sangles de plastique se rompent en raison de la pression exercée sur celles ci, en conjonction avec le froid qui sévissait à ce moment là.

[81] Pour trancher cette question, je dois prendre en considération ce qui suit : la preuve, les dispositions législatives pertinentes et la jurisprudence qui s'applique.

[82] L'objet du Code, énoncé à l'article 122.1, est libellé dans les termes suivants :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions.

[83] En outre, l'article 122.2 du Code est libellé dans les termes suivants :

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l'élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d'équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d'assurer la santé et la sécurité des employés.

[84] L'obligation générale de tout employeur aux termes de l'article 124 du Code est de veiller également à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[85] En outre, le « danger » est ainsi défini au paragraphe 122(1) du Code : " Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, (...) - même si les effets sur (...) la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté (...) ou la tâche modifiée ".

[86] En ce qui concerne le critère qui s'applique pour établir la présence d'un danger existant ou éventuel au sens du paragraphe 122(1) du Code, la juge Gauthier, de la Cour fédérale, a dit ceci au paragraphe 36 de la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Juan Verville, précitée :

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n'exigent pas la preuve d'un délai précis à l'intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[87] Au paragraphe 32 de sa décision dans l'affaire Verville, précitée, la juge Gauthier a clarifié également les termes " éventuel " ou " tâche éventuelle " dans les termes suivants :

[32] Avec l'ajout de mots tels que " potential " (dans la version anglaise) ou " éventuel " et " tâche " , le Code ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l'employé refuse de travailler.

[88] De même, dans l'affaire Douglas Martin et Alliance de la fonction publique du Canada et procureur général du Canada 7, le juge Rothstein, de la Cour d'appel fédérale a dit ceci :

[37] Je conviens qu'une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu'on cherche à déterminer si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l'avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s'attendre à l'avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu'affirme le demandeur se produise plus tard.

[89] La juge Gauthier a déclaré également dans l'affaire Juan Verville, précitée, qu'il existe plus d'une manière d'établir que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'une situation cause des blessures. Au paragraphe 51 de sa décision, elle écrit ceci :

[51] Finalement, la Cour relève qu'il existe plus d'un moyen d'établir que l'on peut raisonnablement compter qu'une situation causera des blessures. Il n'est pas nécessaire que l'on apporte la preuve qu'un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d'expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l'expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l'opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d'une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[90] Compte tenu de ces décisions judiciaires susmentionnées et de la question à trancher dans la présente affaire, je suis d'avis que, pour conclure qu'un danger existait à ce moment là, il faut établir qu'il est non pas simplement possible, mais raisonnablement possible que le danger allégué, décrit par l'employé comme étant le risque que du bois d'œuvre tombe des piles sur la rampe 3 en raison de l'angle d'inclinaison du bois d'œuvre emballé sur la rampe en question, et que les blocs de bois tombent ou que les sangles de plastique se rompent - ce qui est raisonnablement susceptible de causer des blessures à une personne y étant exposée - se produise à l'avenir.

[91] La preuve établit que les mesures suivantes permettent d'atténuer les dangers susmentionnés.

[92] D'une part, les sangles de plastique qui se rompent sont remplacées par des bandes de métal avant le chargement.

[93] D'autre part, le danger que des paquets de bois d'œuvre basculent en raison de la pente ascendante de la rampe 3 est contenu par l'installation de blocs de bois de quatre pouces par quatre pouces par douze pouces sous chaque côté de chacune des piles de paquets de bois d'œuvre arrimé sur cette rampe. Il y a lieu de noter que chaque palette de bois haute de quatre pouces sur laquelle chaque paquet de bois d'œuvre est placé se trouve à la même hauteur à l'avant comme à l'arrière, de sorte qu'il existe une élévation réelle de quatre pouces seulement à l'avant de chaque pile de bois d'œuvre, contrairement à ce que B. Whitfield a déclaré. Cependant, aucune preuve n'a été produite pour me convaincre que l'insertion des blocs de bois n'est pas suffisante pour donner au chargement un angle de projection à l'arrière de la rampe 3 ou que cet angle d'inclinaison n'est pas suffisant pour assurer la stabilité du chargement sur cette rampe.

[94] De même, aucun des blocs de bois de noyau dur n'est utilisé plus d'une fois.

[95] En outre, le fait qu'aucun incident au cours duquel un bloc ou un chargement serait tombé n'a été signalé au fil des années où l'activité de chargement en question a été exécutée de la manière décrite montre que les mesures de prévention susmentionnées permettent de réduire le danger potentiel que le bois d'œuvre bascule sur la rampe 3 en raison de la pente ascendante de cette rampe ainsi que du fait que des blocs de bois se brisent ou que les sangles de plastique se rompent, comme l'allègue l'employé.

[96] Cependant, la preuve montre que ces mesures sont exécutées sur le fondement de pratiques établies et que celles ci ne sont pas incorporées dans des procédures écrites spécifiques. Je suis d'avis que des procédures écrites propres au chargement effectué sur la rampe 3 fourniraient l'assurance que la manière sécuritaire d'accomplir cette activité ne subirait aucun changement ni ne ferait l'objet d'un malentendu. À mon avis, l'on permettrait aussi d'assurer une protection maximale des employés et l'on se conformerait, ainsi que l'a indiqué F. Morena, à l'objectif des articles 122.1, 122.2 et 124 du Code. Néanmoins, il n'y a aucune preuve devant moi que les employés en général ou J. Radovich en particulier ignoraient l'existence de ces mesures. Au contraire, la preuve établit que ces mesures de précaution ont été prises à l'époque.

[97] La preuve établit également que les paquets hauts de vingt huit pouces de bois d'œuvre qui devaient être chargés sur la rampe 3 à ce moment là ont été chargés sur les ponts huit paquets l'un par dessus l'autre. Le fait d'empiler deux paquets de moins d'une même variété de bois d'œuvre avait rationnellement pour effet de réduire la pression exercée sur les sangles. Je crois donc que la pression exercée sur les sangles de plastique servant à attacher les paquets était moindre en ce qui concerne les paquets de bois d'œuvre devant être chargés au besoin six l'un par dessus l'autre sur la rampe 3, qu'elle ne l'était sur les sangles servant à attacher les paquets chargés sur les ponts dans les mêmes conditions de froid.

[98] En outre, l'on ne m'a présenté aucune preuve que les blocs de bois placés sous chaque pile de bois d'œuvre emballé et sous les sangles de plastique ceinturant le premier paquet étaient susceptibles d'accroître, en combinaison avec le froid, la pression exercée sur les sangles de plastique au point où celles ci risquaient de se rompre.

[99] En outre, il n'y a aucune preuve que les sangles de plastique étaient essentielles à la stabilité du chargement ni aucune preuve de la mesure dans laquelle elles ont contribué à maintenir chaque paquet ensemble dans les circonstances alléguées par l'employé.

[100] En l'absence d'une preuve convaincante contraire, je suis donc d'avis qu'il n'existait qu'une simple possibilité que l'empilage de six paquets de bois d'œuvre emballé l'un par dessus l'autre sur la rampe 3 à ce moment là aggrave le risque que le bois d'œuvre emballé bascule et constitue un danger au sens où l'entend le Code.

C) Décision

[101] Compte tenu des motifs qui précèdent, et ainsi que le prévoit le paragraphe 146.1(1) du Code, je confirme en conséquence la décision d'absence de danger de l'ASS Singh rendue le 7 février 2008.

Katia Néron
Agent d'appel


[1] note en bas de la page 1 Les navires rouliers ne sont pas des navires conventionnels avec cales. Ils sont plutôt dotés de ponts qui forment un entrepôt flottant permettant que les chariots élévateurs à fourche roulent à bord et débarquent pendant les activités de chargement.

[2] note en bas de la page 2 Une « rangée » est une pile de bois d'œuvre.

[3] note en bas de la page 3 En anglais, l'expression « staying out of the bight » est privilégiée dans la langue maritime courante et signifie « se tenir à l'abri du danger potentiel ». Cette mise en garde devrait s'appliquer aux travailleurs, qui doivent se tenir à l'écart lorsque le chariot élévateur retire la fourche pendant qu'il se trouve sur la rampe.

[4] note en bas de la page 4 Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767.

[5] note en bas de la page 5 C. Brazeau, B. Martin, B. Thoms, B. Woods, A. Ozga et P. Gour et TCA-Canada c. Securicor Canada Ltd., [2004] C.L.C.A.O.D.  52, agent d'appel Douglas Malanka, No de décision 04 049, 16 décembre 2004.

[6] note en bas de la page 6 R. c. Chrima Iron Works Ltd, [2007] O.J. 726, motifs du juge Rogerson.

[7] note en bas de la page 7 Douglas Martin et autre c. Procureur général du Canada, 2005 CAF 156.

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