Archivée - Décison: 09-012-S Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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PAR COURRIEL

Le 27 mars 2009

Nom du dossier : Agence de la santé publique du Canada c. Rino De Rosa

Dossier : 2009-02

M. Stéphan Bertrand
Justice Canada
Secrétariat du Conseil du Trésor - Services juridiques
L'Esplanade Laurier
300, avenue Laurier Ouest
5e étage, Tour Ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0R5

M. Bijon Roy
Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.
Bureau 1600, 220, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)
K1P 5Z9

Sujet : Demande de suspension de l'instruction donnée par l'agent de santé et de sécurité McKeigan le 17 décembre 2008

MM. Bertrand et Bijon,

Au terme de l'audience tenue le 26 mars 2009 sur la demande susmentionnée et compte tenu des arguments des parties, j'ordonne par les présentes la suspension de l'instruction jusqu'à ce que l'affaire soit entendue au fond et qu'une décision soit rendue par un agent d'appel.

Veuillez noter que des motifs de l'ordonnance suivront sous peu.

Richard Lafrance
Agent d'appel

c.c.: ASS McKeigan

Dossier : 2009-02 Décision : TSSTC-09-012(S)

Agence de la santé publique du Canada
appelante

et

Rino De Rosa
intimé

Le 8 avril 2009

La présente affaire a été tranchée par l'agent d'appel Richard Lafrance.

Pour l'appelante
Stephane Bertrand Avocat, Services juridiques, Secrétariat du Conseil du Trésor

Pour l'intimé
Bijon Roy Avocat, Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck

[1] Voici les motifs de la décision que j'ai rendue le 27 mars 2009, au terme d'une audience tenue la veille. Dans cette décision, j'ai ordonné la suspension de l'instruction donnée le 17 décembre 2008 par l'agent de santé et de sécurité (ASS) Bruce McKeigan.

[2] L'instruction visée par la demande de suspension a été donnée à l'Agence de la santé publique du Canada en vertu de l'alinéa 145(2) a) du Code canadien du travail (Code) par l'ASS McKeigan.

[3] Elle a été donnée au terme d'une enquête menée par l'ASS McKeigan sur une plainte déposée par l'intimé De Rosa sur des questions de santé et de sécurité qui se sont posées au complexe fédéral du pré Tunney à Ottawa.

[4] L'instruction donnée à l'Agence prévoit ceci :

[TRADUCTION] L'agent de santé et de sécurité soussigné considère que les employés sont en danger au travail :

Le dispositif anti refoulement dans la pièce 2407a se trouve dans une zone contaminée.

Par conséquent, en vertu de l'alinéa 145(2) a) de la partie II du Code canadien du travail, je vous donne par la présente l'instruction de prendre les mesures qui s'imposent pour corriger la situation qui constitue un danger.

[5] Une demande de suspension de l'instruction a été déposée en même temps que l'avis d'appel comme tel de l'instruction, qui a été déposé le 19 janvier 2009. Le Tribunal n'a pas traité de la demande de suspension à ce moment là parce que, dans le cadre d'une téléconférence qu'il a tenue avec les parties, ces dernières ont convenu de passer directement à l'étape de la tenue d'une audience sur le fond. Une audience a ensuite été prévue les 19, 20 et 21 mai 2009.

[6] Le 25 mars 2009, le demandeur a présenté une nouvelle demande de suspension de l'instruction, faisant valoir cette fois ci l'urgence de la situation, puisque l'ASS demandait que l'on se conforme à l'instruction au plus tard le 27 mars, à défaut de quoi il menaçait de prendre d'autres mesures. Une audience sur la plus récente demande a été tenue le 26 mars 2009. Le lendemain, j'ai accordé la suspension, en précisant que les motifs suivraient sous peu. Voici donc les motifs de mon ordonnance.

[7] Le demandeur a demandé que l'audience soit tenue à huis clos au motif que la substance de certains renseignements divulgués à l'audience pourrait avoir des répercussions sur le plan de la sécurité nationale. L'intimé ne s'y étant pas opposé, j'ai ordonné que l'audience soit tenue à huis clos et j'ai interdit expressément la divulgation de toute preuve produite et de toute observation présentée à l'audience. Cette interdiction visait également toute preuve découlant du témoignage de l'ASS McKeigan.

[8] Le paragraphe 146.(2) du Code prescrit ce qui suit :

146(2) À moins que l'agent d'appel n'en ordonne autrement à la demande de l'employeur, de l'employé ou du syndicat, l'appel n'a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[9] Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont je suis investi d'accorder une suspension, j'appliquerai le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Manitoba (procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd. [1987] 1 R.C.S. 110.

[10] Dans cette décision, la Cour a adopté un critère à trois volets applicable à l'égard soit d'une suspension, soit d'une injonction interlocutoire. Ces trois volets sont les suivants :

  1. Question sérieuse à juger.
  2. Préjudice irréparable.
  3. Prépondérance des inconvénients.

[11] Puisque je tire mon pouvoir du Code, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à permettre la réalisation de son objet, c. à d. la protection de la santé et de la sécurité des employés. J'ai par conséquent demandé aux parties de produire des observations sur un quatrième critère : Qu'est-ce que l'appelante a fait, plutôt que de se conformer à l'instruction, pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne contre le danger perçu?

Résumé de la preuve

[12] Le Dr John A. Lynch, directeur intérimaire, Bureau de la sécurité des laboratoires, a témoigné pour l'Agence. Il a témoigné sur la gravité du dossier, puisque celui ci concerne la santé et la sécurité des employés du laboratoire ainsi que celle du public dans la région de la capitale nationale

[13] Il a déclaré dans son témoignage que l'Agence travaille en collaboration avec la force policière locale, la GRC et d'autres agences gouvernementales fédérales et provinciales aux fins d'identifier des produits biologiques dangereux liés à des menaces proférées contre le grand public ou des édifices gouvernementaux ou ambassades situés dans la région de la capitale nationale. En outre, les responsabilités du laboratoire s'appliquent à l'égard d'une vaste portion de l'est de l'Ontario et de l'ouest du Québec. Il a indiqué également que le laboratoire fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Il a souligné que, compte tenu de la nature des produits concernés, leur délai de réponse doit être exceptionnellement court; en conséquence, la norme de service est fixée à deux heures.

[14] Il a reconnu que l'autre laboratoire de niveau trois de l'Agence est situé à Toronto, mais qu'il existe d'autres laboratoires privés de niveau trois dans la région. Il n'a pu cependant se prononcer sur leur capacité d'analyser tous les produits ou leur délai de réponse. Il a confirmé également qu'aucune entente n'a été conclue avec ces laboratoires aux fins d'offrir de l'aide au cas où il (le laboratoire de l'Agence) deviendrait non fonctionnel.

[15] Le Dr Lynch a confirmé que le laboratoire manipule des produits biologiques dangereux dont les effets sur la santé seraient dévastateurs et catastrophiques s'ils étaient libérés à l'extérieur du laboratoire.

[16] Le Dr Lynch a indiqué que le laboratoire est certifié en tant que laboratoire de biosécurité de niveau 3 et qu'il satisfait à toutes les directives sur le fonctionnement en toute sécurité des laboratoires.

[17] Il a déclaré dans son témoignage qu'après que l'instruction eut été donnée, ils ont mis en place des mesures de sécurité supplémentaires dans le but de protéger les employés, notamment en s'assurant que tous les employés qui travaillent au laboratoire portent un équipement de protection individuel, et en renforçant toutes les mesures de sécurité auprès de tous les employés jusqu'à ce que la situation soit résolue.

[18] En outre, le Dr Lynch a indiqué avoir consulté deux experts : un ingénieur de profession et le directeur national, Confinement des biorisques et sécurité, Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA). Cet organisme a pour mandat, a t il précisé, d'effectuer l'inspection matérielle des installations de confinement de niveaux 3 et 4, et de renouveler chaque année l'homologation des installations de confinement de niveaux 3 et 4. Le Dr Lynch a souligné que tous deux ont confirmé que le laboratoire était sécuritaire et qu'il satisfaisait à toutes les directives de sécurité applicables aux laboratoires. À la suite de cette consultation, le Dr Lynch a t il déclaré, le laboratoire a repris ses procédures de travail normales, quoique rigoureuses.

[19] L'ASS McKeigan a témoigné à ma demande. Il a dit avoir cru qu'un danger existait parce qu'il y avait un risque que la valve anti refoulement fonctionne mal et aspire de l'air provenant de la zone environnante, qui pouvait être contaminée par des produits biologiques dangereux.

[20] À cet effet, il a déclaré également avoir donné une instruction en vertu de l'alinéa 145(2) a) et, dans une lettre jointe à cette instruction, adressée à l'Agence, avoir demandé à l'employeur, conformément au paragraphe 145(8) du Code, de l'informer par écrit au plus tard le 23 décembre 2008 des mesures prises pour se conformer à l'instruction en question.

[21] L'ASS McKeigan a clarifié ses intentions en affirmant qu'au moment où il a donné l'instruction en question, il ne souhaitait pas fermer le laboratoire, mais il voulait plutôt que l'appelante lui présente un plan de ce qu'elle prévoyait faire pour corriger la situation ainsi qu'un calendrier d'exécution des travaux.

Analyse et décision

[22] Ainsi qu'il a été mentionné précédemment, j'appliquerai le critère à trois volets que la Cour suprême du Canada a énoncé, en y ajoutant le quatrième volet concernant la santé et la sécurité des employés.

[23] Le premier critère ne donne lieu à aucune contestation, les deux parties admettant qu'il ne s'agit pas d'une question frivole ou vexatoire et qu'il s'agit en réalité d'une question très sérieuse. Je suis d'accord avec elles; il est donc satisfait au premier critère.

[24] Les trois critères suivants portent sur le préjudice irréparable que l'appelante pourrait subir si la suspension n'était pas accordée, la prépondérance des probabilités et, enfin, ce que l'employeur a fait pour protéger les employés ou toute personne susceptible d'être exposée en attendant la résolution de l'affaire. Dans la présente affaire, il est à mon avis tout aussi difficile de saisir la mesure du préjudice que pourrait subir l'appelante que la mesure du danger auquel les employés sont exposés.

[25] Je crois que l'ASS était d'avis qu'il y avait danger et qu'il a donné une instruction à l'appelante en vertu de l'alinéa 145.(2) a), qui prévoit ceci :

145(2) S'il estime que l'utilisation d'une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l'accomplissement d'une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l'agent :

a) en avertit l'employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu'il précise, à la prise de mesures propres :

(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger.

[26] L'ASS McKeigan n'a pas indiqué cependant à quel moment il souhaitait que les mesures soient prises - soit immédiatement, soit à une date précise. Dans son témoignage, il a déclaré en fait qu'il souhaitait qu'on lui présente un plan de travail ainsi qu'un calendrier d'exécution des travaux.

[27] En outre, dans une communication tenue avec l'employeur le 24 mars 2009, soit plus de trois mois après avoir donné son instruction, l'ASS McKeigan a indiqué que l'employeur devait se conformer à l'instruction au plus tard le 27 mars 2009, à défaut de quoi il n'aurait d'autre choix que de prendre des mesures supplémentaires. Il n'a pas précisé davantage les mesures qu'il entendait prendre si l'Agence n'obtempérait pas. L'appelante, cependant, a cru que l'ASS avait voulu dire qu'il fermerait le laboratoire.

[28] L'audience ne m'a pas permis d'obtenir une indication claire et précise sur la nature des mesures que l'ASS prendrait dans un tel cas. Le Code confère cependant aux ASS de très vastes pouvoirs dans des situations de cette nature, comme l'article 145 du Code permet de le constater, et ces pouvoirs pourraient être interprétés comme s'appliquant à la fermeture de l'établissement.

[29] Si la décision de fermer le laboratoire était prise, le coût de réfection du laboratoire ou du temps d'arrêt ne doive pas être pris en considération dans la présente décision. La réputation du laboratoire et celle du gouvernement du Canada risquent cependant d'être ternies s'il y a urgence et que la situation ne peut être résolue rapidement du fait de la fermeture du laboratoire. Je crois également que, si le laboratoire était fermé pendant une certaine période, la population en général de la région en cause pourrait être en danger, car le délai de réponse lorsqu'il est question de produits biologiques dangereux est crucial. Cette situation me met néanmoins mal à l'aise, car il ne semble exister aucun plan d'urgence au cas où, pour quelque raison que ce soit, le laboratoire serait fermé à un moment donné. L'appelante devrait se pencher de près sur cette question.

[30] Néanmoins, le laboratoire tient des activités prévues qui pourraient être reportées si le laboratoire était fermé. Toutefois, le laboratoire est ouvert tous les jours, 24 heures sur 24, car personne ne sait à quel moment une situation urgente touchant des produits biochimiques ou une menace ou attaque bioterroriste peut se produire. À mon avis, l'organisme risquerait de subir un préjudice irréparable au chapitre de la fiabilité des services que le laboratoire rend à d'autres organismes. De plus, si une question biochimique devait se poser dans la région de la capitale nationale concernant une ambassade ou un dignitaire d'une nation étrangère, la population en général pourrait subir un préjudice irréparable.

[31] En outre, étant donné le pouvoir qui m'est conféré d'accorder ou de refuser la suspension, je dois déterminer si la santé et la sécurité des employés risqueraient d'être compromises dans un cas comme dans l'autre.

[32] Dans ses observations, B. Roy, au nom de l'intimé, a déclaré qu'il incombait à l'appelante de démontrer qu'il n'existe aucun danger. Il a affirmé que, dans ce cas ci, l'intimé n'avait à fournir aucune preuve qu'il existe un danger.

[33] La notion de danger est une question cruciale dans l'appel qui sera entendu le 19 mai. En conséquence, je ne peux commenter davantage sur cette question avant la tenue de l'audience sur le fond de l'affaire.

[34] Cependant, l'ASS McKeigan a cru à mon avis que, s'il avait existé un besoin urgent de corriger la situation qu'il avait cernée, il aurait donné une instruction en vertu des deux alinéas 145.(2) a) et b), qui prévoient ceci :

145.(2) S'il estime que l'utilisation d'une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l'accomplissement d'une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l'agent :

a) en avertit l'employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu'il précise, à la prise de mesures propres :

soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

soit à protéger les personnes contre ce danger;

b) peut en outre, s'il estime qu'il est impossible dans l'immédiat de prendre les mesures prévues à l'alinéa a), interdire, par instruction écrite donnée à l'employeur, l'utilisation du lieu, de la machine ou de la chose ou l'accomplissement de la tâche en cause jusqu'à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n'ayant toutefois pas pour effet d'empêcher toute mesure nécessaire à la mise en oeuvre des instructions

[35] J'en arrive plutôt à la conclusion que l'ASS McKeigan n'a précisé aucune date à laquelle il fallait se conformer à l'instruction, contrairement à ce que prescrit le Code. En outre, je conclus qu'il a attendu patiemment pendant plus de trois mois avant de contraindre l'employeur à se conformer à l'instruction. Par conséquent, je crois qu'il n'a pas traité la situation comme étant urgente.

[36] Donc, compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que la question à trancher est une question sérieuse et qu'il est raisonnablement possible que l'Agence subisse un préjudice irréparable si l'établissement est fermé. En outre, compte tenu de la nature de l'intervention de l'ASS, j'estime raisonnable de croire que la santé et la sécurité des employés ne seraient pas compromises par la suspension de cette instruction. Enfin, compte tenu de ce qui précède et selon la prépondérance des probabilités, l'appelante subirait davantage d'inconvénients que l'intimé.

[37] Ainsi que je l'ai mentionné dans l'ordonnance rendue le 27 mars 2009, j'ordonne la suspension de l'instruction jusqu'à ce que l'affaire soit entendue sur le fond et qu'une décision soit rendue par un agent d'appel.

Richard Lafrance
Agent d'appel

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