Archivée - Décison: 09-028 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Dossier : 2007-23
Décision : OHSTC-09-028

Code Canadien Du Travail

Partie II

Santé et sécurité au travail

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
(CN Rail)
appelante
et
Conférence ferroviaire Teamsters Canada
(CFTC)
intimée
et
James Poirier
intervenant

Le 21 juillet 2009

L’appel a été tranché par l’agent d’appel Jean-Pierre Aubre.

Pour l’appelante
Michael G. McFadden, avocat

Pour l’intimée
Mike Wheten, directeur législatif national, CFTC

Pour l’intervenant
James Poirier

[1] Le présent appel a été produit le 14 août 2007 par l’appelante, la société CN Rail, à l’encontre de trois instructions émises à l’appelante le 20 juillet 2007 par Brian L. Abbott, un agent de la santé et de la sécurité (ASS) désigné par le ministre du Travail en vertu du paragraphe 140(1) du Code canadien du travail (le Code) et rattaché à Transports Canada. M. Abbott a émis ces instructions à l’appelante à la fin de son enquête sur un accident ferroviaire survenu le 19 mars 2007 au triage Macmillan, une installation de CN Rail, plus précisément une subdivision de CN Halton, qui se trouve à Concord, en Ontario. Lorsque cet accident s’est produit, un employé de l’appelante, Michael Merson, a subi un accident invalidant très grave à son membre inférieur droit.

[2] Au cours de son enquête, l’ASS Abbott a conclu que l’appelante, qui était et qui demeure l’employeur de l’employé blessé, enfreignait à l’époque le Code relativement à trois chefs d’accusation, à savoir, le défaut d’évaluer le danger que représentait la conception des bottes d’hiver portées par l’employé blessé au moment de l’accident, le défaut d’avoir mis en place un plan adéquat de gestion de la fatigue et enfin, le défaut de fournir de l’information, des directives, de la formation et une supervision adéquate aux employés comme l’employé blessé, à savoir : un superviseur engagé dans l’exécution des tâches d’un employé d’exploitation. Ces instructions seront décrites de manière plus adéquate plus loin dans cette décision. Toutefois, avant de continuer, il est nécessaire à ce stade de clarifier la désignation de certaines des parties dans cette affaire, car elle diffère de ce qui avait été décidé dans une décision préliminaire rendue par l’agent d’appel soussigné le 31 juillet 2008.

Les parties

[3] Le dépôt initial de l’appel désignait clairement la partie appelante. Depuis que les trois instructions contestées dans le cadre du mécanisme d’appel prévu par le Code ont été transmises à l’employeur, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, il ne s’est posé aucune difficulté d’entrée de jeu à accepter ledit société employeur comme appelante bien désignée en l’espèce. Cependant, certaines difficultés sont survenues pour nommer adéquatement la partie ou les parties, s’il y a lieu, qui s’opposeraient ou pourraient s’opposer à l’appel, et ce essentiellement pour deux motifs.

[4] En premier lieu, Michael Merson, qui a subi la blessure grave à la suite de l’accident mentionné précédemment, était et est effectivement un employé de CN Rail qui travaillait alors comme coordonnateur de trains au triage MacMillan. Il s’agissait d’un poste de direction. Toutefois, au moment de l’accident, en raison d’une pénurie de membres du personnel d’exploitation, il exécutait les tâches du membre du personnel d’exploitation faisant partie de l’unité de négociation (chef de train), une unité de négociation dont les Travailleurs unis des transports (TUT) étaient alors l’agent négociateur accrédité. Lorsqu’ils ont été mis au courant de l’appel, les TUT ont informé le Tribunal qu’ils ne prendraient pas part à l’instruction de l’appel.

[5] En deuxième lieu, le degré de difficulté s’est aggravé dès le début du processus préparatoire menant à cette instruction lorsque M. Merson a d’abord informé le Tribunal qu’il [traduction] « participerait à cette affaire au nom du CN », puis lorsqu’il a affirmé que [traduction] « sa présence ne serait pas requise comme co-appelant » et qu’il participerait seulement comme témoin à l’instruction [traduction] « parce que les éléments de l’instruction ne s’adressaient pas à (lui) personnellement ». Deux autres parties ont cherché à se faire reconnaître comme parties à l’appel à titre d’intervenants et ont été autorisées à prendre part à l’instruction de l’appel dans une décision rendue par l’agent d’appel soussigné le 31 juillet 2008. Il s’agissait de M. James Poirier, à titre de coprésident (employés) du comité de santé et de sécurité au travail du triage MacMillan, et de la CFTC, à titre d’agent négociateur des mécaniciens de locomotive au triage MacMillan.

[6] Le 5 septembre 2008, avant la convocation de cette audience, le Tribunal a été informé par la CFTC qu’elle remplaçait le TUT comme agent négociateur accrédité des « chefs de train, agents de train, agents de triage et chefs de triage de Chemins de fer nationaux du Canada », l’unité de négociation à laquelle étaient rattachées les tâches qu’accomplissait M. Merson au moment de l’accident, et qu’elle voulait continuer à prendre part à l’instruction de l’appel. En conséquence, le soussigné a choisi de désigner la CFTC comme intimée dans cet appel et a préservé le statut d’intervenant de M. Poirier, statut qui lui avait déjà été accordé.

La situation

[7] Bien que les détails de la situation et les éléments et conclusions de l’enquête ayant été menée en conséquence de ladite situation seront présentés plus loin dans le compte-rendu des divers témoignages et du rapport d’enquête présenté à l’audience, un bref résumé de ladite situation permettra à ce stade de mieux comprendre l’affaire.

[8] Ainsi, le 19 mars 2007, dans les installations de l’appelant connues sous le nom de triage MacMillan, un employé de CN Rail a subi un accident du travail qui lui a occasionné une blessure grave. M. Michael Merson, superviseur du service ferroviaire (chef de triage ou coordonnateur de trains au terminal ferroviaire), accomplissait alors des tâches des membres du personnel d’exploitation parce qu’il manquait de ces employés. Il a subi un accident invalidant à son membre inférieur droit. Plus précisément, alors qu’il procédait à l’accouplement de wagons porte-rails avec un autre employé et qu’il tentait d’actionner le frein à main d’un wagon porte-rails en mouvement sur lequel il courait, M. Merson a perdu pied et n’a pu s’agripper à la poignée. Par conséquent, la roue de tête de ce wagon porte-rails a empiété sur sa jambe droite et l’a brisée à mi-chemin entre la cheville et le genou. Au moment de l’accident, M. Merson était contremaître de cette équipe de deux hommes chargée des tâches du personnel d’exploitation (l’accouplement de wagons en mode lancer-attraper).

Les instructions

[9] Tel qu’il est énoncé dans le paragraphe un, qui précède, l’enquête qui a suivi a été menée par l’agent de la santé et de la sécurité de Transports Canada, M. Brian L. Abbott. Il a témoigné qu’il possède une longue expérience dans le secteur ferroviaire, ayant combiné 44 ans d’expérience dans différentes fonctions, d’abord comme garçon de bureau en 1964, puis, à compter de 1975, dans des fonctions d’employé d’exploitation chez CN Rail et VIA Rail, notamment à titre d’agent de triage/agent de train, de contremaître de triage, de chef de train, de mécanicien de locomotive, de chef de triage général, de coordonnateur de trains, de chef mécanicien, d’agent de transport et de gestionnaire des services à la clientèle jusqu’en 1997, année au cours de laquelle il est devenu inspecteur ferroviaire/agent de la santé et de la sécurité chez Transports Canada. Il occupait toujours ce poste au moment de l’instruction de cet appel.

[10] À la fin de l’enquête sur l’accident et sur la blessure subie par M. Merson, M. Abbott a conclu que CN Rail a enfreint trois dispositions du Code (l’article 124 et les alinéas 125(1)c) et 125(1)q)) et a par conséquent émis trois instructions à CN Rail, dont le fond va bien au-delà de la spécificité des faits et de l’enquête sur la situation touchant un seul employé, en ordonnant à l’employeur de :

  • faire enquête sur le danger que représente la conception des chaussures d’hiver portées par les employés d’exploitation du CN lorsqu’ils courent sur de l’équipement et exécutent des manœuvres d’aiguillage;
  • disposer d’un plan de gestion de la fatigue pour empêcher les superviseurs de travailler un nombre excessif d’heures avant d’effectuer le travail des employés d’exploitation;
  • donner aux superviseurs qui travaillent comme employés d’exploitation l’information, les instructions, la formation et la supervision nécessaires pour assurer leur santé et leur sécurité au travail.

La preuve

[11] Outre les nombreux documents produits en preuve, dont le rapport d’enquête de l’agent de santé et de sécurité Abbott, quatre témoins ont été entendus à l’audience. L’ASS Abbott a longuement témoigné au sujet de son enquête et de ses conclusions. Pour l’appelante, Michael Merson a témoigné relativement à la situation et à l’objet des trois instructions, répétant à maintes reprises qu’aucun des éléments qui étaient au cœur des instructions émises au CN Rail par l’ASS Abbott n’avait contribué à l’accident ou n’avait constitué un facteur à cet égard. Pour l’appelante, encore une fois, Mme Susan Seebeck, gestionnaire principale des solutions de formation au CN Rail, a témoigné sur la question de la formation des superviseurs et M. Don Watts, gestionnaire principal des affaires réglementaires, a fait de même en ce qui concerne la question de la gestion de la fatigue. Enfin, M. Dewayne Rose, surveillant des mécaniciens au triage MacMillan, qui était au moment de l’accident le deuxième membre de l’équipe de deux personnes avec M. Merson, a été appelé à témoigner par l’intimée, la CFTC.

[12] Le rapport de l’ASS Abbott, qui a été déposé comme pièce (E-6, onglet 10), donne une description très détaillée de la situation et justifie les instructions de l’ASS. Comme M. Abbott ne s’est aucunement écarté de manière importante de son rapport dans son témoignage, il convient, pour favoriser une meilleure compréhension de l’affaire, de citer longuement les passages importants dudit rapport. Ainsi, en ce qui concerne les circonstances de l’affaire, le rapport indique de manière exhaustive :

[Traduction] Le soir de l’accident, deux superviseurs de CN Rail ont été informés qu’en raison d’un manque d’employés d’exploitation, ils devraient s’occuper de l’affectation de contrôle Est de 18 h. Vers 18 h 15, les superviseurs M. Merson et D. Rose se sont rencontrés au Bureau de contrôle Est. Il a alors été décidé que le contremaître de l’affectation serait le superviseur M. Merson et que son assistant serait D. Rose. Cette affectation est connue sous le nom de « affectation au système de contrôle des locomotives (SCL) » ou affectation de contrôle à distance. Le SCL comprend trois composantes essentielles :

  1. Contrôleur de loco-commande - Il s’agit du dispositif de contrôle de la loco-commande (…) qui établit la liaison avec l’équipement de bord. Le contrôleur de la loco-commande transmet les commandes de l’opérateur (YOE, ce qui signifie qu’un employé qui est engagé dans des opérations de triage opère habituellement une locomotive contrôlée à distance aux fins de l’aiguillage du matériel ferroviaire) à un groupe de traction informatisé à distance par liaison radio, ce qui permet un fonctionnement par contrôle à distance lorsque certaines conditions sont réunies. Le contrôleur de la loco-commande est surveillé par l’ordinateur à bord et peut détecter des choses et intervenir si l’opérateur se trouve en situation d’incapacité. Cette composante inclut également des dispositifs à sécurité intégrée comme un détecteur d’inclinaison et un dispositif de remise en fonction du contrôle de sécurité.
  2. Groupe de traction par radiocommande - Il s’agit d’une unité standard munie d’un système de contrôle des locomotives devant fonctionner comme locomotive contrôlée à distance sans personnel. Les commandes de contrôle sont reçues de YOE OCU et sont converties par l’ordinateur de bord pour lancer la réponse adéquate de la locomotive afin de maintenir la communication.
  3. Équipement de sol - Utilisé comme dispositif de protection des mouvements sur les voies de refoulement à butte (seulement dans le cas des unités à butte des SCL en mode de commande à distance) (la « butte » est une voie élevée de laquelle les wagons roulent librement et par gravité jusqu’à différentes voies de classification par l’activation et la désactivation de dispositifs d’aiguillage) et pour assurer une couverture radio maximale à plus de un groupe de traction à distance.

    Les superviseurs ont ensuite parlé au chef de triage de l’aire de contrôle Est. Ce dernier leur a dit qu’ils procéderaient à des accouplements de voies dans le triage C et qu’ils tireraient les wagons vers le faisceau départ direction est pour former des trains. Cette affectation se déroulerait en mode lancer-attraper (système de transfert du contrôle du mouvement d’un contrôleur de loco-commande à l’autre).

    (…)

    M. Merson et D. Rose ont tenu ensemble une réunion d’information comme l’exige la politique de CN Rail et ont vérifié leur équipement de protection individuel (ÉPI).

    (…)

    Les employés ont décidé que le superviseur Rose demeurerait à l’avant de la locomotive pour protéger l’endroit dans les mouvements que dirigeait la locomotive, et le superviseur Merson contrôlerait le mouvement tout en accouplant les wagons sur les voies.(Dans son témoignage, M. Merson a indiqué qu’il avait choisi de remplacer un autre superviseur (L. Brantnall) pour cette tâche parce qu’il était d’avis qu’il était le meilleur opérateur des deux et qu’il possédait plus d’expérience que M. Brantnall et M. Rose)

    (…)

    À 21 h 02, l’équipe affectée au contrôle Est de 18 h a commencé à accoupler les wagons sur la voie CO 71. Après avoir procédé à deux accouplements sur la voie CO 71, le superviseur Merson a établi une liaison sur la voie et s’est rendu compte que tous les wagons n’étaient pas accouplés ensemble. À ce moment-là, il avait 18 wagons (15 chargés et 3 vides). Il pouvait voir qu’il y avait un écart de 10 à 12 wagons entre les wagons qu’il contrôlaitet la prochaine série de wagons au nord. Le superviseur Merson devait inverser le mouvement

    (…)

    et orienter le wagon le plus au nord (…) vers la rame des wagons non accouplés.

    (…)

    Les données du SCL qui ont été transmises indiquaient qu’à 21 h 08 min 23 s a débuté le mouvement vers le nord en direction des wagons qui restaient sur la voie CO71. Les données révèlent que le superviseur Merson avait demandé une vitesse de 15 mi/h. Cependant, comme la vitesse atteinte 897 pieds plus loin n’était que de 13,5 mi/h, il a demandé une vitesse de 7 mi/h à 21 h 09 min 36 s. À 21 h 09 min 41 s, le superviseur Merson a demandé que soit appliqué le frein indépendant et la vitesse effective du mouvement s’établissait à 12,67 mi/h. À 21 h 09 min 46 s, il a demandé un arrêt et la vitesse effective du mouvement était de 12,57 mi/h. La vitesse enregistrée à 21 h 10 min 06 s avait chuté à 2,88 mi/h, seulement 20 secondes après la commande d’arrêt. Le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC) 105 (prévoit que) les mouvements à « vitesse réduite » doivent être contrôlés par l’opérateur et qu’ils doivent pouvoir être stoppés sans équipement (le superviseur Merson a déclaré au cours de son entrevue qu’il est descendu de l’équipement en mouvement (18 wagons) après avoir passé la commande d’arrêt, parce qu’il pouvait constater que le mouvement allait entraîner l’accouplement des wagons restants sur la voie à une vitesse supérieure à celle qui était prévue). L’on estime que la tentative d’accouplement a été faite entre 21 h 09 min 46 s et 21 h10 min 06 s. L’ensemble du mouvement des 18 wagons a cessé à 21 h10 min 15 s, soit 9 pieds (sic) après que la vitesse ait chuté de 12,57 mi/h à 2,88 mi/h. À 21 h 10 min 21 s, le message de mise en garde de l’inclinaison a été transmis par la locomotive. Le message indiquait que quelque chose d’inhabituel s’était produit.

    Le superviseur Merson a déclaré pendant son entrevue (et a confirmé pendant son témoignage à l’audience) que lorsque l’accouplement a échoué à la suite de son mouvement, les wagons au nord ont été propulsés vers le Nord à partir du point d’impact. Après avoir constaté cette situation, il a couru vers le Nord pour monter dans le dernier wagon de ce mouvement afin d’appliquer le frein à main, ce qui empêcherait la rame de wagons de quitter l’extrémité nord du triage C et d’empiéter sur d’autres voies. Il a réussi à monter à l’extrémité nord de ce wagon et à se retrouver sur l’échelle de bout en se donnant un élan. Il a ensuite joint et appliqué le frein à main. Lorsqu’il a actionné le frein à main, sa main gauche se trouvait sur la poignée de l’échelle de bout et ses deux pieds étaient placés sur le barreau du bas de l’échelle. Sa main droite était sur le volant du frein à main. Il a perdu pied et n’a pu maintenir sa prise en raison de son poids.

    (…)

    Sa main gauche a glissé de deux barreaux sur l’échelle de bout avant qu’il puisse maintenir une prise de ses deux mains. Il a été incapable de conserver sa prise sur le barreau de l’échelle de bout parce que ses jambes traînaient sur le ballast. Lorsque son tronc a heurté le ballast, il a tenté de s’écarter de la voie ferrée en se tournant. Toutefois, la roue de tête de ce wagon porte-rails a empiété sur sa jambe droite et l’a brisée à mi-chemin entre la cheville et le genou

    (…)

    À peu près au même moment où le chef de triage du contrôle Est informait le coordonnateur de trains du terminal d’appeler le personnel des services d’urgence, l’indication d’une alarme de débordement est apparue sur la console du coordonnateur de la bosse de triage double. Cette alarme informe le coordonnateur de la bosse de triage double de l’existence d’un mouvement sur cette voie (une protection automatique est accordée aux voies du triage C au triage MacMillan; en effet, si un wagon ou une rame de wagons passe à proximité d’une portion désignée d’une voie, une alarme appelée « alarme de débordement » sonnera dans le bureau du coordonnateur de la bosse de triage double et la voie qui déclenche l’alarme sera écartée de l’extrémité nord du triage; en outre, les wagons orientés vers cette voie ou vers ce groupe de voies seront réorientés pour qu’une collision soit évitée).

    À 21 h 10 min 41 s est apparue sur la console du coordonnateur de la bosse de triage double une autre alarme qui indiquait qu’un ou des wagons avait franchi le point d’obstruction du mouvement à l’extrémité nord de la voie CO 71.

[13] Tel qu’il a été mentionné précédemment, après avoir achevé son enquête, l’ASS Abbott a émis trois instructions à CN Rail conformément au Code. Il en sera maintenant question séparément.
Instruction sur les bottes d’hiver

[14] Dans les faits, il n’y a pas de différence entre le rapport de l’ASS Abbott et son témoignage à l’audience. Dans son rapport d’enquête, l’agent Abbott déclarait qu’au moment de l’accident, M. Merson portait l’équipement de protection individuel (ÉPI) prescrit par la loi comme l’exigeait son employeur, le CN Rail. Plus précisément, le rapport mentionne que les bottes portées alors par M. Merson étaient des bottes d’hiver homologuées CSA.

[15] Dans son témoignage, l’ASS Abbott a souligné que lorsqu’il a lancé son enquête, il n’a jamais vu les bottes portées par M. Merson, parce qu’il ne s’est pas rendu à l’hôpital où l’employé blessé avait été emmené pour retirer ses bottes ou au moins pour les regarder. Plus tard, lorsqu’il a demandé qu’elles soient produites par le personnel de CN Rail, celui-ci ne pouvait le faire parce que l’on avait disposé des bottes. Toutefois, il s’est fait montrer le même modèle qu’un autre employé portait et a affirmé à l’audience qu’il était convaincu que ce qui lui avait été présenté était une réplique identique des bottes ayant été portées par M. Merson et que ces bottes étaient conformes à la norme CSA applicable.

[16] D’après M. Abbott, il existe toute une variété de bottes de travail, dont des bottes d’hiver, qui s’offrent aux employés en milieu de travail. Il estime que dans la mesure où ces bottes satisfont aux normes CSA applicables, elles sont toutes acceptables. Pour reprendre ses propres mots, [traduction] « il n’y a pas de modèle standard de bottes pour tous, dans la mesure où le modèle est homologué CSA ». Il a toutefois souligné que les bottes d’hiver en question diffèrent des bottes d’hiver régulières à certains égards. Ainsi, son rapport mentionne que [traduction] « ces bottes diffèrent des bottes de sécurité régulières homologuées CSA parce qu’il y a plus d’isolant qui assure une protection contre les conditions atmosphériques extrêmes (froid). De plus, les lacets sont configurés différemment. Sur les bottes d’hiver homologuées CSA portées par les superviseurs du CN, les lacets ne sont pas continus. »

[17] L’ASS Abbott a confirmé, au cours de l’instruction, que la norme applicable est la norme Z195-M1984 de l’Association canadienne de normalisation, intitulée « Chaussures de protection », qui est mentionnée tant dans le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/87-623 tel que modifié) à l’article 12.5 que dans le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) (DORS/87-184 tel que modifié), plus pertinent, à l’article 8.6, les deux ayant été pris en application du Code. Il a également exprimé l’opinion que les lacets sur les bottes portées par M. Merson ne constituaient pas un facteur dans l’accident. Il a en outre indiqué être au courant que la norme de CN Rail sur l’équipement de protection individuel (pièce E-2, onglet 1A) prévoit que [traduction] « elle définit les exigences minimales de protection des pieds pour tous les employés et les autres personnes qui ont accès à la propriété du CN », que [traduction] « tous les employés sont tenus de porter des bottes de protection homologuées lorsqu’ils se trouvent sur la propriété du CN et en d’autres endroits pendant qu’ils sont en service » et que [traduction] « les bottes de protection doivent respecter ou dépasser les critères énoncés dans la norme CSA Z 195 de l’Association canadienne de normalisation. »

[18] D’après l’ASS Abbott, la difficulté dans cette affaire ne réside pas dans la conformité à la norme applicable, fait qu’il a déjà reconnu, quoique les seules bottes qu’il ait étudié ou examiné étaient celles qui ont été portées par M. Merson au moment de l’accident. Elle réside plutôt dans le caractère encombrant des bottes en cause, qui a amené l’ASS Abbott à ordonner que soit réalisée une évaluation du danger que représente la conception des bottes portées par tous les employés d’exploitation du CN, après avoir conclu dans son rapport que [traduction] « bien que les bottes d’hiver portées par l’employé blessé répondent aux exigences de la norme CSA, la nature encombrante de ce type de botte, combinée aux conditions hivernales, peut avoir contribué au fait que l’employé blessé a perdu pied. » Dans son témoignage, M. Merson a toutefois indiqué qu’il n’a peut-être pas inséré complètement son pied sur le barreau de l’échelle du wagon porte-rails, ce qui a eu pour effet de ne pas lui assurer un contact complet en trois points tel qu’il est exigé, et l’a fait glisser à l’occasion d’un incident mineur.

[19] À l’audience, l’avocat de l’appelante a présenté à l’ASS Abbott un document, qui figure dans la liste des pièces sous la pièce E-2, onglet 4, et qui s’intitule Risk Assessment: James Bay Baffin Technology-CSA Grade 1 Winter Work Boot. Ce document, daté du 20 août 2007, comprend 9 photographies d’un modèle de bottes d’hiver et 8 pages de texte portant le titre CN Hazard/Risk Assessment. Ayant étudié le document en question, M. Abbott a confirmé que le modèle de botte illustré dans le document était identique à celui qui était porté par M. Merson, que le document constituait effectivement une évaluation du risque que présentent les bottes en question et qu’il a été produit après l’accident subi par M. Merson. Sur la question de savoir si les bottes portées alors par M. Merson n’étaient peut-être pas lacées, M. Abbott a déclaré, en soulevant la question de savoir s’iI pouvait s’agir d’un facteur dans l’accident, que la norme applicable n’exige pas que les bottes soient lacées et a ajouté que les lacets n’ont pas représenté un facteur dans l’accident.

[20] Enfin, ayant examiné ladite évaluation du risque, l’ASS s’est dit d’avis qu’elle satisfait aux critères de l’instruction sur les bottes d’hiver qui est en appel. De fait, cette question avait déjà été portée à l’attention de l’appelante dans une lettre de l’ASS Abbott datée du 11 octobre 2007 (pièce E-1, onglet 6) adressée à M. Farkouh, directeur général de CN Rail, Concord, qui mentionnait notamment :

[Traduction] () Tel qu’il est indiqué dans votre lettre, Transports Canada acceptera l’évaluation du risque portant sur les bottes d’hiver parce qu’elle portait sur le type, le style et la marque de bottes que chaussait M. Merson au moment de l’accident. L’instruction mentionne : [traduction] « l’employeur n’a pas fait enquête sur le danger que présentaient les bottes d’hiver portées par les employés d’exploitation du CN lorsqu’ils conduisaient de l’équipement et exerçaient des activités d’aiguillage ». Il convient de noter qu’il y a de nombreux fabricants de bottes de sécurité d’hiver et que l’on s’attend à ce que le CN analyse soigneusement les divers types de bottes avant que les employés d’exploitation les utilisent. (…)

L’ASS Abbott a terminé son témoignage sur la question des bottes d’hiver en déclarant que la question des bottes de sécurité d’hiver dans cette affaire n’était pas pertinente parce que les bottes n’avaient pas constitué un facteur dans l’accident.

Retrait de l’appel

[21] Une fois terminé le témoignage de l’ASS Abbott sur la question des bottes d’hiver de sécurité, M. McFadden a présenté à l’agent d’appel soussigné, au nom de l’appelante, une requête dans laquelle il demandait le retrait de l’appel interjeté par l’appelante sur cette question en particulier. Se reportant au texte de l’instruction et à la lettre d’accompagnement rédigée par l’ASS, l’avocat a fait valoir que le paragraphe 146(1) du Code constitue le fondement du droit d’appel d’une instruction. Cette disposition prévoit que « [t]out employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la [partie II du Code] peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel. » L’avocat estimait que les circonstances de l’espèce étaient très claires, en ce sens que CN Rail était l’unique appelante, qu’il n’y avait pas d’autres appelants concernant cette instruction ou d’autres instructions, et que rien dans la loi n’empêche un appelant de retirer un appel à quelque étape que ce soit. M. McFadden était d’avis que dans les faits, seul un appelant avait la capacité de retirer un appel. J’ai interprété cette position comme un retrait de son propre appel.

[22] Pour le compte de l’intimée, M. Wheten s’est opposé à la requête en faisant valoir que la société CN Rail ayant interjeté appel de l’instruction, comme la CFTC s’est vue accorder qualité pour agir, d’abord comme intervenant, puis comme intimée reconnue, il croyait que la CFTC serait autorisée à agir relativement à la question soumise à l’audience de la même façon que si elle avait effectivement interjeté appel de l’instruction.

[23] Après un court ajournement, j’ai décidé de statuer de vive voix relativement à la requête de retrait en lisant le texte suivant à l’audience, en ne disant mot sur la question, qui n’avait été soulevée par aucune des parties, de savoir s’il pouvait parfois exister des circonstances exceptionnelles qui pourraient justifier le refus d’une telle requête de retrait :

[Traduction] M. McFadden, au nom de l’employeur/appelante en l’espèce et à la suite de la preuve obtenue hier grâce au témoignage de l’ASS Abbott, présente ce matin une requête de retrait de l’appel de l’employeur/appelante à l’encontre de l’une des instructions dont ce tribunal est saisi. Le texte législatif applicable, soit le Code canadien du travail, partie II, et plus précisément le paragraphe 146(1), prévoit que « [t]out employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la [partie II du Code] peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel. » En vertu de cette loi, c’est l’appelante qui intente l’appel, c’est-à-dire qu’il est question de l’appel de l’appelante à l’encontre d’une ordonnance de faire certaines choses et de se conformer à certaines exigences.

Peu importe le moment et la raison, un appelant peut décider de retirer son appel, sans égard à l’état de l’affaire ou à la question de savoir si, comme dans la présente affaire, l’instruction qui est à l’origine de l’appel a été observée ou non. L’effet d’un tel retrait, sa conséquence si je puis utiliser le terme, consiste à laisser l’instruction telle qu’elle a été formulée être d’application obligatoire pour la partie à laquelle elle s’adresse. Tandis qu’un appel est interjeté et actif, le seul fait que les parties soient autorisées à répondre à un titre ou à un autre à l’appel ne se traduit pas, en soi, en un appel ajouté ou additionnel de la part de ces parties.

Par conséquent, comme l’appelante de l’instruction émise par l’ASS Abbott sur la question des « bottes d’hiver » a choisi de retirer ledit appel, je suis d’avis que je n’ai d’autre choix que d’accueillir cette requête, ce qui fait que l’instruction demeure applicable telle qu’elle a été rédigée et formulée. Ce matin, il est apparu clairement à ce tribunal qu’aucun autre appel n’a été déposé ou pourrait être considéré comme ayant été déposé relativement à ladite instruction. Ainsi, comme le retrait a pour effet de laisser telle quelle ladite instruction, toute difficulté ou objection qui pourrait être formulée ou rencontrée à l’égard de cette instruction devrait être réglée par une autre tribune ou dans le cadre d’une autre procédure d’appel.

Instruction sur le plan de gestion de la fatigue

[24] Le rapport d’enquête de l’ASS Abbott souligne que les dossiers de l’employeur révélaient que M. Merson avait occupé ses fonctions de supervision au cours d’un total de 72 heures sur les 144 heures ayant précédé immédiatement la prise de ses tâches d’employé d’exploitation pendant un septième quart de travail consécutif qui mènerait à l’accident. Ces 72 heures, soit six quarts de 12 heures débutant chaque soir à 18 h et se terminant le lendemain matin à 6 h, étaient assumées dans un bureau du triage MacMillan où M. Merson était chargé des opérations des trains et du triage dans la plus grande installation d’aiguillage de CN Rail au Canada. L’accident s’est produit au cours du septième jour consécutif de travail, qui a débuté à 18 h à l’affectation du contrôle Est, où M. Merson devait exercer avec un autre superviseur (D. Rose) des tâches d’employé d’exploitation, plus précisément trois heures après le début de son quart de travail.

[25] Le rapport d’enquête indique que M. Merson a mentionné à l’ASS Abbott, lorsqu’il a été interviewé, qu’il ne croyait pas que la fatigue avait joué un rôle dans l’accident.

[26] Dans son témoignage à l’audience, l’ASS Abbott a d’abord décrit le poste de supervision de coordonnateur de trains alors occupé par M. Merson comme un poste exigeant de son titulaire qu’il se déplace constamment, qu’il exerce sans cesse des tâches, qu’il quitte le poste de travail pour se rendre à d’autres parties de la gare de triage, et par conséquent comme une fonction génératrice de fatigue. M. Abbott a ensuite nuancé cette position en déclarant que le poste n’est pas aussi exigeant physiquement que les fonctions d’employé d’exploitation et par conséquent qu’il ne nécessite pas autant de repos. Ce serait aussi largement teinté par le témoignage ultérieur de M. Merson selon lequel en ce jour en particulier, lorsqu’il est arrivé au travail, il avait eu une pause de douze heures depuis la fin de son quart précédent de 12 heures comme superviseur, au cours de laquelle il avait dormi de 7 à 8 heures, lui assurant ainsi de se présenter au travail bien reposé et bien alerte. M. Merson a également souligné que bien que les 72 heures de travail effectuées pendant les six jours précédents représenteraient une situation anormale occasionnée par l’accumulation de travail causée par une grève des chefs de train, ses fonctions au cours de cette période avaient toutes été exercées à partir de son pupitre se trouvant dans la tour de contrôle de la circulation dans le terminal, d’où il pouvait contacter des membres du personnel comme les autres superviseurs et le personnel d’accompagnement par téléphone cellulaire et par émetteur-récepteur, superviser les activités dans la gare de triage au moyen de caméras mobiles et recevoir des photographies sur un téléviseur se trouvant sur son pupitre et dans les cas où les tâches physiques sur le terrain seraient alors exercées par un mécanicien superviseur.

[27] Dans ce contexte, l’ASS Abbott a témoigné qu’il était au courant d’un programme de gestion de la fatigue adopté conformément aux exigences de l’article 6 des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire (TC O 0-50, 29 juin 2005)) adoptées sous le régime de la Loi sur la sécurité ferroviaire (L.R. 1985, ch. 32, 4e suppl. telle que modifiée) et intitulé Specific Fatigue Management Plan For Supervisors Performing the Duties of Operating Employee (E-4,onglet 8). Il savait également que le programme en question était en place et en vigueur au moment de son enquête.

[28] Ce programme particulier, daté du 15 août 2006, avait été mis en place à la suite d’une ordonnance à cet effet rendue par W.E. Hunter, inspecteur en sécurité ferroviaire occupant la fonction de gestionnaire des opérations ferroviaires et de la santé et de la sécurité au travail chez Transports Canada. Ce programme particulier fait partie d’un groupe de tels programmes particuliers mis en place sous le régime d’un programme général intitulé General Fatigue Management Plan for Rail Operating Employees Canadian Lines. L’ordonnance qui a mené à l’adoption du programme particulier destiné aux superviseurs exerçant les fonctions des employés d’exploitation reposait sur la prémisse de la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF) selon laquelle il existait « tout danger ou toute condition qui pourrait éventuellement constituer une situation dans laquelle une personne pourrait être blessée ou tomber malade (…) » (pièce E-4, onglet 6) et prévoyait par conséquent que CN Rail : [traduction]

  • ne permet pas aux superviseurs de travailler dans une catégorie d’emploi d’un employé d’exploitation pour opérer de l’équipement ferroviaire sauf si ledit superviseur a été en congé pendant une période de huit (8) heures continues avant d’accepter l’affectation comme employé d’exploitation;
  • veille à ce que tous les superviseurs et le personnel de gestion de l’équipe aient suivi une formation complète dans l’application des Règles relatives au temps de travail et de repos;
  • mettrait en place un processus électronique permettant de consigner avec exactitude le temps de travail des superviseurs;
  • élaborerait des programmes particuliers de gestion de la fatigue pour régler le problème de la fatigue des superviseurs lorsque lesdits superviseurs sont utilisés dans la catégorie d’emploi des employés d’exploitation.

[29] M. Abbott ne se souvenait pas d’avoir vu cette ordonnance en particulier de M. Hunter. Il reconnaissait cependant que le programme particulier qui a été mentionné précédemment avait été créé à la suite de ladite ordonnance. Il a également passé en revue tous les autres programmes particuliers et le programme général de gestion de la fatigue mentionné précédemment qui a été mis en place à la suite de l’application d’un régime de réglementation en application de la LSF. Il a également reconnu que dans les circonstances qui prévalaient au moment de l’accident subi par M. Merson, ce dernier n’avait aucunement enfreint ledit programme. M. Abbott, qui était au courant du programme particulier de gestion de la fatigue destiné aux superviseurs, a admis qu’il y avait accordé peu d’attention parce que son enquête relative à l’accident a été menée non pas conformément à la LSF, mais plutôt conformément au Code et aux règlements applicables, donc sous un régime législatif différent.

[30] À cet égard, il a souligné qu’en vertu du Code et du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) applicable, il n’y a pas d’exigences de gérer la fatigue des employés similaires à celles des Règles relatives au temps de travail et de repos qui sont adoptées en vertu de la LSF, quoique la fatigue soit toujours un problème en milieu de travail. En conséquence, il a fondé son instruction sur l’obligation de protection générale de l’employeur prévue par l’article 124 du Code. Personnellement, il était d’avis qu’en raison de la gravité de la blessure et de la nature dangereuse des fonctions en cause, des règles similaires et un programme similaire devraient être prévus par le Code. De plus, compte tenu des nombreuses heures travaillées par M. Merson avant l’accident et de ses erreurs lors de ses activités d’aiguillage, il était d’avis que M. Merson était fatigué et ne s’était pas bien reposé avant de débuter son affectation de 18 h au contrôle Est.

[31] M. Don Watts a été appelé à témoigner au nom de l’appelante. M. Watts occupe le poste de gestionnaire principal, Affaires réglementaires, depuis environ 12 ans. Il a occupé chez CN Rail divers postes depuis 1980, notamment pendant 4 ans à ce qu’il a appelé le service de la sécurité et il souligne que les Affaires réglementaires faisaient auparavant partie du service de la sécurité. Il a participé activement à l’élaboration des divers programmes de gestion de la fatigue pour les employés d’exploitation mentionnés précédemment et il a longuement témoigné sur ce sujet, à la fois en interrogatoire principal, en contre-interrogatoire et en réinterrogatoire. Bien que les nombreux renseignements tirés de son témoignage se soient révélés informatifs, ils ne sont pas tous importants ou déterminants par rapport à la question en l’espèce. J’ai retenu les renseignements suivants parce qu’ils ont un impact direct sur la question soulevée par l’instruction de l’ASS Abbott, à savoir l’établissement d’un programme particulier de gestion de la fatigue pour les superviseurs qui exercent les fonctions des employés d’exploitation.

[32] Les divers programmes de gestion de la fatigue mentionnés précédemment, y compris celui qui résulte de ce que j’appelle l’ordonnance Hunter que j’ai également mentionnée plus haut, découlent tous de l’application du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC) pris sous le régime de la LSF. En 2002, à la demande de l’Association des chemins de fer du Canada (ACFC), les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire ont été adoptées et ont pris effet le 1er avril 2003, puis ont été révisées en 2005. Elles s’appliquent en général à des compagnies constituantes, dont CN Rail. Ces règles, élaborées une fois établie la nécessité d’un ensemble de règles unifiées d’application générale, résultaient des travaux d’un groupe consultatif multipartite comportant notamment une représentation syndicale, et d’un certain nombre d’études, dont la plus marquante, rédigée par Circadian Technologies Inc., s’intitule Canalert 95/Alertness Assurance in Canadian Railways.

[33] Les trois grands éléments de réflexion, qualifiés par M. Watts de philosophie générale tirée de ces travaux, étaient que : 1) il ne suffirait pas d’établir des limites de temps prévues; 2) d’autres restrictions, comme la longueur et le nombre de périodes d’affectation, entre autres, qualifiées de « barrières » par le témoin, devraient être établies; et 3) des programmes et plans visant à atténuer la fatigue devraient être instaurés. Cela a donné lieu à des concepts comme les périodes de service maximales, les congés obligatoires, et les programmes de gestion de la fatigue. D’après le témoin, l’ACFC ne semble pas avoir élaboré au départ un programme de gestion de la fatigue qui aurait été obligatoire pour tous ses membres, ce qui fait que chaque compagnie de chemins de fer a dû élaborer son propre programme [traduction] « qui fonctionnerait ».

[34] Par conséquent, CN Rail a élaboré un programme général ainsi que trois programmes particuliers de ce genre, ceux-ci s’appliquant tous aux employés d’exploitation (les employés en service pendant plus de 64 heures/7 jours; les employés en service dans des trains de travaux; un programme concernant les situations d’urgence). Toutefois, les programmes ont été et restent à être élaborés aux termes des Règles relatives au temps de travail et de repos et c’est en vertu de ces règles que sont établis des paramètres ou des contraintes de temps qui tiennent lieu de fondement aux limites découlant de ces programmes, comme la période de service continu maximale de 12 heures, la période maximale de 18 heures de service combinée, la période maximale de service de 64 heures/7 jours, et ainsi de suite. M. Watts a souligné que les Règles relatives au temps de travail et de repos ont sans aucun doute été élaborées pour appliquer la classification définie de « membre du personnel d’exploitation », qui ne comprend pas les personnes occupant un poste de supervision comme M. Merson, quoique le libellé « déterminatif » de la définition de « membre du personnel d’exploitation » desdites règles mentionne clairement que toute autre personne qui accomplit de telles tâches est considérée, pendant leur exécution, comme un membre du personnel d'exploitation. Par conséquent, il est possible de conclure des règles que les superviseurs peuvent prendre part à des tâches d’exploitation.

[35] Afin de permettre que les divers programmes de gestion de la fatigue des membres du personnel d’exploitation atteignent leur objectif, il faut assurer un suivi des différents paramètres de temps. Un système appelé Crew Assignment Timekeeping System (CATS) a été mis en place afin de surveiller, pour chaque membre du personnel d’exploitation, le nombre d’heures travaillées, et par conséquent la disponibilité qui permettrait de travailler des heures additionnelles ou la nécessité de prendre des congés. Comme la règle générale d’une période de service maximale de 64 heures réparties sur une période de 7 jours consécutifs constituait le paramètre établi en vertu des Règles relatives au temps de travail et de repos, le système de suivi du temps CATS reculera automatiquement sur une période de 168 heures (7 jours) pour calculer le total de la période de service sur l’ensemble de la période; ainsi, si le maximum de 64 heures a été atteint, le système exigera automatiquement un congé de 24 heures.

[36] M. Watts a de plus fait observer que les divers programmes de gestion de la fatigue, et le système CATS qui s’en est suivi, dans la mesure où ils s’appliquent aux membres du personnel d’exploitation tel que ce terme est défini dans les Règles relatives au temps de travail et de repos, étaient conçus initialement pour limiter ou éliminer la pratique qui consiste à travailler un nombre d’heures excessif dans une période aussi courte que possible pour obtenir rapidement le kilométrage mensuel maximal ou le plafond établi par la convention collective applicable, afin de pouvoir disposer ensuite d’une période de congé très longue. M. Watts a noté que même si ces programmes et ce système ont été mis en place, ils ne s’appliquaient pas aux superviseurs et la période de service des superviseurs n’a même pas fait l’objet d’un suivi. Toutefois, il est survenu un incident au cours duquel un superviseur exécutant des tâches d’un membre du personnel d’exploitation avait travaillé beaucoup plus d’heures que le maximum de 18 heures combinées de la période de service prévue pour les membres du personnel d’exploitation aux termes des Règles relatives au temps de travail et de repos (règle 5.1.3), ce qui mettait en évidence le manque de suivi des heures travaillées dans le cas des superviseurs exerçant quelque fonction que ce soit. Il s’agissait du point de départ de la mesure prise par W.E Hunter et de son ordonnance selon laquelle un programme particulier de gestion de la fatigue pour les superviseurs exerçant les tâches d’un membre du personnel d’exploitation devrait être mis en place. M. Watts a mentionné que la règle 5.1.7 des Règles relatives au temps de travail et de repos renferme les paramètres qui ont servi de fondement en vue d’établir le programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs qui exercent des tâches de membres du personnel d’exploitation. Cette règle est ainsi rédigée :

Lorsqu’un superviseur, un employé non membre du personnel d’exploitation ou un tiers est réputé (suivant la définition de « membre du personnel d’exploitation ») être membre du personnel d’exploitation, les heures de service effectuées par cette personne au cours de la période de 24 heures qui a immédiatement précédé doivent être prises en considération dans le calcul du temps de service maximal disponible et des heures de repos obligatoires en vertu du présent article. Ces personnes doivent pouvoir démontrer leur conformité aux présentes Règles.

M. Watts a fait observer que le paramètre de « la période de 24 heures qui a immédiatement précédé » pour les superviseurs qui a été retenue dans la règle 5.1.7, qui diffère du paramètre de référence des membres du personnel d’exploitation, soit 168 heures réparties sur 7 jours, a été retenu par le groupe de travail qui a élaboré ces règles parce que du point de vue des fonctions causant de la fatigue, le travail dans un bureau, qui est surtout exécuté par les superviseurs, n’occasionnerait pas autant de fatigue que les fonctions des équipes de train régulières.

[37] M. Watts a établi une distinction entre les programmes général et particuliers de gestion de la fatigue pour les membres du personnel d’exploitation et le programme particulier pour les superviseurs. Dans le premier cas, ces programmes qui s’appliquent aux employés syndiqués ont été élaborés chez CN Rail de concert avec les syndicats pertinents, tandis que dans le cas du programme des superviseurs, les TUT ou la CFTC n’ont pas été consultés parce que les superviseurs sont membres de la direction et ne sont pas syndiqués. Il a en outre expliqué qu’en raison de l’ordonnance Hunter mentionnée précédemment et du libellé de la règle 5.1.7 des Règles relatives au temps de travail et de repos qui s’appliquent aux membres du personnel d’exploitation qui, à tout le moins, « prévoient » que des superviseurs peuvent être appelés à exécuter des fonctions de membres du personnel d’exploitation, CN Rail a essentiellement élaboré un programme de gestion de la fatigue qui, fondamentalement, établit un parallèle avec celui qui était déjà en place pour les membres du personnel d’exploitation, quoiqu’il fasse référence à une période de travail différente pour tenir compte de la nature différente du travail de supervision, en soumettant les superviseurs aux mêmes contraintes que les membres du personnel d’exploitation lorsqu’ils exercent les fonctions de ces derniers (service maximal, congé obligatoire, etc.).

[38] En outre, comme l’ordonnance Hunter l’a démontré, l’on ne peut se fier aux superviseurs pour qu’ils respectent avec diligence l’exigence de tenir un registre personnel de leur période de service pour ne pas être placés en position d’excéder les paramètres applicables à la période de service dans le cadre de l’exécution des fonctions des membres du personnel d’exploitation. Pour régler ce problème et assurer l’observation des limites fixées dans les Règles relatives au temps de travail et de repos et l’exigence fixée par la règle 5.1.7 que les superviseurs soient en mesure d’établir qu’ils observent lesdites règles, CN Rail a instauré le système Colog, un système électronique ou informatisé qui permet d’enregistrer la période de service du superviseur au cours de la période de 24 heures qui a immédiatement précédé le début des fonctions des membres du personnel d’exploitation et qui indique automatiquement la quantité de temps pendant laquelle un superviseur peut travailler comme membre du personnel d’exploitation ainsi que les périodes de repos obligatoire à prendre. Les données sont entrées par un superviseur seulement lorsqu’il est appelé à travailler comme membre du personnel d’exploitation, le superviseur devenant alors soumis aux Règles relatives au temps de travail et de repos pour les membres du personnel d’exploitation lorsqu’il commence à exercer les fonctions des membres du personnel d’exploitation.

[39] M. Watts a ensuite affirmé que le programme élaboré aux termes de l’ordonnance Hunter comportait trois caractéristiques essentielles. Premièrement, il était conçu pour informer clairement les superviseurs des exigences réglementaires qui s’appliquent à eux lorsqu’ils travaillent comme membres du personnel d’exploitation. Deuxièmement, il établissait clairement la nécessité de faire usage du système CoLog pour assurer le suivi du temps consacré aux tâches de supervision et d’exploitation. Troisièmement, le programme établissait que toutes les exigences tirées des Règles relatives au temps de travail et de repos pour les membres du personnel d’exploitation s’appliquent aux superviseurs comme s’ils étaient membres du personnel d’exploitation lorsqu’ils exécutent ces tâches. D’après le témoin, il n’y a pas d’autre volet ferroviaire de l’Association des chemins de fer du Canada qui peut se targuer d’avoir un tel programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs.

[40] M. Watts a été brièvement contre-interrogé par l’intimée et l’intervenant. Pour l’essentiel, ses réponses n’ont pas reflété de différence réelle ou sérieuse par rapport à ce qui a ressorti de son interrogatoire principal. En ce qui concerne la question de savoir s’il serait possible de se soustraire au programme au moyen de ce que M. Wheten a appelé un « horaire de travail continu » des quarts de supervision aux quarts d’exploitation qui se poursuivent indéfiniment, M. Watts s’est dit d’avis qu’en théorie, cela pourrait se poursuivre sans déclencher l’application de la règle 64/7, quoiqu’il ne pouvait affirmer que cela établit la nécessité d’un programme de gestion de la fatigue différent étant donné que les fonctions changeraient également des fonctions d’exploitation à des fonctions de supervision, moins exigeantes. Enfin, le témoin a indiqué qu’il ignore si, dans le cadre du système Colog, il existe des mesures de sécurité visant à prévenir la falsification des données enregistrées, de manière à s’assurer sur papier, peut-être après le fait, que les règles ont été observées.
Instruction sur la supervision et la formation

[41] Encore une fois, le témoignage de l’ASS Abbott ne s’écarte pas beaucoup de son rapport sur les deux éléments qui y sont mentionnés, à savoir la formation et l’expérience, d’une part, et la supervision des superviseurs qui exercent des fonctions de membres du personnel d’exploitation. Toutefois, assez étrangement, bien que d’après le rapport d’enquête, ces deux questions semblent être à la base de l’instruction émise en vertu de l’alinéa 125(1)q) du Code, à l’examen de la disposition réglementaire requise pour compléter et détailler l’obligation qui découle de la disposition du Code, soit l’alinéa 10.12(1)a) du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains), on en vient à réaliser qu’indépendamment des mots utilisés par l’ASS, c’est essentiellement la « formation », et plus précisément l’insuffisance de celle-ci, du moins du point de vue de l’ASS Abbott, qui a régi l’émission de l’instruction. Il est utile de noter, avant de se pencher sur la preuve portant sur ce sujet, que bien que l’alinéa 125(1)q) du Code exige de l’employeur qu’il fournisse, tel que prévu, l’information, l’instruction, la formation et la supervision nécessaires pour assurer la santé et la sécurité d’un employé pendant qu’il est au travail, l’alinéa 10.12(1)a) du règlement traite uniquement de la formation lorsqu’il prévoit que « [l’]employeur doit donner à chaque conducteur de matériel roulant automoteur la formation et l’entraînement sur la marche à suivre pour les opérations suivantes : a) utiliser le matériel roulant comme il convient et en toute sécurité; […] ». Dans ce contexte, le témoignage reçu à l’audience au sujet de cette instruction portait à tous égards sur la formation.

[42] Le rapport d’enquête mentionne sous [traduction] Formation et expérience :

[Traduction] CN Rail employait le superviseur Merson en février 2005. Un examen des dossiers de formation a révélé en 2005 qu’il a suivi 2,5 jours de formation en SCL, ce qui comprenait 4 heures de formation en cours d’emploi. En avril 2005, il a suivi une formation de 5 jours sur le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC). Il a été nommé coordonnateur de trains au terminal au triage MacMillan le 22 février 2005. À titre de coordonnateur de trains, M. Merson faisait au moins 16 heures par mois de conduite et d’accompagnement au triage MacMillan. Il a eu 14 périodes d’affectation au SCL entre le 31 août 2006 et le 8 octobre 2006 en raison d’un manque de membres du personnel d’exploitation.

Pendant l’examen du dossier de formation du superviseur, on a noté que CN Rail ne dispose pas de procédures pour s’assurer que la formation reçue par le superviseur est adéquate afin que le superviseur puisse exécuter en toute sécurité les fonctions d’un membre du personnel d’exploitation. Les dirigeants qui travaillent à titre de membres du personnel d’exploitation ne sont pas évalués formellement par un supérieur hiérarchique chevronné, et aucun dossier n’est tenu, avant qu’ils obtiennent toutes leurs qualifications. Il a également été noté qu’une fois les qualifications obtenues, il n’y a aucun processus en place pour surveiller les pratiques professionnelles de ces employés.

[43] Le même rapport, cette fois sous la rubrique [traduction] Supervision des superviseurs qui exercent des fonctions de membres du personnel d’exploitation, tout en notant un certain nombre de violations, par M. Merson, des règles du REFC et des Instructions d’exploitation du CN, comme il l’a fait à l’égard de l’écart dans la formation entre les superviseurs et les membres réguliers du personnel d’exploitation participant à l’exécution des mêmes tâches opérationnelles, attire l’attention sur l’écart dans la supervision en ce qui concerne ces deux groupes d’employés impliqués dans l’exécution des mêmes tâches. Il mentionne :

[Traduction] CN Rail a mis en place un programme de suivi des membres réguliers du personnel d’exploitation dans le cadre de leurs périodes d’affectation. Ce programme s’appelle « Surveillance du rendement et de conformité aux règles » (SRCR). Les superviseurs de CN Rail qui supervisent des membres du personnel d’exploitation doivent remplir chaque mois un certain nombre de rapports de SRCR sur leurs employés. Ces SRCR traitent de la majeure partie du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, des Instructions générales d’exploitation, des pratiques de travail sécuritaires, et ainsi de suite. Il a été établi dans le cadre de cette enquête que le CN ne dispose pas d’un programme de surveillance des superviseurs qui exécutent le travail des membres du personnel d’exploitation, en particulier d’un programme de surveillance des superviseurs inexpérimentés.

[44] Au risque de simplifier à l’excès le témoignage de l’ASS Abbott à l’audience, ce dernier conclut et témoigne, pour l’essentiel, que tant en termes de formation et d’expérience que de supervision, le CN, à titre d’employeur, exige ou dispense moins de formation et/ou de supervision des superviseurs qu’il ne le fait pour les membres du personnel d’exploitation, et ce même si les tâches que ces deux groupes d’employés doivent exécuter, quoique dans des circonstances peut-être différentes comme c’est le cas en l’espèce, sont les mêmes. Autrement dit, d’après M. Abbott, ce que l’employeur considère comme une nécessité pour les membres réguliers du personnel d’exploitation, il ne le considère pas comme aussi nécessaire dans le cas des superviseurs qui exécutent des tâches des membres du personnel d’exploitation. M. Abbott a témoigné que M. Merson, un superviseur, avait reçu moins de formation que celle que suivrait un nouveau membre du personnel d’exploitation dans le cadre du programme de formation de l’employeur.

[45] D’après M. Abbott, le soir de l’accident de Merson, ce dernier avait enfreint un certain nombre de règles du REFC et des Instructions générales d’exploitation sur la vitesse, les vitesses acceptables d’aiguillage et d’accouplement et d’autres règles pendant qu’il opérait la loco-commande. Ces éléments ont fait ressortir la formation et l’inexpérience de M. Merson et sont au cœur de l’accident. M. Abbott était d’avis que ce sont les gestes de M. Merson qui ont précipité son accident et qu’il n’aurait pas posé ces gestes s’il avait bénéficié d’une formation et d’une surveillance suffisantes.

[46] En ce qui concerne la « protection non publiée » au triage MacMillan, que l’on appelle protection « d’alarme de débordement », M. Abbott a souligné qu’au cours de sa rencontre avec M. Merson, il n’a reçu aucune indication de ce dernier sur la question de savoir s’il bénéficiait ou non de ladite protection à l’époque, mais il a fait observer que le superviseur Merson a reconnu en avoir oublié l’existence, ce qui explique ses gestes pour tenter d’actionner le frein à main sur un wagon porte-rails en cavale.

[47] En ce qui touche le programme de formation, l’ASS Abbott a témoigné être au courant d’une autre ordonnance rendue par le même W.E. Hunter, mentionné précédemment, sur la question du programme de gestion de la fatigue. Cette dernière ordonnance datée du 22 mars 2007, dont le gestionnaire des opérations ferroviaires et de la santé et sécurité au travail est l’auteur, résulte de la conclusion de ce dernier selon laquelle [traduction] « une formation insuffisante a été donnée aux employés et aux superviseurs autres que de l’exploitation, quand ces employés (étaient) tenus de travailler dans la catégorie professionnelle des membres du personnel d’exploitation ». De fait, M. Hunter a conclu que [traduction] « le CN permet aux employés et aux superviseurs qui ne sont pas des membres du personnel d’exploitation de travailler dans les catégories professionnelles des membres du personnel d’exploitation sans formation appropriée de membre du personnel d’exploitation ou équivalente à celle-ci. »

[48] En conséquence de cette conclusion, l’ordonnance Hunter prévoyait que CN Rail [traduction] « n’autorise ni ne permet aux employés ou aux superviseurs ne possédant pas d’expérience dans le secteur de l’exploitation de travailler dans une catégorie professionnelle d’un membre du personnel d’exploitation à moins que ledit superviseur (ait) reçu au moins 10 jours de formation en classe sur les fonctions et les règles d’un membre du personnel d’exploitation et au moins 20 jours de formation en cours d’emploi dans la catégorie professionnelle d’un membre du personnel d’exploitation ». Ladite ordonnance avait occasionné la création du programme de formation en trois étapes (A-B-C) dans le cadre duquel les employés obtiennent progressivement leurs qualifications selon le niveau de formation suivie, pour terminer par la catégorie A dans le cas des employés qui ont satisfait aux exigences d’un minimum de 10 jours de formation en classe et d’au moins 20 jours de formation en cours d’emploi, obtenant ainsi les qualifications pour travailler à quelque titre de membre du personnel d’exploitation tel qu’il est indiqué dans le règlement CTC-1987-3 Rail et dans ces postes définis comme « membre du personnel d’exploitation » qui sont contenus dans les Règles relatives au temps de travail et de repos. C’est à ce titre que M. Merson travaillait le soir de son accident. En comparaison, la preuve documentaire obtenue dans le dossier de formation de M. Merson et de M. Rose (E-6, onglet 3) révélait que pour achever leur programme de formation, les nouveaux agents de train (membres du personnel d’exploitation) seraient tenus de réaliser de 45 à 60 périodes d’affectation, chaque stagiaire devant suivre au moins le tiers de cette formation dans le cadre d’affectations SCL.

[49] M. Abbott a toutefois fait observer que bien que l’ordonnance Hunter a découlé du pouvoir tiré de la Loi sur la sécurité ferroviaire, il a en revanche fondé son instruction sur son autorité tirée du Code. Dans les faits, l’ordonnance Hunter ne portait pas sur l’efficacité de la loco-commande, qui était au cœur de l’accident.

[50] Le témoignage de M. Merson était fondé sur son avis déclaré selon lequel la formation ne constituait pas un facteur dans l’accident. Il est un employé de CN Rail au triage MacMillan depuis février 2005 en qualité de coordonnateur de trains (poste maintenant connu sous l’appellation « surintendant général des transports »), un poste de gestionnaire hiérarchique. Au moment de l’accident, il remplaçait comme chef de train, une fonction de membre du personnel d’exploitation, qui a pour objet principal le mouvement sécuritaire et efficace de wagons porte-rails sur un territoire assigné. À titre de chef de train chargé d’assembler les trains dans un triage, il devait se limiter à opérer une locomotive au moyen d’une commande à distance, connue sous le nom de « loco-commande », car seul un mécanicien peut opérer une locomotive à partir de la cabine de l’appareil. Il a reconnu que la description donnée par l’agent Abbott de sa formation était exacte, tout comme celle dont aurait besoin un nouvel agent de train. Ainsi, dans la mesure où les règles du REFC et des Instructions d’exploitation sont concernées, M. Merson a déclaré qu’il possède un certificat de qualification de chef de train obtenu initialement en 2005 et renouvelé en mars 2008, après 40 heures de séminaires de formation et de tests sur les règles du REFC et sur certaines règles d’exploitation de CN Rail. À titre de superviseur, il doit obtenir une note de passage de 95 % parce qu’il est censé guider les membres du personnel d’exploitation et leur enseigner lesdites règles, dans le cadre de leur formation structurée. Toutefois, ils sont seulement tenus d’obtenir une note de passage de 80 %.

[51] M. Merson a reçu sa formation sur SCL en cours d’emploi d’autres coordonnateurs de trains (2) peu après être devenu un employé du CN. Elle comportait des instructions explicites sur les loco-commandes, le dépannage des commandes de locomotive et l’installation adéquate d’une unité de SCL ainsi que des notions de base de commande des trains à l’aide de la loco-commande du SCL et les applications pratiques pertinentes. Il a souligné qu’après sa formation, qui lui a été donnée à des moments différents par ces deux personnes, toujours séparément, il a fait entre 25 et 30 quarts de travail pendant lesquels il était l’opérateur principal muni d’une loco-commande. M. Merson avait apporté une loco-commande à l’audience et a montré ce qui semblait être une maîtrise plutôt complète de l’appareil, quoique lorsqu’il a été contre-interrogé par l’intervenant Poirier, il a également établi qu’il ne possédait pas une connaissance complète de toutes les fonctions de l’appareil.

[52] La description que donne M. Merson de l’accident ne diffère pas de celle de l’agent de sécurité Abbott. Selon lui, son mauvais jugement de la distance d’une tranche de wagons qu’il devait accoupler est au cœur de la situation, ce qui a fait que la vitesse à laquelle il a tenté d’agir était trop élevée, et que l’accouplement a échoué. Il s’en est suivi que ladite tranche de wagons a commencé à avancer librement et que M. Merson, qui souhaitait éviter que ces wagons obstruent une voie et entrent en collision avec d’autres wagons, a décidé de tenter de faire cesser le mouvement en courant le long de la voie et en sautant sur le wagon le plus rapproché pour actionner le frein à main. Il a reconnu qu’en agissant ainsi, il a en quelque sorte paniqué, ne s’étant jamais retrouvé auparavant en situation de collision éventuelle, et, dans ce qu’il a appelé une « situation unique », il a omis de réfléchir ou de se souvenir d’autres modes de protection disponibles, comme la protection « de débordement » qu’il connaissait par ailleurs. M. Merson a également souligné que dans sa hâte d’arrêter le mouvement des wagons en cavale, il ne s’est peut-être pas bien placé à bord du wagon sur lequel il tentait d’actionner les freins. Résultat, il a perdu pied parce qu’il n’avait pas les trois points de contact appropriés. De plus, M. Merson ne contestait pas la conclusion de l’agent de sécurité Abbott selon laquelle M. Merson n’avait pas observé les règles du REFC en enfreignant les règles applicables à la vitesse d’accouplement. Toutefois, cette infraction était imputable à son mauvais jugement de la distance applicable à la tranche de wagons qu’il désirait accoupler, et non à l’ignorance des règles, parce qu’il savait assez bien ce qu’aurait dû être la vitesse d’accouplement. Pour ce qui est des Instructions générales d’exploitation, M. Merson a déclaré qu’il connaissait toutes les instructions applicables et qu’il les avait respecté.

[53] Lorsque M. Merson a été contre-interrogé, il s’est dit d’avis que le personnel de supervision ne suit pas une formation différente pour les tâches d’exploitation, mais que leur formation est davantage pratique et dispensée en cours d’emploi par opposition à la formation en salle de cours/de réunion plus traditionnelle qui est offerte à d’autres personnes dans le cadre du programme de formation en place. Il a toutefois reconnu qu’en suivant 2,5 jours de formation SCL au début de son emploi (3-5 mois), 5 jours de formation REFC, 16 heures par mois de formation pratique et en ayant exécuté 14 périodes d’affectation sur le SCL, il a eu une formation moindre que celle que reçoivent les nouveaux agents de train qui doivent, dans le cadre de leur programme de formation, exécuter entre 45 et 60 périodes d’affectation d’exploitation dont au moins le tiers doivent être des affectations SCL. Toutefois, bien que M. Merson ne conteste pas qu’il a reçu moins de formation que ce qui est considéré nécessaire pour les employés réguliers de l’exploitation accomplissant les mêmes tâches que celles qu’il faisait au moment de l’accident, il a dit croire que ses 2,5 jours de formation SCL étaient suffisants, qu’il était plus compétent que ses pairs, dont son partenaire de ce soir-là (D. Rose), et que davantage de formation n’aurait pas fait de différence, parce que l’accident est attribuable à une erreur de sa part, quoique plus d’expérience aurait pu occasionner un résultat différent.

[54] Susan Seebeck a témoigné pour l’appelante. Elle est une employée de CN Rail depuis 36 ans, dont les 8 dernières comme gestionnaire principale des solutions de formation. De façon générale, elle gère la formation au CN, sauf la prestation de la formation technique, ce qui est fait en région et par les régions en raison de la spécificité professionnelle. Dans le cadre de ses responsabilités, elle élabore ou supervise l’élaboration de toute la formation au CN et elle gère l’exécution de la formation destinée aux gestionnaires au CN. Elle a souligné qu’elle ne s’occupe pas de l’élaboration de la formation des chefs de train et qu’elle n’élabore pas les règles applicables à la formation. Elle a indiqué qu’elle était au courant de la lettre/ordonnance Hunter datée du 22 mars 2007 (ultérieure à l’accident subi par M. Merson) qui a été produite aux termes de la LSF et qui ordonnait qu’un programme de formation soit établi pour le personnel autre que le personnel d’exploitation, car ces membres du personnel avaient une formation insuffisante dans la réalisation de tâches d’exploitation. Elle savait également que la lettre/ordonnance Hunter faisait référence à l’arrêt de travail de février 2007 chez CN Rail et avait noté que le CN [traduction] « permet aux employés et aux superviseurs qui ne sont pas des membres du personnel d’exploitation de travailler dans les catégories professionnelles des membres du personnel d’exploitation sans formation appropriée de membre du personnel d’exploitation ou équivalente à celle-ci. »

[55] Mme Seebeck a par conséquent contribué à l’élaboration, après le 22 mars 2007, d’un programme de formation qui répondrait à l’ordonnance Hunter, en particulier pour les gestionnaires du personnel autre que d’exploitation. Ainsi, elle a établi un calendrier de formation des gestionnaires comme chefs de train, elle a préparé un site Web qui permettrait aux gestionnaires qui ne font pas partie du personnel d’exploitation de voir le calendrier de formation, de s’inscrire et de prendre connaissance du contenu de la formation et des obligations dont il faut s’acquitter. Enfin, elle a élaboré une base de données électronique qui permet d’établir si les gestionnaires autres que le personnel d’exploitation ou les gestionnaires du personnel d’exploitation sont qualifiés comme chefs de train et de surveiller leur progression dans le programme de formation. Comme le programme qu’elle a élaboré repose essentiellement sur une formation pratique qui nécessite un certain nombre de périodes de service pour obtenir des qualifications (ces périodes étant également connues sous le nom de déplacements ou d’affectations), il est joint au système Company Officer Log (COLOG) qui consigne le nombre d’affectations qui auront été faites par un superviseur comme chef de train/mécanicien pour atteindre le niveau de qualification recherché, et au registre des travailleurs ferroviaires stagiaires, un document dont se servent les stagiaires et les formateurs pour consigner la réalisation de tâches menant à la formation et aux observations des formateurs sur la progression des stagiaires.

[56] Le programme qui a été élaboré est connu sous l’appellation de programme ABC. Dans le cadre de ce programme, un participant progressera de l’étape C à l’étape A à chaque étape de formation qui doit être franchie avant que le participant puisse passer à la prochaine étape. Ce programme, officiellement intitulé Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire, s’apparente à de nombreux égards au Programme de formation des cheminots stagiaires pour les nouvelles embauches et pour les employés promus récemment à des postes de superviseur direct et en ce qui touche son modèle de calendrier qui exige, entre autres périodes de formation, 15 jours de formation sur les Règles (REFC) et 5 jours de formation sur la loco-commande. Dans le cas du Programme ABC/Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire, la réussite des trois niveaux n’équivaut pas, pour un superviseur, à une qualification pour opérer la loco-commande et 5 jours supplémentaires de formation sont nécessaires (soit 2 jours en salle de cours et 3 jours de formation pratique avec un formateur) une fois les trois étapes franchies, en plus des 16 périodes de service ou affectations requises en ce qui concerne la fonction (comme celle de chef de train de manœuvre) pour laquelle on invoque une qualification.

[57] Mme Seebeck a indiqué que tous les programmes de formation sont élaborés suivant le même mode d’élaboration, peu importe qu’ils s’appliquent ou non aux nouvelles embauches ou aux employés nouvellement promus ou qu’ils s’adressent ou non aux superviseurs qui devront effectuer des travaux d’exploitation. Dans le cas du Programme de formation des cheminots stagiaires, le modèle de calendrier prévoit un certain nombre de blocs-sujets à durée variable ( Règles -15 jours; loco-commande – 5 jours, etc.) devant être suivis au cours d’une période initiale de 6 mois, puis une formation en cours d’emploi avec formateur d’une durée totale de 12 à 18 mois. Dans le cas du Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire, un programme volontaire présenté comme un atout professionnel pour les superviseurs, la voie du Programme ABC est constituée de blocs de formation en classe sur les règles, à durée variable (de 2 à 5 jours), dont la note de réussite s’établit à 90 % et à laquelle doivent s’ajouter 16 périodes d’affectation (déplacements dans le triage et déplacements sur la voie principale) qui doivent être inscrites dans le système COLOG à des fins de vérification de l’achèvement du programme. Comme l’a dit le témoin, la formation en classe et les 16 périodes d’affectation prévues dans le cheminement du programme doivent être complétées par une évaluation effectuée par le gestionnaire des pratiques d’exploitation, qui est chargé d’appliquer et d’interpréter le REFC et de déterminer si le superviseur possède les qualifications ABC. Des périodes d’affectation additionnelles pourraient être exigées. Tel qu’il a été mentionné précédemment, le fait d’avoir complété ce programme ne confère pas à la personne les qualifications requises pour opérer une loco-commande. La formation à cet égard n’est pas couverte par ce programme et exige une formation additionnelle d’une durée de 5 jours qui se subdivise en 2 jours en salle de cours et 3 jours de formation pratique. Aux termes du Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire, la personne est également tenue d’exécuter 4 périodes d’affectation chaque année pour maintenir sa qualification à l’égard des règles.

[58] Dewayne Rose a été appelé à témoigner par l’intimée. À la date de l’accident subi par M. Merson, il était l’autre membre de l’équipe de deux personnes qui comprenait M. Merson. M. Rose est devenu un employé de CN Rail en mars 2006 et a d’abord occupé le poste de superviseur en formation pour une durée d’environ six mois. Au moment de l’accident, il occupait le poste de superviseur des mécaniciens, poste qu’il occupe toujours à ce jour. À ce titre, il n’apporte pas d’aide aux membres du personnel d’exploitation. Ce serait limité à des superviseurs comme M. Merson. M. Rose a suivi sa formation SCL pendant ses 6 à 7 premiers mois de formation, qui constituaient, dans les faits, ses premiers mois à titre d’employé de CN Rail. Au cours de ces mois, il a d’abord reçu une formation sur de nombreux sujets, dont le REFC, certains départements du CN et les systèmes du CN qui sont utilisés. Dans la mesure où les règles du REFC sont concernées, sa formation a duré trois semaines. Bien qu’il ne se souvenait pas combien de ces 6 à 7 premiers mois de formation il a consacré à une formation de chef de train, il a souligné que comme cela s’inscrivait dans le transport, il s’agissait du volet le plus long de la formation reçue. En ce qui concerne l’opération de la loco-commande, M. Rose a témoigné avoir suivi trois jours de formation (1 jour en salle de cours et 2 jours de formation pratique en cours d’emploi), après quoi il a obtenu immédiatement son accréditation. Son dossier de formation (E-6, onglet 3) indique qu’il a fait 2 jours de formation SCL en salle de cours/sur le site, puis un certain nombre de quarts de travail au cours desquels il a opéré la loco-commande à partir de cette date. Outre son attestation comme opérateur de loco-commande, il est également un chef de train qualifié/agréé. Il a clarifié son expérience comme opérateur de loco-commande en déclarant que tous ses quarts de travail comme opérateur de loco-commande, dont il ne se rappelle pas le nombre exact, ont eu lieu à compter de la date à laquelle l’arrêt de travail a débuté chez CN Rail, soit le 7 février 2009, jusqu’à la date de l’accident. En réponse à une question de l’intervenant, M. Rose a indiqué ne pas savoir que la formation habituelle des membres du personnel de l’exploitation du triage comporterait 30 déplacements ou affectations. En ce qui concerne la formation des superviseurs relativement aux tâches des membres du personnel d’exploitation, M. Rose n’était pas en désaccord avec la thèse soutenue par l’intervenant, selon laquelle la sécurité au travail serait rehaussée si les superviseurs avaient le même niveau de formation en exploitation que les agents de triage réguliers. Il a mentionné que [traduction] « davantage de formation ne peut jamais nuire ». Toutefois, il a ajouté que dans cette affaire, davantage de formation n’aurait fait aucune différence dans la situation.

[59] Le soir de l’accident, M. Rose a souligné que ce n’est pas lui, mais plutôt M. Merson, qui exerçait le contrôle du mouvement et que bien qu’ils étaient en contact radio, M. Merson ne l’a pas expressément informé de ce qui s’était produit, que les wagons n’avaient pas été accouplés et qu’ils revenaient. Comme il ignorait la distance qui devait être couverte pour compléter l’accouplement, M. Rose n’a pas donné son avis sur la question de savoir si la vitesse ordonnée par M. Merson pour lancer le mouvement d’accouplement, soit 13,5 km/h d’après les données téléchargées dans le SCL (E-5, onglet-2), était excessive. Il ne contrôlait pas le mouvement parce qu’il protégeait le point (il conduisait la locomotive). Il ignorait donc quelle était la distance à couvrir. Toutefois, cette vitesse ne lui semblait pas excessive et en conséquence, il n’a pas senti la nécessité de contacter par radio M. Merson.

[60] Lorsqu’il a été contre-interrogé par M. McFadden, M. Rose a reconnu qu’une communication constante entre les deux membres de l’équipe ne serait pas quelque chose d’habituel. À son avis, il aurait été normal qu’il soit informé lorsqu’il « tirait » parce qu’il protégeait le point, mais il n’était pas nécessaire qu’il soit informé lorsqu’il allait dans l’autre direction. Il était d’avis qu’il n’avait pas à être tenu au courant de chaque mouvement vers l’avant et vers l’arrière parce qu’il n’exerçait pas de contrôle du mouvement sur la loco-commande.

Les arguments

[61] À la demande de l’agent d’appel soussigné, toutes les parties ont communiqué par écrit leurs arguments verbaux et les deux ont été pris en compte par le tribunal. Nous ne tenterons pas de reproduire intégralement ces arguments, mais plutôt de résumer ce qui, de l’avis du tribunal, représente les principaux éléments de chacun.

L’appelante

[62] D’entrée de jeu, M. McFadden, qui représente l’appelante, a reconnu la gravité des conséquences de l’accident pour M. Merson. Il a toutefois souligné que l’appel porte sur deux instructions particulières, et ne constitue [traduction] « pas une tentative par le CN de minimiser la gravité de l’accident ou de contester la nécessité de préserver un degré élevé de diligence et d’observer les règles de sécurité établies et les pratiques sécuritaires en tout temps », et qu’il devrait être reconnu que la survenance de l’accident ne justifie pas en soi l’émission des instructions.

[63] L’avocat fait reposer l’argumentation de l’appelante sur deux éléments essentiellement parallèles, le premier étant la situation plus précise de M. Merson et le deuxième, la situation plus générale de l’employeur. Essentiellement, en ce qui concerne M. Merson, l’avocat fait valoir qu’au moment de l’accident, M. Merson avait suivi une formation adéquate et suffisante conformément au programme de formation existant et d’expérience de travail additionnelle, qu’il n’était pas fatigué et qu’avant de débuter son quart de travail, il avait eu une période de sommeil suffisamment reposante, le tout conformément à un programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs qui travaillent comme membres du personnel d’exploitation déjà en place chez l’employeur. En ce qui a trait à la situation plus générale de l’employeur, les arguments de l’appelante se présentent encore une fois en deux volets. Premièrement, pour ce qui est de la gestion de la fatigue, il a été souligné qu’au moment de l’accident, CN Rail disposait déjà d’un programme particulier de gestion de la fatigue pour les superviseurs travaillant comme membres du personnel d’exploitation, ledit programme ayant été établi conformément aux Règles relatives au temps de travail et de repos alors existantes et en vertu d’une ordonnance rendue en application de la Loi sur la sécurité ferroviaire, une loi qui, bien qu’elle n’est pas le Code canadien du travail, comportait un objet semblable à celui du Code et devait être étudiée et interprétée conjointement avec le Code. En outre, la Loi sur la sécurité ferroviaire, qui était structurée pour prendre en compte la situation particulière des superviseurs, était liée à tous les autres programmes de gestion de la fatigue pour les membres du personnel d’exploitation une fois qu’un superviseur a commencé à travailler comme membre du personnel d’exploitation.

[64] Deuxièmement, en ce qui concerne la formation, qui était présentée comme seul élément dont a traité le rapport d’enquête de l’agent de santé et de sécurité, les arguments soumis s’articulaient essentiellement autour du fait que l’employeur avait mis en place, plusieurs années avant l’embauche de M. Merson, un programme complet de formation pour les superviseurs immédiats nouvellement recrutés, le Programme de formation des cheminots stagiaires, qu’un nouveau programme visant à compléter le précédent, le Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire (connu sous le nom de programme ABC) avait été mis en place peu après l’accident Merson, et que l’affirmation de l’agent de santé et de sécurité selon laquelle les superviseurs travaillant comme membres du personnel d’exploitation devraient suivre au moins autant de formation que les personnes embauchées comme membres du personnel d’exploitation n’était pas fondée.

[65] L’avocat a rappelé les principaux éléments de la situation, tels qu’ils ont été résumés précédemment. Il a reconnu que comme M. Merson a mal jugé la distance de déplacement dont il avait besoin pour réaliser l’accouplement souhaité, la vitesse choisie de 15 km/h sur la loco-commande s’est révélée supérieure à la vitesse d’accouplement recommandée, ce qui a provoqué l’échec de l’accouplement qui a causé la liberté du mouvement des wagons porte-rails qu’il entendait accoupler, sa hâte excessive subséquente à tenter de stopper le mouvement, et son défaut de s’assurer pour lui-même qu’il avait une bonne prise en trois points sur le wagon porte-rails sur lequel il est monté à cette fin, et finalement sa blessure. L’avocat a établi un lien entre l’oubli momentané, par M. Merson, du système de débordement à sécurité intégrée et sa hâte momentanée (M. Merson l’a décrite comme une certaine forme de panique) de prévenir une collision du wagon porte-rails, et le fait qu’il a excédé la vitesse maximale d’accouplement recommandée et a imputé son erreur à un mauvais jugement quant à la distance plutôt qu’à l’ignorance de ce que devrait être cette vitesse.

[66] En ce qui a trait à la formation de M. Merson, l’avocat a souligné qu’outre ses qualifications officielles de chef de train et sa formation sur l’emploi de la loco-commande, ainsi que 14 quarts de travail complets avec un contrôleur à loco-commande entre août et octobre 2006, il avait fait de 25 à 30 quarts supplémentaires avec ladite loco-commande au moment de l’accident. Par conséquent, même s’il n’a peut-être pas suivi comme tel toute la formation officielle sur l’emploi de la loco-commande prévue qui est requise pour les nouveaux superviseurs immédiats (5 jours), au moment de l’accident, il avait acquis autant d’expérience dans l’utilisation dudit appareil que les membres du personnel d’exploitation nouvellement embauchés lorsqu’ils auront achevé leur formation sur l’emploi de la loco-commande.

[67] En ce qui touche la fatigue éventuelle de M. Merson, l’avocat a fait valoir que bien que le superviseur Merson avait fait 6 quarts consécutifs de 12 heures juste avant le soir de l’accident, il n’éprouvait pas de fatigue physique parce que ces quarts de travail ne comportaient pas de tâches épuisantes physiquement, son travail ayant été essentiellement accompli à son pupitre. De plus, en ce qui concerne les programmes de gestion de la fatigue au CN, et en particulier le programme pour les superviseurs qui accomplissaient des tâches de membre du personnel d’exploitation, l’avocat a fait observer que lorsque les Règles relatives au temps de travail et de repos pour les superviseurs travaillant comme membres du personnel d’exploitation de l’Association des chemins de fer du Canada ont été élaborées (règle 5.1.7), la période de 24 heures ayant précédé immédiatement le travail comme membre du personnel d’exploitation était considérée comme période de référence privilégiée pour évaluer la fatigue possible parce que les superviseurs ont tendance à travailler comme membres du personnel d’exploitation sur une base exceptionnelle, que les mesures de protection qui devaient être établies devaient être applicables et que le fait d’exiger que les superviseurs aillent au-delà de la période de 24 heures exigerait, dans les faits, que les superviseurs le fassent sur la base de leurs souvenir de la période précédente, car il n’existe pas de système de gestion du temps pour les superviseurs.

[68] En ce qui concerne la question plus générale des programmes de formation de l’employeur et l’instruction émise par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott qui est portée en appel, l’avocat a fait valoir que pendant au moins 5 ans avant l’accident de M. Merson, survenu le 19 mars 2007, CN Rail disposait d’un programme de formation des cheminots (PFC) pour les superviseurs immédiats nouvellement recrutés, qui comprenait un ensemble de cours détaillés et avancés et une formation pratique sur un aspect très général des activités du personnel d’exploitation, dont la formation relative au REFC, les activités des chefs de triage et d’autres activités similaires, dont une formation de 5 jours sur l’utilisation de la loco-commande. Il a ajouté qu’après l’accident de M. Merson, et en conséquence d’une ordonnance de Transports Canada établie en vertu de la règle 3 adoptée en application de la LSF, mais avant l’instruction datée du 20 juillet 2007 de l’agent de la santé et de la sécurité Abbott qui porte sur la formation, le CN a élaboré et mis en place un programme additionnel de formation appelé Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire qui prévoyait les divers niveaux d’avancement de la qualification, parfois désigné sous le nom de programme ABC, le niveau A représentant les capacités et les qualifications les plus élevées et s’adressant également aux superviseurs immédiats.

[69] En ce qui concerne la question plus générale de l’instruction donnée à l’employeur d’établir un programme de gestion de la fatigue (PGF) pour les superviseurs qui exécutent des tâches d’un membre du personnel d’exploitation, l’avocat a fait valoir qu’en tentant de protéger les superviseurs contre les heures excessives travaillées avant d’accomplir des tâches d’un membre du personnel d’exploitation, l’instruction employait un vocabulaire qui était trop flou, mais que peu importe ce facteur, un tel programme était déjà en place lorsque l’agent de la santé et de la sécurité a choisi d’émettre l’instruction.

[70] Il a fait valoir que pour l’essentiel, ce programme particulier de gestion de la fatigue, institué conformément à une ordonnance émise en vertu de la LSF, mais ignorée par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott sous prétexte qu’elle n’a pas été émise en vertu du Code, exige des superviseurs qui doivent accomplir des tâches de membre du personnel d’exploitation de consigner leurs activités professionnelles au cours de la période de 24 heures précédant immédiatement le travail comme membre du personnel d’exploitation dans un système appelé « COLOG », un système créé pour le PGF particulier des superviseurs, et d’inclure cette période à toutes fins pour déterminer les Règles relatives au temps de travail et de repos propres à certains superviseurs et établir des limites s’appliquant aux membres du personnel d’exploitation. En outre, tous les autres PGF généraux et particuliers qui visent les membres du personnel d’exploitation s’appliquent à un superviseur une fois qu’il a commencé à travailler à titre de membre du personnel d’exploitation. Sur ce point, le cœur de l’argumentation de l’appelante est qu’au moment de l’accident et de l’instruction subséquente, un PGF déjà en place satisfaisait à toutes les exigences de l’instruction émise par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott, si ce n’est que ladite instruction n’a pas été établie en vertu du Code canadien du travail.

[71] Bref, le CN a fait valoir, en ce qui concerne le PGF particulier des superviseurs, que le tribunal ne devrait pas s’ingérer dans l’approche nuancée et poussée qui a été élaborée par le groupe de travail de l’Association des chemins de fer du Canada sur une période de 6 ans pour concevoir et mettre en place des règles relatives au temps de travail et de repos pour les superviseurs qui travaillent comme membres du personnel d’exploitation. De même, on a fait valoir que le tribunal devrait se montrer hésitant à maintenir l’instruction de l’agent de la santé et de la sécurité Abbott en matière de formation compte tenu du programme de formation détaillé que le CN avait non seulement déjà mis en place au moment de l’accident de M. Merson, mais en particulier de la formation qu’il a élaboré depuis l’accident, et de l’absence de lien entre ledit accident et le niveau de formation et d’expérience de M. Merson à l’époque.

[72] Pour terminer son argumentation, l’avocat de l’appelante a souligné un certain nombre de possibilités qui s’offraient au soussigné pour statuer sur les deux questions restantes.

[73] Premièrement, en ce qui touche l’instruction sur un programme de gestion de la fatigue, l’avocat estimait qu’elle devrait être annulée, parce qu’il n’y avait aucune preuve que M. Merson était fatigué ou que la fatigue a joué un rôle quelconque dans l’accident, ce qui enlève toute justification à l’instruction. Subsidiairement, l’avocat était d’avis que l’instruction devrait être annulée parce qu’elle est théorique et redondante, étant donné que l’employeur disposait déjà d’un PGF propre aux superviseurs qui se conformait effectivement à l’instruction. Il a ajouté que même si j’étais d’avis que le PGF existant ne rend pas l’instruction théorique et redondante, je devrais quand même annuler ladite instruction observée en raison du PGF existant. Enfin, l’avocat a soutenu que l’instruction devrait être annulée en invoquant la doctrine de « l’erreur quant à l’état du droit provoquée par une personne en autorité ».

[74] Deuxièmement, en ce qui concerne l’instruction qui a trait à la formation, l’avocat a fait valoir qu’elle devrait être annulée, parce qu’il n’y avait aucune preuve que la formation de M. Merson ou la soi-disant inexistence de celle-ci a joué un rôle dans l’accident, ce qui fait que l’émission de ladite instruction ne serait aucunement fondée. Subsidiairement, l’avocat estimait que sans égard à la présence d’une telle preuve, l’instruction devrait quand même être annulée sous prétexte qu’elle est redondante et théorique parce que l’employeur a mis en place, depuis l’accident, un programme particulier de formation pour les superviseurs immédiats, tel qu’exigé et approuvé par Transports Canada. Enfin, l’avocat a fait valoir que l’instruction devrait néanmoins être annulée en raison de la doctrine de « l’erreur quant à l’état du droit provoquée par une personne en autorité ».

[75] Le représentant de l’intimée a d’abord passé en revue la preuve présentée à l’audience, en s’attardant surtout sur le témoignage de M. Merson et en le comparant aux données tirées du matériel présenté en pièce. Ainsi, de façon générale, la description générale de la situation, telle qu’elle a été relatée dans le rapport d’enquête et dans les témoignages faits à l’audience, ne pose pas de problème à l’intimée. En outre, l’intimée a reconnu que même si l’élément central de la situation avait trait au mauvais jugement de M. Merson quant à la distance entre l’équipement dont il avait le contrôle et l’équipement stationnaire qu’il tentait d’accoupler, M. Merson avait évalué avec assez d’exactitude, voire avec une certaine prudence, les 600 à 800 pieds (de 10 à 12 longueurs de wagons) entre les deux. L’intimée a toutefois souligné, relativement à la tentative d’accouplement et à la vitesse à laquelle elle s’est produite, que les commandes de la loco-commande dont M. Merson a témoigné n’étaient pas cohérentes avec celles qui étaient inscrites dans le téléchargement SCL. Fait plus important encore, de l’avis de l’intimée, ni le téléchargement ni la déclaration de M. Merson n’observaient les directives d’accouplement qui se trouvaient dans le guide de formation de l’employeur sur les opérations de la loco-commande.

[76] L’intimée a également fait valoir qu’en plus de cette première erreur, M. Merson avait également enfreint la règle 105 du REFC (vitesse sur une voie autre que la voie principale) qui exigeait que l’appareil qui utilise une voie autre qu’une voie principale soit opéré à vitesse réduite, ce qui signifie une vitesse qui permettrait d’arrêter en deça de la moitié de la distance de visibilité de l’équipement, ce qui n’avait manifestement pas été le cas. L’intimée a souligné que si la règle 105 avait déjà été observée, toutes autres choses étant égales par ailleurs, la collision ne se serait pas produite, ce qui laisse croire que l’accident ne serait pas survenu, car le mouvement non désiré de l’équipement stationnaire ne se serait pas produit. L’intimée a ensuite souligné un autre défaut de respecter les règles du REFC par M. Merson. Cette fois, elle a soutenu que M. Merson aurait pu empêcher le mouvement non désiré de l’équipement stationnaire s’il avait observé la règle 113 du REFC qui traite de l’« attelage à du matériel roulant » et qui exige qu’« [a]vant de s'atteler à du matériel roulant en un endroit quelconque, il faut s'assurer que ce matériel roulant est convenablement immobilisé […] », ce qui n’avait pas été le cas. Pour compléter la liste d’erreurs soulevées par l’intimée, le représentant de celle-ci a souligné que M. Merson a oublié l’existence du dispositif de sécurité appelé « protection contre les débordementrs » et l’aveu de M. Merson selon lequel même s’il était au courant de l’existence de ce dispositif de sécurité, il n’y a pas pensé au moment de l’accident. M. Merson a en outre reconnu qu’il ne se serait pas placé en position de se blesser s’il s’était souvenu de l’existence du dispositif de sécurité en question. Pour terminer l’examen de ces erreurs de commises par M. Merson, l’intimée a souligné son défaut de s’assurer d’être bien positionné sur le wagon porte-rails dans lequel il était monté pour tenter d’actionner le frein à main et l’inobservation de sa part de la pratique d’exploitation sécuritaire qui consiste à avoir 3 points de contact lorsque l’on court sur du matériel ferroviaire.

[77] Cette démarche a amené l’intimée à formuler le commentaire suivant, et par voie de conséquence à exprimer ce qui selon elle justifie le maintien des instructions et le rejet de l’appel, à savoir la formation insuffisante et la fatigue de M. Merson :

[Traduction] Nous avons rencontré M. Merson et avons entendu son témoignage. M. Merson nous a semblé être un employé expérimenté et consciencieux. Et compte tenu du poste actuel de M. Merson et des responsabilités qui lui sont confiées, le CN a manifestement confiance en ses capacités et le considère comme un employé précieux. Il serait très difficile de croire que ses gestes ont découlé de la négligence et il serait encore plus difficile de croire à quelque intention malveillante que ce soit. Cependant, quelque chose a affecté les capacités, la prise de décisions et la conscience de la situation de M. Merson pour l’amener à faire fi d’autant de mesures de sécurité, dont chacune aurait pu, en elle-même, prévenir cet accident malheureux.

[78] En ce qui concerne la formation, l’intimée a fait référence aux dossiers de formation de M. Merson et de D. Rose, l’autre membre de l’équipe le soir de l’accident, ainsi qu’à leur témoignage à l’audience, d’après lesquels M. Merson a reçu une formation sur SCL de 2,5 jours et M. Rose a reçu une telle formation de 3 jours, constituée de 1 jour en salle de cours et de 2 jours de formation pratique. L’intimée est d’avis qu’il est incontestable que les deux employés n’ont pas reçu le même nombre de jours de formation pour travailler avec l’équipement SCL que les membres réguliers du personnel d’exploitation, quoique l’on s’attendait à ce qu’ils accomplissent les mêmes fonctions. De plus, l’intimée estime que bien que ces deux employés ont pu recevoir des documents de formation comparables à ceux qu’ont obtenu les membres du personnel d’exploitation, leur formation leur a été donnée en une période abrégée et on ne leur a pas accordé le même nombre de déplacements ou de manœuvres avec un membre d’équipage qualifié pour apprendre l’application pratique de l’équipement SCL comme un membre du personnel d’exploitation qui se familiarise avec les opérations de la loco-commande l’aurait fait. Compte tenu du fait que M. Merson et M. Rose occupent des postes de superviseur et ne doivent utiliser l’équipement SCL que rarement, notamment lorsqu’il manque du personnel, ils ne connaissent pas l’équipement aussi bien que les membres du personnel d’exploitation qui utilisent le même équipement quotidiennement, ce qui fait qu’ils ont besoin au moins de la même formation que ces employés.

[79] Toujours en ce qui a trait à la formation, l’intimée s’est reportée au témoignage de Mme Susan Seebeck, gestionnaire principale du CN en matière de solutions de formation, qui a témoigné que le programme qu’elle a conçu à l’intention des nouveaux gestionnaires renfermait un volet de 5 jours sur les opérations de la loco-commande, soit une formation en classe de 2 jours et une formation pratique de 3 jours, et que ce programme est en place depuis au moins cinq ans. Ces renseignements ne cadrent pas avec les déclarations des deux employés, selon lesquelles ils n’avaient pas reçu ce nombre de jours de formation, même s’ils ont été recrutés au cours des trois dernières années. En soulignant les déclarations de M. Merson et de M. Rose selon lesquelles ils estimaient avoir reçu une formation adéquate sur l’équipement SCL, l’intimée a mentionné les gestes posés par M. Merson lorsqu’il faisait fonctionner l’unité SCL et ses nombreuses infractions aux règles et s’est demandée si le niveau de formation avait contribué à l’accident et si une formation plus poussée aurait pu faire diminuer le risque que ce type d’accident survienne de nouveau.

[80] En ce qui a trait à la fatigue, l’intimée ne contestait pas le fait que les règles relatives au temps de travail et de repos pour les membres du personnel d’exploitation ferroviaire s’appliquent uniquement aux membres du personnel d’exploitation, et que par conséquent, les superviseurs sont visés par l’application de ces règles seulement lorsqu’ils exécutent les fonctions d’un membre du personnel d’exploitation, sauf pour ce qui est de la règle 5.1.7, qui considère seulement les heures de service effectuées par un superviseur au cours de la période de 24 heures qui a immédiatement précédé le début de son travail comme membre du personnel d’exploitation, et ce aux fins du calcul du temps de service maximal disponible et des heures de repos obligatoires établis dans l’article 5 de ces règles.

[81] L’intimée ne contestait pas non plus le fait que l’exigence d’élaborer des programmes particuliers de gestion de la fatigue définis par l’article 6 des règles s’applique uniquement aux membres du personnel d’exploitation. En ce qui touche les antécédents professionnels de M. Merson au cours des dix jours qui ont précédé l’accident, l’intimée ne contestait pas que même si M. Merson avait travaillé 72 heures au cours des 6 jours précédant l’accident, il n’enfreignait pas les règles lorsqu’il a commencé à travailler comme membre du personnel d’exploitation et il avait le droit de travailler à ce titre pendant 10 heures en vertu des dispositions de l’article 5 des règles. L’intimée a toutefois souligné le fait que cette situation fait nettement contraste avec l’exigence des règles selon laquelle le facteur de la fatigue doit être pris en compte dans le cas de membres réguliers du personnel d’exploitation lorsque ces employés travaillent plus de 64 heures sur une période de 7 jours, et que ce critère avait été élaboré à la suite d’une longue étude dont les conclusions se sont appuyées sur un groupe professionnel (les mécaniciens de locomotive) dont les fonctions comportaient des exigences physiques qui s’apparentaient fortement à celles d’un coordonnateur de trains, groupe auquel appartenait M. Merson.

[82] Si l’on met en contexte le fait que M. Merson, qui prétendait que la fatigue n’avait pas constitué un facteur dans l’accident, avait travaillé six quarts de soir de 12 heures consécutifs pour un total de 72 heures sur une période de 6 jours avant l’accident, et compte tenu de ce que la prise de décision et la conscience de la situation de M. Merson ont établi, d’après l’intimée, jusqu’à cet accident, l’intimée s’est dite d’avis que serait soulevée la question de savoir si la fatigue a pu contribuer à l’accident et si des mesures pourraient être mises en place pour prévenir sa répétition.

[83] En conclusion, l’intimée s’est dite d’avis que l’agent de la santé et de la sécurité Abbott avait établi à juste titre que la formation et la fatigue avaient contribué à l’accident et que ses instructions avaient bien réglé ces problèmes et ne devraient pas être perturbées.

[84] À titre d’intervenant, M. Poirier a également obtenu la possibilité de formuler des observations finales. En ce faisant, M. Poirier a exprimé une position dont les arguments se rapprochent étroitement de ceux qui ont été formulés par l’intimée, ce qui fait qu’il n’est pas actuellement nécessaire de présenter de manière exhaustive ce qui constituerait essentiellement une répétition de ces arguments. Cela étant dit, M. Poirier a toutefois adopté une position légèrement plus précise, voire différente, sur la question de la fatigue et de la gestion de la fatigue. D’après M. Poirier, CN Rail dispose d’un plan pour surveiller les membres de la direction et pour les empêcher de travailler plus de 64 heures réparties sur une période de 7 jours. Toutefois, il s’est dit d’avis que ce n’est pas le problème cerné par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott, mais que le problème réside plutôt dans l’absence de plan en place pour empêcher les employés de travailler [traduction] « des heures excessives avant d’accomplir des tâches de membre du personnel d’exploitation ». L’intervenant Poirier a mentionné le témoignage de Don Watts selon lequel un superviseur peut travailler un nombre infini de quarts d’affilée à la condition qu’il n’accomplisse pas de tâches d’exploitation et que dans les cas où un superviseur exerce des tâches comme membre du personnel d’exploitation, sa fiche de travail puisse être biffée après 24 heures à la condition que le superviseur reprenne ses fonctions de gestion habituelles.

[85] Faisant mention de l’avis exprimé par M. Merson selon lequel il n’était pas fatigué au moment de l’accident même s’il avait travaillé 72 heures au cours des 6 jours précédents et selon lequel il se sentait [traduction] « plus qualifié » que M. Rose et [traduction] « plus confiant » qu’un superviseur possédant beaucoup plus d’expérience que lui, M. Poirier a attiré l’attention sur le témoignage de M. Abbott et sur son rapport selon lequel la fatigue peut occasionner le ralentissement des réactions à des stimuli normaux ou à des stimuli d’urgence, et, dans les faits, exiger plus de temps pour percevoir, interpréter et comprendre les objets et les événements et y réagir. M. Poirier a exprimé l’opinion que les renseignements recueillis par l’enquêteur Abbott révèlent que les opérateurs fatigués peuvent prendre des raccourcis au niveau de la procédure qu’ils n’envisageraient pas lorsqu’ils sont alertes, parce qu’ils ne reconnaissent pas un niveau accru de risque. En raison de leur fatigue, ils n’évalueraient pas convenablement leur vigilance et leur rendement. Se référant aux 6 quarts/72 heures de travail de M. Merson, qui correspondaient à près du double d’une semaine de travail de 40 heures, M. Poirier se demandait comment M. Merson aurait pu connaître son degré de fatigue. Au surplus, M. Poirier estime que les erreurs commises par le superviseur Merson et le peu de cas qu’il a fait de certaines des règles et des pratiques mêmes au sujet desquelles il est censé agir comme mentor auprès d’employés réguliers qui lui sont affectés, sont la preuve d’une erreur de jugement qui peut être attribuée à la fatigue.

[86] En ce qui concerne la formation, l’intervenant Poirier a repris la thèse de l’intimée en soulignant de nouveau que même si, comme l’a mentionné Mme Seebeck lors de son témoignage, l’exigence d’une formation sur l’utilisation de la loco-commande était en place depuis au moins 5 ans, formation constituée de 5 jours en salle de cours et de une sur place devant être suivie de 8 manœuvres sur la route et de 8 manœuvres en gare avant qu’un superviseur puisse travailler seul, dans le cas de M. Rose et de M. Merson, cette exigence n’a pas été respectée, en particulier dans le cas de M. Merson, pour lequel la formation a été réduite à une formation pratique et à un cours d’une durée de deux jours avec les instructeurs Madigan et Karn. M. Poirier est d’avis que M. Merson n’ayant pas reçu de formation en salle de cours, l’on pourrait conclure que le non-respect des directives sur l’application des règles et des pratiques sur la bonne manœuvre des trains ont joué un rôle majeur dans la survenance de cet accident. D’après l’intervenant Poirier, des programmes de formation et du matériel ont beau être en place chez CN Rail, c’est l’inobservation de ces programmes qui pose problème.

[87] Dans sa conclusion, M. Poirier a souligné l’intelligence et les capacités de M. Merson, qui était à l’époque chargé de diriger l’une des plus grandes gares de triage en Amérique et a remis en question l’hypothèse selon laquelle la formation et la fatigue n’avaient pas constitué un facteur. En effet, il s’est demandé comment un tel [traduction] « superviseur si hautement considéré » a pu commettre autant d’erreurs, de l’inobservation de règles et de pratiques de manœuvre de train à quelque chose d’aussi simple que le fait de s’assurer d’avoir 3 points de contact sur une pièce d’équipement en déplacement, si ce n’est que la fatigue et une formation insuffisante s’inscrivaient dans l’équation. Ainsi, il a affirmé que je ne devrais pas perturber les conclusions de l’agent de la santé et de la sécurité Abbott, un homme dont les 44 ans d’expérience dans divers domaine du secteur ferroviaire devraient appeler le respect.

Analyse et décision

[88] Une courte observation initiale. Les instructions de l’agent de la santé et de la sécurité Abbott dans cette affaire ont été émises à la fin de son enquête sur l’accident subi par M. Merson dont il a été longuement question dans les pages précédentes. Ces instructions se fondent sur des renseignements obtenus par l’agent de la santé et de la sécurité pendant cette enquête. Cependant, tel qu’il est apparu à la lecture du rapport d’enquête, si l’on tient compte du témoignage reçu à l’audience, et au vu du libellé comme tel de ces instructions, ces instructions vont à dessein au-delà des détails de l’accident et de la situation particulière de l’employé blessé. Comme je l’ai affirmé au début au paragraphe 10 de cette décision, « le fond [des instructions] va bien au-delà de la spécificité des faits et de l’enquête sur la situation touchant un seul employé ». À ce titre, bien que l’accident ait pu fournir l’occasion ayant permis de recueillir les renseignements qui sont présentés comme fondement des instructions, j’abonde dans le même sens que l’avocat des appelants, selon lequel le simple fait de l’accident ne doit pas être considéré comme une justification de l’émission des instructions à l’étude.

[89] Je traiterai d’abord de l’instruction qui porte sur la gestion de la fatigue. Le texte de l’instruction, ou plutôt l’infraction que l’instruction est censée avoir corrigé, est assez précis et il importe de l’avoir clairement à l’esprit compte tenu du fait que la majeure partie de la preuve s’appliquait spécifiquement à la situation personnelle d’un employé en particulier. Ce texte est ainsi rédigé :

CN Rail a fait défaut de disposer d’un plan de gestion de la fatigue pour empêcher les superviseurs de travailler un nombre excessif d’heures avant d’effectuer le travail des employés membres du personnel d’exploitation. (Je souligne.)

Au risque de me répéter, il ressort clairement de ce libellé, et en particulier de l’utilisation du pluriel (« superviseurs »), que l’objet de l’instruction va au-delà de l’application à la situation ou aux circonstances de l’employé/du superviseur impliqué dans l’accident, et devait s’appliquer à toute l’organisation de l’employeur lorsqu’un superviseur doit être affecté temporairement à des tâches de membre du personnel d’exploitation. En outre, l’utilisation du mot « avant » dans le même texte établit clairement que l’objet visé par le programme de gestion de la fatigue qui fait l’objet de l’instruction dans la situation particulière d’un superviseur qui assume des tâches d’un membre du personnel d’exploitation est la prise en compte du temps consacré par le superviseur à ses tâches habituelles avant qu’il entreprenne ses tâches d’exploitation, afin de s’assurer que le superviseur ne souffre pas de fatigue, de fatigue accumulée, en raison de longues heures de travail consacrées à ses propres tâches, au moment d’entreprendre ces tâches inhabituelles qui sont celles du membre du personnel d’exploitation. Enfin, notons l’utilisation du mot « excessif » qui qualifie le mot « heures » dans le passage du texte cité précédemment, passage qui se lit : « […] empêcher les superviseurs de travailler un nombre excessif d’heures avant d’[…] ». Le Canadian Oxford Dictionary définit le mot [traduction] « excessif » comme [traduction] « trop ou en trop grande quantité » et comme [traduction] « plus que ce qui est normal ou nécessaire ». Cette définition, en soi, est floue et suppose que le mot [traduction] « excessif » ou sa définition prend son sens seulement lorsque l’on fournit des données ou de l’information pour pouvoir établir ce qui, dans des circonstances données, est trop ou en trop grande quantité, plus que ce qui est normal ou excessif. Autrement dit, des données de référence doivent être fournies ou disponibles pour que le mot « excessif » ou les termes employés pour le définir, embrassent tout leur sens.

[90] J’ai lu la totalité du rapport d’enquête dressé par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott, j’ai étudié l’intégralité de son témoignage ainsi que celui de tous les autres témoins, j’ai examiné les pièces présentées et j’ai soupesé les arguments formulés par toutes les parties. Je n’en ai tiré aucune information ni donnée importante qui indiquerait au soussigné, voire, ce qui importe encore davantage, à la partie qui reçoit instruction d’établir un programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs qui exercent des tâches de membre du personnel d’exploitation, ce que seraient des heures de travail excessives avant [d’effectuer le travail des membres du personnel d’exploitation], ce qui déclencherait l’application des divers éléments d’un programme de gestion de la fatigue comme ceux qui ont été mentionnés à répétition et qui ont fait l’objet des témoignages entendus dans le cadre de la présente affaire comme étant en place au CN Rail, sauf peut-être pour ce qui est de la conclusion à tirer de la mention répétée des 72 heures en 6 jours travaillées par M. Merson avant de se livrer à des tâches de membre du personnel d’exploitation, à savoir qu’un tel nombre pourrait représenter quelque chose d’excessif. Compte tenu du point de vue selon lequel l’instruction avait pour objet, au vu de son libellé, de s’appliquer généralement à l’employeur et à son effectif de superviseurs, je ne suis pas prêt à accepter et à formuler une telle interprétation sur la base de la situation de fait d’un seul employé alors qu’aucune preuve, voire aucune preuve concluante, n’a été soumise pour établir que ledit employé était fatigué au moment d’accomplir des tâches de membre du personnel d’exploitation parce qu’il aurait travaillé 72 heures sur une période de 6 jours. Sur ce point, je partage le point de vue formulé par l’appelant dans ses observations, selon lequel l’un des problèmes que présente l’instruction émise par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott est qu’elle est [traduction] « trop vague » et que [traduction] « aucun fondement ne permet de déterminer ce que seraient des « heures excessives ».

[91] Bien que tous les éléments qui précèdent aient pu faire ressortir l’évidence, il vaut la peine de mentionner ici que l’obligation qui découle de l’instruction de l’agent de la santé et de la sécurité Abbott ne consiste pas seulement, pour l’employeur, à faire cesser une infraction au Code en mettant en place un programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs; il s’agit également de le faire en « disposant d’un plan de gestion de la fatigue pour empêcher les superviseurs de travailler un nombre excessif d’heures avant d’effectuer le travail des employés membres du personnel d’exploitation. »

[92] Cela étant dit, le Code, à l’alinéa 125(1)x), établit très clairement que l’observation d’une instruction comme celle qui a été élaborée par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott en l’espèce est obligatoire. Cette disposition se lit comme suit :

125.(1)Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, (…)
(x)de se conformer aux instructions verbales ou écrites qui lui sont données par l’agent d’appel ou l’agent de santé et de sécurité;

De plus, bien que l’observation d’une instruction émise par un agent de la santé et de la sécurité puisse être obtenue au moyen de différentes mesures administratives, il est tout à fait manifeste, à la lecture des articles 148 et 149 du Code, que les obligations qui découlent d’une instruction émise par un agent de la santé et de la sécurité sont susceptible d’exécution forcée au moyen d’une poursuite dans laquelle le ministre du Travail autorise l’introduction d’une telle instance dans l’année qui suit le moment de l’introduction de l’instance. Il est bien établi en droit que l’exécution d’une obligation, en particulier d’une obligation formulée dans le cadre de l’application d’un régime législatif, est conditionnelle à la possibilité que la partie sujette à l’obligation soit assez informée de la nature et de l’étendue de ladite obligation pour pouvoir être en mesure, et donc être tenue, de l’observer. Dans le cas qui nous occupe, je suis d’avis qu’en raison de la formulation actuelle de l’instruction, elle n’informe pas suffisamment la partie à laquelle elle s’adresse de ce que celle-ci doit faire pour pouvoir l’observer de façon à ne pas induire à commettre une erreur.

[93] Il a été établi au moyen de la preuve produite à l’audience que l’employeur appelant avait mis en place dès 2005 un certain nombre de programmes de gestion de la fatigue s’adressant aux membres du personnel d’exploitation. L’un de ces quatre programmes est un programme général établi conformément à la règle 6.1.1 des règles relatives au temps de travail et de repos prises en application du REFC et les trois autres sont des programmes particuliers établis conformément à la règle 6.2.4 des règles relatives au temps de travail et de repos prises en application du REFC pour couvrir trois ensembles de circonstances particulières, à savoir les périodes de service continu dépassant 12 heures, le service de plus de 64 heures sur 7 jours, et les situations d’urgence. Il convient de noter que les règles prises en application du REFC en général et les règles aux termes desquelles ces quatre programmes de gestion de la fatigue ont été établies sont approuvées par le ministre des Transports en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’article 19, et plus précisément par le paragraphe 19(1) de la LSF. À ce titre, l’exercice du pouvoir ministériel conféré par la Loi sur la sécurité ferroviaire qui sanctionne ces règles au moyen d’un régime législatif permet de rattacher ces règles élaborées par les sociétés ferroviaires à l’autorité des mesures législatives subordonnées qui s’apparente à celle d’un texte de réglementation.

[94] L’instruction formulée par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott qui fait l’objet de l’appel ordonne à l’appelante d’instituer un programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs afin de les empêcher « de travailler un nombre excessif d’heures avant d’effectuer le travail des employés membres du personnel d’exploitation ». Cependant, il a été établi au moyen de la preuve qu’à la suite d’un ordre donné en vertu de l’article 31 de la LSF, un autre programme particulier de gestion de la fatigue avait déjà été institué en application de ces mêmes règles relatives au temps de travail et de repos pour s’appliquer aux superviseurs qui sont appelés à exercer les fonctions de membres du personnel d’exploitation. Il importe de noter ici que conformément à ces règles relatives au temps de travail et de repos prises en application du REFC, toute personne, y compris les superviseurs, qui est tenue d’exercer temporairement les fonctions d’un membre du personnel d’exploitation est réputée être un membre du personnel d’exploitation. Il n’est pas nécessaire de se pencher sur tous les éléments de ce programme; cependant, pour mieux comprendre la décision rendue en l’espèce, il convient de noter que dans ce dernier programme, la période de 24 heures qui précède immédiatement le début des tâches de membre du personnel d’exploitation par un superviseur fait partie de la période de référence de contrôle des heures de travail et des congés obligatoires afin d’empêcher qu’un superviseur soit fatigué lorsqu’il commence à exercer les tâches des membres du personnel d’exploitation. Toutefois, ce critère de la période de 24 heures n’a pas pris naissance lors de la rédaction dudit programme de gestion de la fatigue. Il a plutôt été intégré dans le programme conformément à la règle 5.1.7 prise en application du REFC, qui est rédigée ainsi :

5.1.7Lorsqu'un superviseur, un employé non membre du personnel d'exploitation ou un tiers est réputé être membre du personnel d'exploitation, les heures de service effectuées par cette personne au cours de la période de 24 heures qui a immédiatement précédé doivent être prises en considération dans le calcul du temps de service maximal disponible et des heures de repos obligatoires en vertu du présent article.[] (Je souligne.)

Le programme qui s’adresse aux superviseurs lui-même relie, exception faite du critère de la période de 24 heures, la gestion de la fatigue des superviseurs à celle des membres du personnel d’exploitation, comme l’énonce le passage suivant du programme :

[Traduction] Ainsi, tout ce temps de supervision, en plus du temps travaillé comme membre du personnel d’exploitation, doit être considéré comme une période de service aux termes des Règles relatives au temps de travail et de repos et doit être pris en compte pour déterminer si le superviseur a eu ou non assez de repos aux termes des règles, avant d’exercer les fonctions des membres du personnel d’exploitation, et pour déterminer la quantité de temps disponible au terme de la période de service maximale (horaire de 12, 16 ou 18 heures ou de 64 heures sur 7 jours) pour exercer des fonctions des membres du personnel d’exploitation.

À ce stade, il convient de répéter que les congés obligatoires qui résultent de ces divers programmes sont établis par les règles relatives au temps de travail et de repos prises en application du REFC par rapport aux horaires mentionnés précédemment. Ainsi, le point litigieux qui est au cœur de l’instruction et de la thèse de l’intimée et de l’intervenant touche ce qu’il est convenu d’appeler l’« horaire » 64/7 des membres du personnel d’exploitation, selon lequel un membre du personnel d’exploitation qui travaillerait plus de 64 heures sur une période de 7 jours serait tenu d’être en congé pour une période de 24 heures, tandis que dans le cas d’un superviseur affecté à entreprendre des tâches d’un membre du personnel d’exploitation, si l’on considère uniquement la période de référence des 24 heures, le superviseur serait essentiellement visé uniquement par un congé obligatoire de 8 heures, peu importe la quantité d’heures de service travaillées au cours d’une période précédente plus longue. Dans ce contexte, il faut garder à l’esprit qu’avant d’entreprendre ses tâches de membre du personnel d’exploitation le soir de son accident, M. Merson avait travaillé 6 quarts de 12 heures consécutifs, et n’avait été en congé que pendant 12 heures.

[95] Fait assez étonnant, dans son témoignage, l’agent de la santé et de la sécurité Abbott a admis avoir été informé du programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs mis en place conformément à la Loi sur la sécurité ferroviaire et aux règles relatives au temps de travail et de repos prises en application du REFC, mais comme il l’a affirmé, il y a accordé peu d’attention ou en a peu tenu compte parce qu’il avait été instauré aux termes d’un régime législatif qui n’était pas celui dans le cadre duquel il fonctionnait. En d’autres termes, comme le programme n’avait pas été établi en vertu du Code, il était impossible d’affirmer qu’il satisfait à l’objet de l’instruction émise en vertu du Code. Il formule clairement son intention dans une lettre qu’il a fait parvenir au directeur général de CN Rail le 11 octobre 2007 (pièce E-1, onglet 6) après avoir été informé par ce dernier de l’existence du programme particulier de gestion de la fatigue pour les superviseurs qui effectuent des tâches de membres du personnel d’exploitation. En voici le contenu :

[Traduction] Le « programme particulier de gestion de la fatigue pour les superviseurs qui exercent des fonctions de membres du personnel d’exploitations » qui a été présenté exige que seul le temps de supervision au cours des 24 heures ayant immédiatement précédé l’exercice des fonctions de « membre du personnel d’exploitation » soit considéré dans le calcul de la quantité de temps disponible suivant la période de service maximale. Les attentes de TC (de l’agent de la santé et de la sécurité Abbott) à l’égard de cette instruction sont que CN Rail mettra en œuvre un programme similaire à celui des Règles relatives au temps de travail et de repos des membres du personnel d’exploitation ferroviaire pour les superviseurs, sous réserve d’être appelé à travailler comme membre du personnel d’exploitation. (Je souligne.)

Il ressort manifestement de ces mots, et en particulier de ceux qui sont soulignés, que M. Abbott, qui est d’avis qu’une période de référence de 24 heures n’est pas suffisante, ignore que ce critère est établi par les règles relatives au temps de travail et de repos (règle 5.1.7) qu’il souhaite voir tenir lieu de fondement du programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs, et il n’accorde même pas d’attention à la nature juridique contraignante de ces règles qui ont été approuvées par le ministre des Transports. On pourrait affirmer que si le CN, en se conformant à l’instruction de l’agent Abbott de la manière demandée par l’agent de la santé et de la sécurité, adoptait une période de référence différente pour les superviseurs, il enfreindrait la règle sanctionnée par le ministre.

[96] La thèse de l’agent Abbott repose sur le fait, tel qu’il a été énoncé précédemment, qu’en émettant son instruction, il agissait sous un régime législatif différent et distinct de celui qui est établi par le Code, et par conséquent qu’il pouvait ordonner l’établissement d’un programme qui ferait pendant à celui qui est déjà en place du point de vue de l’objet, mais qui imposerait des conditions d’application différentes. On peut se demander, si l’on accepte que les deux lois doivent être interprétées comme des documents tout à fait indépendants, comment l’employeur pourra respecter un programme tout en n’enfreignant pas l’autre. La réponse à cette question se trouve dans les objectifs des deux lois, et encore davantage dans les éléments spécifiques ou généraux de l’un ou de l’autre. La disposition de déclaration d’objet (art. 122.1) du Code est rédigée ainsi :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

En outre, l’instruction Abbott se fonde sur l’article 124 de la même loi, soit la disposition la plus générale qui régit les obligations de l’employeur aux termes du Code. Cela n’étonne guère, car ni le Code, ni même le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) renferme des obligations particulières de l’employeur sur le repos et la gestion des périodes de repos en rapport avec la sécurité des employés.

L’article 124 est rédigé ainsi :

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

En comparaison, la disposition sur les objectifs de la Loi sur la sécurité ferroviaire (l’art. 3) est rédigée ainsi :

3. a)pourvoir à la sécurité du public et du personnel dans le cadre de l’exploitation des chemins de fer et à la protection des biens et de l’environnement, et en faire la promotion;[…]
c)reconnaître la responsabilité des compagnies de chemin de fer en ce qui a trait à la sécurité de leurs activités.

Ces mots se teintent d’une signification très spécifique lorsqu’ils sont lus avec les articles 18 et 19 de la même loi. Ainsi, l’article 18 prévoit notamment que :

18.(1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

c) en ce qui concerne la sécurité ferroviaire, régir [au sujet] des titulaires de ces postes, l’alternancede leurs périodes de travail et de repos […]

19.(1) Le ministre peut, par arrêté, enjoindre à une compagnie de chemin de fer soit d’établir des règles concernant l’un des domaines visés aux paragraphes 18(1) ou (2.1), soit de modifier de telles règles […]

De plus, le paragraphe 20(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire précise que les règles déposées volontairement auprès du ministre pour approbation sont en vigueur, une fois approuvées par le ministre, comme si elles avaient été formulées conformément à un arrêté ministériel visé à l’article 19.

[97] Compte tenu du fait que les deux lois mentionnées précédemment comportent des objectifs communs de sécurité au travail et de sécurité du personnel que l’on ne peut ignorer, que pour l’essentiel, lorsque l’on considère la question de la gestion de la fatigue, les dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaire et celles qui sont adoptées conformément à celle-ci sont plus précises que celles du Code, et enfin qu’à tous égards, ce que vise l’agent de la santé et de la sécurité Abbott dans son instruction correspond à ce qui existe conformément aux règles relatives au temps de travail et de repos prises en application du REFC, je suis d’avis, comme l’avocat de l’appelant, que bien que le Code et la Loi sur la sécurité ferroviaire sont en substance deux lois distinctes et indépendantes, elles ne devraient pas être interprétées comme si elles étaient des documents tout à fait indépendants. Ainsi, j’estime qu’en prenant ma décision de maintenir ou de ne pas maintenir l’instruction émise par l’agent Abbott, je dois prendre en compte ce que CN Rail a déjà mis en place et je peux me demander si l’on aurait pu faire davantage, essentiellement en approuvant, tel qu’il a été mentionné précédemment, la mise en place en vertu d’une loi de ce qui correspondrait à ce qui existe déjà en vertu d’une autre.

[98] Enfin, quelques mots sur la fatigue elle-même, d’abord dans le cas de M. Merson. Malgré l’opinion exprimée par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott au sujet des tâches engendrant de la fatigue qui sont rattachées au travail de superviseurs comme M. Merson et sa conclusion selon laquelle ce dernier devait être fatigué après avoir travaillé six quarts de 12 heures avant le jour de l’accident, et en dépit des affirmations de l’intimée et de l’intervenant selon lesquelles il devait être fatigué compte tenu des circonstances de l’accident et des erreurs commises par M. Merson, en définitive, absolument aucune preuve directe n’a été produite pour établir que le superviseur Merson était fatigué à ce moment-là. De fait, la preuve indiquait au contraire que M. Merson avait travaillé à son pupitre pendant tous ces quarts et qu’il a eu un congé de douze heures avant le quart fatidique au cours duquel il a subi sa blessure. En ce qui concerne la fatigue en général par rapport à la fonction de superviseur/chef de triage, sauf pour ce qui est d’affirmations générales, aucune preuve directe convaincante n’a été présentée pour établir que ces fonctions occasionnent une fatigue telle qu’il faille modifier les paramètres établis dans les règles relatives au temps de travail et de repos prises en application du REFC au sujet des superviseurs appelés à effectuer des tâches d’un membre du personnel d’exploitation.

[99] Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis qu’à la conclusion de son enquête sur l’accident du superviseur Merson, l’agent de la santé et de la sécurité Abbott n’était aucunement fondé à donner au CN Rail, comme il l’a fait, l’instruction de mettre en œuvre un programme de gestion de la fatigue pour les superviseurs appelés à travailler comme membres du personnel d’exploitation similaire à celui qui est prévu dans les règles relatives au temps de travail et de repos des membres du personnel d’exploitation ferroviaire. Par conséquent, l’appel est accueilli et l’instruction est annulée.

[100] Je traiterai maintenant de l’instruction sur la formation et la supervision. Je dois d’abord indiquer de nouveau que bien que l’instruction de l’agent de la santé et de la sécurité Abbott a pu mentionner que CN Rail avait « omis d’offrir à chaque superviseur qui travaille comme membre du personnel d’exploitation l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires pour assurer sa santé et sa sécurité », ces mots reprenant effectivement avec exactitude le texte de l’alinéa 125(1)q) du Code, qui énonce l’obligation de l’employeur sur laquelle l’instruction se fonde, il faut nécessairement conclure, lorsque l’on tient compte de la disposition réglementaire annexe rendue nécessaire par l’expression « selon les modalités réglementaires » qui se trouve dans l’alinéa en question, que l’instruction s’applique uniquement à l’entraînement et à la formation. Globalement, tout élément de preuve ayant été pris en compte, il faut également reconnaître qu’à toutes fins pratiques, la preuve produite portait seulement sur l’entraînement et la formation.

[101] En outre, pour revenir à la thèse de l’agent Abbott selon laquelle son autorité découle du Code et non de la Loi sur la sécurité ferroviaire, il convient de mentionner que dans cette affaire, les deux lois sont complémentaires plutôt qu’incompatibles, car le Code constitue le fondement de l’obligation d’assurer la sécurité professionnelle par l’entraînement et la Loi sur la sécurité ferroviaire confère le pouvoir de prendre des mesures et d’établir des programmes requis pour s’acquitter de l’obligation.

[102] Cela étant dit, relativement à cette question de l’entraînement et de la formation, malgré le fait que M. Merson et M. Rose se sont dits d’avis que leur entraînement et leur formation étaient suffisants et qu’ils possédaient les compétences requises pour exécuter les tâches d’un membre du personnel d’exploitation qui leurs avaient été attribuées le soir de l’accident, un certain nombre d’éléments de preuve se révèlent non contestés.

[103] Premièrement, en ce qui a trait à l’existence d’un programme de formation, il a été établi qu’au moins pendant les 5 années qui ont précédé l’accident de M. Merson survenu le 19 mars 2007, la société appelante, CN Rail, disposait d’un programme de formation appelé Programme de formation des cheminots stagiaires (PFCS) pour les superviseurs immédiats nouvellement recrutés. Ce programme, qui se serait appliqué à M. Merson et à M. Rose, comprenait un ensemble de cours détaillés et avancés et une formation pratique sur toute une gamme d’activités des membres du personnel d’exploitation, dont les questions qui sont au cœur de la présente affaire, à savoir le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada(REFC) et le fonctionnement du SCL/de la loco-commande. Comme l’a affirmé Mme Seebeck, qui a témoigné pour l’appelante, le PFCS comprend une composante de 5 jours sur les opérations de la loco-commande, constituée de 2 jours de formation en classe et de 3 jours de formation pratique, ledit programme devant être achevé au cours d’une période initiale de 6 mois, suivie d’une formation pratique avec entraînement d’une durée totale de 12 à 18 mois.

[104] Deuxièmement, après l’accident de M. Merson, mais avant que l’agent de la santé et de la sécurité Abbott n’émette son instruction, un nouveau programme a été mis en place à la suite d’une ordonnance rendue conformément à la LSF. Ce programme à adhésion volontaire, auquel il est fait référence dans la présente décision sous le nom de Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire, ou « Programme ABC », est décrit comme un « atout professionnel » pour les superviseurs immédiats qui veulent être admissibles à exécuter des tâches de membre du personnel d’exploitation, devrait être complété par 5 jours de formation sur le SCL/les opérations de la loco-commande répartis en 2 jours de formation en classe et de 3 jours de formation pratique, auxquelles s’ajoutent 16 périodes d’affectation à la loco-commande et une évaluation effectuée par un gestionnaire des pratiques d’exploitation qui peut ordonner des périodes de formation additionnelles avant d’accorder des qualifications à un superviseur. Le registre Company Officer Log (Colog) et le registre des cheminots stagiaires (Railroader Trainee Log) s’inscrivent dans ce programme et permettent d’assurer le suivi des manœuvres ou des périodes d’affectation, ainsi que des éléments terminés de la formation suivie par chaque employé.

[105] Troisièmement, la preuve produite à l’audience, qu’il s’agisse des dossiers de formation de MM. Merson et Rose, du témoignage et des aveux des deux et de ceux de l’agent Abbott, établissent sans l’ombre d’un doute qu’au moment de l’événement, l’entraînement que les deux ont reçu pour travailler avec l’équipement SCL ne correspondait pas du tout à l’entraînement dont les membres réguliers du personnel d’exploitation ont besoin des points de vue du temps, de la forme et du fond, même si l’on s’attendait à ce que les deux superviseurs exécutent les mêmes fonctions que celles des membres du personnel d’exploitation. À cet égard, je fais mien le point de vue exprimé par l’intimée, point de vue selon lequel bien que ces deux employés « ont pu recevoir des documents de formation comparables à ceux qu’ont obtenu les membres du personnel d’exploitation », leur formation leur a été donnée en une période abrégée et ils n’ont pas participé au même nombre de déplacements ou de manœuvres avec un membre d’équipage qualifié pour apprendre l’application pratique de l’équipement SCL comme un membre du personnel d’exploitation qui se familiarise avec les opérations de la loco-commande. Il convient de souligner qu’au moment de l’accident, le Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire établi à la suite de l’ordonnance Hunter n’avait pas encore été institué. En outre, la méthode de la formation et de l’entraînement reçus par MM. Merson et Rose différait considérablement de la méthode exposée par le programme de formation, M. Merson ayant reçu 2,5 jours de formation sur SCL répartis en 4 heures de formation en cours d’emploi et une formation individuelle avec deux coordonnateurs de trains, et M. Rose ayant suivi 3 jours de la même formation répartis en un jour en classe et deux jours de formation pratique.

[106] L’appelante a fait valoir que la véritable question en litige en ce qui concerne la formation en l’espèce consiste à déterminer si la formation offerte aux superviseurs affectés à des fonctions des membres du personnel d’exploitation était ou est « suffisante » et que la proposition selon laquelle la formation pour les superviseurs qui exercent des fonctions des membres du personnel d’exploitation et celle qui est donnée aux membres du personnel d’exploitation eux-mêmes devrait être égale n’est pas fondée.

[107] En ce qui touche la question du caractère « suffisant », j’aimerais souligner le libellé de l’alinéa 125(1)q) du Code, qui prévoit l’obligation pour l’employeur de fournir à chaque employé, sans distinction fondée sur les fonctions de supervision ou de gestion, la formation nécessaire pour assurer sa santé et sa sécurité au travail, c’est-à-dire ce qui est requis ou essentiel pour atteindre cet objectif, ce qui, selon moi, va au-delà de ce qui est simplement suffisant. En outre, je ne suis pas du tout d’accord avec la proposition selon laquelle il ne devrait pas y avoir équivalence de formation dans les cas où les mêmes tâches sont exigées de groupes d’employés différents. Il convient de rappeler qu’en établissant le Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire, l’employeur appelant réagissait à une ordonnance rendue en vertu de la Loi sur la sécurité ferroviaire, ordonnance qu’il avait accepté de respecter et de ne pas contester, qui exigeait effectivement que la formation qui soit fournie aux superviseurs affectés à des tâches de membre du personnel d’exploitation soit une [traduction] « formation appropriée de membre du personnel d’exploitation ou équivalente à celle-ci ». À mon avis, comme la protection de tous les employés au travail est l’objectif du Code, la formation exigée en vertu de la loi est censée constituer un moyen d’assurer cette protection. Par conséquent, ce sont les tâches et les risques ou dangers inhérents à ces tâches qui doivent être au cœur de la protection recherchée dans le cadre de la formation. Comme les tâches demeurent les mêmes, peu importe qui les exerce, la formation nécessaire pour éliminer ou atténuer les risques doit généralement être la même.

[108] Cela étant dit, l’avocat de l’appelante soutient que je devrais annuler l’instruction pour absence complète de preuve que la formation de M. Merson ou l’insuffisance de celle-ci a joué un rôle dans l’accident, ce qui aurait retiré à l’instruction tout fondement essentiel. L’appelante a également fait valoir que la simple survenance de l’accident ne constituait pas, comme telle, une justification de l’émission de l’instruction. Je conviens qu’au mieux, la preuve qui relierait les deux est si limitée qu’elle est négligeable. Par ailleurs, le soussigné estime que l’obtention d’une telle preuve convaincante semble très difficile. Toutefois, je suis d’avis que cette preuve n’est pas nécessaire dans les circonstances, car la survenance de l’accident représente simplement l’événement ayant déclenché l’examen de la question de savoir si l’employeur a respecté son obligation imposée par la loi de fournir à ses employés la formation prévue par la loi pour assurer leur protection, qu’un accident soit survenu ou non.

[109] D’après la preuve, au moment de l’accident, malgré le fait que l’employeur avait en place un programme de formation (Programme de formation des cheminots stagiaires) qui prévoyait au moins 5 jours de formation au SCL, l’employeur avait fait défaut de dispenser à ces deux employés la formation complète prévue avant de leur attribuer des tâches de membre du personnel d’exploitation. En outre, aucune preuve exhaustive n’avait été produite pour démontrer l’existence de mesures de contrôle permettant de vérifier le caractère adéquat de la formation ou des mesures de surveillance des pratiques de travail des employés formés ou le rendement des superviseurs lorsqu’ils travaillent comme membres du personnel d’exploitation. Toutefois, il a également été présenté en preuve que l’employeur a, depuis, mis en place un nouveau programme de formation pour les superviseurs directs afin qu’ils possèdent les qualifications appropriées pour exécuter des tâches de membre du personnel d’exploitation, à savoir le Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire. Il a également été soumis en preuve qu’en plus de ce programme, mais distinctement de celui-ci, un programme de formation sur le SCL d’une durée de 5 jours (soit 2 jours en classe et 3 jours de formation pratique) a également été établi. S’y ajoutent au moins 16 jours d’affectations qui comprennent également les éléments jugés manquants par l’agent Abbott, des éléments qui permettent de surveiller les heures de travail ou d’affectations, ainsi que la progression de la formation et de l’entraînement de chacun. Dans l’ensemble, je conclus que ces deux programmes, l’un étant obligatoire pour tous les nouveaux superviseurs et l’autre étant également obligatoire pour tous les superviseurs directs ou les superviseurs fraîchement promus qui désirent être affectés à des tâches de membre du personnel d’exploitation, qui s’accompagnent d’une formation supplémentaire sur le SCL, permettent de suivre une formation qui serait généralement la même que celle des membres réguliers du personnel d’exploitation.

[110] L’avocat de l’appelante a mentionné que l’instruction Abbott devrait être annulée parce qu’elle est sans objet, étant donné que CN Rail a mis en place, depuis l’accident de M. Merson, et, dans les faits, avant l’émission de l’instruction, un programme particulier de formation pour les superviseurs directs, soit le Programme d’accréditation en matière d’exploitation ferroviaire. Ayant étudié ledit programme à la lumière de l’instruction émise par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott, je conclus que bien qu’il a pu être justifié avant l’établissement du nouveau programme, ledit programme doublé des 5 jours additionnels de formation obligatoire sur le SCL répond essentiellement à ce qu’exigeait l’instruction. Par conséquent, je conclus que je ne pourrais ordonner d’autres mesures de redressement en ce qui concerne l’instruction telle qu’elle est formulée. Ainsi, je conclus que l’instruction est sans objet et j’accueille par conséquent l’appel.

[111] Ce qui devrait, en règle générale, mettre fin à cette affaire. Toutefois, je ne peux ignorer, comme le montre la preuve, que l’employeur n’adhère pas tout à fait à son propre programme de formation en ce qui touche la formation sur le SCL/la loco-commande dans le cas de M. Merson et de M. Rose. Il n’est pas nécessaire de reprendre les détails de cette lacune, car l’exposé de la preuve dans le cadre de la décision l’a établi très clairement. Toutefois, je ne peux m’empêcher d’être troublé par le fait que l’employeur, dans le cadre d’un programme lui-même jugé insatisfaisant, voire incomplet par une autre autorité, s’est lui-même investi du pouvoir législatif d’examiner la sécurité au travail des membres du personnel ferroviaire, a omis de fournir ladite formation envisagée par ledit programme du point de vue de la manière, de la substance et de la durée. Il ne faudrait pas oublier que lorsque le Code prévoit que l’employeur est tenu de fournir la formation nécessaire pour assurer la santé et la sécurité au travail, il ne suffit pas d’élaborer des programmes à cet égard et de les faire accepter. Le volet le plus important de l’obligation est la prestation effective de la formation telle qu’elle est programmée (substance, forme et durée) aux personnes qui sont censées la recevoir. Selon moi, omettre de le faire pourrait constituer une infraction au Code qui pourrait donner lieu à une instruction, entre autres mesures possibles. J’ai chois de ne pas procéder de cette façon en l’espèce en raison du temps qui s’est écoulé depuis l’accident, de l’évolution de la situation de l’initiateur principal en l’espèce, soit M. Merson, et de l’établissement d’un nouveau programme de formation qui, à mon avis, répond aux exigences de l’instruction émise par l’agent de la santé et de la sécurité Abbott.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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