Vidéo : Littératie, capacité et bien-être financiers

Transcription

Elaine Kempson : Merci et bonjour. Merci beaucoup de m’avoir réinvitée à Toronto. Je dois cependant vous avouer que, pour ce qui est de la météo, c’est loin d’être une réussite.

(Rires)

C’était superbe quand je suis arrivée en fin de journée, vendredi, mais ça s’est gâté par la suite. Mais, je ne vous en veux pas pour autant. Comme l’a dit Lucie, les citoyens du monde entier ont à faire des choix de plus en plus complexes concernant leurs finances, car les gouvernements éliminent leurs dispositions et on doit s’attendre à ce que les citoyens prennent eux-mêmes leurs propres dispositions.

En outre, les services financiers eux-mêmes se sont développés vers cet autre marché plus complexe pour que les citoyens négocient. C’est dans ce contexte qu’on a vu les développements dont nous parlerons au moins pendant cette séance et même pendant ces deux journées.

Au cours des 10 à 15 dernières années, nous avons suivi un parcours très intéressant sous l’angle de la réflexion aussi bien que de la pratique, un parcours qui est beaucoup plus que sémantique. Nous sommes passés de la culture financière dans les tout premiers jours à la capacité financière et, plus récemment, au bien-être financier. C’est le sujet que j’aimerais aborder au cours de cette première séance.

Si nous commençons par la culture financière, l’approche traditionnelle au début des années 2000 se concentrait principalement sur la connaissance et, un peu plus tard, également sur les compétences et sur la croyance que la culture financière peut être enseignée en classe. C’était une approche didactique. Les gens qui tentaient de mesurer la culture financière au sein des populations ont adopté ce que les chercheurs appellent l’approche normative.

En d’autres termes, ils ont déterminé ce que devaient connaître les citoyens ordinaires, puis ils sont allés sur le terrain mesurer ce qu’il en était réellement. Il n’y avait rien d’empirique dans la démarche; il n’y avait pas non plus un grand consensus à propos de ce qui devait être mesuré. Ces tout premiers sondages ont trouvé un seul nombre. Il s’agissait d’une seule mesure de culture financière basée sur le nombre de bonnes réponses obtenues au moyen de questionnaires très simplistes.

C’est là que nous avons commencé il y a maintenant 15 ans. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis. La critique de cette approche est venue de décideurs et aussi des chercheurs, particulièrement des économistes comportementaux qui sont dans cette salle. Je suis convaincue que de nombreuses réflexions sont aussi venues de cette institution, une critique que les connaissances et les compétences ne doivent pas être vues comme une fin en soi, de nombreuses preuves que les gens connaissaient toutes les bonnes réponses.

Ils savaient ce qu’ils avaient à faire, mais continuaient de faire ce qu’il ne fallait pas faire. Il y avait un sentiment que la principale préoccupation devait être à propos du comportement des consommateurs, ne serait-ce qu’en raison du fait que les répercussions de la connaissance sur les comportements sont au mieux mitigées et que, le plus souvent, nous ne pouvions y constater que peu de corrélation. En fait, il était même difficile de voir d’où provenait la cause.

Est-ce que les gens avaient ces comportements parce qu’ils étaient embauchés à de meilleurs niveaux de connaissances ou avaient-ils acquis ces connaissances grâce aux comportements qu’ils développaient? C’était la critique formulée en ce temps-là et de solides arguments ont été avancés voulant que la psychologie comportementale soit fortement influencée par des facteurs qu’on ne peut pas enseigner. Nous avons des préjugés comportementaux intégrés. Les psychologues les nomment traits psychologiques, deux disciplines différentes, économie et psychologie, mais fondamentalement il s’agit d’une seule réalité présentée sous deux noms.

Ces traits sont influencés par les croyances et par les normes sociales. Nous n’existons pas en isolation. Nous agissons tous au sein de sociétés, dans lesquelles nous vivons et nous sommes faits à l’image de ces sociétés. J’entends des critiques à propos des jeunes qu’on trouve particulièrement incompétents et je pense qu’il nous faut réaliser que si nous étions jeunes maintenant nous agirions de la même façon.

Sans compter que les comportements sont influencés par l’environnement dans lequel nous vivons, l’environnement où règne la consommation, où la publicité du Vendredi fou et du Lundi fou est conçue pour nous inciter à dépenser sans compter et à emprunter pour dépenser. Cette critique nous a donné le nouveau concept de capacité financière, mentionné d’abord par l’organisme de réglementation britannique, connu en 2005 sous le nom de Financial Services Authority (FSA).

C’est maintenant Nick qui est le directeur de l’organisme successeur, mais le chef du service de la recherche de la FSA s’est adressé à moi, m’informant qu’il voulait faire un sondage afin de mesurer les niveaux de capacité financière au Royaume-Uni. Pouvez-vous concevoir un questionnaire? J’ai répondu que nous pouvions essayer. Comment définir la capacité financière?

Il m’a dit : C’est bien ça le problème. Nous ne pouvons pas la définir. Alors, j’ai pris une longue respiration et je lui ai dit : Vous voulez que j’aille mesurer quelque chose que vous ne pouvez même pas définir. Ça va, c’est un peu plus difficile, mais revenons à l’essentiel. Nous avons d’abord fait beaucoup de recherche qualitative, demandant aux citoyens de tous les âges, de tous les niveaux de revenus, de nous définir ce qu’était une personne ayant une capacité financière. Donnez-moi la définition d’une personne n’ayant pas de capacité financière.

Les réponses n’étaient pas des images inverses l’une de l’autre. Les résultats étaient extrêmement intéressants. Par la suite, le Canada adopta rapidement cette approche, tout comme un certain nombre de pays. Ultérieurement, cette approche fut adoptée par la Banque mondiale et développée pour les pays où les populations ont un revenu de faible à moyen.

Nous avons affiné les questionnaires, mais nous sommes revenus aux premiers principes et nous avons organisé (le croiriez-vous?) 120 groupes de discussion dans neuf pays, le plus grand nombre que j’aie organisé, mais nous en avions besoin en quantité, dans une vaste gamme de pays, sur plusieurs continents, pour comprendre comment se définit la capacité financière si vous vivez dans un pays où les populations ont un faible revenu. Ce n’est peut-être pas la même chose.

En fait, miraculeusement, c’était presque identique à ce que les populations à faible revenu au Royaume-Uni et au Canada nous avaient dit, remarquablement semblable, ce qui laissait entendre qu’il y avait des dénominateurs communs. L’accent est mis sur les comportements et sur les facteurs qui les influencent. Les gens nous parlaient en termes très explicites, nous disant que les facteurs qui les influencent comprennent des facteurs environnementaux aussi bien qu’individuels, des choses à faire avec la personne, mais aussi avec la société, ainsi que dans l’environnement dans lequel ils vivent.

L’approche était essentiellement qualitative, comme vous pouvez le voir non seulement par le grand nombre de groupes de discussion, mais aussi par le très grand nombre d’entrevues cognitives faites pour tester les moyens utilisés pour le sondage d’abord au Royaume-Uni – en fait, nous les avons, je crois, repris au Canada. Nous l’avons, sans aucun doute, fait en Irlande, lorsque j’ai travaillé là; puis, nous avons fait, avec la Banque mondiale, de nombreux tests cognitifs vraiment fascinants, au sein de diverses cultures.

Apparemment, dans les pays catholiques, vous ne pouvez demander aux gens s’ils peuvent résister à la tentation. Dans les pays de l’Amérique du Sud, il y a des représentations humoristiques du diable; c’est pour cette raison que nous avons dû abandonner des questions bien rodées portant sur la littérature psychologique. L’adaptation de ces questions pour les utiliser de l’Uruguay à la Tanzanie et jusqu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée fut le plus grand défi de ma vie, mais je l’ai grandement apprécié; nous avons travaillé avec des équipes formidables.

Après toutes ces analyses, il devint évident que nous n’avions pas affaire à un seul concept, mais à divers comportements sans liens étroits. Il y avait accord sur les méthodes de mesure. Il y avait consensus sur ce qui fait qu’une personne a la capacité et qu’une autre ne l’a pas. Il était très évident que les comportements étaient principalement dus aux attitudes et à la personnalité et se prêtaient moins à une éducation formelle.

Le premier à critiquer cet énoncé fut un de mes collègues, qui était alors à la Banque mondiale, et qui n’arrêtait pas de me demander pourquoi nous faisions cela. Pourquoi est-ce important? En quoi chacun de ces éléments est-il important? Je n’arrêtais pas de dire : Tais-toi, Robert, tais-toi. J’ai déjà assez de problèmes.

(Rires)

J’essaie de traiter avec ces neuf pays. Avez-vous déjà essayé de faire du travail sur le terrain en Papouasie-Nouvelle-Guinée? C’est quasiment impossible. Les femmes devaient construire elles-mêmes leur radeau pour descendre la rivière dans le cadre des groupes de discussion. Alors, je continuais de dire à Robert de se taire, mais sa voix continuait de résonner dans ma tête. La critique de cette approche est la mienne, c’est la critique de mon travail et, franchement, j’ai tout faux. Je me suis trompée dans l’analyse.

J’ai confondu les comportements et les résultats qui reflétaient la capacité, parce que les gens décrivaient une personne ayant des capacités en parlant de ce qu’elle faisait, mais aussi de ce qu’elle obtenait comme résultat. Ce moment d’illumination m’a amenée à repenser tout ce que j’avais fait. J’ai réalisé que je devais séparer les comportements (qui sont des capacités financières) et, en plus, séparer les comportements reflétant la capacité et les résultats obtenus, qui sont, je pense, le bien-être financier et le mieux-être financier.

Nous devions être attentifs afin de voir ce qui, ultimement, favorisait le bien-être financier, parce que, en fin de compte, Robert avait raison. Pourquoi faire tout ceci? Nous le faisons parce que nous croyons que de cette façon, le bien-être financier des gens sera amélioré. Nous devons comprendre ce qui favorise ce bien-être et oublier toute cette dichotomie à propos de la culture financière : est-ce une connaissance, est-ce une attitude, est-ce un comportement?

Il fallait tester le tout de façon empirique et c’est ce que nous avons fait avec notre nouvelle vague de sondages. J’ai repris tous les documents provenant du Royaume-Uni et de l’Irlande, ainsi que les études de la Banque mondiale, et j’ai tout analysé de nouveau afin de séparer les résultats des comportements et les autres facteurs, puis je les ai rassemblés. Il s’agit là de la deuxième étape : être capable de répondre facilement à tous vos besoins, en ayant une bonne marge, non seulement pour la subsistance, mais en ayant la résilience nécessaire pour maintenir le cap dans le futur; en d’autres termes, un ensemble de résultats.

Il était également évident, grâce à la recherche qualitative, que ces résultats étaient déterminés par l’interaction entre plusieurs facteurs, notamment les comportements, les connaissances, les compétences, les attitudes, les motivations, les préjugés comportementaux, mais aussi, de façon très importante, une gamme de facteurs environnementaux et économiques.

Je devrais ajouter que je réclame tout le crédit pour cette réalisation, alors que je ne devrais pas le faire. J’ai collaboré étroitement avec des gens qui travaillaient pour le CFPB (Consumer Financial Protection Bureau) aux États-Unis, qui faisaient leur propre recherche qualitative en vue d’explorer ce qu’était le bien-être financier. Nous avons convenu de travailler en étroite collaboration, mais en effectuant chacun notre travail de façon indépendante, puis en comparant nos résultats pour voir s’il y avait des résonances entre les deux ensembles.

Il y avait une correspondance presque parfaite. Nous réalisions que nous avions obtenu chacun le même cadre conceptuel. Leur définition diffère très peu de celle que j’ai sur la présente diapositive. Tout comme leur approche diffère très peu de la mienne. Notre définition du travail – je dois préciser qu’à cette étape, que je travaillais avec des collègues en Norvège.

Pourquoi la Norvège, me demande-t-on? Pourquoi se feraient-ils du souci? La réponse est simple : ils ont de l’argent. Ils ont un ministère qui était prêt à utiliser son fonds de développement pour réaliser ce projet, il en est de même pour Christian Poppe (phonéticien) avec qui j’ai travaillé pendant 25 ans, mais de façon plus intense sur ce projet au cours des trois ou quatre dernières années. Il a pu débloquer cet argent et il m’a persuadée que nous devions commencer à explorer ces idées de façon empirique et à construire des modèles conceptuels, de façon plus académique que ce que j’avais fait dans le passé.

J’étais plus rapide et pratique, allons-y, l’important c’est d’abord les résultats. La définition du bien-être financier est d’être capable de respecter tous ses engagements, de le faire facilement et d’avoir la résilience financière pour maintenir cette façon de faire pour l’avenir. Je pense que peu d’entre nous pourraient réfuter cette simple définition. Christian et moi avons proposé ce modèle conceptuel pour nous aider à trouver une façon d’aborder l’analyse. C’était basé sur la recherche qualitative qui nous indiquait que les principaux moteurs du bien-être financier étaient les comportements, d’une part, et les facteurs environnementaux, d’autre part, ainsi que l’environnement socioéconomique dans lequel les gens évoluent.

Ces comportements seraient grandement influencés par la recherche qualitative résultant des attitudes financières, des préjugés comportementaux, des traits de personnalité et de la confiance. Les traits de personnalité influent sur ces attitudes. Selon ce que nous disaient les participants aux groupes de discussion, la connaissance et l’expérience seraient probablement des facteurs secondaires; on nous a donné plusieurs exemples de gens qui savaient ce qu’il fallait faire, mais ne le faisaient pas, des gens qui avaient peu de formation. Les gens de la Papouasie-Nouvelle-Guinée étaient totalement analphabètes, voire incapables de calculer, et pourtant ils pouvaient gérer leur argent extrêmement bien.

La relation à laquelle nous avons eu affaire était beaucoup plus complexe. Nous avons supposé que cela aurait un effet et c’est ce qui s’est produit, mais l’effet peut être compensé par les attitudes et la personnalité. Pour mesurer, à l’échelle internationale, le bien-être et la capacité financière, le sondage, comme je l’ai dit, a été élaboré en Norvège en 2016-2017. Les gens du ministère l’ont apprécié. Je dois dire qu’ils ne savent pas encore ce qu’ils peuvent en faire, mais ils aiment ce sondage.

Ils nous ont donné plus d’argent pour continuer de le faire. Normalement, vous ne vous donneriez pas la peine de refaire le sondage chaque année parce que les choses ne changent pas tellement, mais nous pouvions découvrir des déficiences dans les questionnaires, une occasion tombée du ciel pour l’amélioration de nos moyens de sondage. Ce que nous n’avons pas hésité à faire. Le plus récent sondage a été effectué à la fin de 2017. Le questionnaire comprend des questions permettant de saisir les divers niveaux du modèle conceptuel.

Nous en sommes arrivés à un modèle que je dois vous expliquer. Nous avions un questionnaire très détaillé, mais qui n’est pas long à administrer et qui peut même être administré en ligne; mais nous utilisions l’analyse des principaux composants pour déterminer les mesures sous-jacentes. Nous en sommes arrivés à quatre mesures de bien-être financier, huit comportements et quatre façons d’utiliser l’argent, de même qu’à quatre différents aspects de la connaissance, à des traits de personnalité et à toute une gamme d’autres facteurs.

Les deux premiers pays qui ont accepté le travail que je faisais étaient l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Au cours des années, j’ai travaillé intensivement en Australie, très étroitement avec ANZ Bank qui avait dirigé beaucoup de travaux en finances, beaucoup de travail en Australie, même avant que l’organisme gouvernemental de réglementation ait manifesté le moindre intérêt. Ne sachant pas que des sondages avaient eu lieu en Nouvelle-Zélande, j’ai été surprise lorsqu’on m’a présenté deux rapports.

Le troisième pays à avoir fait un sondage est l’Irlande. Ils m’avaient approchée pour répéter le sondage que j’avais fait en 2006 sur la capacité; je leur ai expliqué que cette façon de penser avait évolué. Ils doivent publier un rapport dans deux semaines. Ça leur a pris une éternité pour que le sondage passe par toutes les procédures du gouvernement irlandais. Tout récemment, c’était le tour du Canada; félicitations pour les avoir repris. Vous avez commencé plus tard.

En fait, nous ne pouvions commencer le travail ici tant que nous n’en avions pas terminé avec l’Irlande et, malgré tout, il faudra encore deux semaines avant que leur rapport soit publié. Pour la première fois de ma carrière, nous avons, à l’échelle internationale, amplement de données comparables. J’ai pu recueillir des données vraiment bonnes, en fait, pour la deuxième fois. La Banque mondiale m’a donné cette occasion dans les pays où les populations ont un revenu de faible à moyen.

Maintenant, nous avons de nombreuses données améliorées qui me viennent à l’esprit; nous avons aussi des conclusions fascinantes et valables, comme vous pourrez le constater lors de la prochaine séance. Je vous remercie beaucoup.

(Applaudissements)

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