Bâtir une culture de concurrence au Canada
Discours
Notes d’allocution de Matthew Boswell, commissaire de la concurrence
Dîner-causerie C. D. Howe en table ronde
Le 19 novembre 2019
Toronto (Ontario)
(Le discours prononcé fait foi)
Bonjour à toutes et à tous. Merci, Bill, pour cet accueil cordial. Merci également à C. D. Howe de nous avoir invités, quelques-uns de mes collègues du Bureau de la concurrence et moi, à nous joindre à vous aujourd’hui. Nous sommes honorés d’être ici pour vous parler de l’importance de la concurrence en tant qu’objectif des politiques pour le Canada en cette ère numérique.
Plus tôt cette année, lorsque j’ai été assermenté au poste de commissaire de la concurrence, j’ai juré « d’exercer avec fidélité, sincérité et impartialité, et au mieux de mon jugement, de mon habileté et de ma capacité, les fonctions et attributions qui me sont dévolues en ma qualité de commissaire de la concurrence ».
Bien sûr, l’une de mes tâches principales est d’être responsable d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrence, dont l’objectif est « de préserver et d’encourager la concurrence au Canada ». Mes commentaires aujourd’hui découlent directement de cette tâche principale, car ils visent à encourager une culture de concurrence au Canada — un objectif qui est essentiel pour le bien-être économique de ce pays.
Bien que nous ayons adopté la première loi sur la concurrence du monde moderne, la concurrence ne vient pas en tête des discussions sur l’économie du Canada et nous n’avons jamais eu une culture de la concurrence solide dans ce pays.
Lorsqu’une culture de la concurrence est saine, tous les joueurs — consommateurs, entreprises, gouvernements — comprennent l’immense valeur de la concurrence et travaillent pour qu’elle ait sa place dans tous les secteurs de l’économie.
Une culture de la concurrence solide signifie aussi que des institutions solides sont en place afin de maintenir une responsabilité envers les règles et les garde-fous qui appuient la concurrence. Alors que les organismes d’application de la loi et les tribunaux sont chargés de se pencher sur les conduites anticoncurrentielles, tous les ordres du gouvernement, la communauté juridique, les consommateurs, les médias et le milieu universitaire jouent chacun un rôle essentiel pour soulever les enjeux de concurrence et les amener à l’avant-plan du discours public. Des événements comme celui d’aujourd’hui, qui rassemblent les leaders d’opinion à travers le Canada, en sont un exemple flagrant.
Alors, pourquoi la concurrence est-elle importante, et pourquoi maintenant?
D’abord et avant tout, la concurrence est la force qui nous motive à faire mieux. La concurrence encourage les entreprises à devenir plus productives et innovantes, à améliorer la qualité et à réduire les prix. La concurrence fait en sorte que les entreprises réussissent grâce au mérite et non par un comportement anticoncurrentiel.
Essentiellement, la concurrence aide les marchés à travailler pour les Canadiens. La concurrence veille à ce que les consommateurs aient toujours le choix, leur permettant ainsi de récompenser les entreprises qui méritent leur fidélité et leur confiance. En offrant la liberté de choisir, la concurrence force les entreprises à lutter pour chaque consommateur, empêchant ces mêmes consommateurs d’être tenus pour acquis par des acteurs bien établis qui deviennent trop à l’aise.
Il y a de cela plus de 10 ans, le gouvernement fédéral a commandé un rapport sur l’état du régime de la politique sur la concurrence au Canada. Le rapport final du Groupe d’étude sur les politiques en matière de concurrence, intitulé Foncer pour gagner, incluait deux conclusions dignes de mention :
- la concurrence est essentielle pour augmenter la productivité et la prospérité canadiennes;
- le Canada n’accorde pas suffisamment d’importance à la concurrence.
Cette dernière conclusion pourrait bien être aussi vraie aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a une décennie.
Des études indiquent (en anglais seulement) que les industries canadiennes sont en moyenne deux fois plus concentrées que celles de leurs homologues américains, et une étude (en anglais seulement) publiée plus tôt cette année montre que les niveaux de consolidation ont augmenté au cours des 20 dernières années, une tendance que les auteurs attribuent, en partie, à [traduction] « de faibles lois et pratiques antitrust et à un plus grand nombre d’obstacles à l’entrée ».
Le fait de mettre davantage l’accent sur la concurrence pourrait grandement avantager les Canadiens. Par exemple, des économistes ont estimé (en anglais seulement) que le Canada pourrait profiter d’une hausse de deux à cinq pour cent de sa productivité en procédant à une réforme des règlements d’application visant à renforcer la concurrence.
Ce que tout cela m’indique, c’est que le Canada est prêt à exploiter son potentiel sur le plan de la concurrence.
La nécessité d’insister davantage sur la concurrence pour nous aider à concrétiser ce potentiel n’a eu de cesse de croître avec la montée de l’économie numérique au Canada, et partout dans le monde.
L’économie numérique joue un rôle de plus en plus important dans la vie des Canadiens. De 2010 à 2017, ce secteur a vu une croissance de plus de 30 pour cent plus rapide que l’économie dans son ensemble. Cette croissance fulgurante signifie que le numérique est maintenant plus important pour notre économie que bon nombre des secteurs plus traditionnels.
Si nous voulons réellement que les marchés canadiens aient du succès dans l’économie numérique, nous devons mettre en place une culture qui accueille la concurrence à bras ouverts. Sans elle, les entreprises canadiennes auront plus de difficulté à mettre au point des produits et services innovateurs pour le marché mondial. Comme l’a affirmé Michael Porter, économiste à Harvard, [traduction] « à moins qu’une entreprise soit forcée de rivaliser au pays, elle perdra généralement sa compétitivité à l’étranger ».
Mais que signifie une culture de la concurrence pour l’économie canadienne?
Pour les Canadiens, une solide culture de la concurrence fera en sorte de promouvoir les marchés qui répondent à leurs besoins. Des marchés où ils peuvent profiter des offres de produits innovateurs et avoir la capacité de choisir parmi une vaste gamme de biens et services plus abordables. Dans l’économie numérique, cela peut prendre la forme d’un meilleur contrôle sur l’utilisation et la portabilité des données sur les consommateurs canadiens, de modèles d’affaires qui respectent de manière intégrante la vie privée des Canadiens et de la protection contre des pratiques trompeuses.
Pour les entreprises, un marché sain et concurrentiel en est un où elles sont libres de rivaliser selon leurs mérites et de mettre au défi les autres entreprises, quel que soit le marché.
Dans une entrevue réalisée l’été dernier, Tobias Lütke, directeur général de Shopify, a parlé de l’importance de la concurrence pour les entreprises. Il a confié : [traduction] « c’est… plus difficile de bâtir une entreprise sans concurrence qu’avec une concurrence féroce. … Il est beaucoup plus facile de vouloir créer tous les jours sans relâche un meilleur produit lorsque vous êtes menacé par un concurrent ».
Et il a raison — la concurrence encourage l’innovation et la productivité. Le rapport final de 2008 Foncer pour gagner a indiqué clairement que l’innovation est la clé pour encourager la croissance de la productivité et que la concurrence favorise l’innovation. Le rapport a clairement et explicitement établi le lien en indiquant qu’« une concurrence plus vigoureuse est la clef d’une productivité et d’une prospérité accrues ». Le Canada s’efforce depuis longtemps de venir à bout du ralentissement de la croissance de la productivité, et une concurrence accrue est précisément ce dont nous avons besoin pour raviver cette croissance.
En ce sens, ma vision est que le Bureau devienne un organisme de la concurrence de calibre mondial, qui est à l’avant-garde de l’économie numérique et qui favorise et encourage une culture solide de la concurrence pour le Canada.
Alors, comment pouvons-nous y parvenir?
L’une des étapes principales est de comprendre la valeur du rôle du Bureau à la fois en tant qu’organisme d’application de la loi et en tant que voix et grand défenseur de la concurrence au Canada.
Une mise en application solide et efficace est essentielle pour tenir les entreprises responsables et protéger les marchés et les consommateurs. L’application de la loi est notre principal outil contre les conduites et les fusions anticoncurrentielles, de manière à permettre aux nouvelles entreprises de mettre au défi les pouvoirs de marché des entreprises déjà établies, de perturber les marchés bien ancrés et d’améliorer le bien-être des consommateurs. Une application vigoureuse de la loi nous permet également d’empêcher la collusion, ou comme la Cour suprême des États-Unis (en anglais seulement) l’appelle, [traduction] « le mal suprême de l’antitrust ». Je m’engage à appliquer la Loi vigoureusement au cours de mon mandat en tant que commissaire.
Au cours des trois dernières années, on estime que les mesures prises par le Bureau ont permis aux Canadiens d’épargner plus de huit milliards de dollars, et nous n’avons pas l’intention de nous reposer sur nos lauriers. L’un de nos principaux partenaires, la Federal Trade Commission des États-Unis, estime (en anglais seulement) que chaque dollar investi dans ses programmes d’application de la loi permet aux consommateurs d’épargner entre 40 et 50 dollars. On peut donc dire qu’investir dans l’application de la loi sur la concurrence est une victoire indéniable pour les consommateurs.
Au-delà de l’application de la loi, le Bureau est aussi un ardent défenseur de la concurrence dans l’économie canadienne. Nos efforts de promotion nous permettent de mettre de l’avant des recommandations fondées sur des données probantes pour une réforme réglementaire en faveur de la concurrence à tous les échelons du gouvernement au Canada, en vue de réduire les obstacles à l’entrée pour les entreprises en démarrage et à déchaîner le potentiel d’innovation de notre économie.
Bien que les avantages de la concurrence puissent être évidents en ce qui a trait à un meilleur choix, une meilleure qualité et des prix plus bas, les mécaniques du droit sur la concurrence peuvent être complexes. Il est donc important pour le Bureau de continuer d’insister sur la nécessité de la concurrence au Canada.
Mais pour continuer d’offrir aux Canadiens tous les avantages de la concurrence en cette ère numérique, le Bureau doit disposer de tous les outils pour le faire. La nature de la concurrence dans l’économie numérique évolue rapidement et constamment et le degré de sophistication des entreprises qui tentent d’entraver la concurrence augmente aussi à un rythme rapide. Alors que l’économie numérique perturbatrice et axée sur les données a fourni des produits et services innovateurs aux Canadiens, elle a aussi augmenté la capacité des acteurs d’échapper à la surveillance des organismes d’application des lois.
La complexité des enquêtes et des poursuites dans les affaires traitant de la concurrence a augmenté énormément. Aujourd’hui, nos enquêtes ont régulièrement entre cinq et dix mille fois plus de données que les affaires d’il y a vingt ans. Dans certaines de nos affaires, tout cela est combiné à un fardeau plus imposant qui incombe au Bureau de quantifier les répercussions du comportement. Dans ce contexte, le Bureau a besoin de se munir des outils et des politiques pour suivre le rythme des changements technologiques.
Le Bureau prend déjà des mesures pour se pencher sur ces questions avec des initiatives comme :
- notre Projet de sensibilisation à l’application numérique de la loi,
- nos efforts pour développer des « écrans » pour détecter le truquage des offres,
- la création de l’Unité du renseignement criminel,
- l’Unité du renseignement et des avis de fusion,
- l’embauche d’un dirigeant principal de l’application numérique de la loi afin d’orienter nos efforts en vue d’améliorer la façon dont nous appliquons la loi dans l’économie numérique.
Cependant, il reste encore beaucoup à faire. L’économie mondiale n’attendra pas que le Canada modernise son approche pour protéger et promouvoir la concurrence.
D’autres ont fait des observations similaires. Il y a environ un an, un rapport de l’Institut C.D. Howe (en anglais seulement) déclarait que [traduction] « [le] gouvernement fédéral doit faire de l’application rigoureuse de la loi sur la concurrence une plus grande priorité », encourageant un [traduction] « plus grand rôle du Bureau de la concurrence dans le plan d’action économique du gouvernement fédéral ».
De plus, l’année dernière, le sous-gouverneur principal de la Banque du Canada a appelé les Canadiens (en anglais seulement) à [traduction] « prioriser la modernisation de la politique antitrust et sur la concurrence » et, plus tôt cette année, le Forum sur la politique publique a milité pour un « examen exhaustif de la Loi sur la concurrence » afin de s’assurer qu’elle convient à l’économie numérique.
Nos partenaires internationaux sont aussi de la partie. Les responsables de la concurrence au Royaume-Uni, à l’Union européenne, en Australie et au Japon prennent déjà des mesures pour moderniser leurs approches à l’égard de la concurrence dans l’économie numérique. Nos partenaires ont jugé cet enjeu critique et agissent dès lors pour investir dans des réformes, et réclamer des réformes, qui permettront de faire perdurer leurs cadres de politique en matière de concurrence.
Cependant, le Bureau ne pourra pas créer une culture de la concurrence solide à lui seul. À titre d’organisme d’application de la loi et de défenseur de la concurrence, le Bureau possède des outils pour la promouvoir et la protéger dans l’économie canadienne et nous utiliserons tous ces outils pour atteindre ces objectifs. Mais une culture de la concurrence va beaucoup plus loin que les mesures d’un organisme d’application de la loi.
Premièrement, tous les ordres de gouvernement doivent élaborer des règles qui encouragent la concurrence plutôt que de lui nuire; ils doivent aussi prendre le temps d’évaluer les règles déjà en place qui dressent des obstacles aux nouveaux concurrents. La concurrence et la réglementation n’ont pas à agir l’une contre l’autre, mais cela exige de prendre en compte de manière intentionnelle et proactive les répercussions que tout règlement pourrait avoir sur la concurrence. Pour appuyer ce changement de cap à l’égard de la culture, le Bureau est prêt à faire tout ce qu’il peut pour aider les organismes gouvernementaux à tous les échelons à créer des règles qui favorisent la concurrence. Nous allons continuer de participer aux processus réglementaires là où nous croyons que la voix de la concurrence devrait être présente.
Les entreprises contribuent aussi de manière déterminante à cette culture. Bien que les entreprises aient sans contredit une responsabilité de se conformer à la Loi, elles sont aussi l’une de nos meilleures sources d’information. Nous les encourageons à faire part de leurs préoccupations et de leurs plaintes au sujet de comportements anticoncurrentiels sur le marché. Nous avons lancé récemment notre Projet de sensibilisation à l’application numérique de la loi — un appel aux entreprises et aux autres parties intéressées à partager l’information sur des comportements anticoncurrentiels potentiels liés à l’économie numérique. Nous voulons entendre le point de vue de la communauté d’affaires — cela nous aide à accomplir notre travail pour mettre en application la Loi et défendre plus efficacement la concurrence.
Mon souhait est que, en mettant l’accent sur une culture de la concurrence, les consommateurs soient davantage en mesure de tirer profit de l’immense pouvoir qu’ils détiennent dans le processus concurrentiel. Les consommateurs peuvent faire pencher la balance en leur faveur et stimuler la concurrence sur le marché en faisant des recherches sur les options disponibles, en négociant activement pour recevoir de meilleurs services et en choisissant des fournisseurs plus concurrentiels. Nous travaillons pour rendre tout cela plus facile pour les consommateurs. Par exemple, nous avons milité pour un modèle de services bancaires ouverts, qui permettrait aux Canadiens de changer plus facilement à un fournisseur de services financiers plus concurrentiel.
Le Canada a le potentiel de profiter pleinement des avantages d’une culture de la concurrence solide dans cette nouvelle réalité économique, mais cela exige beaucoup d’attention et de collaboration. Au Bureau, nous sommes là pour protéger et soutenir les consommateurs par l’application active de la loi et nos activités de promotion. J’encourage tous les ordres de gouvernement à s’engager avec nous à travailler pour atteindre un meilleur équilibre entre la réglementation et la concurrence. J’exhorte les entreprises à se conformer à la Loi et de nous faire part de leurs préoccupations au sujet des comportements d’autres concurrents sur le marché. Finalement, les consommateurs votent tous les jours avec leurs portefeuilles et font part de leur désir d’avoir une concurrence accrue partout au pays.
Dans le marché numérique d’aujourd’hui, il ne suffit pas de maintenir le statu quo. Nous devons tous travailler ensemble pour faire de cette nouvelle culture de la concurrence une réalité. En tant que commissaire de la concurrence, je respecte rigoureusement mon serment et je chercherai à préserver et à favoriser la concurrence dans ce magnifique pays qui est le nôtre. Parce qu’une nation n’hérite pas d’un marché concurrentiel solide, elle le crée — en tenant compte de la concurrence dans le cadre de l’élaboration de la politique publique, en mobilisant les consommateurs et en appuyant un marché où les entreprises sont libres de prendre les devants en rivalisant selon leurs mérites.
Merci.
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