Académie de leadership stratégique de la World Nuclear University : Comment gérer votre centrale nucléaire à long terme

Discours

Le 26 juillet 2021

Virtuellement de Toronto (Ontario)

– Le texte prononcé fait foi –

C’est un plaisir d’être parmi vous aujourd’hui pour discuter avec les leaders de demain.

J’admire votre passion, votre enthousiasme et votre ambition, mais surtout, j’admire votre soif d’apprendre et votre volonté d’approfondir vos connaissances et d’élargir vos compétences.

Je vous le dis d’expérience : l’engagement à apprendre est à la base d’un leadership efficace.

J’évolue dans le secteur nucléaire depuis maintenant 40 ans, mais je continue d’en apprendre toujours plus et, je l’espère, de devenir une meilleure leader.

J’ai hâte d’assister aux autres conférences de ce matin, et j’ai surtout hâte de vous voir à l’œuvre pendant les séances en petits groupes.

Je vais donc commencer en transgressant l’une des règles fondamentales du leadership : je vais vous parler de moi.

Ça ne durera que quelques minutes, et c’est seulement pour vous donner un aperçu de mon parcours et de mon expérience. Parce qu’évidemment, ces facteurs ont une influence sur la façon dont je vois les choses.

Je suis arrivée au Canada à l’adolescence, en tant que réfugiée de l’Ouganda.

Ça a été une période difficile et, bien entendu, la transition n’a pas été évidente.

Je me suis donc jetée corps et âme dans mes études. Après l’école secondaire, j’ai entrepris un baccalauréat en génie civil, suivi d’une maîtrise en génie chimique et nucléaire, puis en administration des affaires.

C’était un parcours inusité pour une femme, à l’époque. En fait, je suis devenue l’une des premières femmes au Canada à travailler dans le secteur nucléaire.

J’ai été embauchée à la centrale nucléaire de Pickering, où j’ai été la première femme à travailler avec des matières radioactives, puis la première travailleuse sous rayonnements enceinte à être autorisée à entrer dans la zone de rayonnement.

Même après toutes ces années, je me rappelle clairement la nature du milieu de travail dans le nucléaire :

la page centrale du Playboy affichée bien en vue…

l’équipement de sécurité adapté uniquement aux hommes; l’absence de vestiaire pour les femmes…

et, bien sûr, l’attitude très méprisante de mes collègues à l’idée qu’une femme accomplisse quoi que ce soit d’utile dans un monde traditionnellement masculin.

Les femmes étaient véritablement minoritaires à l’époque, et on nous le rappelait jour après jour.

Beaucoup de progrès vers l’équité entre les genres a été réalisé au cours des 40 dernières années. Plusieurs obstacles auxquels j’ai été confrontée en début de carrière appartiennent désormais au passé, et il faut être fier de ces avancées.

Mais ce n’est pas suffisant.

Il reviendra aux leaders comme vous de poursuivre le travail pour atteindre une véritable équité.

Comme je l’expliquerai dans un instant, si en tant que leader vous voulez former la meilleure équipe qui soit, vous devriez – vous devez – réfléchir à l’équité.

Maintenant, assez parlé de moi! Laissez-moi vous dire un mot à propos de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, ou CCSN, et du rôle important qu’elle joue en tant qu’organisme de réglementation indépendant à vocation scientifique.

La sûreté est notre priorité. C’est aussi simple que cela.

Nos objectifs premiers sont d’assurer la sûreté de la population canadienne et de protéger l’environnement.

Toutes nos actions témoignent de cet engagement : depuis nos décisions en matière de permis jusqu’aux réunions publiques, en passant par la vigilance et le professionnalisme exercés au quotidien par notre personnel qualifié.

Le leadership consiste à créer une vision, puis à mettre en place les mesures et les systèmes nécessaires pour la concrétiser.

Pour assurer la sûreté, la CCSN doit être un organisme de réglementation de calibre mondial.

Pour y arriver, nous nous sommes fixé 4 priorités stratégiques :

Premièrement, adopter une approche moderne de la réglementation nucléaire en suivant des pratiques fondées sur la science et qui tiennent compte des risques.

Deuxièmement, être un organisme de réglementation fiable, reconnu pour son indépendance, son ouverture, sa transparence et sa crédibilité.

Troisièmement, établir et entretenir notre influence mondiale pour renforcer la sûreté, la sécurité et la non-prolifération nucléaires à l’échelle internationale.

Finalement, être une organisation agile, capable de s’adapter et dotée d’un effectif compétent, diversifié et bien outillé, car les organisations doivent pouvoir évoluer dans le temps.

Ces priorités constituent le fondement de notre identité; tout ce que nous faisons part de là.

Dans cette optique, j’aimerais ajouter quelques mots au sujet de la sûreté. Parce qu’elle est importante, évidemment, mais aussi parce qu’elle nous permet d’aborder les exigences du leadership dans le domaine nucléaire.

La CCSN a pour objectif d’instaurer une culture de sûreté dans l’ensemble du secteur, ce qui signifie que nous devons influencer les attitudes et les comportements des travailleurs du nucléaire d’un bout à l’autre du pays.

Nous n’y arriverons que si le message provient directement des plus hautes sphères.

Chaque personne doit savoir que la sûreté est à la base de notre travail et se le faire rappeler régulièrement.

Un leadership actif est donc indispensable pour établir une culture de vigilance et de diligence, qui, en définitive, est essentielle pour assurer le rendement des travailleurs.

Comme leaders, notre plus grande responsabilité est de favoriser un milieu de travail propice à l’épanouissement d’une culture de sûreté et d’une conscience du risque. Cette culture doit non seulement s’épanouir, mais se perpétuer.

De temps en temps, nous évaluons notre propre culture de sûreté afin de confirmer que nous restons sur la bonne voie.

Nous restons aussi à l’affût des références internationales pour nous assurer de toujours faire mieux et d’adopter les pratiques exemplaires des autres.

Par ailleurs, non seulement nos employés peuvent librement nous exprimer leurs préoccupations en matière de sûreté, mais ils sont encouragés à le faire.

Mon équipe de direction et moi-même avons adopté une politique de la porte ouverte, et nous le rappelons régulièrement à notre personnel.

Nous avons aussi créé une adresse courriel privée où les employés peuvent m’écrire directement s’ils ont des préoccupations sérieuses ou des divergences d’opinions importantes.

Cette initiative me tient à cœur; je veux que les gens comprennent que je suis ouverte à leurs opinions et à leurs idées. N’hésitez pas à vous exprimer librement!

Les commentaires reçus sont parfois positifs, mais ils peuvent aussi donner l’impression d’une claque au visage. Dans tous les cas, j’apprécie véritablement leur franchise.

Les leaders doivent favoriser une culture qui récompense les personnes qui soulèvent des questions importantes. C’est ce qui contribue à améliorer nos milieux de travail.

Lorsqu’il est question de culture de sûreté, la complaisance peut être notre pire ennemi. Il faut que tous et toutes soient mobilisés en tout temps.

Ce qui m’amène à parler de diversité et d’inclusion, deux éléments qui sont liés à une culture de sûreté solide.

Pourquoi? Parce que la diversité et l’inclusion sont essentielles pour stimuler l’innovation, résoudre des problèmes complexes et améliorer nos résultats en tant qu’organisme de réglementation.

La meilleure façon de nous adapter à un monde en évolution – et de le représenter – est d’infuser une énergie et des perspectives nouvelles dans notre industrie. Cela signifie d’embaucher les personnes les plus compétentes et les plus brillantes, issues de tous les horizons.

C’est de cette façon que nous attirerons et retiendrons les meilleurs talents : en bâtissant une organisation où tous et toutes sont les bienvenus, se sentent valorisés et arrivent à s’épanouir.

Bien sûr, comme leaders, nous jouons un rôle important dans le succès des efforts qui sont déployés en matière de diversité et d’inclusion. Cette orientation doit provenir de la direction. Il faut exercer une véritable surveillance pour réaliser des changements concrets.

Il faut donc que les leaders aient des comptes à rendre. Je vous invite à porter attention à ces mots.

Je peux vous dire qu’à la CCSN, nous avons travaillé avec notre personnel pour mettre en place toute une gamme de réseaux d’employés, notamment pour les personnes noires et autochtones, qui sont soutenus par des alliés au sein du personnel et qui nous aident à progresser et à changer les choses.

Nous sommes aussi la première entité du gouvernement fédéral à s’être ralliée à l’initiative BlackNorth afin de reconnaître l’existence du racisme systémique envers les personnes noires et ses conséquences ainsi que la nécessité de créer des possibilités pour les Canadiennes et les Canadiens noirs.

En étant plus diversifiée et plus inclusive, la CCSN sera mieux outillée pour remplir son mandat et atteindre l’excellence en matière de réglementation.

Évidemment, je ne peux pas parler d’inclusion sans aborder la question de l’équité entre les genres.

D’après un récent sondage, les femmes sont encore largement minoritaires parmi les travailleurs du nucléaire au Canada.

Et les chiffres sont encore plus aberrants si on considère la main-d’œuvre en STIM en général.

Au Canada, moins de 20 % de ces emplois sont occupés par des femmes.

Malheureusement, la tendance n’est pas au changement dans un avenir rapproché.

Parmi les diplômés en génie au Canada, seuls 22 % sont des femmes.

C’est exactement la même proportion qu’en 2000, au moment où plusieurs d’entre nous pensaient qu’un véritable élan vers l’égalité s’était mis en branle.

Donc, d’une part, je suis frustrée.

Je fais partie de cette industrie depuis longtemps, et je pensais que les avancées auraient été beaucoup plus importantes à ce stade-ci.

Mais d’autre part, je suis motivée à poursuivre le travail pour faire une différence. J’encourage les autres à faire de même, comme l’égalité entre les genres présente évidemment des avantages économiques et sociaux, et comme nous avons aussi l’obligation morale de constituer une main-d’œuvre plus égalitaire, plus diversifiée et plus représentative.

Je peux vous assurer qu’à la CCSN, nous avons commencé à instaurer des changements concrets dans nos façons de faire.

Nous nous employons à augmenter le nombre de femmes dans notre bassin de talents.

Nous avons lancé l’initiative Femmes en sciences, en technologie, en ingénierie et en mathématiques – aussi appelée Femmes en STIM – afin de soutenir les femmes qui choisissent une carrière en STIM à la CCSN et ailleurs et d’accroître la sensibilisation à cet égard.

Nous dénichons et mobilisons des mentors solidaires.

Nous redéfinissons certains rôles pour que les mères qui travaillent puissent élever leurs enfants tout en occupant des postes aux responsabilités complexes.

À l’échelle nationale, je suis très fière d’être à la tête du Groupe pour l’avancement des femmes en nucléaire, le GAFN, qui défend l’égalité entre les genres dans le secteur nucléaire.

Sur le plan international, je fais partie du Groupe de travail sur l’amélioration de l’équilibre entre les genres dans le secteur nucléaire de l’Agence pour l’énergie nucléaire, en plus de coprésider le Groupe d’impact international de champions de l’égalité des genres.

Ces deux groupes cherchent à améliorer et à promouvoir l’équité dans le secteur nucléaire, tant du côté de l’industrie que de celui de la réglementation.

Je tiens cependant à être claire : il ne s’agit pas que d’atteindre l’équité pour atteindre l’équité.

Il s’agit de réaliser notre potentiel.

Je le répète : si nous voulons profiter pleinement des avantages de l’innovation, nous devons attirer les personnes les plus talentueuses dans notre industrie.

Les meilleurs hommes et les meilleures femmes; des gens impressionnants qui ont de bonnes idées.

Lorsque nous excluons une partie de la population ou que nous ne lui ouvrons pas la porte, nous passons à côté de ressources précieuses.

Partout dans le monde, nous devons convaincre davantage de jeunes femmes à entreprendre des études et à poursuivre une carrière dans les disciplines des STIM. Autrement, nous laissons trop de possibilités inexploitées.

Maintenant, permettez-moi de passer à un autre aspect primordial du leadership : la préparation.

Compte tenu de notre travail, la préparation doit être la pierre angulaire de nos efforts, que nous déployons principalement pour garantir qu’aucune crise ne survienne.

Mais il est aussi de notre responsabilité – et un jour de la vôtre – d’exercer un leadership efficace si une crise ou un incident inattendu se produisait.

Nous devons donc planifier de notre mieux : nous devons nous préparer et nous mettre à l’épreuve, encore et encore.

Un leadership solide au quotidien aidera à rallier le personnel en cas d’imprévus.

Un bon leader doit savoir bien communiquer; c’est la clé d’une intervention d’urgence réussie.

C’est aussi un aspect incontournable pour maintenir le calme et veiller à ce que toutes les responsabilités soient remplies.

Un examen mené par nos pairs internationaux en 2019 a conclu que le Canada dispose d’un système de préparation rigoureux et bien rodé.

Cela dit, vous vous souvenez peut-être de l’incident de janvier 2020, lorsqu’une alerte d’urgence a été envoyée par erreur pour la centrale nucléaire de Pickering.

Naturellement, cela a suscité des préoccupations et de la confusion chez des millions de personnes, et la situation a pris des proportions encore plus grandes lorsque les autorités n’ont pas immédiatement rectifié le tir. En conséquence, nous avons perdu une part de la confiance que nous accorde le public.

Je peux vous assurer que ce matin-là, la CCSN a réagi rapidement en confirmant que l’alerte était effectivement une erreur, puis en communiquant cette conclusion au public par les voies officielles.

Comme un soutien coordonné était requis, nous avons même activé le Centre des mesures d’urgence. Mais une vague déferlante de communications a submergé notre site Web externe, ce à quoi nous n’étions pas préparés.

Les leçons que l’on tire d’un tel incident sont inestimables : la préparation doit être évolutive, et nous devons constamment prendre de nouvelles mesures pour l’améliorer.

Avec un peu de chance, une telle situation ne se reproduira pas dans l’avenir, mais, si c’est le cas, toutes les parties concernées seront beaucoup mieux préparées à apporter les correctifs qui s’imposent dans l’immédiat.

Un autre impondérable a bien sûr été la pandémie de COVID‑19, qui a représenté un défi pour chacun et chacune d’entre nous, non seulement du point de vue de la santé, mais aussi dans nos milieux de travail.

Les circonstances étaient imprévisibles, mais grâce à notre solide plan de continuité des activités, nous avons pu nous adapter à notre nouvelle réalité presque sans accrocs. Même à distance, nous avons réussi à assurer une surveillance réglementaire forte et continue.

Ce fût l’occasion de jeter un regard critique sur comment et pourquoi nous faisons les choses et d’apporter des changements et des améliorations majeurs pour l’avenir.

Par exemple, les inspections à distance étaient totalement nouvelles pour nous, et leur succès nous a montré qu’il s’agit d’une façon de faire appropriée et durable non seulement pendant la pandémie, mais aussi après.

Nous avons fait preuve de souplesse pendant une période sans précédent, confirmant que nos priorités stratégiques nous orientent fidèlement dans la bonne direction.

Pour moi, ce fut un rappel que les leaders doivent toujours être prêts à faire face à l’inconnu et à l’inattendu.

Cela veut dire de prendre le temps d’imaginer des situations improbables.

Mais cela signifie aussi de mettre en place votre équipe, de développer leurs compétences et aptitudes et d’établir un climat de confiance, de sorte qu’il vous sera possible d’agir rapidement en cas de crise, avec confiance et autorité.

Vous devez faire preuve de leadership en toutes circonstances; restez concentrés sur vos objectifs et faites preuve de souplesse.

Et continuez d’apprendre! Apprenez de votre organisation, de votre secteur et même au-delà; des leçons importantes peuvent surgir de recoins inattendus. Elles peuvent même ressortir de résultats qui paraissent positifs.

Par exemple, voici une question que je me suis posée, et que j’ai posée à bon nombre de collègues partout dans le monde : certes, le secteur nucléaire a réagi à la pandémie de manière efficace et admirable, mais qu’aurions-nous fait si la crise avait été dix, voire cent fois pire?

Les centrales nucléaires auraient-elles pu poursuivre leurs opérations en toute sécurité, et notre surveillance aurait-elle été aussi assidue?

Voilà le genre de questions que vous devez poser, car elles mènent à d’importantes discussions et à une préparation accrue. C’est ce qui vous aidera à gagner la confiance des membres de votre organisation et de la population en général.

Et cette confiance est essentielle.

Peu importe votre degré de transparence, peu importe combien de relations vous tentez de nouer, vous pouvez toujours viser mieux.

En tant que leader, vous ne pouvez pas vous permettre de succomber aux difficultés, de quelque nature qu’elles soient, et vous devez rester fidèles à vos valeurs et à vos engagements.

De nos jours, je crois que de renforcer la confiance est l’une des plus grandes priorités que peuvent se donner les organismes de réglementation et l’industrie.

Dans un monde inondé d’information et de désinformation, il faut tirer les choses au clair pour comprendre les préoccupations et les intérêts divers et travailler ensemble pour tenter d’y répondre.

Dans la mesure du possible, la collaboration devrait aussi comporter un volet international.

Il est vital que les différents leaders nationaux s’échangent des renseignements et des idées pour renforcer la sûreté partout dans le monde, dans le secteur nucléaire comme dans tous les domaines réglementés.

Depuis plusieurs années, la CCSN agit comme chef de file sur la scène internationale, et je suis fière de poursuivre dans cette voie et de renforcer ce rôle.

Je suis honorée d’occuper la présidence de la Commission sur les normes de sûreté de l’Agence internationale de l’énergie atomique depuis l’an dernier.

À la Commission, nous étudions la réponse de différents pays à la COVID‑19. Nous évaluons les répercussions éventuelles sur les normes de sûreté internationales et réfléchissons aux améliorations possibles pour l’avenir.

De façon générale, il s’agit de rappeler que nous pouvons tous apprendre les uns des autres et appliquer ces enseignements à nos rôles et responsabilités ici, chez nous.

Donc, en conclusion, je vous invite à tirer pleinement profit de la possibilité qui s’offre à vous, celle d’apprendre de vos collègues de la World Nuclear University et d’échanger avec eux et avec vos mentors.

À bien des égards, la période que nous vivons est un excellent moment pour être un leader.

Malgré tous nos défis, nous vivons une époque de changement générationnel et de progrès sociaux.

Vous aurez la chance de profiter de ce changement, et d’accomplir de plus grands progrès encore.

Vous aurez l’occasion de rebâtir la confiance envers nos institutions et de combler les attentes accrues en matière d’ouverture et d’inclusion.

J’espère que vous prendrez le temps de vous épauler les uns les autres en cours de route.

Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions. Merci!

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