Allocution de Rumina Velshi à l’Institut d’été 2023 de la World Nuclear University

Discours

Le 27 juillet 2023

Osaka, Japon

– Le texte prononcé fait foi. –

Bonjour et merci de cet accueil chaleureux.

Pour débuter, je tiens à dire à toutes et tous : félicitations!

Je sais de source sûre que vous êtes un groupe de personnes talentueuses, qui non seulement aspirent au leadership, mais surtout démontrent des compétences à cet égard.

Je suis convaincue que le secteur nucléaire tirera profit de ce que vous avez appris cet été, et que vous disposez maintenant des outils nécessaires pour poursuivre votre propre parcours de leader et laisser votre marque dans le cadre de votre travail.

Aujourd’hui, on m’a demandé de me concentrer sur l’importance de la capacité d’un ou d’une leader à établir des liens – autrement dit, à parler et à écouter. À mobiliser les autres et à interagir. À bâtir des ponts et, au besoin, à prendre position.

Dans ce contexte, j’aimerais vous donner cinq conseils sur le leadership qui pourraient vous être utiles. Ce sont des conseils que j’aurais aimé recevoir lorsque j’ai accédé à des postes de leadership et d’influence.

D’abord, parlons de changement : le reconnaître, l’accepter et avoir à cœur de tisser des liens durant toute période de transition ou de transformation.

Le changement est la seule constante avec laquelle vous devrez toujours composer, peu importe le temps que vous passerez dans un rôle de leader.

En particulier, le rythme des changements technologiques s’accélère sans cesse.

Il y a moins d’un an, très peu d’entre nous avaient imaginé la possibilité que l’intelligence artificielle nous aide dans notre travail – encore moins qu’elle puisse nous remplacer.

Aujourd’hui, les considérations pratiques de l’intelligence artificielle dans nos vies et dans notre travail suscitent la curiosité – et peut-être un peu d’anxiété.

Ce serait une erreur de penser que notre secteur est à l’abri des progrès technologiques et de leur influence. Il ne l’est pas.

Un monde en constante évolution est propice à l’ingéniosité; il favorise de meilleures façons de concevoir et d’accomplir les choses.

Mais il peut aussi soulever de nouveaux problèmes et de nouveaux dangers… et causer un malaise parmi les personnes avec qui vous travaillez et que vous dirigez.

Les leaders doivent être disposés, capables, voire impatients d’évoluer avec leur temps.

Il faut donc à la fois disposer des bonnes aptitudes… et être dans le bon état d’esprit.

Voici un exemple simple, mais utile.

L’un de nos titulaires de permis produit des isotopes médicaux dans un réacteur de recherche.

Ces isotopes sont utilisés dans un établissement médical se trouvant à une certaine distance.

Pour éliminer le risque de retard dû aux embouteillages, le titulaire de permis met à l’essai une nouvelle stratégie : la livraison par drone.

En supposant que la sécurité soit maintenue en tout temps, c’est le genre de processus technologique qui pourrait avoir des avantages utiles.

Les leaders savent qu’il est important de faire preuve d’ouverture d’esprit et de se tourner vers l’avenir, afin de préparer aujourd’hui son organisation aux technologies qui verront le jour dans plusieurs années.

C’est une question d’équilibre – maintenir l’attention sur les questions d’actualité…

… sans perdre de vue les objectifs à long terme du secteur et de votre organisation…

… et en évitant que votre équipe soit paralysée par l’inquiétude ou par l’indécision.

Mon deuxième conseil est le suivant : en tant que leaders, il est essentiel d’établir et de communiquer une vision claire.

C’est un élément clé de la relation avec votre équipe.

Mais une « vision claire », qu’est-ce que ça signifie vraiment?

Laissez-moi d’abord vous dire ce que ça ne signifie pas.

Ça ne signifie pas que vous ne pouvez pas changer d’idée. Vous avez tout à fait le droit de le faire.

L’évolution des circonstances et l’obtention de nouveaux renseignements peuvent nous mener à tirer des conclusions différentes. Je reviendrai sur cette question dans un moment.

Ça ne signifie pas non plus que vous ne pouvez pas demander conseil à d’autres personnes ou solliciter leur opinion. Vous avez tout à fait le droit de le faire, et vous devriez le faire.

Seuls les leaders les plus faibles et les moins confiants s’accrochent à l’idée de connaître toutes les réponses.

Voici plutôt ce que signifie vraiment avoir une vision claire : les personnes que vous dirigez doivent connaître vos positions.

Elles doivent connaître vos valeurs et vos priorités. 

Elles doivent non seulement vous entendre exprimer vos valeurs et priorités, mais aussi vous voir travailler afin de les promouvoir.

Permettez-moi de vous donner un exemple tiré de ma propre expérience.

Les personnes qui travaillent avec moi à la CCSN savent que je défends ardemment l’équité entre les genres, tant dans notre secteur qu’en général.

Elles l’ont entendu dans mes paroles, et elles l’ont vu dans mes gestes en tant que mentor, championne et défenseure de l’équité au sein de plusieurs organismes nationaux et internationaux.

Elles savent que ma passion n’est pas éphémère.

Elles comprennent donc qu’un engagement à l’égard de l’équité, de la diversité et de l’inclusion doit jouer un rôle central au sein de nos activités, et être à la base de tout ce que nous faisons.

Je ne peux imaginer de meilleure façon de s’adapter à un monde en constante évolution que d’infuser notre secteur d’une nouvelle énergie et de nouvelles perspectives, et de veiller à ce qu’il attire les personnes les plus qualifiées et les plus brillantes, quel que soit leur genre.

Lorsque nous donnons aux femmes les moyens d’agir, c’est tout le monde qui en bénéficie. Lorsque nous excluons une partie de la population, de façon volontaire ou par négligence, nous ne pouvons pas atteindre notre plein potentiel.

Voici un autre exemple de l’importance d’articuler clairement votre vision.

Mon équipe à la CCSN sait que je suis fermement résolue à faire en sorte que notre organisation soit prête pour l’arrivée des petits réacteurs modulaires.

J’ai insisté sur cette question à de nombreuses reprises.

Notre personnel est donc bien préparé à superviser le déploiement sûr et efficace des nouveaux projets nucléaires.

Il est prêt à relever les éventuels défis du secteur que nous réglementons.

En tant que leader, vous devez mettre en évidence les choses qui comptent le plus pour vous.

Comme le dit l’adage : quand tout est prioritaire, il n’y a pas de priorités.

Lorsque vous avez établi vos priorités, prenez le temps de les expliquer clairement. Parlez-en souvent. 

Cette vision claire servira de fondement à votre relation avec les personnes que vous dirigez.

Voici mon troisième conseil alors que vous poursuivez votre parcours de leaders : ne craignez pas les forces des autres.

J’ai acquis assez d’expérience pour savoir qu’il existe essentiellement deux sortes de leaders.

L’une présume que ses idées sont les meilleures et qu’elle sait tout. Consciemment ou non, cette leader se dote d’une équipe de direction qui ne cherchera pas à la remettre en question.

L’autre démontre suffisamment de confiance en elle et de sagesse pour s’entourer de personnes brillantes,

… des gens dont les points forts complémentent les siens, même si ça signifie des débats, des discussions et même parfois des désaccords.

Si vous êtes adeptes de sports, imaginez vos collègues cadres comme les membres d’une équipe de basketball. Vous ne remporterez pas la victoire grâce à cinq personnes qui possèdent les mêmes compétences et qui font toutes la même chose.

C’est vrai : chaque joueuse ou joueur doit avoir du talent. Idéalement, par contre, leurs talents devraient être différents. Ils devraient être complémentaires.

Évidemment, si comme moi vous pouvez à peine distinguer un ballon de basket d’un ballon de plage, vous préférerez peut-être imaginer votre équipe de direction comme un orchestre.

Le violon, c’est magnifique, mais vous ne voulez pas avoir 95 violonistes. Vous n’en avez pas besoin.

La collaboration est plus efficace lorsque des personnes talentueuses, dotées de compétences différentes, s’unissent pour créer une belle mélodie.

Et si vous étiez le ou la chef d’orchestre, cette harmonie de compétences et d’excellence ne vous éclipserait pas et ne vous intimiderait pas.

Vous en tireriez de la fierté.

Vous dirigeriez les membres de l’orchestre avec confiance. Vous les aideriez à atteindre leur plein potentiel, aussi bien individuellement qu’en groupe.

Et lorsque le public se mettrait à applaudir chaudement, vous vous retourneriez et le salueriez, puis d’un geste vous lui présenteriez l’orchestre afin que celui-ci reçoive l’ovation qui lui revient.

Mon quatrième conseil est le suivant : ayez le courage d’admettre votre ignorance et vos erreurs, et la force de vous adapter aux nouvelles tendances et réalités.

Naturellement, ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air. Mais c’est un élément clé de la relation avec votre équipe.

En tant que leaders, vous devrez prendre des décisions difficiles. Vous devrez expliquer et justifier ces décisions. Parfois, vous devrez aussi revenir sur une décision, ou présenter des excuses.

Tout cela demande du courage.

En retour, votre équipe verra en vous un ou une leader qui sait réfléchir, qui a un sens des responsabilités et qui ne craint pas d’assumer ses actes.

C’est très évocateur du type de personne que vous êtes. Idéalement, ça donne aussi le ton pour l’ensemble de l’organisation et incite les autres leaders et gestionnaires à adopter le même esprit de candeur et d’humilité.

Dans mes fonctions actuelles, je suis déterminée à communiquer ma croyance selon laquelle tous les membres de mon équipe sont précieux, et chaque opinion est digne d’être prise en compte, même si elle remet en question l’ordre établi.

En fait, j’indique clairement que quiconque souhaite soulever des préoccupations peut venir me voir.

Je crois, en tant que leader, qu’il faut faire preuve de la plus grande transparence.

Évidemment, vous ne pouvez pas tout dire.

Il faudra toujours traiter les enjeux délicats et confidentiels avec discrétion.

Mais nous pouvons, en tant que leaders, exprimer nos idées.

Nous pouvons expliquer et justifier nos décisions, surtout lorsque ça permet à certains membres de notre équipe de mieux comprendre et apprécier les nuances d’une situation.

Nous pouvons montrer que nous sommes humains – ce qui nous aide à mieux nous comprendre les uns les autres. Nous pouvons admettre nos erreurs ou nos doutes.

Selon moi, l’important, c’est de veiller à ce que notre équipe demeure investie, qu’elle continue de toujours réfléchir et analyser, évaluer et réévaluer. 

Nous devrions toujours viser à bien faire les choses, même quand cela signifie qu’il faut changer de cap.

Faire toujours la même chose, simplement parce que nous avons toujours procédé ainsi, c’est inviter le déclin d’une organisation.

En tant que leaders, il nous faut miser sur la curiosité et l’ouverture d’esprit. Nous devons paver la voie. Nous devons donner le ton.

À la CCSN, je rappelle souvent ceci à mes collègues : en tant qu’organisme de réglementation, notre mission est de protéger les personnes contre le risque, et non contre le progrès.

Nous ne voulons pas freiner le bon travail et l’innovation.

Nous devons donc nous-mêmes demeurer agiles et au fait des tendances, et avoir la volonté de changer notre façon de faire, si c’est ce qu’il faut pour demeurer d’actualité.

Donner le ton, c’est aussi établir le climat émotionnel de l’organisation.

Dans mon rôle, je m’efforce de favoriser un environnement empreint d’espoir et d’optimisme dans l’ensemble de l’organisation.

Cette approche a été d’autant plus importante durant les pires moments de la pandémie.

L’espoir et l’optimisme peuvent être contagieux au quotidien.

Ils peuvent aussi être un baume en période de bouleversement.

Votre capacité à établir des liens avec votre équipe pendant les bons moments vous facilitera la tâche lors des moments moins reluisants.

Enfin, voici mon dernier conseil : axez vos efforts de leadership sur le renforcement des relations, en favorisant et en maintenant un sentiment de confiance.

L’établissement de liens de confiance peut être difficile, puisque les leaders devront parfois accepter de perdre un certain contrôle.

Au début de la pandémie, de nombreux membres de notre personnel ont dû travailler de la maison.

Nous n’étions pas les seuls dans cette situation, bien entendu.

Mais nous avons adopté le télétravail avec enthousiasme. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour aider le personnel à faire la transition. Nous avons fait preuve de souplesse. Autrement dit, nous avons fait de notre mieux pour nous adapter.

Ce que nous avons découvert, avec une certaine surprise, c’est que notre productivité a en fait augmenté.

Pour cette raison, quand est venu le temps de retourner sur les lieux de travail, nous avons pris un moment pour nous pencher sur la question.

Nous avons consulté notre personnel. Nous lui avons demandé son avis. Nous avons discuté avec nos gestionnaires.

En fin de compte, nous avons décidé de permettre à la majorité du personnel de continuer de travailler de la maison s’il le souhaite.

Vous pourriez dire que nous avons pris un risque. Je préfère le voir comme un témoignage de confiance.

Des relations de travail réellement positives et productives ne peuvent pas dépendre entièrement de la proximité géographique.

Elles doivent reposer sur bien plus que le temps passé en personne et la surveillance.

Notre personnel a démontré qu’il est en mesure d’accomplir son travail différemment, sans sacrifier l’efficacité et l’efficience.

Est-ce que nous pourrions le regretter? C’est possible. Mais c’est un risque qu’il faut parfois courir à titre de leaders.

Si cette expérience échoue, je serai responsable, en tant que dirigeante, de m’adapter, de tenir compte de ce que j’ai appris et d’ajuster nos politiques en conséquence.

Dans l’intervalle, n’oublions pas non plus les avantages d’une culture de télétravail, qui permet non seulement de réaliser des économies, mais aussi d’élargir le bassin de talents pour inclure des personnes de partout au pays.

Le travail à distance représente un avantage considérable dans un secteur très concurrentiel.

Trouver et maintenir en poste des gens de talent est une tâche fondamentale pour tout leader. C’est d’autant plus vrai dans un environnement de changement et d’innovation.

À la CCSN, par exemple, nous devons veiller à disposer du personnel et de l’expertise nécessaires pour réaliser le travail novateur qui nous attend.

Mais le principe s’applique à l’ensemble du secteur.

Les meilleurs talents peuvent choisir où ils veulent travailler. En général, ces personnes graviteront vers les employeurs les mieux réputés.

Autrement dit, le fait de bâtir une culture de confiance donne un avantage lorsque vient le temps d’attirer et de maintenir en poste les meilleurs talents.

Et la confiance n’est pas importante uniquement au sein de notre organisation.

Plus que tout autre, le secteur nucléaire est fondé sur l’établissement et le maintien de liens de confiance avec nos concitoyens.

Le public doit être persuadé que les centrales nucléaires sont exploitées en toute sûreté, et qu’il est bien protégé en cas d’imprévu.

Nous pouvons et nous devons mobiliser les collectivités locales, les peuples autochtones et le grand public afin de les rassurer sur le fait que leur sécurité est notre priorité absolue.

Les faits sont importants, mais ce n’est pas qu’une question de faits.

C’est une question de communication.

C’est une question de sensibilisation et d’établissement de liens.

Et c’est beaucoup plus facile quand votre équipe est sur la même longueur d’onde et qu’il existe une culture de confiance au sein de votre organisation.

Pour conclure, j’aimerais vous relater une anecdote.

J’ai entamé ma carrière dans le secteur nucléaire il y a plus de 40 ans.

Je me rappelle mon arrivée à la centrale nucléaire près de Toronto. Ça a été une expérience assez déstabilisante.

Sur les murs et les postes de travail, il y avait des photos de femmes nues.

Dans le vestiaire, aucune combinaison de protection à ma taille. Rien n’était adapté pour une femme. Même les sous-vêtements n’étaient offerts que dans des styles et tailles pour hommes.

Je vous raconte tout ceci pour deux raisons : d’abord, je veux montrer que bien des choses ont changé dans l’ensemble de notre secteur et, en général, ce sont des améliorations. C’est une source de fierté, même si nous poursuivons nos efforts afin d’atteindre une véritable équité entre les genres.

Ensuite, plus important encore, je vous encourage à réfléchir au fait qu’il y avait des leaders dans cette centrale nucléaire.

Ils permettaient cette atmosphère – et ces comportements.

Ils contribuaient à un milieu qui proclamait haut et fort : les femmes ne sont pas les bienvenues ici.

N’oubliez jamais : nos décisions en tant que leaders, même les plus insignifiantes, ont des conséquences et des impacts.

Elles affectent tout ce qui nous entoure. Elles ont une portée immense.

Nous contribuons à donner le ton. Nous contribuons à façonner la culture. Et nous sommes responsables des lacunes.

La mobilisation des personnes que vous dirigez et que vous servez, leur défense et l’interaction avec elles – essentiellement, l’empathie à leur égard – ne peuvent que vous mener sur la bonne voie.

Je suis fière d’avoir travaillé dans ce secteur pendant plus de quatre décennies.

Je suis encore plus enthousiaste et impatiente de découvrir l’avenir, les occasions à saisir, le potentiel à atteindre et, bien sûr, les réalisations des personnes qui paveront la voie.

Cette période d’innovation et de changement aura son lot de défis, comme pour bien d’autres secteurs établis.

Mais cette période peut aussi mener à des avancées considérables et être une immense source de satisfaction pour celles et ceux qui nous dirigeront.

J’ai vraiment hâte de voir l’impact que vous aurez.

Merci.

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