Rapport provisoire du Conseil consultatif sur l’action pour le climat
Aux ministres Morneau et McKenna,
En notre qualité de coprésidents du Conseil consultatif sur l’action pour le climat, nous avons œuvré ces derniers mois à la mise au point de conseils pour vous éclairer sur les moyens rentables de réduire la pollution due aux transports et aux bâtiments. Bien que nous poursuivions la préparation de notre rapport final, qui portera principalement sur les secteurs du bâtiment et des transports, ce bref rapport provisoire présente quelques recommandations axées sur le secteur des transports, que vous pourrez examiner avant le budget de 2019.
À notre avis, le gouvernement du Canada a une occasion d’accroître immédiatement la disponibilité des mesures qui ont fait leurs preuves pour rendre les véhicules électriques et hybrides rechargeables plus abordables pour le plus grand nombre possible de Canadiens. Un incitatif fédéral à l’achat, appuyé par des signaux clairs aux fabricants pour qu’ils augmentent l’offre et les investissements dans des mesures habilitantes, compléterait d’autres politiques fédérales comme la norme de carburant propre, la tarification du carbone et les investissements dans les transports publics.
La présente lettre donne un aperçu de nos principales recommandations, qui peuvent se résumer comme suit :
Le gouvernement fédéral devrait offrir un incitatif pouvant atteindre 5 000 $ pour aider les Canadiens à acheter des véhicules zéro émission ou des véhicules hybrides rechargeables. L’incitatif devrait être offert pendant au moins deux ans pour aider à combler l’écart entre les coûts initiaux des véhicules électriques et ceux des modèles à essence ou diesel, rendant ainsi les véhicules électriques plus abordables pour les Canadiens à revenu moyen et faible.
Pour éliminer d’autres obstacles à l’accélération de l’adoption de véhicules à émissions zéro émission partout au Canada, le gouvernement fédéral devrait également :
Encourager les constructeurs à fixer des objectifs de vente de véhicules à émission nulle. Comme première mesure, le gouvernement fédéral devrait collaborer avec les constructeurs pour établir des objectifs de vente volontaires pour les véhicules à émission nulle et les véhicules hybrides. Si cette mesure s’avère au fil du temps insuffisante pour remédier aux pénuries de stock, le gouvernement devrait être prêt à établir des cibles obligatoires.
Le gouvernement fédéral devrait accroître les investissements dans les mesures habilitantes, y compris aux infrastructures de recharge, les efforts continus de recherche et développement et les programmes de sensibilisation des consommateurs. L’amélioration de l’accès aux infrastructures de recharge dans les immeubles à logements et à copropriétés ainsi que sur les lieux de travail devrait être une priorité, tout comme la poursuite des investissements dans les stations de recharge le long des grands axes de transport.
Comme vous le savez, le transport est la deuxième plus importante source d’émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada et contribue de façon importante aux changements climatiques et à la pollution atmosphérique. Le succès de l’engagement du Canada à laisser un environnement propre aux générations futures tout en continuant à faire croître l’économie dépendra en grande partie de la capacité des Canadiens à faire des choix durables quant à la façon de se déplacer dans leurs villes et villages et de transporter les biens dont ils ont besoin.
La majorité des Canadiens utilisent leur véhicule personnel pour leurs déplacements, leurs courses et leurs escapades routières les fins de semaine. Les véhicules électriques, ou d’autres types de véhicules à zéro émission (VZE) ou à faibles émissions, comme les véhicules hybrides rechargeables, sont rapidement devenus une solution de rechange viable aux véhicules à essence ou diesel. Choisir un véhicule à zéro émission comme prochaine voiture est un moyen efficace pour les Canadiens d’avoir une incidence positive sur l’environnement sans modifier leur mode de vie de façon importante. Le Canada peut compter sur un réseau électrique plus propre pour alimenter les véhicules électriques. La technologie VZE a fait des pas de géant au cours des dernières années, y compris l’innovation pour créer des batteries moins chères qui peuvent alimenter des véhicules sur des centaines de kilomètres en une seule charge.
Les VZE sont sur le point de passer d’un marché de niche à un marché grand public. À l’heure actuelle, seulement 2 % environ des véhicules neufs vendus au Canada sont des VZE. Le gouvernement du Canada a récemment annoncé des objectifs visant à augmenter les ventes de VZE à 10 % des ventes de véhicules neufs d’ici 2025, 30 % en 2030 et 100 % en 2040. Ces objectifs constituent une bonne première étape et s’alignent sur les mesures prises par d’autres pays. Par exemple, un certain nombre de pays ─ dont le Royaume-Uni, la France et l’Espagne ─ ont tous annoncé qu’ils prévoyaient éliminer complètement la vente de véhicules à essence et diesel d’ici 2040, et la Norvège a annoncé son intention de faire de même d’ici 2025. Le plan de la Californie vise à avoir 5 millions de VZE sur ses routes d’ici 2030, soit une augmentation significative par rapport à son objectif de 1,5 million en 2025.
Il reste toutefois des obstacles à la transition vers des VZE. Nos recommandations portent sur des mesures clés ─ en particulier un incitatif à l’achat ─ que le gouvernement fédéral pourrait prendre pour accélérer l’adoption des VZE au Canada.
Incitatifs à l’achat
L’achat d’une voiture est une décision importante. Bien que le coût des VZE continue de diminuer à mesure que la technologie s’améliore, la différence de prix entre un véhicule entièrement électrique et un modèle à essence comparable est généralement de l’ordre de 10 000 $. Bien que les véhicules électriques coûtent moins cher à alimenter et entretenir, le coût initial supplémentaire est un facteur dissuasif important pour de nombreux Canadiens qui, autrement, envisageraient d’acheter une voiture électrique. Près de 2 millions de voitures neuves sont vendues au Canada chaque année. Le passage d’un plus grand nombre de ces nouveaux propriétaires de voitures à des véhicules électriques et hybrides à court terme aurait des répercussions positives sur l’environnement au cours de la prochaine décennie et accélérerait la croissance du marché.
Il est abondamment démontré que les incitatifs sont efficaces pour encourager les consommateurs à acheter des véhicules électriques. Au Canada, 97 % des véhicules électriques vendus à ce jour l’ont été dans des provinces offrant des incitatifs à l’achat. La Norvège a atteint une part impressionnante de 40 % des VZE dans les ventes de véhicules neufs, en grande partie grâce à de généreuses subventions à l’achat.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral offre un incitatif pouvant atteindre 5 000 $ pour aider les Canadiens à acheter des véhicules à zéro émission pendant au moins deux ans.
Un incitatif de 5 000 $ pour un véhicule entièrement électrique comblerait environ la moitié de l’écart de prix par rapport à un véhicule comparable alimenté à l’essence. Les incitatifs peuvent varier selon le type de véhicule. Par exemple, des incitatifs moins importants pourraient être offerts pour les véhicules hybrides rechargeables. Afin de limiter le resquillage et d’encourager la participation des Canadiens à revenu moyen et faible, un prix d’achat maximal pourrait être fixé comme condition d’admissibilité à l’incitatif. Les exemples du Québec à 75 000 $ et de la Colombie-Britannique à 77 000 $ pourraient servir de base à la fixation d’un tel seuil. Après environ deux ans, le gouvernement fédéral devrait réévaluer ce programme afin de déterminer si une subvention est toujours nécessaire ou si le montant devrait être ajusté, puisque plusieurs experts prévoient une parité de prix entre les véhicules à moteur à combustion interne et les véhicules électriques au cours de la période 2022-2023.
L’aide fédérale permettrait à tous les Canadiens de bénéficier d’un incitatif. Certaines provinces ont déjà pris des mesures importantes pour aider les consommateurs à acheter des VZE. Les programmes provinciaux devraient être poursuivis ou élargis et seraient bonifiés par l’incitatif fédéral. Le gouvernement fédéral devrait aligner son programme sur les approches provinciales qui fonctionnent bien, le cas échéant, comme les crédits au point de vente existants de la Colombie-Britannique par l’entremise des réseaux de concessionnaires.
Cibles d’approvisionnement des constructeurs
Même les Canadiens qui cherchent activement à acheter un véhicule électrique peuvent se heurter à des difficultés telles que des stocks réduits, de longs temps d’attente, le manque de véhicules d’essai et des connaissances limitées du personnel de vente. Le choix des marques et des modèles a proliféré, car de nombreux fabricants ont commencé à accorder la priorité aux VZE, mais cela ne s’est pas toujours traduit par une offre facilement disponible et une expérience d’achat positive pour les consommateurs.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral encourage les constructeurs à établir des objectifs de vente pour les VZE.
Ces accords d’approvisionnement pourraient, dans un premier temps, être des objectifs volontaires. Le gouvernement fédéral devrait toutefois être prêt à mettre en œuvre des objectifs de vente obligatoires si les mesures volontaires ne permettent pas de régler suffisamment les problèmes d’approvisionnement. Une approche réglementaire pourrait s’inspirer de la réglementation entourant les VZE du Québec ou de la politique en cours d’élaboration en Colombie-Britannique. Un signal fort du gouvernement, y compris une volonté claire d’adopter de nouveaux règlements au besoin, améliorera les chances de réussite d’une approche volontaire plus souple.
Les VZE représentent d’importantes possibilités économiques pour le Canada tout au long de la chaîne d’approvisionnement ─ des minéraux rares et d’autres minéraux utilisés dans les composants aux piles, en passant par la fabrication ─ et une politique claire est nécessaire pour veiller à ce que le Canada ne soit pas à la traîne. Les constructeurs automobiles mondiaux ont annoncé des investissements de plus de 150 milliards de dollars dans toute une gamme de nouveaux modèles de véhicules électriques, dans le but d'accroître leur production collective d'environ 1,2 million de véhicules électriques en 2017 à plus de 13 millions en 2025. Il n’existe actuellement qu’un seul grand véhicule électrique fabriqué au Canada (le Chrysler Pacifica hybride rechargeable). Il est donc nécessaire de maintenir un engagement continu avec l’industrie afin de garantir et d’accroître la présence du secteur canadien de l’automobile d’une manière qui s’harmonise avec les tendances actuelles du marché.
Mesures habilitantes
Le manque d’information, les préoccupations au sujet de l’accès à l’infrastructure de recharge et les inquiétudes liées à l’autonomie, ainsi que la nécessité d’améliorer constamment la technologie sont d’autres défis qui dissuadent les Canadiens d’envisager l’achat d’un VZE.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral augmente les investissements dans les mesures habilitantes, y compris l’infrastructure de recharge, les efforts continus de recherche et développement et les programmes de sensibilisation des consommateurs.
L’infrastructure de recharge est en cours de construction partout au Canada, tandis que les batteries des véhicules sont simultanément capables d’emmagasiner des charges plus durables, mais la perspective de manquer d’énergie entre les stations de charge demeure une préoccupation majeure pour de nombreux propriétaires potentiels de véhicules électriques. En plus de continuer à construire une infrastructure de recharge le long des principaux corridors de transport, d’autres investissements sont nécessaires pour faire en sorte que les Canadiens aient accès à une recharge pratique au travail et à la maison, y compris dans les immeubles à logements et à copropriétés. L'appui à l'infrastructure de recharge devra évoluer au fur et à mesure que la démographie des propriétaires de véhicules électriques se diversifiera, passant des premiers utilisateurs qui ont tendance à vivre dans des maisons unifamiliales à un échantillon plus large de la population - incluant au moins un tiers des Canadiens qui vivent dans des immeubles résidentiels à logements multiples. Par exemple, une évaluation d'un programme américain a révélé que les employés ayant accès à une infrastructure de recharge au travail étaient six fois plus susceptibles de conduire un véhicule électrique. Les pays qui ont adopté les véhicules électriques, comme la Norvège, les Pays-Bas et la Californie, ont financé des programmes ciblés pour les infrastructures de recharge en bordure des rues et les infrastructures de recharge résidentielles à unités multiples et ont également les concentrations les plus élevées d'infrastructures de recharge publiques.
L’investissement dans des outils d’information, par exemple pour aider les Canadiens à mieux comprendre leurs habitudes de conduite et leurs besoins en matière de véhicules, pourrait également contribuer à réduire les inquiétudes liées à l’autonomie.
Enfin, l’investissement continu dans la recherche et le développement aidera le Canada à continuer d’accroître son expertise dans les technologies de véhicules propres et à demeurer concurrentiel sur les marchés d’exportation mondiaux.
Prochaines étapes
Nos recommandations représentent un premier pas vers l’atteinte des objectifs visant les VZE récemment fixés par le gouvernement fédéral, ce qui nécessitera une action continue pour les atteindre. Les gouvernements provinciaux et les administrations municipales ont également un rôle important à jouer dans l’élaboration et l’adoption de politiques efficaces de transport propre.
Nous continuons d’élaborer des conseils pour notre rapport final, qui sera présenté plus tard ce printemps. Bien que l’analyse initiale et les recommandations que nous avons présentées ici se rapportent au secteur des transports, les conseils contenus dans notre rapport final porteront également sur les mesures rentables visant à réduire les émissions des bâtiments. L’amélioration de l’efficacité énergétique peut procurer d’importants avantages environnementaux et économiques, et il est possible de tirer des leçons des programmes fédéraux actuels, comme le Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone, et de les améliorer.
Notre analyse préliminaire et nos consultations dans ce secteur ont souligné l’importance de soutenir les acteurs locaux, qui ont une connaissance approfondie des conditions et des besoins spécifiques du marché. Comme prochaine étape, nous avons l’intention d’examiner les expériences vécues à ce jour au Canada et à l’étranger en matière de politiques visant à promouvoir le marché de la rénovation domiciliaire, notamment les traitements fiscaux, les mesures d’information et les outils de financement. Cela s’appuiera sur les travaux réalisés à ce jour par le groupe d’experts sur le financement durable. Nous examinerons quelles solutions pourraient le mieux répondre aux besoins des segments prioritaires du secteur de la construction au Canada, comme le logement abordable, en mettant l’accent sur les possibilités d’avantages multiples, comme une résilience accrue et la création d’emplois.
Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de fournir des conseils à court terme alors que le gouvernement du Canada se prépare à publier son budget de 2019, et nous sommes impatients de présenter une série de recommandations plus complètes au cours des prochains mois.
Tamara Vrooman, Coprésidente
Conseil consultatif sur l’action pour le climat
Steven Guilbeault, Coprésident
Conseil consultatif sur l’action pour le climat
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