Caribou de Peary et caribou de la Toundra évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Classification

Phénotypes

Le caribou de Peary a été décrit formellement en 1902 à partir d’un spécimen provenant du nord-est de l’île d’Ellesmere (Allen, 1902, 1908). Pour Anderson (1934), son aire de répartition allait du Groenland au continent, et incluait l’île Victoria. Anderson (1946) a conservé la classification du caribou de Peary comme R. pearyi faite par Allen (1902, 1908) et lui a donné comme aire de répartition l’île d’Ellesmere, l’île Sverdrup et « probablement » d’autres îles dans le nord de l’archipel Arctique canadien (pour lequel il ne disposait pas de spécimens), tout en classant comme caribou de la toundra (R. a. arcticus) les populations de la « marge sud des îles situées au nord du continent », ainsi que celles du continent.

En se basant sur les dimensions (19 mesures) et la forme (14 mesures) du crâne, Manning (1960) a observé une distribution clinale à paliers, allant des caribous des îles Reine-Élisabeth, les plus petits, à ceux de l’île Banks au troupeau de Dolphin-et-Union sur l’île Victoria, aux caribous du continent, le palier le plus important étant le dernier. Le troupeau de Dolphin-et-Union migrait autrefois chaque année entre l’île Victoria et le continent à travers la baie du Couronnement, mais était apparemment isolé des caribous du continent sur le plan de la reproduction, parce que la période du rut survenait au moment où il était dans le sud de l’île Victoria. La répartition et l’intensité de la teinte brune du pelage par rapport au blanc suivait celle des mesures du squelette, les animaux les plus clairs vivant dans le nord. La taille et la forme des sabots distinguaient complètement les individus des îles Reine-Élisabeth des caribous du continent, mais Manning ne disposait pas de sabots des animaux de l’île Banks et de Dolphin-et-Union. Au sein du groupe des îles Reine-Élisabeth, on n’observait pas de différences dans ces caractéristiques entre des endroits très éloignés, depuis les îles Prince-Patrick et Melville dans le sud-ouest jusqu’aux îles d’Ellesmere et Axel-Heiberg dans le nord-est, soit une distance d’environ 1100 km. En plus de ces groupes, il y avait également dans l’île Victoria des caribous résidents qui ne migraient pas; Manning (1960) n’a pas pu les inclure dans son analyse, parce qu’il ne disposait que d’un spécimen ambigu. En se basant sur les mesures du crâne et des sabots et sur la couleur du pelage et du velours des bois, Manning (1960) a classé le caribou de l’île Banks comme R. a. pearyi (maintenant R. t. pearyi) et le troupeau de Dolphin-et-Union, provisoirement, comme R. a. arcticus (maintenant R. t. groenlandicus), le caribou de la toundra.

Manning et Macpherson (1958: 221 et 222) font état d’observations locales selon lesquelles les sous-espèces arcticus et pearyi étaient présentes sur l’île Somerset, mais sans qu’il y ait de formes intermédiaires entre les deux. La plupart des caribous du continent sont migrateurs, remontant la péninsule de Booth jusqu’à l’île Somerset avant la rupture des glaces et redescendant avant, pendant et après la prise des glaces, mais certains restent sur l’île Somerset tout l’hiver et seraient donc en contact avec les pearyi pendant la saison du rut. Quelques caribous du continent montent parfois jusqu’à l’île Prince-de-Galles.

Banfield (1961) est revenu à désigner l’espèce comme R. tarandus, mais il a conservé la classification et la répartition des phénotypes de Manning (1960), en incluant le caribou de la pointe nord-ouest de l’île Victoria dans R. t. pearyi, sur la base du savoir traditionnel autochtone. Il a fait remarquer que la population de l’île Prince-de-Galles de R. t. pearyi est unique en ce qu’elle présente les caractéristiques de squelette et de pelage typiques de pearyi, mais est de plus grande taille : il en a fait un « dême super pearyi ». Il a accepté des « observations d’Esquimaux et d’Européens » selon lesquelles le caribou de Peary circule entre les îles Prince-de-Galles et Somerset et, même si des caribous du continent s’aventurent à l’occasion jusqu’à ces îles, ils demeurent isolés sur le plan de la reproduction. Il a noté la présence de « groenlandicus typiques » sur les péninsules de Booth et Adélaïde. Ses cartes (1961: 46, 48) indiquent que la péninsule de Booth et le sud de l’île Victoria ont été occupés par le caribou de la toundra, et le nord de l’île Victoria par le caribou de Peary, jusqu’à la fin de XIXe siècle, mais n’étaient plus fréquentés que par le caribou de Peary, le long de la côte nord-ouest, au moment de leur publication.

Banfield (1974) maintenait une classification et une répartition identiques, montrant l’île Victoria et la côte adjacente du continent comme inoccupées à l’exception de la pointe nord-ouest, où se trouvait le caribou de Peary.

Thomas et al. (1976, 1977) et Thomas et Broughton (1978) ont mesuré la longueur du fémur chez le caribou de l’ouest des îles Reine-Élisabeth et dans le groupe Prince-de-Galles – Somerset, et ont conclu que, malgré des différences inter-insulaires, il s’agissait dans tous les cas de caribous de Peary.

Thomas et Everson (1982) ont effectué des mesures de squelettes de caribous de la péninsule de Booth et conclu qu’ils variaient « du phénotype typique R. t. pearyi au phénotype typique R. t. groenlandicus ». Ils ont également décrit un gradient à paliers dans les mesures crâniennes, les individus de l’ouest des îles Reine-Élisabeth (55 crânes d’adultes provenant des îles Prince-Patrick, Melville et Bathurst) formant un groupe relativement homogène comparativement aux 35 crânes d’adultes recueillis sur les îles Prince-de-Galles et Somerset. Les mesures crâniennes et la couleur du pelage des caribous de la péninsule de Booth confortaient l’hypothèse qu’au moins deux types de caribous y étaient présents.

Pour déterminer si les caribous qui vivaient depuis peu sur l’île Victoria étaient identiques à ceux du troupeau de Dolphin-et-Union historique, Gunn et Fournier (1996) ont recueilli 55 crânes près de Cambridge Bay. Ils les ont comparé à la littérature publiée sur les spécimens de l’île Melville, de la péninsule de Booth, de l’île Prince-de-Galles, aux spécimens de caribous de Dolphin-et-Union recueillis par Anderson (1934) en 1915 et 1916 et aux caribous de la toundra des environs de la baie Pelly. Les crânes de l’île Victoria avaient une taille intermédiaire entre ceux des îles Melville et Prince-de-Galles. Il n’y avait pas de différences significatives dans les mesures crâniennes entre la nouvelle série et celle de 1913 à 1916, exception faite pour la longueur du museau, écart que les auteurs ont attribué à une différence dans la technique de mesure. Ils ont conclu que les caribous contemporains étaient les mêmes que ceux du troupeau de Dolphin-et-Union historique.

Gunn (2003) a réexaminé les caractéristiques du pelage, les mesures et analyses morphométriques, et la répartition des spécimens utilisées par les taxinomistes précédents. Elle a observé que, parmi toutes les caractéristiques physiques, les motifs de couleurs du pelage et le velours des bois ne présentaient pas les gradients ou paliers trouvés dans les mesures du crâne et du squelette, mais étaient relativement homogènes sur la totalité des îles de l’Arctique (y compris chez le caribou de Dolphin-et-Union) et montraient une discontinuité avec le caribou du continent.

Génotypes

Gravlund et al. (1998), en utilisant des séquences d’ADN mitochondrial de 3 espèces circumpolaires de caribous de petite taille, dont 15 spécimens de l’archipel arctique canadien, ont constaté que R. t. pearyi et R. t. eogroenlandicus avaient en commun un haplotype qui ne se retrouvait pas dans les autres clades et était fréquent chez R. t. pearyi. Ils ont conclu que R. t. platyrhynchus était le fruit de l’évolution convergente de rennes eurasiens de grande taille. Ils ont montré que les caribous de petite taille sont au moins diphylétiques, voire polyphylétiques.

Eger et al. (1999, 2003) ont utilisé l’ADN mitochondrial de caribous de 13 endroits du Canada et de l’Alaska, dont six situés sur l’aire de répartition du caribou de Peary : île Bathurst, île Prince-Patrick, île Banks, île Prince-de-Galles, île Somerset et péninsule de Booth. Ils ont trouvé des indications d’une divergence de longue date entre le caribou du nord de la Béringie et celui de l’est du Canada. L’analyse de la variance moléculaire indique que la sous-espèce R. t. pearyi, telle que définie par Banfield (1961), n’est pas monophylétique (Eger et al., 2003). Les auteurs avancent qu’il y a eu trois sources (refuges) distinctes de caribou en Amérique du Nord : l’Alaska, le sud-est de l’Amérique du Nord, et le Haut-Arctique (Eger et al., 2003).

Røed et al. (1986) ont analysé les fréquences types de la transférine des protéines du sang chez plusieurs populations de caribous de petite taille des îles de l’Arctique et sont arrivés à la conclusion que les caribous des îles Prince-de-Galles – Somerset étaient surtout des pearyi, mais qu’il y avait des fréquences significativement différentes entre eux et ceux des îles Reine-Élisabeth.

 Zittlau et al. (2003) ont utilisé des analyses de l’ADN microsatellite et des échantillonnages plus grands provenant de l’île Melville, du complexe de l’île Bathurst, de l’île Banks, du nord-ouest de l’île Victoria, du centre-sud de l’île Victoria (le troupeau de Dolphin-et-Union), du groupe des îles Prince-de-Galles – Somerset et de la péninsule de Booth pour évaluer le caractère distinctif et la variation génétique parmi les populations de caribou de Peary. Leurs observations ont été les suivantes :

Ces relations sont illustrées à la figure 6. On trouvera à la figure 7 l’arbre des distances génétiques standard, Ds, de Nei pour les populations de caribous des îles de l’Arctique et pour les populations voisines. Ces résultats concordent avec l’existence d’un refuge unique pour les ancêtres des caribous de la toundra et de Peary pendant la glaciation du Wisconsinien, aux environs de 20 000 ans BP (avant le présent). Les formes des îles de l’Arctique se sont différenciées par la suite du caribou de la toundra et, à un moindre degré, l’une de l’autre.

À la lumière des indications résumées ci-dessus, les participants à un atelier sur la génétique et les relations du caribou, qui a eu lieu à Edmonton en février 2003, (Strobeck, 2003) sont arrivés à la conclusion qu’il existe cinq populations (ou métapopulations) distinctes de caribous de type Peary :

Bien qu’on n’ait analysé aucun échantillon d’ADN de caribous de l’est des îles Reine-Élisabeth pour déterminer les relations génétiques, ceux-ci, sur la base de la morphologie, ont été regroupés avec les individus de l’ouest des îles Reine-Élisabeth.

Figure 6. Résultats des tests d’assignation basés sur les fréquences de l’ADN microsatellite chez les caribous de Peary/Dolphin-et-Union et les caribous de la toundra (Zittlau et al. 2003). Les valeurs (axe des y) indiquent le pourcentage de caribous dans chaque population (axe des x) assigné à chaque population source possible (légende).

Figure 6. Résultats des tests d’assignation basés sur les fréquences de l’ADN microsatellite chez les caribous de Peary/Dolphin-et-Union et les caribous de la toundra (Zittlau et al. 2003).Les valeurs (axe des y) indiquent le pourcentage de caribous dans chaque population (axe des x) assigné à chaque population source possible (légende).

Figure 7. Arborescence des distances génétiques (Zittlau et al., 2003).

Figure 7. Arborescence des distances génétiques (Zittlau et al., 2003).

Résumé de la taxinomie

En attendant une révision du genre, tous les caribous vivant au nord du continent, exception faite du troupeau de Dolphin-et-Union et des caribous de la toundra présents dans l’île de Baffin et de ceux des îles du bassin Foxe et de la baie d’Hudson, devraient être considérés comme des caribous de Peary. Le caribou de Peary est également présent sur la péninsule de Booth (qu’il partage avec le caribou de la toundra) et, à l’occasion, sur certaines parties adjacentes du continent.

Les caribous du troupeau de Dolphin-et-Union demeurent un problème. Leur comportement, leur morphométrie (caractéristiques du squelette) et leur génétique les rapprochent du caribou de la toundra, R. t. groenlandicus, comme le pensaient Anderson (R. t. arcticus: 1946), Manning (1960) et Banfield (1961, 1974), mais ils en sont clairement distincts. Leur pelage et la couleur du velours de leurs bois les font ressembler davantage au caribou de Peary (Gunn, 2003). Certains biologistes, des Inuits et des Inuvialuits les considèrent comme des caribous de type Peary ou insulaire, par opposition aux caribous de la toundra ou du continent. A. Gunn (Gouvernement des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 3 juillet 2003) fait remarquer que « génétiquement et phénotypiquement, le caribou de Dolphin-et-Union a un aspect si différent [du caribou de la toundra] que, dans un contexte de diversité, il serait fallacieux de le qualifier de caribou de la toundra. La description taxinomique originale ne reposait que sur quelques crânes et peaux provenant de musées et non sur des individus vivants et des techniques génétiques modernes ». En attendant une révision de l’espèce, il n’y a cependant aucune raison de le reclassifier comme R. t. pearyi.

Désignations des populations

Bien que tous les caribous de Peary du Canada fassent l’objet d’une même évaluation, on en distingue quatre populations, en plus du caribou de Dolphin-et-Union. Ces populations sont présentées au tableau 1 et décrites dans les sections suivantes.

Tableau 1. Résumé des populations de caribous des îles de l’Arctique, et désignations du COSEPAC de 1991.
Population Nom latin Nom du COSEPACNote de tableaua Désignation du COSEPACNote de tableaua Aire d’occurrence
Îles Reine-ÉlisabethNote de tableaub Rangifer tarandus pearyi Population du Haut-Arctique En danger de disparition 20 grandes îles de l’ouest > 130 km², soit un total de 98 651 km², et 14 grandes îles de l’est, soit un total de 318 089 km² : 416 740 km² en tout pour les grandes îles, 419 061 km² pour l’ensemble des îles
Île Banks - nord-ouest de l’île Victoria Rangifer tarandus pearyiNote de tableaue Population de l’île Banks En danger de disparition Île Banks (70 028 km²) et nord-ouest de l’île Victoria (21 874 km²)
Prince-de-Galles – Somerset Rangifer tarandus pearyi Population du Bas-Arctique Menacée île Prince-de-Galles (33 339 km²), île Somerset (24 786 km²), île Russell (940 km²) et îles avoisinantes
Péninsule de BoothNote de tableauc Rangifer tarandus pearyi Population du Bas-Arctique Menacée Péninsule de Booth (32 328 km²)
Dolphin-et-Union Rangifer tarandus groenlandicusNote de tableaud Population du Bas-Arctique Menacée île Victoria sauf le nord-ouest (195 417 km²) et île Stefansson (4463 km²)

Îles Reine-Élisabeth

L’ouest des îles Reine-Élisabeth représente 24 p. 100 de leur masse terrestre, soit 98 651 km², et comporte deux complexes insulaires dans lesquels les caribous effectuent des déplacements inter-insulaires saisonniers. Il y a également eu par le passé (d’après les similitudes génétiques) et récemment, quoique de façon limitée, des déplacements inter-insulaires des caribous entre ces deux complexes :

L’est des îles Reine-Élisabeth représente 76 p. 100 de leur masse terrestre, soit environ 318 089 km², sur la base de 14 îles de plus de 130 km² chacune. Le complexe se compose des îles d’Ellesmere, Devon, Axel-Heiberg, Ellef-Ringnes, Amund-Ringnes, Cornwall, Graham, Meighen, King Christian, North Kent, Coburg, Stor, Hoved et Buckingham, et d’îles plus petites qui leur sont associées. De grandes parties (environ 34 p. 100, ou 110 000 km²) des îles d’Ellesmere, Devon et Axel-Heiberg sont recouvertes de calottes glaciaires et de champs de neige permanents.

Un grand nombre des caribous du complexe Melville hivernent sur l’île Prince-Patrick et, au printemps, gagnent les îles Eglinton, Émeraude, Melville et Byam-Martin, où ils passent l’été (Miller et al., 1977b; Gunn et Dragon, 2002). Des déplacements inter-insulaires réguliers ont aussi été confirmés pour le complexe Bathurst (Miller, 1990a; Miller 1995; Miller 2002).

Île Banks – nord-ouest de l’île Victoria

La population se compose d’un ensemble de populations locales. Le caribou de Peary de l’île Banks se déplace vers le nord-ouest pour la mise bas; d’après le savoir local et les relevés aériens (Manning et Macpherson, 1958; Urquhart, 1973; Wilkinson et Shank, 1974; Fraser et al., 1992; Nagy et al., 1996), il y a une seconde aire de mise bas sur le centre-est de la côte, aux alentours de la baie Jesse.

Certains hivers, les Inuvialuits voient les caribous migrer entre les îles Victoria et Banks (Elias, 1993). Dans les années 1960, les caribous de l’île Banks ont gagné le nord-ouest de l’île Victoria, où ils ont prospéré. Certaines années, les animaux passent de l’île Victoria à l’île Banks en si grand nombre qu’il n’en reste presque plus sur l’île Victoria (au nord de la baie Minto). Dans les années 1990, lorsque les effectifs de caribou étaient bas, les déplacements inter-insulaires étaient rares. Les caribous de Peary du nord-ouest de l’île Victoria migrent vers le nord au printemps pour la mise bas et vers le sud dans la baie Minto en hiver (Gunn et Fournier, 2000).

On a sporadiquement observé quelques caribous de Peary sur le continent, aussi loin à l’ouest qu’Old Crow, au Yukon, pendant ou peu après des années d’environnement exceptionnellement rigoureux dans l’île Banks et/ou l’île Victoria (Manning et Macpherson, 1958; Banfield, 1961; Youngman, 1975). Youngman (1975) a indiqué que des chasseurs kutchins (Dénés) d’Old Crow racontaient souvent que de petits caribous étaient parfois mélangés à des troupeaux d’animaux plus gros.

Détroit de Dolphin-et-Union

Anderson (1913, 1934) a recueilli et décrit des spécimens provenant d’un grand troupeau migrateur qui estivait dans l’île Victoria et traversait le détroit de Dolphin-et-Union pour hiverner sur le continent autour de la baie du Couronnement.

Les Inuvialuits de Holman distinguent dans l’île Victoria deux sortes de caribous, qui sont différents par la taille, la couleur et le goût : le caribou de Peary du nord-ouest et le « caribou du continent » (c.-à-d. le caribou de Dolphin-et-Union) qui estive dans le centre, le sud et l’est (Elias, 1993). Une source de confusion est que les Inuits de Cambridge Bay distinguent aussi le caribou de Peary et le caribou du continent mais, dans ce cas, le « caribou de Peary » désigne le troupeau de Dolphin-et-Union, et le « caribou du continent » est le caribou de la toundra qui ne migre pas dans l’île Victoria (autrement dit, les troupeaux de la baie de Bathurst, de Bluenose ou de Ahiak de R. t. groenlandicus). Les Inuits de l’île Victoria connaissent aussi l’existence de caribous insulaires migrateurs et non migrateurs dans l’île Victoria.

La plus grande partie des informations sur les cycles biologiques et les effectifs passés de la population proviennent du savoir traditionnel autochtone, dont les sources suivantes :

Avant les environs de 1920, lorsque la population était encore abondante, ces caribous traversaient au printemps le détroit de Dolphin-et-Union en divers endroits, jusqu’au cap Bexley et à la baie du Couronnement vers l’ouest et à la baie de la Reine-Maud vers l’est. Ils avançaient rapidement vers le nord jusqu’à la côte nord et se dispersaient sur la quasi-totalité de l’île. Certains, peut-être 2000, restaient sur la péninsule de Wollaston pendant l’été, mais le gros du troupeau continuait sa route vers le nord jusqu’après le détroit de Prince-Albert. Environ 20 000 allaient plus loin vers l’ouest; certains ont pu faire la traversée jusqu’à l’île Banks. À l’automne, après le rut, ils regagnaient le continent au sud de la baie du Couronnement et vers l’ouest au moins jusqu’au cap Dalhousie.

Quand cette migration a pris fin, au début des années 1920, certains ont pensé que le troupeau était presque disparu (Manning, 1960; Banfield, 1974), mais on a signalé 1 000 individus dans l’île Victoria en 1949 (Banfield, 1950). Des Inuits de Cambridge Bay ont indiqué qu’ils voyaient encore des caribous dans le sud de l’île Victoria, mais rarement, jusqu’aux années 1970 et 1980, où les effectifs ont commencé à augmenter; en 1993, jusqu’à 7000 individus migraient déjà chaque année à travers la baie du Couronnement et le détroit de Dease (Gunn et al., 1997; Gunn et Nishi, 1998; Gunn et Fournier, 2000). Les mesures crâniométriques, la couleur du pelage et le comportement migratoire des caribous du sud de l’île Victoria dans les années 1980 étaient semblables à ceux décrits par Manning (1960) pour le troupeau de Dolphin-et-Union (Gunn et Fournier, 1996). Les analyses génétiques confirment aussi son caractère distinctif et son isolement génétique des autres populations (Zittlau, 2003).

À l’heure actuelle, la plupart des caribous du centre, du sud et de l’est de l’île Victoria gagnent le continent en hiver, mais pas tous. Elias (1993) a résumé le savoir traditionnel autochtone, selon lequel les caribous résidents de l’île Victoria migrent au nord du détroit de Prince-Albert pour la mise bas au printemps; ils hivernent dans les alentours ou dans des îles situées à l’est ou au sud de la côte. Certains font la traversée vers l’île Read, et d’autres gagnent la baie de Cambridge vers l’est. Ceux qui migrent sur la glace de mer vers le continent en novembre hivernent dans la région de la baie Elu, puis reviennent dans le sud-est de l’île Victoria en avril.

Île Prince-de-Galles – île Somerset

Les caribous effectuent des déplacements est-ouest à grande échelle (des centaines d’individus) entre l’aire d’hivernage de l’île Somerset et les aires de mise bas de l’île Prince-de-Galles et leurs îles satellites, comme Pandora, Prescott, Vivian et Lock, mais ces derniers ne concernent pas tous les caribous, et l’utilisation des diverses îles varie d’une année à l’autre (Miller et Gunn, 1978, 1980; Miller et Kiliaan, 1980, 1981; Miller et al., 1982; Miller, 1990a; Miller, 1991; Miller 1997a). Des déplacements de moindre importance (en termes d’effectifs; certains étaient des migrations régulières) relient en direction nord-sud l’île Prince-de-Galles et les îles, proches, de Mecham, Russell, Hamilton, Young et Lowther dans le détroit de Barrow, comme en témoignent les pistes sur la glace de mer et la fluctuation des densités de caribou sur la plus petite des deux îles. Après de nombreuses patrouilles héliportées à la recherche de caribous ou de pistes de caribous traversant le détroit de Barrow vers les îles Bathurst et Cornwallis ou la petite île Cornwallis au cours de la période 1977-1980, Miller (1990a) a conclu qu’il n’y avait pas de déplacements réguliers à grande échelle entre le groupe Prince-de-Galles – Somerset et les îles Reine-Élisabeth. Ces observations concordent avec les récentes analyses génétiques mentionnées plus haut, qui montraient que les populations de Prince-de-Galles – Somerset et des îles Reine-Élisabeth étaient distinctes, malgré quelques échanges passés et peut-être présents.

Des pistes sur la glace de mer dans le détroit de Franklin indiquent aussi l’existence de migrations printanières de plus petite échelle reliant la péninsule de Booth à l’île Prince-de-Galles et l’île Somerset à l’île Prince-de-Galles sur le détroit de Peel (Miller et Gunn, 1978, 1980; Miller et al., 1982; Miller, 1990a). Les migrations permettent à ces caribous d’hiverner dans l’île Somerset et/ou sur la péninsule de Booth, puis d’estiver et de mettre bas surtout dans l’île Prince-de-Galles, mais aussi dans les îles Somerset et Russell. De plus, quelques individus estivent sur de petites îles satellites dans le complexe île Prince-de-Galles – île Somerset – péninsule de Booth.

Péninsule de Booth

Les caribous de la péninsule de Booth étaient autrefois considérés comme faisant partie d’une métapopulation avec les caribous des îles Prince-de-Galles et Somerset (Gunn et al., 2000b); on sait maintenant qu’au moins certains d’entre eux en sont génétiquement distincts. Comme le troupeau de Dolphin-et-Union, le caribou de la péninsule de Booth a pratiquement disparu, puis est réapparu au cours du siècle dernier (Gunn, 1998a). Cependant, les populations de caribous de la péninsule de Booth ne sont pas clairement comprises.

Sur la péninsule de Booth vivent à la fois des caribous de Peary et des caribous de la toundra. Les caribous de Peary mettent bas dans le nord-ouest de la péninsule et estivent au même endroit ou gagnent le sud des îles Somerset ou Prince-de-Galles avant de revenir aux alentours de Taloyoak pour l’hiver; par contre, la population locale de caribou de la toundra met bas dans le nord-est, estive à cet endroit et revient au sud de Taloyoak pour l’hiver (Gunn, 1998a). Pendant l’hiver, des chasseurs de Taloyoak ont trouvé des caribous de Peary de Taloyoak à la baie Thom et de la baie Nalluqtaq à la baie Brentford (David Tucktoo, comm. pers., 1986, cité par Gunn, 1998a). Gunn et al. (2000a) ont noté que des caribous de Peary porteurs d’émetteurs satellite dans le nord-ouest de la péninsule de Booth étaient présents partout sur la péninsule pendant le courant de l’année et hivernaient sur le continent jusqu’à au moins la rivière Hayes vers le sud, soit environ 350 km au sud de l’isthme de Boothia.

Autres îles

Pour l’île du Roi-Guillaume et d’autres îles proches de la péninsule de Booth, le statut des sous-espèces et populations de caribous est incertain. Miller (1991) a cité une communication personnelle de 1989 de Gunn, indiquant qu’il n’y avait là que quelques caribous « de type Peary » en 1989, et que les chasseurs inuits distinguent les immigrants de type Peary et les caribous de la toundra migrants des individus de la péninsule de Booth et du continent. Leur statut taxinomique est incertain, et il peut s’agir d’un mélange de caribous de Peary, de caribous de la toundra de Dolphin-et-Union et de caribous de la toundra du continent.

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