Grenadier berglax (Macrourus berglax) évaluation et rapport de situation du COSEPAC: chapitre 7

Taille et tendances des populations

Données et méthodes

Les données proviennent des sources suivantes : 1) relevés stratifiés aléatoires au chalut de fond effectués chaque année par le ministère canadien des Pêches et des Océans; 2) relevé de l’Espagne dans les divisions 3NO (figure 4) de l’OPANO; 3) relevé de l’Union européenne dans le Bonnet flamand, à savoir la division 3M de l’OPANO (figure 4). Les analyses des données canadiennes se limitent aux relevés réalisés dans le Grand Banc et les plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve. Même s’il a été recensé dans des secteurs méridionaux comme le banc Georges et le golfe du Maine, le grenadier berglax est rarement capturé dans des relevés effectués au sud du Grand Banc. Ces résultats témoignent peut-être du fait que ces relevés s’effectuent dans des eaux relativement peu profondes (principalement de moins de 400 m). Par exemple, des relevés sont effectués en juillet de chaque année dans le plateau néo-écossais et la baie de Fundy depuis 1970. Des strates d’eaux profondes (de 200 à 400 brasses) ont été ajoutées à la zone d’échantillonnage en 1995. Seuls trois spécimens ont été capturés dans les strates soumises à un échantillonnage depuis 1970 (soit un spécimen en 1995, un autre en 1998 et un dernier en 2002), alors que plus de 50 individus ont été capturés dans les strates d’eaux profondes supplémentaires de 1997 à 2002.

Figure 4. Divisions de l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest (OPANO) mentionnées dans le présent rapport

Figure 4. Divisions de l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest (OPANO) mentionnées dans le présent rapport

Relevés canadiens

Deux relevés ont servi à l’analyse : un relevé printanier (d’avril à juin) du Grand Banc (divisions 3LNO de l’OPANO; figure 4) et un relevé automnal (principalement d’octobre à décembre) des plateaux du Labrador et de l’est de Terre-Neuve (divisions 2J3K de l’OPANO). La zone d’échantillonnage du relevé automnal a été élargie de manière à englober la partie nord du Grand Banc (3L) en 1981 et la partie sud du Grand Banc (3NO) en 1990. Le relevé couvrait occasionnellement le Bonnet flamand (3M) et les eaux situées au large du Labrador (2GH). Les strates visées dans chaque division varient d’une année à l’autre. Des strates d’eaux profondes ont été ajoutées aux relevés au milieu des années 1990.

Les taux de prise des relevés peuvent fournir un indice des tendances démographiques, dans la mesure où l’efficacité des engins et la proportion de la population disponible restent inchangées d’année en année. Les engins employés pour les relevés automnaux à Terre-Neuve sont passés d’un chalut Engels à un chalut Campelen en 1995. Les relevés printaniers de Terre-Neuve ont fait appel à un chalut Yankee 41,5 de 1971 à 1982, à un chalut Engels de 1985 à 1995 et à un chalut Campelen depuis 1996. L’engin de pêche a également été changé pour le relevé automnal de 1995 et pour le relevé printanier de 1985. Il n’existe pour ces trois types de chaluts et pour les bateaux employés aucune estimation de l’efficacité de pêche relative. Ainsi, les données recueillies lors des relevés aux chaluts Yankee, Engels et Campelen sont traitées comme des séries chronologiques distinctes.

Des indices ont été établis pour les sous-ensembles de strates régulièrement soumises à des échantillonnages, de manière à réduire les risques de variation annuelle du pourcentage de la population couverte par le relevé (et à éviter les autres biais attribuables à une modification de la superficie de la zone d’échantillonnage). Les données automnales ont servi à l’établissement d’indices pour les divisions suivantes : 1) 2J3K, à compter de 1978; 2) 2J3KL, à compter de 1981; 3) 2J3KLNO, y compris les nouvelles strates d’eaux profondes, à compter de 1996. Deux indices ont été établis à la lumière des données printanières : 1) un indice calculé à compter de 1971, mais limité aux strates d’eaux situées principalement à moins de 350 m de profondeur; 2) un indice établi à compter de 1996, mais comprenant des eaux d’une profondeur allant jusqu’à environ 700 m. Ces indices ont été calculés jusqu’à 2002, 2003 ou 2005, selon l’accessibilité des données. L’annexe A renferme des détails à ce sujet. À noter que les indices automnaux couvrent une partie beaucoup plus grande de l’aire de répartition du grenadier berglax, notamment des strates de 750 à 1 000 m de profondeur, même pour les premières années des relevés.

Le grenadier berglax vit dans des eaux relativement profondes, en bordure et en périphérie de la marge extracôtière de la zone d’échantillonnage. Ainsi, tout changement de répartition de l’espèce pourrait se traduire par des changements dans le nombre d’individus disponibles pour les relevés. Par conséquent, il se peut que les changements enregistrés dans les taux de prise des relevés ne soient pas un reflet exact des changements survenus dans l’abondance de la population. Pour donner suite à cette hypothèse, des chercheurs ont examiné les variations interannuelles de répartition géographique et bathymétrique obtenues dans les relevés automnaux. La densité des grenadiers en fonction de la profondeur a été analysée à l’aide de modèles additifs généralisés (pour des détails sur ces méthodes, voir Swain et Benoît, 2006). La proportion de poissons présents dans les strates profondes (de 751 à 1000 m de profondeur) a également été calculée pour chaque année.

Des indices du taux de prise d’adultes ont également été calculés à partir des données du relevé automnal. Ces chiffres représentaient les taux de prise de poissons d’une longueur de nageoire pré-anale supérieure à 275 mm, ce qui correspond à peu près à la longueur à la maturité chez les femelles. Les mâles parviennent à maturité à une taille nettement plus petite, et rares sont ceux qui atteignent une longueur de nageoire pré-anale de 275 mm. En effet, seuls 1 p. 100 des poissons d’une longueur de nageoire pré-anale supérieure à 275 mm étaient des mâles. Ainsi, ces indices reflètent les taux de prise de femelles adultes. 

Pour évaluer le taux de variation, le logarithme du taux stratifié moyen de prise a été analysé par régression en fonction de chaque année. Le pourcentage de changement a été calculé ainsi : 100•(1-e-bDt), où b correspond à la pente de régression, et Dt, aux changements annuels. Dans deux cas, le taux stratifié moyen de prise était nul; le zéro a alors été remplacé par la moitié du taux moyen de prise minimum non nul avant le calcul du logarithme du taux de capture.

Relevés européens

Les indices de biomasse pour le relevé espagnol dans 3NO et pour le relevé de l’Union européenne dans le Bonnet flamand (3M) sont reproduits avec la permission de González- Costas et Murua (2005). Ces indices ont été corrigés pour tenir compte des changements de bateaux et d’engins décrits par González-Costas et Murua (2005). Le relevé de la division 3NO est effectué dans des eaux allant jusqu’à 1 500 m de profondeur, tandis que celui de la division 3M est limité à des profondeurs de moins de 720 m. Les relevés effectués dans 3M et 3NO sont réalisés chaque année depuis 1988 et 1995 respectivement. Cependant, les relevés de 1995 et de 1996 dans 3NO ne sont pas considérés comme représentatifs, du fait que les strates les plus profondes n’ont fait l’objet d’aucun échantillonnage. Les données de ces relevés ont donc été omises des analyses présentées ici.

Tendances observées dans les taux de prise des relevés

Relevés automnaux canadiens

Les relevés automnaux dans 2J3K révèlent une baisse marquée du taux de prise de 1978 à 1994 (figure 5a). La tendance linéaire illustrée par le logarithme des taux de prise est très significative pour cette période (R²=0,84, P<0,0001; figure 5b) et correspond à une baisse de 88 p. 100 sur 16 ans. Les taux de capture enregistrés après 1994 ne sont pas directement comparables aux taux de prise antérieurs à cette date, en raison de l’adoption de nouveaux engins de pêche en 1995. Les taux de prise sont restés stables ou ont légèrement augmenté de 1995 à 2005. Pour cette période, la tendance linéaire du logarithme des taux de prise est positive, mais non significative (R²=0,19, P=0,18; figure 5b).

On peut dégager des tendances semblables à partir des indices calculés pour 2J3KL (figures 5c et 5d). De 1981 à 1994, les taux de capture ont connu une baisse de 92 p. 100 en 13 ans, avant de se stabiliser à nouveau après 1994. Pour la période de 1995 à 2003, la tendance illustrée par le logarithme des taux de capture est positive, quoique non significative.

Les taux de capture étaient nettement (d’environ 1,7 fois) plus élevés lorsque l’indice englobait les strates d’eaux profondes ajoutées en 1996 (figure 5c), ce qui reflète la densité relativement forte des grenadiers berglax dans les strates profondes. Cet indice est à peu près stable depuis 1996, et le logarithme des taux de prise ne révèle aucune tendance significative (figure 5d).

Figure 5. Taux stratifiés moyens de prise de grenadier berglax (toutes tailles confondues) dans le cadre des relevés automnaux des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc. Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme du taux de prise en fonction de l’année dans les graphiques b) et d), ainsi que la pente b et l’écart-type. Les lignes verticales du graphique a) présentent un écart-type de ±2. Les symboles correspondent à différentes zones ou à différents engins.

Figure 5. Taux stratifiés moyens de prise de grenadier berglax (toutes tailles confondues) dans le cadre des relevés automnaux des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc. Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme du taux de prise en fonction de l’année dans les graphiques b) et d), ainsi que la pente b et l’écart-type. Les lignes verticales du graphique a) présentent un écart-type de ±2. Les symboles correspondent à différentes zones ou à différents engins.

Relevés printaniers canadiens

Les taux de prise des relevés printaniers sont beaucoup plus faibles que ceux des relevés automnaux (figure 6), résultats attribuables à l’absence de strates d’eaux profondes dans les relevés printaniers. Les taux de prise enregistrés dans les relevés printaniers sont demeurés stables de 1971 à 1982, ont accusé une forte baisse de 1985 à 1995 et sont redevenus stables ou ont légèrement augmenté à compter de 1996. Le déclin observé pendant la période s’étendant de 1985 à 1995 était très significatif (R² = 0,85, P < 0,0001) et correspondait à une baisse de 99 p. 100 sur 10 ans. Cependant, ce déclin semble être survenu en grande partie de 1989 à 1992.

Figure 6. Taux stratifiés moyens de prise de grenadier berglax (toutes tailles confondues) dans le cadre des relevés printaniers du Grand Banc. Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme du taux de prise en fonction de l’année dans le graphique b). Les symboles correspondent à différentes zones ou à différents engins.

Figure 6. Taux stratifiés moyens de prise de grenadier berglax (toutes tailles confondues) dans le cadre des relevés printaniers du Grand Banc. Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme du taux de prise en fonction de l’année dans le graphique b). Les symboles correspondent à différentes zones ou à différents engins.

Dans les strates d’eaux peu profondes qui font l’objet d’un échantillonnage depuis 1971, les taux moyens de prise sont très faibles depuis le début des années 1990. Cependant, ils sont supérieurs de plus d’un ordre de grandeur avec l’ajout des strates d’eaux profondes qui sont soumises à des échantillonnages depuis 1996.

Taux de prise d’adultes

Les grenadiers berglax pris au cours des relevés sont presque tous des juvéniles (figure 7). Les tailles correspondant aux femelles matures représentent moins de 3 p. 100 des prises.

Figure 7. Distribution des longueurs des prises de grenadier berglax dans le cadre des relevés automnaux des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc. La longueur correspond à la longueur de nageoire pré-anale. La distribution des longueurs est illustrée séparément pour les prises au chalut Engels (utilisé avant 1994) et les prises au chalut Campelen (utilisé depuis 1995). La ligne pointillée indique la longueur approximative à la maturité chez les femelles.

Figure 7. Distribution des longueurs des prises de grenadier berglax dans le cadre des relevés automnaux des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc. La longueur correspond à la longueur de nageoire pré-anale. La distribution des longueurs est illustrée séparément pour les prises au chalut Engels (utilisé avant 1994) et les prises au chalut Campelen (utilisé depuis 1995). La ligne pointillée indique la longueur approximative à la maturité chez les femelles.

Dans 2J3K, les taux de prise d’adultes ont connu une baisse marquée dans les relevés automnaux de 1978 à 1994 (figure 8a). La régression linéaire du logarithme des taux de prise en fonction des années était très significative pendant cette période (R²=0,66, P< 0,0001; figure 8b) et correspondait à un déclin de 95 p. 100 sur 16 ans. Les taux de prise d’adultes ont également affiché une tendance à la baisse de 1995 à 2003, mais le déclin n’était pas significatif (R²=0,34, P=0,1).

On peut dégager des profils semblables dans 3L. La baisse des taux de prise a été très significative pendant la période s’étendant de 1981 à 1994 (déclin de 96 p. 100 sur 13 ans), mais elle ne l’était plus de 1995 à 2003 (figures 8c et 8d). Les taux de prise d’adultes étaient nettement plus élevés lorsque l’analyse englobait les strates d’eaux profondes qui font l’objet d’un échantillonnage depuis 1996. Les taux de prise sont demeurés stables de 1996 à 2003, période où ces strates étaient incluses dans l’analyse (figure 8d).

Figure 8. Taux stratifiés moyens de prise de femelles adultes dans le cadre des relevés automnaux des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc. Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme du taux de prise en fonction de l’année dans les graphiques b) et d), de même que la pente b et l’écart-type. Les symboles correspondent à différentes zones ou à différents engins.

Figure 8. Taux stratifiés moyens de prise de femelles adultes dans le cadre des relevés automnaux des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc. Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme du taux de prise en fonction de l’année dans les graphiques b) et d), de même que la pente b et l’écart-type. Les symboles correspondent à différentes zones ou à différents engins.

Relevés européens

En ce qui concerne la biomasse, le relevé effectué dans le Bonnet flamand a produit des résultats variables, sans qu’aucune tendance à long terme ne puisse être dégagée pendant la période de 1988 à 2004. Les chiffres les plus élevés ont été enregistrés en 2004 et en 1993 (figure 9a). La biomasse a augmenté dans les dernières années. La régression linéaire du logarithme de la biomasse en fonction des années est positive, mais non significative pour ce relevé (R²=0,12, P=0,18; figure 9b).

La biomasse du relevé espagnol dans 3NO a eu tendance à s’accroître de 1997 à 2004 (figure 9c). La régression linéaire du logarithme de la biomasse en fonction des années était positive pour cette courte période et atteignait presque des valeurs significatives (R²=0,47, P=0,06; figure 9d).

Figure 9. Biomasse de grenadier berglax dans le cadre des relevés européens dans 3NO et le Bonnet flamand (3M).Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme de la biomasse en fonction de l’année dans les graphiques b) et d), de même que la pente b et l’écart-type. Les lignes verticales dans les graphiques a) et c) représentent un écart-type de ±2. Les données sont tirées de González et Murua (2005).

Figure 9. Biomasse de grenadier berglax dans le cadre des relevés européens dans 3NO et le Bonnet flamand (3M). Les pentes de régression sont illustrées pour le logarithme de la biomasse en fonction de l’année dans les graphiques b) et d), de même que la pente b et l’écart-type. Les lignes verticales dans les graphiques a) et c) représentent un écart-type de ±2. Les données sont tirées de González et Murua (2005).

Changement de la répartition

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les relevés automnaux révélaient que le grenadier berglax occupait un vaste territoire dans les plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve (figure 10). Au début des années 1990, l’espèce était essentiellement confinée à la marge extracôtière du plateau. Cette aire de répartition restreinte est demeurée inchangée pendant le reste des années 1990 et au début des années 2000 (figure 11).

Figure 10. Répartition géographique des prises de grenadier berglax dans le cadre du relevé automnal des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc pour certaines années choisies entre 1978 et 1994 (relevés au chalut Engels). La taille des cercles est proportionnelle au nombre d’individus pris. Les points de coupure correspondent aux 10e, 25e, 50e et 75e centiles des prises non nulles. Les croix indiquent les prises nulles. Les courbes bathymétriques correspondant à des profondeurs de 200 m et de 1000 m sont illustrées respectivement par des traits solides et par des lignes pointillées.

Figure 10.  Répartition géographique des prises de grenadier berglax dans le cadre du relevé automnal des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc pour certaines années choisies entre 1978 et 1994 (relevés au chalut Engels). La taille des cercles est proportionnelle au nombre d’individus pris. Les points de coupure correspondent aux 10e, 25e, 50e et 75e centiles des prises non nulles. Les croix indiquent les prises nulles. Les courbes bathymétriques correspondant à des profondeurs de 200 m et de 1000 m sont illustrées respectivement par des traits solides et par des lignes pointillées.

Figure 11. Répartition géographique des prises de grenadier berglax dans le cadre du relevé automnal des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc pour certaines années choisies entre 1995 et 2000 (relevés au chalut Campelen). Voir la légende de la figure 10 pour obtenir plus de détails.

Figure 11. Répartition géographique des prises de grenadier berglax dans le cadre du relevé automnal des plateaux du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve ainsi que du Grand Banc pour certaines années choisies entre 1995 et 2000 (relevés au chalut Campelen). Voir la légende de la figure 10 pour obtenir plus de détails.

La figure 12 illustre la proportion des prises effectuées dans les strates d’eaux profondes (de 751 à 1 000 m de profondeur) de 2J3K qui sont soumises à un échantillonnage régulier depuis 1978. Les changements observés au fil des ans témoignent d’un déplacement de la population vers les eaux profondes situées en bordure de la marge extracôtière de la zone d’échantillonnage. Un faible pourcentage (soit environ 10 p. 100) des prises ont été réalisées dans ces strates d’eaux profondes de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. Cette proportion a commencé à augmenter à la fin des années 1980, pour atteindre de 50 à 60 p. 100 au milieu des années 1990.

Figure 12. Proportion de grenadiers berglax pris dans les strates d’eaux profondes (de 751 à 1 000 m) dans le cadre des relevés automnaux dans 2J3K

Figure 12. Proportion de grenadiers berglax pris dans les strates d’eaux profondes (de 751 à 1 000 m) dans le cadre des relevés automnaux dans 2J3K

Les changements observés dans la répartition bathymétrique des grenadiers berglax sont décrits plus en détail à la figure 13. Les données d’analyse tiennent compte de tous les traits de chalut (figures 10 et figure11), et non seulement des sous-ensembles utilisés pour le calcul des indices normalisés présentés ci-dessus. La densité des grenadiers berglax est fortement corrélée avec la profondeur pour toutes les années visées. Pendant la période de 1978 à 1983, les densités les plus fortes ont été observées à des profondeurs d’environ 750 m, et elles ont affiché une baisse substantielle dans les eaux plus profondes. De 1984 à 1989, les densités les plus fortes ont été enregistrées dans des eaux légèrement moins profondes (de 600 à 700 m), mais, ici encore, elles ont connu une baisse dans les eaux plus profondes. Au cours des périodes ultérieures, les densités ont chuté jusqu’à des niveaux frôlant 0 dans les eaux de moins de 500 m de profondeur. En revanche, les densités ont peu baissé après avoir atteint leur point culminant dans des eaux de 700 à 1 000 m de profondeur, et elles sont demeurées élevées dans les eaux les plus profondes de la zone d’échantillonnage.

Figure 13. Effet de la profondeur sur la densité locale des grenadiers berglax dans le cadre des relevés automnaux effectués au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Graphiques a) à d) : Effet de la profondeur (sur une échelle logarithmique) sur la densité des grenadiers au cours de cinq périodes. Le trait continu illustre le rapport prédit, et la ligne pointillée, l’écart-type de ±2. À noter que les modèles prédisaient aussi l’effet de la profondeur pour des années ne figurant pas sur les graphiques. Graphique f) : Densité prédite pour une année choisie de chaque décennie. Les taux de priseau chalut Campelen ont été rajustés de manière à être semblables aux taux depriseau chalut Engels.

Figure 13.  Effet de la profondeur sur la densité locale des grenadiers berglax dans le cadre des relevés automnaux effectués au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Graphiques a) à d) : Effet de la profondeur (sur une échelle logarithmique) sur la densité des grenadiers au cours de cinq périodes. Le trait continu illustre le rapport prédit, et la ligne pointillée, l’écart-type de ±2. À noter que les modèles prédisaient aussi l’effet de la profondeur pour des années ne figurant pas sur les graphiques. Graphique f) : Densité prédite pour une année choisie de chaque décennie. Les taux de priseau chalut Campelen ont été rajustés de manière à être semblables aux taux depriseau chalut Engels.

La zone couverte par le relevé automnal a été agrandie pour englober des eaux plus profondes en 1995. Les strates les plus profondes qui ont fait l’objet d’un échantillonnage se trouvaient à 1 275 m sous la surface pendant la période de 1984 à 1994, et elles dépassaient 1 475 m pendant la période de 1995 à 2003 (mais elles étaient de 1 432 m pour la période de 1978 à 1983). Le 95e centile des profondeurs soumises à un échantillonnage correspondait à environ 600 m au cours des trois périodes antérieures à 1995 et à 1 200 m au cours des deux périodes postérieures. Cependant, les changements décrits à la figure 13 ne témoignent pas uniquement du choix de nouvelles strates pour l’échantillonnage. Citons à preuve les variations enregistrées de 1990 à 1994, période qui précédait l’ajout de strates d’eaux plus profondes dans la zone couverte par le relevé.

Taille de la population

On peut obtenir une estimation de la taille minimale de la population en étendant le nombre moyen de prises par trait à l’échelle de la zone d’échantillonnage (c.-à-d. en le multipliant par la superficie de la zone d’échantillonnage et en divisant le résultat par la superficie des eaux balayées au cours d’un trait de chalut ordinaire). Le chiffre ainsi obtenu représente toutefois une sous-estimation pour les raisons suivantes : 1) la capturabilité par l’engin est sans doute nettement inférieure à 100 p. 100; 2) un pourcentage important de la population de grenadiers berglax vit probablement à l’extérieur de la zone visée par le relevé. Les estimations minimales fondées sur les relevés automnaux des divisions 2GHJ3KLMNO de l’OPANO se chiffraient en moyenne à 101,91 millions d’individus pour la période de 1996 à 2005 (D. Power, MPO, St. John’s, comm. pers.). Pour obtenir cette estimation, il a fallu calculer l’abondance moyenne enregistrée au cours des relevés dans chaque division pour l’ensemble des années visées de 1996 à 2005, puis faire la somme des résultats obtenus pour chaque division. Environ 1,4 p. 100 des grenadiers berglax pris au chalut Campelen lors de ces relevés étaient des femelles adultes, si l’on en juge par leur taille. Ce chiffre se traduit par une estimation minimale d’environ 1,43 million de femelles adultes dans la zone couverte par ce relevé dans les dernières années.

Un relevé à la palangre en eaux profondes a été réalisé dans 3LMN en avril et en mai 1996 à des profondeurs de 700 à 3 000 m (Murua et de Cárdenas, 2005). Le grenadier berglax était l’espèce qui a été le plus souvent prise lors de ce relevé, c’est-à-dire 34 p. 100 des captures en poids (comparativement à 5 p. 100 pour le flétan noir). Dans les eaux de moins de 1 150 m de profondeur, le grenadier berglax était l’espèce prédominante dans les prises (plus de 90 p. 100 des captures en poids).

 Sommaire des tendances des populations

Dans les relevés au chalut de fond du Grand Banc et du plateau de Terre-Neuve, les taux de prise du grenadier berglax sont demeurés à peu près stables dans les années 1970, ont chuté abruptement dans les années 1980 et se sont stabilisés depuis le début ou le milieu des années 1990, quoique certains relevés révèlent des hausses du taux de prise dans les dernières années. Les chiffres enregistrés dans les années 1980 représentaient des baisses de 90 à 95 p. 100 sur 10 à 15 ans (moins d’une génération). Les déclins observés chez les femelles adultes étaient de 95 à 96 p. 100 sur 13 à 15 ans, mais les relevés ne permettent de capturer qu’un très faible pourcentage de femelles adultes.

Il est impossible de déterminer dans quelle mesure ces baisses du taux de prise reflètent de véritables déclins démographiques. D’une part, la population de grenadiers berglax est concentrée surtout en bordure et en périphérie de la marge extracôtière des zones couvertes par les relevés. D’autre part, les relevés ne couvrent pas toute la bande latitudinale occupée par l’espèce dans l’Atlantique Nord-Ouest. Ainsi, les taux de prise du grenadier berglax risquent fort d’être tributaires des changements observés dans le nombre d’individus disponibles pour les relevés.

La baisse des taux de prise des relevés coïncide avec un déplacement massif de la population vers les strates d’eaux profondes le long de la marge extracôtière de la zone d’échantillonnage (R²=0,70, P<0,0001). Bon nombre d’autres espèces se sont déplacées vers le large à peu près au même moment (voir par exemple Gomes et al., 1995). Le refroidissement marqué des eaux du plateau dans les années 1980 serait l’un des facteurs à l’origine de ces changements de répartition (voir par exemple Rose et al., 1994; Gomes et al., 1995), mais la dépendance à la densité (Atkinson et al., 1997) et l’amenuisement des stocks locaux par la pêche (voir par exemple Hutchings, 1996) sont également des causes possibles.

Le grenadier berglax n’est pas retourné aux eaux moins profondes lorsque celles-ci se sont réchauffées à la fin des années 1990. Des changements de répartition semblables ont été observés chez d’autres espèces de poissons de l’Atlantique Nord-Ouest. Par exemple, la raie épineuse du sud du golfe du Saint-Laurent a migré vers des eaux profondes plus chaudes à la suite du refroidissement du Plateau madelinien au début des années 1990, mais elle n’a pas regagné le Plateau même si les eaux s’y sont réchauffées dans les dernières années (Swain et Benoît, 2006). L’hypothèse suivante pourrait servir à expliquer ce phénomène : la répartition des poissons se caractérise par un degré élevé de « prudence » (voir Corten, 2002). Autrement dit, la répartition change rapidement en réponse à un stimulus ambiant, mais elle met du temps à reprendre son profil original après la disparition du stimulus.

Si l’amenuisement des stocks locaux par la pêche est une cause de déclin possible, il ne coïncide avec aucune hausse connue des taux de prise du grenadier berglax. De plus, la pêche au chalut tend à se concentrer le long de la bordure du plateau (Kulka et Pitcher, 2001), là où aucune réduction de la densité des grenadiers n’a été observée. En outre, la baisse de densité des grenadiers berglax dans les eaux peu profondes coïncide avec une augmentation de la densité de l’espèce dans les eaux profondes (figure 13). Cela confirme que le changement observé dans la répartition ne témoigne pas uniquement d’un amenuisement local, mais qu’il est aussi associé, du moins en partie, à un véritable déplacement physique de la population. Dans les années 1970 et 1980, la densité des grenadiers se situait à des niveaux relativement faibles dans les eaux les plus profondes de la zone d’échantillonnage; dans les années 1990 et 2000, la densité est demeurée près de son point culminant dans ces eaux profondes. Tout porte à croire qu’il y a eu déclin du nombre d’individus disponibles pour le relevé et que la baisse des taux de prise représente une surestimation du déclin démographique. Cependant, il est impossible de déterminer l’ordre de grandeur de cette surestimation.

Sommaire de l’évaluation de l’OPANO

La plus récente évaluation de l’OPANO (González-Costas et Murua, 2005) met l’accent sur des tendances récentes (années 1990 et 2000). Les chercheurs considèrent le relevé automnal canadien dans 2J3K et le relevé espagnol dans 3NO comme étant les relevés les plus fiables pour la surveillance des tendances des populations, du fait qu’ils englobent des strates d’eaux profondes. Les indices de biomasse de ces relevés, calculés à compter de 1995 et de 1997 respectivement, révèlent tous deux une tendance à la hausse qui atteint un maximum en 2004, la dernière année visée par les relevés. L’accroissement de la biomasse est substantiel (la biomasse a triplé ou quadruplé de 1997 ou de 1995 à 2004, selon les estimations ponctuelles). Le nombre de prises par la pêche divisé par la biomasse des relevés (un indice du taux d’exploitation) accuse une baisse marquée au cours de la même période. Qu’il s’agisse du relevé de l’Union européenne dans le Bonnet flamand ou de celui de l’Espagne dans 3NO, les données de 2004 sur les prises de poissons âgés de 3 ans donnent à penser que la classe d’âge de 2001 est robuste. Dans son évaluation, l’OPANO (2005) conclut que la biomasse du stock est la plus élevée de la série chronologique débutant en 1995, mais elle note que les poissons immatures représentaient 92 p. 100 des captures en poids en 2004.

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