Yucca glauque (yucca glauca) évaluation et rapport de situation du COSEPAC 2013 : chapitre 9
Les populations de yucca glauque se maintiennent par reproduction sexuée et asexuée (Csotonyi et Hurlburt, 2000); celles qui se trouvent à la limite nord de l’aire de répartition se maintiennent principalement par voie asexuée, en produisant de nouveaux ramets, ou rosettes (Hurlburt, 2004). L’absence de reproduction par graines empêche l’espèce de se propager vers de nouveaux milieux propices (Csotonyi et Hurlburt, 2000). Les graines germent au printemps ou au début de l’été, environ 10 mois après leur dispersion par le clone parent (Hurlburt, 2004). Chaque graine produit d’abord une seule rosette, et on estime que cette dernière arrive à maturité au bout d’environ 20 à 25 années, ou peut-être davantage (figure 4; Hurlburt, données inédites), alors qu’une rosette produite par voie asexuée peut fleurir au bout de quelques années seulement. Chaque rosette ne peut produire qu’une inflorescence (Kingsolver, 1984; Hurlburt, 2004). Après la floraison, la rosette meurt (Kingsolver, 1984), mais le clone peut probablement persister plus de 50 ans (figure 8). On signale qu’une espèce étroitement apparentée, le Yucca angustissima, peut vivre plus de 100 ans dans la région du Grand Canyon, en Arizona (Bowers et al., 1995). Des observations faites en conditions naturelles ont permis de constater la germination de moins de 1 graine sur 5 000, presque toujours dans des terrains perturbés ou érodés (Hurlburt, 2004). Comme les graines demeurent viables une seule année, il n’y a pas de réservoir de semences dans le sol (Webber, 1953; McCleary et Wagner, 1973).
Figure 8. Port du yucca glauque, avec rosettes multiples, chacune fleurissant une seule fois et mourant par la suite.
Photo : D. Hurlburt.
Description pour la figure 8
Photo d’un clone de yucca glauque comportant plusieurs rosettes avec inflorescence. La floraison semble terminée, et les feuilles de certaines rosettes ont jauni.
La teigne du yucca est le seul pollinisateur du yucca glauque et est donc essentielle à sa survie (à l’échelle chronologique de son évolution) et à sa reproduction sexuée. La plante et le papillon entretiennent une relation de mutualisme obligatoire : la teigne du yucca pollinise le yucca glauque, et le yucca glauque fournit de la nourriture (graines) et des sites d’incubation à la chenille de la teigne du yucca pendant son développement (Riley, 1873, 1892). Le mutualisme obligatoire est une relation dont chaque partenaire a besoin de l’autre pour sa survie ou sa reproduction et tire donc un avantage net du système (Addicott, 1995).
Selon des observations faites en Alberta, la plupart des clones de yucca glauque poussant au Canada fleurissent entre le début juin et la fin juillet, la floraison maximale survenant vers la fin juin; un nombre relativement faible d’individus fleurissent plus tard, jusqu’au début septembre (Hurlburt, 2004). La saison de floraison des populations canadiennes est plus longue que toute autre ayant été signalée ailleurs dans l’aire de répartition de l’espèce (Hurlburt, 2004), et le taux de floraison présente de grandes variations interannuelles (figure 10). Au cours de la floraison, les papillons adultes de la teigne du yucca émergent du sol et passent la journée sur les fleurs ouvertes du yucca, où a lieu l’accouplement. Au crépuscule, les papillons femelles rassemblent du pollen en boulettes au moyen d’appendices spéciaux appelés « tentacules maxillaires », puis parcourent au vol la population de yucca glauque, en bourrant de pollen les tubes stigmatiques des fleurs venant de s’ouvrir. Après avoir ainsi pollinisé les fleurs, les femelles pondent dans les parois de l’ovaire, y déposant leurs œufs en forme de massue parmi les ovules de la plante (Riley, 1873).
Des études menées à Onefour sur les taux de pollinisation et de formation de graines ont révélé que seulement environ 10 % (7,6 à 15 %) des fleurs pollinisées restent sur la plante jusqu’à la maturité du fruit (Hurlburt, 2004; Hurlburt, 2007). La plante provoque la chute sélective des fleurs insuffisamment pollinisées ou qui ont subi peu de pontes et ne renferment donc qu’un petit nombre d’œufs de papillon (Hurlburt, 2004). Cette situation est différente de celle observée chez la plupart des espèces de yuccas, qui se débarrassent au contraire des fleurs ou fruits renfermant le plus de chenilles; cette stratégie empêche le papillon de surexploiter la plante et préserve ainsi les avantages tirés par les deux partenaires de la relation (Shapiro et Addicott, 2003, 2004). À Onefour, de 1998 à 2003, chaque clone a produit en moyenne 3,8 (± 0,6) fruits par année (tableau 1; figure 9; Hurlburt, 2004). Une autre caractéristique des populations d’Alberta est leur capacité de tolérer l’autopollinisation (qui exige quand même la teigne du yucca comme vecteur du pollen), sans que cela ne semble provoquer une dépression de consanguinité précoce parmi les descendants issus de l’autopollinisation (Hurlburt, 2004). La déhiscence des fruits débute entre le milieu et la fin de l’automne et se continue jusqu’au printemps suivant.
Population | Nombre de graines viables par fruit ± écart-type (nombre total de fruits) | Nombre de fruits par clone en fleurs ± écart-type (nombre total de fruits) |
---|---|---|
Onefour, Alberta (1999-2003)a | 146,3 ± 93,9 (221) | 3,76 ± 0,63 (589) |
Fort Belknap, Montana (2000-2003)a | 147,4 ± 89,0 (100) | 3,55 ± 2,675 (162) |
Loma, Montana (1999-2003)a | 142,4 ± 87,9 (112) | 3,19 ± 1,93 (353) |
Fort Benton, Montana (1999-2003)a | 139,6 ± 75,3 (101) | 3,56 ± 0,67 (241) |
Onefour (2007)b | 194,6 ± 59,3 (20) | 2,65 ± 0,43 (302) |
Onefour (2011)c | s.o. | 1,25 (71) |
Pinhorn (2004)d | s.o. | 1,67 (5) |
Pinhorn (2008)d | s.o. | s.o. [*] |
Pinhorn (2009)d | s.o. | 2,56 (23) |
Pinhorn (2010)d | s.o. | 4,21 (160) |
Pinhorn (2011)c | s.o. | s.o.[*] (71) |
* Le nombre de clones en fleurs n’a pas été enregistré à Pinhorn en 2008 et en 2011.
Figure 9. Trois fruits de yucca glauque produits par une même inflorescence. À Onefour, les fruits présentent tout un éventail de colorations, allant de rougeâtres, comme dans la présente photo, à vert pâle
Photo : D. Hurlburt.
Description pour la figure 9
Photo de trois fruits de yucca glauque produits par une même inflorescence, entourée par une rosette de feuilles longues et pointues. Les fruits présentent toute une gamme de couleurs, allant de rougeâtres (comme dans la présente photo) à vert pâle.
Figure 10. Pourcentage des clones de yucca glauque avec fleurs, à Onefour, à Pinhorn et dans les populations du Montana les plus proches (Loma et Fort Benton), de 1998 à 2011, selon les données disponibles (1998-2003 : Hurlburt, 2004, 2007, 2011).
L’absence de barre signifie que la floraison n’a pas été évaluée cette année-là, et non qu’il n’y a pas eu de floraison. Dans le cas de la population de Onefour, aucune donnée n’est disponible pour 2006 et 2010, mais on a signalé que la floraison avait été forte ces deux années (Bradley et al., 2006; I. Walker, comm. pers., 2011).
Description pour la figure 10
Graphique permettant de comparer le pourcentage de clones de yucca glauque avec fleurs à Onefour à Pinhorn et dans les populations du Montana les plus proches, celles de Loma et de Fort Benton au cours des années 1998 à 2011. L’absence de barre signifie que la floraison n’a pas été évaluée cette année-là.
Les graines du yucca glauque, étant plates, lisses et dépourvues d’ailes, ne sont probablement dispersées qu’à petite distance, par gravité, mais il se peut que leur dispersion soit facilitée par les forts vents, fréquents dans ce type de milieux. La plupart des graines tombent au pied de la plante (Fairbarns, 1985). À Onefour, il est probable que les graines qui ont colonisé la prairie de haute plaine ont été dispersées par le vent entre le milieu et la fin des années 1970 (Csotonyi et Hurlburt, 1998) et sont atterries sur une prairie récemment brûlée, ce qui leur a permis de germer dans un milieu à compétition minimale. Comme ces clones poussant en haute plaine sont tous situés à moins de 100 mdes pentes de ravin, il semble que la plupart des graines du yucca glauque ne sont pas dispersées à plus de 100 m, même en cas de fort vent.
Les graines ne survivent pas à un passage dans le tube digestif et ne sont donc pas dispersées par les quelques ongulés consommant les fruits mûrs. Il est cependant vraisemblable, bien que peu probable, que des graines soient occasionnellement transportées sur le corps d’animaux ou que les fruits puissent flotter et être emportés par l’eau jusqu’à de nouvelles localités. La plupart des clones de yucca glauque qui arrivent à « se déplacer » vers de nouvelles localités ont en fait été aidés par des personnes souhaitant les cultiver dans leur jardin, ou ils ont profité d’un transport sur des véhicules (le long des chemins de fer, au Montana) ou peut-être dans des matériaux meubles employés pour la construction routière.
En plus d’entretenir une relation de mutualisme obligatoire avec la teigne du yucca, le yucca glauque est le seul hôte de deux espèces de papillons étroitement apparentés à la teigne du yucca. La teigne tricheuse du yucca est un prédateur des graines et pond dans les jeunes fruits de yucca glauque, et ses chenilles consomment une partie des graines en développement, en compagnie des chenilles de la teigne du yucca (COSEPAC, 2006b). L’autre papillon, la fausse-teigne à cinq points du yucca, est un perceur de la tige et pond dans les inflorescences du yucca glauque (COSEPAC, 2006a). Ni l’une ni l’autre de ces espèces ne procure un avantage connu au yucca glauque; cependant, leur survie est étroitement liée à la relation de mutualisme existant entre le yucca glauque et la teigne du yucca.
Des pucerons, élevés par plusieurs espèces de fourmis, vivent souvent sur les fruits du yucca glauque. La relation de mutualisme facultatif existant entre les fourmis et les pucerons dépend de la relation de mutualisme obligatoire existant entre le yucca glauque et la teigne du yucca et a des conséquences intéressantes pour ses associés. En effet, on a observé chez les clones de yucca glauque abritant des fourmis une augmentation de 60 % du nombre de graines viables produites par chaque fruit, parce que les fourmis réduisaient le taux de ponte de la teigne tricheuse du yucca. De plus, les fourmis risquaient moins de grignoter et d’endommager les bourgeons du yucca si des pucerons étaient également présents (Perry et al., 2004; Snell et Addicott, 2008b).
En Alberta et dans le nord du Montana, pour que les chenilles de la fausse-teigne du yucca à cinq points puissent survivre, il faut à la fois la présence de fruits de yucca glauque et celle de pucerons se nourrissant de la sève de l’axe florifère. Ces chenilles ne survivent que dans les parties vertes de l’axe florifère, même si leurs œufs sont répartis sur toute sa longueur. Les axes florifères du yucca glauque ne restent verts que jusqu’au niveau du plus haut fruit, sauf si des pucerons sont présents, et en pareil cas les axes restent verts plus longtemps (Snell et Addicott, 2008a).
De nombreuses autres relations interspécifiques de la plante ont été signalées, mais elles ont été moins étudiées. Kerley et al. (1993) ont avancé qu’une espèce apparentée, le Yucca elata, peut héberger plus de 70 espèces d’arthropodes. À Onefour, le yucca glauque fournit de la nourriture à des oiseaux (qui prélèvent des chenilles dans l’inflorescence), au cerf mulet (Odocoileus hemionus), au cerf de Virginie (Odocoileus virginianus), à l’antilope d’Amérique (Antilocapra americana), au wapiti (Cervus canadensis) et au lapin de Nuttall (Sylvilagus nuttallii). Le yucca glauque fournit également un abri au crotale des prairies (Crotalus viridis), à la couleuvre à nez mince (Pituophis catenifer)etau grand iguane à petites cornes (Phrynosoma hernandesi) (Hurlburt, 2007). On a déjà observé la consommation de grandes quantités d’axes florifères, de fleurs et de fruits du yucca glauque par le cerf mulet et l’antilope d’Amérique (voir également la section « Menaces et facteurs limitatifs »).
Détails de la page
- Date de modification :