Salamandre pourpre (Gyrinophilus porphyriticus) plan de gestion 2014: partie 3
À long terme, l'objectif de gestion consiste à réduire et, si possible, éliminer les menaces auxquelles fait face la salamandre pourpre au Québec afin de maintenir et, si possible, augmenter l'abondance des sous-populations identifiées par le COSEPAC[7], ainsi que l'étendue de leur indice de zone d'occupation (1 412 km²). Pour atteindre cet objectif et mesurer les progrès accomplis, il est nécessaire, à court terme, de mieux circonscrire la répartition et de déterminer un indice d'abondance des sous-populations identifiées par le COSEPAC[7].
Justificatif : Il est crucial de maintenir l'abondance des différentes sous-populations et l'étendue de leur indice de zone d'occupation afin d'empêcher que cette espèce ne devienne menacée ou en voie de disparition au Canada. En effet, les besoins particuliers de la salamandre pourpre en matière d'habitat (c.-à-d. amont de petits cours d'eau montagneux où les poissons sont absents), qui tendent à isoler les différentes sous-populations, de même que les autres facteurs limitatifs de l'espèce (ex. faible mobilité, faible taux de recrutement, faible densité d'individus) rendent cette dernière très peu résiliente à toute altération de son habitat. Ces mêmes facteurs limitatifs font en sorte qu'il pourrait s'avérer difficile d'augmenter l'abondance des sous-populations ainsi que l'étendue de leur indice de zone d'occupation. La gestion de cette espèce est axée sur la population actuelle du Québec puisque, même si des efforts de recherche ont été réalisés en Ontario, l'espèce n'a pas été répertoriée depuis 1877. Advenant la redécouverte de l'espèce dans cette province, l'objectif de gestion sera revu.
Au Québec, l'Équipe de rétablissement des salamandres de ruisseaux a été mise sur pied en 2001 (Bonin, 2001). Cette équipe a élaboré un premier plan d'intervention pour la période 2004 à 2008 (Jutras, 2003) et elle termine actuellement la préparation d'un second plan décennal. À ce jour, l'Équipe a été particulièrement active au mont Covey Hill (piémont des Adirondacks), notamment parce que c'est le seul endroit de la province où l'on trouve la salamandre sombre des montagnes (Desmognathus ochrophaeus), une espèce menacée à l'échelle du Canada et du Québec. Certaines mesures importantes ont toutefois été réalisées ailleurs dans l'aire de répartition de la salamandre pourpre, notamment par des organismes non gouvernementaux voués à la conservation de cette espèce. Les mesures déjà achevées ou en cours sont regroupées en trois thèmes principaux, soit (1) la gestion, la conservation et l'intendance de l'espèce et de son habitat, (2) la recherche et le suivi et (3) la vulgarisation et la communication. À moins d'indication contraire, l'information présentée provient du COSEPAC(2011).
Gestion, conservation et intendance de l'espèce et de son habitat
Au Québec, la salamandre pourpre a profité de l’adoption de mesures de conservation – visant essentiellement les activités d’aménagement forestier – adoptées pour conserver l’habitat des salamandres de ruisseaux. Ces mesures permettent d’encadrer les opérations forestières (e.g prélèvement de la surface terrière, débardage, aménagement de ponts et ponceaux, protection de la bande riveraine) sur une base légale sur les terres publiques (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, 2008b). Ces mesures sont également diffusées en terres privées (voir vulgarisation et communication), là où elles sont appliquées sur une base volontaire. L'essor de la popularité de la certification FSC (Forest Stewardship Council) incite de plus en plus les gestionnaires de forêt privée à prendre en compte les besoins des espèces en péril dans leurs opérations. . Ces mesures sont également utilisées, en tout ou en partie, pour encadrer d’autres domaines d’activités comme la construction de parcs éoliens (Nathalie Tessier, comm. pers.). .
Dans le piémont des Adirondacks, le Plan de conservation des salamandres de ruisseaux au mont Covey Hill, Montérégiea été élaboré (Frenette, 2008). Ce dernier identifie notamment les zones de conservation prioritaires ainsi que les éléments stratégiques à mettre en œuvre pour conserver l'assemblage de salamandres de ruisseaux qu'on y trouve. Dans ce complexe montagneux, Conservation de la nature Canada est actuellement propriétaire de 1,2 km² du mont Covey Hill et des servitudes de conservation ont également été signées avec des propriétaires privés. Dans le piémont des Montagnes vertes, plusieurs initiatives non gouvernementales ont permis de sécuriser plus de 68 km² d'habitat dans le cœur de la répartition de l'espèce. Conservation de la nature Canada, de concert avec la compagnie forestière Domtar et l'organisme Corridor appalachien, a notamment créé la plus grande aire protégée privée du Québec dans les monts Sutton (~ 67 km²), pour ainsi doubler la superficie des terres protégées dans la répartition canadienne de la salamandre pourpre. C'est également dans ce complexe montagneux qu'on trouve la plus grande superficie de terres protégées par le gouvernement du Québec (Parc national du Mont-Orford ~ 55 km², Réserve écologique de la Vallée-du-Ruiter ~ 1,2 km²). Dans les collines montérégiennes, quelques initiatives permettent de conserver certaines sous-populations ou des territoires adjacents, par exemple la sous-population du Mont Shefford,qui se situe en partie sur un territoire conservé par la municipalité de Granby pour l'alimentation en eau potable.
Dans l'est de l'aire de répartition (piémont des Montagnes blanches, collines de l'Estrie et collines de Bécancour), très peu de mesures ont été entreprises. Soulignons la présence du Parc national du mont Mégantic (~ 55 km²), qui inclut l'amont d'un ruisseau utilisé par une sous-population. Des individus sont recensés à environ un kilomètre en aval des limites du parc.
Recherche et suivi
Depuis la fin des années 1990, plusieurs inventaires de salamandres de ruisseaux effectués au Québec ont permis d'ajouter près de 400 observations de salamandres pourpres, principalement dans le piémont des Adirondacks, dans le piémont des Montagnes vertes et plus récemment dans le piémont des Montagnes blanches et dans les collines de Bécancour. Des études visant à documenter les caractéristiques importantes de l'habitat de la salamandre pourpre ont également permis d'initier l'identification de l'habitat convenable de l'espèce (Boutin, 2006; Ploss, 2010). D'autre part, un protocole de suivi de la population de salamandres sombres des montagnes a été développé et mis à l'essai depuis 2008 dans le piémont des Adirondacks. Ce dernier pourrait également permettre d'obtenir des informations sur la salamandre pourpre.
Vulgarisation et communication
Les principaux efforts ont été déployés dans le piémont des Adirondacks et dans le piémont des Montagnes vertes par des organismes non gouvernementaux œuvrant dans le domaine de la conservation des milieux naturels (Conservation de la nature Canada, Corridor appalachien, Société de conservation du corridor naturel de la rivière au Saumon et Société de conservation et d'aménagement du bassin de la rivière Châteauguay). Ces derniers sont principalement actifs auprès des propriétaires fonciers, mais également auprès des intervenants locaux et régionaux. Des guides de bonnes pratiques en milieu privé ont notamment été conçus et distribués par ces organismes.
À l'instar de l'objectif de gestion, les stratégies générales suivantes sont axées sur la population actuelle du Québec.
- Éliminer ou réduire les principales menaces pesant sur l'espèce et son habitat au Québec
La viabilité à long terme de la population de salamandres pourpres dépend de l'intégrité des habitats et de la taille de la population. Les menaces, notamment celles d'origine anthropique, peuvent compromettre cette intégrité et on doit les réduire et, si possible, les éliminer pour assurer une gestion pérenne de l'espèce. Quatre approches ont été identifiées pour orienter la mise en œuvre de cette stratégie générale : (1) préciser le niveau de préoccupation de certaines menaces; (2) sécuriser l'habitat et les individus par l'intendance, les outils légaux ou d'autres moyens de gestion appropriés; (3) développer des stratégies de communication visant à réduire les menaces, et les mettre en œuvre auprès d'intervenants ciblés; (4) suivre l'efficacité des mesures mises en place pour sécuriser les habitats et les individus.
- Compléter les connaissances relatives à la répartition et initier le suivi de sous-populations du Québec
Les différentes sous-populations du Québec sont isolées les unes des autres. Conséquemment, une gestion à l'échelle de la sous-population semble appropriée (voir stratégie 3). Le suivi de la répartition de même que le suivi de l'espèce au sein de la zone d'occupation sont des outils de gestion pour rendre compte des progrès accomplis ou des difficultés rencontrées. La mise en place d'un suivi pour détecter les tendances des sous-populations requiert au préalable d'obtenir les données démographiques de base pour chaque sous-population (ou pour celles représentatives d'un sous-ensemble). D'autre part, une portion importante de l'aire de répartition de la salamandre pourpre n'a jamais été inventoriée au Québec (figure 1). Pour effectuer une gestion cohérente de l'espèce, il est nécessaire de compléter les connaissances sur la répartition de l'espèce pour en connaître l'étendue exacte. - Préciser les connaissances écologiques nécessaires au rétablissement
Bien que les sous-populations du Québec soient isolées les unes des autres, on ne connait pas le degré réel de divergence entre les différentes sous-populations et entre les occurrences au sein de celles-ci. Cette information est nécessaire à la gestion de la salamandre pourpre, notamment pour confirmer l'échelle utilisée (c.-à-d. sous-population). D'autre part, il serait pertinent de circonscrire l'habitat convenable qui n'a encore jamais été inventorié.
Le tableau 3 présente les mesures de conservation à mettre en œuvre pour chacune des stratégies générales identifiées. Les mesures de conservation proposées se limitent à la population actuelle du Québec et sont tirées de la planification effectuée par l'Équipe de rétablissement des salamandres de ruisseaux du Québec.
Mesures de conservation | Priorité | Menaces** ou préoccupations abordées | Échéance |
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Documenter, pour chaque sous-population, les mesures en place pour conserver l'habitat | Élevée | Lacunes dans les connaissances | 2014-2016 |
Documenter les menaces pesant sur chaque sous-population | Élevée | Toutes les menaces | 2014-2019 |
Documenter et suivre l'impact de la sédimentation sur l'habitat de la salamandre pourpre | Élevée | 1, 3, 5 et 6 | 2014-2019 |
Documenter et suivre l'occurrence des ensemencements de poissons qui pourraient avoir un impact sur la zone d'occupation | Moyenne | 4 | 2014-2019 |
Développer et mettre en place des indicateurs de suivi des impacts des changements climatiques | Moyenne | 5 | 2014-2019 |
Documenter et suivre les activités qui pourraient avoir un impact sur le régime hydrique et la qualité de l'eau dans la zone d'occupation | Moyenne | 1, 2, 3, 6, 7 | 2014-2019 |
Mesures de conservation | Priorité | Menaces** ou préoccupations abordées | Échéance |
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Effectuer une priorisation des sites à conserver et mettre en place des mesures pour conserver les sites prioritaires | Élevée | 1, 2, 3, 4, 6, 7 | 2014-2019 |
Définir et cartographier l'habitat en vertu de la Loi sur les espèces menacées et vulnérablesdu Québec | Élevée | 1, 2 | 2014-2019 |
Établir un zonage régional des cours d'eau dans lequel aucun ensemencement de poissons ne serait permis | Élevée | 4 | 2014-2019 |
Assurer la conservation de l'habitat nécessaire pour permettre la mobilité des individus au sein des sous-populations | Moyenne | 1, 2, 3, 4, 6, | 2017-2019 |
Modifier, au besoin, la réglementation (fédérale, provinciale et municipale) relative au milieu hydrique ainsi que les guides normatifs et les fiches techniques relatifs aux travaux en milieu hydrique afin de tenir compte des besoins de la salamandre pourpre | Moyenne | 1, 2, 3, 6, 7 | 2019 |
Mesures de conservation | Priorité | Menaces** ou préoccupations abordées | Échéance |
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Favoriser, en forêt privée, les saines pratiques forestières pour les salamandres de ruisseaux | Élevée | 3 | En continu |
Développer et mettre en œuvre une stratégie de communication afin de réduire des menaces précises et de protéger l'habitat | Élevée | 1, 2, 4, 6, 7 | 2014-2019 |
Définir les saines pratiques agricoles et en favoriser l'application en milieu privé | Moyenne | 2, 6 | 2015-2019 |
Promouvoir et soutenir une gestion concertée des sous-populations transfrontalières de la salamandre pourpre conjointement avec les intervenants des États-Unis (New-York, Vermont, Maine) | Faible | Toutes les menaces | En continu |
Mesures de conservation | Priorité | Menaces** ou préoccupations abordées | Échéance |
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Suivre l'efficacité des saines pratiques (agricoles, forestières ou relatives à l'ensemencement) implantées | Moyenne | 3, 4, 6 | 2014-2019 |
Évaluer si les moyens légaux et réglementaires, les schémas d'aménagement, les guides normatifs ainsi que les fiches techniques relatifs à la protection du milieu hydrique ou riverain conservent adéquatement l'espèce et son habitat | Moyenne | 1, 2, 3, 6, 7 | 2014-2018 |
Mesures de conservation | Priorité | Menaces** ou préoccupations abordées | Échéance |
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Inventorier l'habitat convenable de l'aire de répartition qui n'a jamais été visité | Élevée | Lacunes dans les connaissances | 2014-2019 |
Suivre la zone d'occupation de l'espèce | Moyenne | Lacunes dans les connaissances | 2014-2019 (annuel) |
Mesures de conservation | Priorité | Menaces** ou préoccupations abordées | Échéance |
---|---|---|---|
Documenter l'indice de capture par unité d'effort dans les sites où un tel calcul est possible. | Élevée | Lacunes dans les connaissances | 2014-2019 |
Développer et mettre en œuvre un programme permettant de suivre les tendances de sous-populations. | Élevée | Lacunes dans les connaissances | 2014-2019 |
Confirmer la présence des sous-populations non observées depuis plus de 25 ans | Élevée | Lacunes dans les connaissances | 2014-2019 |
Suivre la qualité des occurrences de l'espèce au CDPNQ | Moyenne | Lacunes dans les connaissances | 2019 |
* Les responsabilités quant à la réalisation des activités énumérées dans le tableau 3 seront établies par un processus de concertation impliquant les compétences responsables et les organisations concernées.
**1 : Développements à des fins résidentielles, récréotouristiques et de production énergétique (éolien), 2 : Captage de l'eau souterraine à des fins résidentielles, agricoles et commerciales, 3 : Exploitation forestière, 4 : Introduction/ensemencement de poissons, 5 : Changements climatiques, 6 : Production agricole, 7 : Altération de la qualité de l'eau de surface par les pluies acides et les sels de déglaçage
Les indicateurs de rendement présentés ci-dessous proposent un moyen de définir et de mesurer les progrès vers l'atteinte des objectifs de gestion énoncés pour la salamandre pourpre au Canada. Le succès de la mise en œuvre du présent plan de gestion sera évalué à tous les cinq ans selon les indicateurs de rendement suivants :
- L'indice de la zone d'occupation des sous-populations identifiées par le COSEPAC[7] est maintenue à au moins 1 412 km² ;
- Les menaces auxquelles font face les sous-populations identifiées par le COSEPAC[7] sont réduites ou éliminées.
- L'abondance des sous-populations identifiées par le COSEPAC[7] est maintenue ou augmentée.
7 La sous-population de Portneuf est exclue de cet objectif, voir section 3.2 pour davantage de détails
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