Plan de gestion de la réserve nationale de faune de la Pointe-du-Prince-Édouard : chapitre 3


3 Menaces et défis relatifs à la gestion

3.1 Perte d’habitat de prairie

Avant la création de la réserve nationale de faune (RNF) de la Pointe-du-Prince-Édouard, les terres situées à l’intérieur et autour de la RNF servaient à l’agriculture mixte et au pâturage du bétail. L’agriculture demeure le mode d’utilisation des terres prédominant dans la région, mais beaucoup des terres agricoles qui entourent la RNF ont été abandonnées depuis et une grande partie du secteur est maintenant caractérisé par des champs arbustifs et des fourrés en régénération. Des espèces indigènes comme le genévrier de Virginie et le clavalier d’Amérique se sont propagées en grand nombre dans ces champs abandonnés. Avec le temps, il est probable que la RNF reviendra à l’état dans lequel elle se trouvait avant la colonisation par les Européens (c.-à-d. boisée).

Ces conditions changeantes sont bénéfiques pour certaines espèces sauvages, mais elles sont détrimentales pour d’autres. Les effets sur les oiseaux vivant en milieu ouvert, qui affichent les baisses de population les plus constantes et graves parmi tous les oiseaux d’Amérique du Nord (Bird Studies Canada, 2009), préoccupent particulièrement. Le tétras à queue fine (Tympanuchus phasianellus), qui se reproduisait auparavant dans la RNF, n’y est plus présent. D’autres espèces de prairie, comme le goglu des prés, pourraient suivre bientôt. Les effets possibles sur les oiseaux de prairie migrateurs ne sont pas aussi bien documentés, mais il est à concevoir que la disparition de prairies dégagées avec le temps modifie l’éventail des espèces qui utilisent la RNF comme halte migratoire.

3.2 Niveaux du lac et changements climatiques projetés

La fluctuation des niveaux d’eau du lac Ontario constitue la principale menace pour les milieux humides. Les niveaux sont contrôlés depuis 1959, résultant en un manque de fluctuations extrêmement élevées et basses qui contribaient à la diversité de la végétation des milieux humides riverains. La végétation tolérante à des conditions plus sèches s’est étendue et les communautés de prairie humide ont diminué, ce qui a réduit la diversité d’habitat de milieu humide. La croissance de la végétation des milieux humides riverains est aujourd’hui déterminée davantage par les précipitations et le climat local que par le changement des niveaux du lac.

Séparés du lac Ontario par des cordons littoraux, les milieux humides le long de la rive sud de la RNF montrent également des changements liés au manque d’inondations périodiques nécessaires pour maintenir leur diversité et leur étendue. Ces marais littoraux offrent d’importants lieux de fraye et d’alevinage et d’importantes sources de nourriture aux poissons et aux espèces aquatiques qui alimentent par la suite de nombreuses espèces d’oiseaux. Plusieurs espèces en péril de milieu humide, y compris le râle élégant (Rallus elegans) et le petit blongios (Lxobrychus exilis), ne se reproduisent plus à l’intérieur de la RNF, même si l’on pourrait à l’avenir considérer certains de leurs anciens habitats comme des zones de rétablissement pour ces espèces.

La régularisation et la gestion du niveau des eaux du lac Ontario ont aussi eu un effet sur le Long Point Harbour, que l’effet des vagues et des sédiments remblaie naturellement. Les activités de dragage et autres visant à maintenir le havre ouvert en direction du lac posent des problèmes complexes sur le plan des compétences et dépassent le mandat d’Environnement et Changement climatique Canada.

En raison des changements climatiques projetés et de la variabilité continue du climat, il est à prévoir que les ressources nécessaires pour surveiller et maintenir ces habitats et gérer les espèces végétales non indigènes et envahissantes augmenteront (Galloway et al., 2006). Selon les modèles actuels de changements climatiques, l’amincissement de la couche de glace et l’augmentation de l’évaporation qui suivra devraient faire augmenter la température de l’air. Les répercussions des changements climatiques sur les habitats et les espèces sauvages de la RNF demeurent inconnues, toutefois des modification dans la répartition, la diversité et les comportements reproducteurs des oiseaux migrateurs et des autres espèces sauvages qui fréquentent la RNF sont probables.

3.3 Espèces végétales et animales non indigènes et envahissantes

Espèces végétales non indigènes et envahissantes

Les espèces végétales non indigènes sont nombreuses dans la RNF. Certaines sont toutefois bien établies depuis des décennies et s’intégrent dorénavent aux habitats existants. Les problèmes surgissent lorsque des espèces agressives se propagent rapidement, et par conséquent délogent les espèces indigènes et réduisent la biodiversité.

Dans la RNF de la Pointe-du-Prince-Édouard, la propagation et les particularités invahissantes de trois espèces préoccupent particulièrement, soit le dompte-venin de Russie (Cynanchum rossicum), la salicaire commune (Lythrum salicaria) et l’alliaire officinale (Alliaria petiolata). Ces espèces réduisent la biodiversité indigène du secteur en supplantant celles indigènes, y compris l’asclépiade, dont le monarque a besoin.

Il est souvent difficile de déterminer les options de gestion efficaces qui permettraient de réduire les effets négatifs de ces espèces en raison d’un manque de connaissances, et de la capacité de beaucoup de ces espèces à s’adapter aux conditions de croissance en Ontario. La détection rapide est essentielle au contrôle et à la gestion des espèces envahissantes avant qu’elles ne s’établissent et ne s’adaptent aux conditions locales. Le traitement des espèces envahissantes demande beaucoup de ressources.

Espèces d’animaux féraux et domestiques

Plusieurs espèces d’animaux féraux et domestiques ont été observées dans la RNF, notamment des chats et des chiens retournés à l’état sauvage et des animaux sauvages indésirables (sangliers, ratons laveurs et mouffettes) qui ont été relâchées illégalement dans la RNF. Même si les chats et les chiens féraux sont habituellement peu nombreux dans la RNF, ils peuvent exercer une prédation importante sur les espèces indigènes en détruisant les nids et en se nourrissant d’œufs et d’individus (oiseaux et tortues). Ils peuvent aussi transmettre des maladies et des agents pathogènes aux animaux sauvages et perturber les habitats naturels en remuant le sol. Une gestion active et continue est nécessaire.

3.4 Augmentation de la demande d’accès et de services publics

Depuis la création de la RNF, la croissance démographique dans les centres urbains voisins et l’intérêt croissant du public pour les activités de plein air ont fait augmenter le nombre de visiteur dans la réserve et la demande de service. Il est prévue que cette tendance se maintienne puisque la RNF de la Pointe-du-Prince-Édouard encourage la présence de visiteurs par son initiative de Rapprocher les Canadiens de la nature. Il est probable que le niveau de fréquentation, préalablement à cette initiative, ne portait pas directement atteinte à l’habitat (p. ex., par un piétinement généralisé de la végétation), mais une fréquentation accrue pourrait exercer des pressions supplémentaires sur le site.

Il est probable qu’il y ai une augmentation de la demande sur les infrastructures et sur les ressources disponibles pour l’entretien du site et des installations (p. ex. sentiers, aire de stationnement, routes d’accès, affichage et toilettes), ainsi qu’une augmentation de la nécessité de développer du matériel de sensibilisation faisant la promotion des pratiques et des activités responsables et non nuisibles. Les activités interdites pratiquées dans la RNF de la Pointe-du-Prince-Édouard, comme l’usage de VTT et de véhicules en dehors des routes, la décharge de déchets, le vandalisme et la collecte de plantes ou d’animaux sauvages, exercent des pressions supplémentaires sur les ressources nécessaires à la prévention et à l’atténuation de ces activités et de leurs répercussions.

3.5 Problèmes hérités du passé

La présence de 21 lots et l’existence des baux connexes dans le secteur de Point Traverse (Long Point) Harbour que les propriétaires précédents ont loués à bail à des pêcheurs commerciaux constituent un problème découlant de l’achat des terres pour la RNF. Environnement et Changement climatique Canada a conclu 10 baux de cinq ans en 1981. Ces baux ont été signés à la seule fin de permettre les activités terrestres normalement associées à une entreprise de pêche commerciale, y compris des structures temporaires pour l’entreposage et l’hébergement saisonnier, des quais et l’accès à l’eau nécessaires à la pêche commerciale. Ces arrangements ont été pris à l’origine de façon à ne poser aucun problème indu aux titulaires des baux en vigueur. Plusieurs des baux ont pris fin et dans les cas où le bail n’a pas été renouvelé officiellement, on considère que les titulaires sont en occupation après terme.

Cette utilisation commerciale implique des activités qui ne seraient normalement pas permises dans une RNF en vertu du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages pris en application de la Loi sur les espèces sauvages du Canada, et oblige à investir continuellement des ressources administratives pour promouvoir la conformité par les utilisateurs. Une telle utilisation présente également des répercussions écologiques comme l’obligation d’entretenir des routes et des pelouses, accroît les risques de déversements de combustibles, en plus d’avoir des répercussions sur les eaux entourant la RNF car le dragage périodique de l’embouchure du havre (compétence provinciale), pour permettre l’accès (profondeur suffisante pour le tirant d’eau) à des bateaux de pêche commerciale, perturbe la succession naturelle et remplit l’échancrure (havre). Des efforts sont nécessaires pour remettre en état le havre et les habitats connexes dans l’optique de rapprocher tous les Canadiens de la nature et d’établir un équilibre entre les besoins des différents groupes d’usagés.

Les terres de la RNF et les eaux voisines ont servi de champs d’exercices de bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée, de sorte que le secteur pourrait contenir des munitions explosives non explosées. Le ministère de la Défense nationale (MDN) n’en a toutefois pas trouvé à la surface jusqu’à maintenant. La RNF a été désignée secteur à faible risque sur la base de l’accès public au site (MDN, 2013).

3.6 Conservation et rétablissement de multiples espèces

La conservation et le rétablissement de multiples espèces constituent un défi continu dans la RNF de la Pointe-du-Prince-Édouard, qu’il faut gérer activement afin de maintenir les fonctions écosystèmiques et la diversité et l’abondance de ses espèces. La gestion des espèces envahissantes et l’entretien des prairies par exemple, font partie intégrante du maintien des habitats. Beaucoup d’espèces ont des besoins complexes et mal compris en matière d’habitat. Les populations peu nombreuses ou occupant de vastes étendues sont souvent sous-représentées dans les études scientifiques générales, leurs besoins spécifiques en matière d’habitat étant inconnus. Un défi à relever consistera à trouver le moyen d’établir un équilibre entre les divers besoins en matière d’habitat de multiples espèces, tant communes qu’en péril.

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