Conseils à l’intention du Conseil du Trésor (janvier 2021)

Conseil du Trésor
a/s de l’honorable Jean-Yves Duclos, C. P., député
Président du Conseil du Trésor

Le 15 janvier 2021

Monsieur le Ministre,

Nous vous remercions de vous être entretenu avec le Comité consultatif externe sur la compétitivité réglementaire (CCECR) et de l’avoir incité à formuler des avis audacieux.

Le Comité croit toujours que le Canada peut retirer un avantage stratégique clé de l’excellence en réglementation, en réduisant la bureaucratie et en créant des conditions favorables à l’innovation, tout en améliorant les résultats en matière de santé, de sécurité et d’environnement auxquels les Canadiens attachent une grande importance. Le Comité garde à l’esprit que ces résultats doivent être inclusifs et avantageux pour tous ceux qui vivent au Canada, qu’ils soient citoyens, résidents permanents, immigrants ou migrants.

Il sera essentiel pour la reprise économique, la prospérité à plus long terme du Canada et le maintien de la confiance envers le gouvernement de concentrer nos efforts sur l’excellence en matière de réglementation.

Les répercussions de la COVID-19 sur la modernisation de la réglementation

Depuis qu’il a repris ses travaux en septembre, le Comité a eu l’occasion de discuter des répercussions de la COVID-19 sur la modernisation de la réglementation avec vous ainsi qu’avec des hauts fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT). Les points importants qui sont ressortis de ces discussions sont résumés ci-dessous.

  • La pandémie a eu des répercussions disproportionnées sur certains secteurs dont le tourisme, les transports et l’énergie, ainsi que sur les petites entreprises et les populations vulnérables.
  • Si le gouvernement a été en mesure de réagir avec souplesse en période de crise, il reste que, dans certains cas, des obstacles réglementaires injustifiés persistent.
  • L’un des éléments clés de la nouvelle souplesse du gouvernement en matière de réglementation a été de mettre l’accent sur les résultats plutôt que sur les processus et de tendre vers une culture favorisant la gestion des risques plutôt que l’aversion pour ceux-ci.
  • La numérisation a été un élément essentiel de la réponse à la pandémie, mais il est encore possible de faire mieux. Par exemple, certains Canadiens et certaines entreprises n’ayant pas accès à Internet haute vitesse ont eu de la difficulté à obtenir l’aide financière du gouvernement.
  • L’information du gouvernement portait parfois à confusion ou était contradictoire. Bien que ce problème existait avant la pandémie, il convient d’insister sur le fait qu’il faut améliorer les voies de communication entre les organismes de réglementation et les citoyens. L’information doit être claire et accessible, et il doit y avoir des moyens simples d’obtenir rapidement des réponses aux questions.

La COVID-19 a bouleversé le système de réglementation. Il n’est pas difficile de trouver des exemples de changement de mentalité au sein de tous les ordres du gouvernement. On a qu’à penser à l’approbation rapide des vaccins, à celle concernant les terrasses des restaurants, à l’autorisation accordée aux médecins de facturer les rendez-vous virtuels ou à l’autorisation temporaire de vente interprovinciale de viandes pour prévenir la pénurie d’aliments.

Le Comité estime qu’il vaut la peine de mettre sur pied, au sein du gouvernement, un groupe à qui il appartiendra de mettre en évidence les meilleurs changements réglementaires issus de l’expérience de la COVID‑19 et de se concentrer sur la mise en œuvre de changements qui contribueront à l’excellence future du Canada en matière de réglementation. Il pourrait s’agir, entre autres, de mettre l’accent sur les résultats, de continuer à faire preuve de souplesse et d’officialiser certaines des mesures et des modifications réglementaires temporaires visant l’application des règlements.

Réflexions sur les lettres d’avis antérieures du Comité

Les thèmes abordés dans les deux premières lettres d’avis du Comité et les recommandations qui y sont formulées demeurent à propos et constituent une bonne base pour la modernisation du système réglementaire du Canada.

Le Comité a indiqué que la compétitivité en matière de réglementation devait viser deux objectifs, à savoir réduire les fardeaux inutiles et accélérer l’innovation. Or, pour les atteindre, il faut atténuer les aspects négatifs de la réglementation (en éliminant les irritants) et accentuer les aspects positifs qui favorisent l’innovation (la rigueur, la souplesse, la prévisibilité), et ce, sans compromettre la santé, la sécurité, l’environnement et la prospérité économique des Canadiens.

Le Comité s’est réjoui d’apprendre que des mesures ont été prises pour mettre en œuvre certains de ses avis. Les examens réglementaires ciblés portant sur la numérisation, les technologies vertes et les normes internationales sont en cours. Le Comité espère recevoir des nouvelles concernant le processus d’élaboration de feuilles de route lors d’une prochaine réunion.

En tenant compte de ses avis précédents, le Comité continue de recommander que le gouvernement :

  • fasse de la mesure du fardeau réglementaire cumulatif une priorité, ce qui comprend l’élaboration de mesures fédérales de portée générale;
  • mette l’accent sur une mobilisation accrue des parties concernées et que celle-ci ait lieu tôt et souvent afin de mieux comprendre les réalités opérationnelles et de déterminer la meilleure façon d’atteindre les résultats escomptés;
  • envisage la tenue d’une consultation plus générale en ligne sur les irritants liés à la réglementation afin de mobiliser tous les Canadiens intéressés, en vue de déterminer les questions qui peuvent être relativement faciles à régler. Rendre permanente la souplesse réglementaire accordée pendant la crise de la COVID-19 serait un bon objectif de départ et mettre en place de façon permanente une « boîte à suggestions » virtuelle comme moyen efficace pour le gouvernement d’obtenir en tout temps des commentaires des citoyens sur diverses questions liées à la réglementation, mais il ne devra pas s’agir de la seule manière d’obtenir des commentaires, car la collaboration en temps réel est aussi essentielle, et, comme il a été mentionné précédemment, certains citoyens n’ont pas accès à Internet;
  • trouve des occasions d’assumer un rôle concret de leadership afin d’influencer les normes internationales, surtout en ce qui concerne les avantages concurrentiels, et d’étudier des stratégies permettant au Canada d’accepter des évaluations effectuées par des partenaires internationaux de confiance.

Nouveaux avis adressés au SCT

Ainsi que le prévoit son mandat, le Comité a reçu la tâche de fournir des avis au nouveau Centre d’innovation en matière de réglementation, de proposer une approche visant l’intégration de considérations relatives à la compétitivité dans le processus d’élaboration des règlements des ministères, et de fournir des avis sur l’examen de 2020 de la Loi sur la réduction de la paperasse.

Innovation et expérimentation en matière de réglementation

Le Comité reconnaît que le nouveau Centre d’innovation en matière de réglementation a le potentiel de faciliter l’expérimentation ainsi que l’étude de solutions non traditionnelles, et de favoriser le développement d’une culture d’innovation au sein des organismes de réglementation. Le succès du Centre dépendra de sa capacité à être un partenaire actif en matière d’innovation, en contribuant à combler l’écart qui sépare les entreprises, les investisseurs et les universitaires qui innovent, d’une part, et les représentants du gouvernement dont le travail consiste à protéger le public au moyen de règlements adéquats, d’autre part. Le Centre devra donc bien comprendre les deux réalités afin que les obstacles liés à la réglementation qui freinent les avancées prometteuses dans des domaines comme la recherche biomédicale et la technologie verte puissent être cernés tôt dans le processus, afin de trouver des solutions rapidement, en particulier en ce qui concerne les nouveaux produits et les nouvelles technologies qui ne sont pas encadrés par les structures réglementaires actuelles. On peut en effet imaginer de nombreux scénarios où une nouvelle approche ou technologie a pour effet de mobiliser plusieurs organismes de réglementation de nouvelles façons, par exemple, les drones servant à la livraison d’échantillons médicaux, l’utilisation de la génomique pour accroître la résistance des stocks alimentaires du Canada aux agents pathogènes, ou encore les règles visant les véhicules autonomes. Il sera aussi essentiel de veiller à ce que les consommateurs et les autres parties intéressées puissent donner leur opinion sur le processus d’innovation en matière de réglementation.

Le Centre d’innovation en matière de réglementation pourrait aussi avoir un rôle à jouer pour aider les organismes de réglementation à mieux comprendre comment l’intelligence artificielle (IA) peut améliorer leur approche à la réglementation, et ce, grâce à l’identification et la classification rapides des risques pour accroître l’efficacité des ressources réglementaires. Technical Safety BC, par exemple, se sert de l’IA pour réaliser des inspections virtuelles des locaux à l’aide de caméras. L’IA permet de cerner les éventuels problèmes justifiant une visite sur place. Une telle approche fait économiser temps et ressources sans compromettre la sécurité.

Les ministères réglementent souvent des secteurs en particulier sans trop se soucier des conséquences des nouveaux règlements sur d’autres régions ou secteurs. Or, la numérisation et l’IA pourraient permettre une analyse rapide de l’interconnectivité qui existe entre ceux-ci afin de réduire le risque de se heurter à difficultés inattendues, comme celles que posent les règlements contradictoires.

Le Comité recommande que le Centre d’innovation en matière de réglementation fasse preuve de transparence dans le cadre de ses travaux et qu’il communique clairement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du gouvernement, notamment quant à la façon dont il établira ses priorités. La transparence augmentera la confiance envers le Centre et permettra de mieux comprendre la façon dont l’innovation en matière de réglementation peut contribuer à l’amélioration des résultats pour la population et garantir la prospérité à long terme du Canada pour les générations actuelles et futures.

Éléments pratiques à prendre en compte lors de l’application d’une optique de compétitivité

Dans l’Énoncé économique de l’automne 2018, le gouvernement s’est engagé à trouver des occasions d’apporter des modifications législatives visant à intégrer certains éléments à prendre en compte, c’est‑à-dire l’efficacité réglementaire et la croissance économique, aux mandats des organismes de réglementation. Le Comité a donc été invité à formuler des avis sur l’ajout d’une optique de compétitivité réglementaire comme moyen d’intégrer ces éléments dans le processus d’élaboration des règlements.

L’optique proposée comprenait des éléments liés à la croissance économique ainsi qu’au commerce, à la concurrence, aux effets cumulatifs et à l’innovation. Bien qu’aucune objection n’ait été soulevée concernant l’un ou l’autre de ces éléments, le Comité a constaté que « l’ attrait de l’investissement » est un facteur clé à prendre en considération en matière de compétitivité. Il a également dit craindre que l’application d’une optique aussi vaste s’avère difficile en pratique. Le Comité recommande donc que le gouvernement prenne plus de temps pour réfléchir à l’optique en question avant de l’intégrer au mandat des organismes de réglementation. Il recommande également d’adopter une optique ciblée et d’en limiter la portée aux nouveaux défis à relever, notamment la reprise économique post‑ pandémie et l’élaboration d’approches en matière de réglementation qui favorisent l’innovation. La mise à l’essai d’une simple liste de vérification serait un bon point de départ et laisserait au gouvernement le temps de consulter les Canadiens et le milieu des affaires afin de connaître leurs points de vue.

Considérations stratégiques découlant de l’examen de la Loi sur la réduction de la paperasse

Le SCT a présenté au Comité un survol de l’examen de la Loi sur la réduction de la paperasse et a sollicité ses avis à propos de certaines considérations stratégiques.

Le Canada est le premier pays au monde à avoir intégré la règle du un pour un à sa législation, et ce avec l’appui de tous les partis en 2015. L’intégration de cette règle indique clairement que le fardeau cumulatif de la réglementation était dans la mire du gouvernement, et a attiré l’attention des médias étrangers.

Toutefois, bien que la loi empêche certains éléments du fardeau réglementaire de s’alourdir, elle ne remplit pas l’engagement pris, à savoir réduire les formalités administratives en générale. De plus, elle ne s’applique qu’aux entreprises. Pourtant, maintenir le fardeau administratif à un niveau raisonnable pour tous les Canadiens devrait être une priorité. Le Comité recommande donc d’élargir la portée de la Loi sur la réduction de la paperasse pour tenir compte du fardeau administratif imposé aux citoyens. Les provinces qui ont adopté des politiques comportant la règle du un pour un et qui s’appliquent de façon générale au fardeau administratif qui pèse sur leurs citoyens ont simplifié leurs processus, par exemple l’accès aux services sociaux et le consentement au don d’organes, afin de gagner du temps, de réduire la frustration et de sauver des vies.

Comme la majeure partie du fardeau découle des règlements en vigueur, l’examen de l’inventaire, une exigence de la Directive du Cabinet sur la réglementation de 2018, demeure un élément important de l’approche à l’échelle du système visant à améliorer la compétitivité réglementaire. Le Comité sera heureux de participer à l’élaboration de lignes directrices pour aider les ministères à mener de tels examens.

Par ailleurs, l’examen constitue une occasion d’envisager d’apporter des modifications de la loi afin d’accroître la souplesse et l’adaptabilité des organismes de réglementation. Plus particulièrement, le SCT a sollicité le point de vue du Comité sur le recours possible à des exemptions réglementaires temporaires et sur l’incorporation par renvoi de documents internes dans les règlements.

Le Comité appuie de façon générale les efforts du gouvernement visant à créer un système de réglementation souple et adapté. Toutefois, les concepts envisagés par le SCT doivent, dans une certaine mesure, être encadrés. Par exemple, le Comité reconnaît qu’il est utile d’accorder aux ministres le pouvoir d’autoriser des exemptions réglementaires temporaires lorsque des occasions de faire des expérimentations en matière de réglementation se présentent, mais les besoins en matière de critères, de surveillance et de mécanisme de responsabilisation transparent sont évidents. L’incorporation de documents internes par renvoi doit également être effectuée de manière très transparente.

Prochaines étapes

Tandis que le Comité travaille à sa dernière lettre d’avis, il se penchera sur les derniers points de son mandat, à savoir fournir des avis relatifs à une éventuelle troisième série d’examens réglementaires ainsi qu’aux possibilités de consultations plus efficaces. Comme il a été mentionné précédemment, l’inclusion sera un principe important dans le processus de consultation. Le Comité porte aussi un intérêt à la numérisation, à l’innovation et aux progrès réalisés en ce qui concerne l’amélioration de la mesure de la réglementation.

Le Comité reconnaît la nécessité de mettre en place un comité consultatif externe permanent qui soit indépendant et qui dispose de la capacité suffisante en interne pour effectuer des recherches et offrir le niveau d’avis nécessaire pour favoriser la compétitivité réglementaire et l’innovation, comme l’ont recommandé le Conseil sur la croissance et les Tables sectorielles de stratégies économiques. Le Comité formulera d’autres avis à cet égard dans sa prochaine lettre. Dans l’intervalle, le Comité recommande vivement que le gouvernement continue de faire de la modernisation de la réglementation une priorité, et ce, longtemps après la fin de ses travaux.

Pour que le Canada puisse devenir un chef de file en matière de réglementation, tous les ordres de gouvernement doivent pouvoir compter sur un leadership fort. Le Comité tient à vous remercier de ce leadership fort dont vous faites preuve et vous invite à poursuivre vos efforts pour faire de la modernisation de la réglementation une priorité pour vos collègues de l’ensemble du gouvernement en 2021, alors que le pays se concentrera sur la reprise de ces activités.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.

Laura Jones
Présidente, Comité consultatif externe sur la compétitivité réglementaire

Au nom des membres du Comité

Catherine Beaudry
Professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la création, le développement et la commercialisation de l’innovation
Polytechnique Montréal

Stewart Elgie
Professeur de droit et d’économie et président exécutif de l’Institut pour l’IntelliProspérité Université d’Ottawa

Ginny Flood
Cadre retraitée de Suncor Energy Inc. et présidente actuelle du conseil d’administration du Clean Resource Innovation Network

Anne Fowlie
PDG de l’organisme AgWise Strategic Solutions
Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes

Laura Jones
Vice-présidente exécutive et chef de la stratégie Fédération canadienne de l’entreprise indépendante

Don Mercer
Président
Conseil des consommateurs du Canada

Keith Mussar
Vice-président aux Affaires réglementaires
I.E.Canada, Association canadienne des importateurs et exportateurs

Nancy Olewiler
Directrice de l’École de politique publique Université Simon Fraser

Les opinions exprimées dans la présente lettre sont celles des membres du Comité et non celles des organisations dont ils sont membres.

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