Conseils a l'intention du Conseil du Trésor (juillet 2019)
Conseil du Trésor du Canada
a/s de l’honorable Joyce Murray,
Présidente du Conseil du Trésor
90, rue Elgin, 8e étage
Ottawa (Ontario) K1A 0R5
Le 29 juillet 2019
Madame la Présidente,
Le 24 mai 2019, nous, le Comité consultatif externe sur la compétitivité réglementaire (le Comité), vous avons présenté nos recommandations à l’égard de trois domaines à examiner lors de la deuxième ronde d’examens réglementaires, à savoir, la numérisation, les technologies propres et les normes internationales. Nous croyons que de prendre des mesures pour moderniser les cadres réglementaires, promouvoir des approches novatrices et réduire le fardeau inutile dans ces domaines contribuera à la compétitivité réglementaire du Canada et améliorera la qualité de vie des Canadiens. Nous sommes heureux de constater que ces domaines ont été approuvés par le Conseil du Trésor et qu’un avis de consultation a subséquemment été publié dans la Gazette du Canada le 28 juin 2019.
Après être arrivés à un consensus concernant les recommandations susmentionnées, nous nous penchons maintenant sur les questions plus étendues et plus complexes relatives à la façon d’améliorer la compétitivité réglementaire au Canada tout en protégeant la santé, la sûreté, la sécurité et l’environnement. Lors de notre deuxième réunion en personne, nous avons mobilisé un éventail d’experts, y compris des représentants des gouvernements fédéral et provinciaux, de l’industrie, ainsi que du milieu universitaire. Nous sommes heureux de transmettre certaines recommandations et observations supplémentaires issues de cette réunion.
Le Comité comprend que le gouvernement a pris des mesures pour promouvoir la compétitivité réglementaire, notamment en se faisant le champion de la coopération en matière de réglementation avec les États-Unis, l’Union européenne et l’ensemble du Canada, en renforçant les exigences en matière d’analyses dans la Directive du Cabinet sur la réglementation, en lançant un projet de loi annuel sur la modernisation de la réglementation, en annonçant la création du Centre d’innovation en matière de réglementation, et en réalisant des examens réglementaires. Bien que le Comité reconnaisse que la plupart de ces initiatives sont nouvelles et que leurs avantages ne se sont pas encore pleinement concrétisés, des éléments clés font encore défaut dans le contexte de la compétitivité.
Le Comité note que les travaux sur la compétitivité réglementaire devraient avoir les deux objectifs principaux suivants :
- Réduire les irritants et les inefficacités qui ajoutent des coûts inutiles, créent des dédoublements ou engendrent des retards pour les entreprises et les citoyens. Le Comité croit qu’il existe plusieurs domaines où ces inefficacités peuvent être réduites sans compromettre les objectifs sociétaux et réglementaires, comme la santé, la sûreté, la sécurité et l’environnement. Cela permettra de gagner du temps et de générer des économies, ainsi que de libérer des ressources qui pourront être mieux investies dans l’amélioration de l’innovation et de la compétitivité.
- Moderniser le système de réglementation du Canada afin d’accélérer l’innovation et de permettre au Canada d’être plus compétitif dans une économie mondiale changeante. Au cours des réunions à venir, le Comité explorera des sujets tels que l’élaboration de règlements qui favorisent l’innovation (p. ex. des règlements rigoureux, souples et prévisibles), la création de « bacs à sable » réglementaires afin de permettre l’innovation, ainsi que des stratégies visant à aider les organismes de réglementation à être plus souples et à suivre le rythme de l’innovation.
En mettant l’accent tant sur la compétitivité à court terme (réduire les irritants et les coûts) que sur la compétitivité à long terme (créer un environnement propice à l’innovation pour prospérer), nous pouvons soutenir une économie qui produit de meilleurs résultats économiques (p. ex. des investissements et des emplois) et de meilleurs résultats en matière de santé, de sécurité, de sûreté et d’environnement pour toute la population canadienne.
Mesurer le fardeau cumulatif
En vue de traiter la question du fardeau réglementaire, nous devons d’abord mieux le comprendre et le définir d’une manière qui soit transparente, responsable et mesurable, à un moment donné et au fil du temps.
Le Comité a entendu dire que de nombreux indicateurs suggèrent que le Canada est en mauvaise position en ce qui concerne la compétitivité réglementaire; cependant, bon nombre de ces indicateurs sont fondés sur des sondages d’opinion ou un nombre très limité de données. Par exemple, le rapport Doing Business 2018 de la Banque mondiale indique qu’une période de plus de 200 jours est nécessaire pour obtenir un permis de construction au Canada. Cet indicateur est largement cité, mais il est fondé sur une seule étude de cas qui a examiné le temps qu’il a fallu pour obtenir un permis de construction pour un seul entrepôt à Toronto.
Bien que nous ne doutions pas que la frustration à l’égard du système de réglementation au Canada soit réelle, nous avons besoin de meilleures données pour évaluer ce qui se passe au sujet du fardeau réglementaire cumulatif net et la manière dont ce fardeau change avec le temps. Ces renseignements nous aideront à estimer l’ampleur du défi et à assurer la reddition de comptes au fur et à mesure que nous travaillons à accroître la compétitivité, tout en maintenant et, idéalement, en améliorant les résultats dans les domaines liés à la santé, à la sûreté, à la sécurité et à l’environnement.
Le Comité recommande au gouvernement de mesurer le fardeau réglementaire cumulatif en priorité. Sans des mesures pour compléter les analyses coûts-avantages réalisées pour chaque règlement, il restera difficile d’évaluer si la compétitivité réglementaire du Canada s’améliore. Différentes approches peuvent être adoptées pour atteindre ce but, notamment :
- en élaborant de vastes mesures fédérales, et ce, en examinant les pratiques exemplaires d’autres pays, ainsi que de provinces, comme la Colombie-Britannique, qui a un programme de mesure réglementaire en place depuis assez longtemps pour servir de modèle à d’autres administrations;
- en mesurant le fardeau cumulatif d’un ou de plusieurs secteurs représentatifs afin de comprendre l’incidence nette globale des règlements fédéraux, provinciaux, municipaux et internationaux et des pratiques réglementaires connexes (p. ex. les exigences en matière de politiques et de lignes directrices) sur ce secteur. Cette évaluation pourrait inclure une initiative de schématisation de la réglementation. Des efforts devraient être faits pour comprendre les différences entre les fardeaux imposés aux petites, moyennes et grandes entreprises, ainsi qu’aux consommateurs, le cas échéant;
- en collaborant avec des organisations, notamment Statistique Canada et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), afin de déterminer quels ensembles de données pourraient être obtenus pour mieux comprendre la compétitivité réglementaire au Canada.
Il convient de souligner que le choix des mesures réglementaires devrait être assez large pour tenir compte des préoccupations des personnes chargées de la conformité. Par exemple, l’examen des exigences réglementaires prévues dans les textes réglementaires (règlements) ne permettrait pas à lui seul d’identifier toutes les exigences pouvant se trouver dans des documents législatifs, d’exécution de programmes et d’orientation qui peuvent avoir des répercussions financières et concurrentielles considérables sur l’industrie. Des mesures réglementaires plus larges devraient être élaborées en fonction des commentaires des intervenants intéressés (y compris des universitaires et des établissements de recherche) et des peuples autochtones, et la méthode devrait être transparente. Bien qu’aucune mesure ne permette de déterminer à elle seule tout ce que nous pourrions vouloir connaître au sujet de la compétitivité réglementaire, il est clair que nous avons besoin de quelques mesures supplémentaires au-delà de celles actuellement disponibles.
On a présenté au Comité deux exemples qui pourraient s’avérer utiles pour mesurer la réglementation. La Colombie-Britannique tient un compte des exigences réglementaires depuis 2001, lesquelles comprennent celles se trouvant dans des lois, des règlements, et des formulaires, lignes directrices et politiques connexes. D’autres provinces ont également commencé à quantifier leur réglementation. Le Comité a aussi entendu parler de l’utilisation d’analyses de textes automatisées et de sa potentielle utilisation pour mesurer la réglementation.
En ce qui concerne la mesure réglementaire, le Comité recommande également l’élaboration d’une méthode d’analyse ex-post des règlements qui devraient imposer des coûts annuels d’au moins 10 millions de dollars aux entreprises afin d’évaluer leur efficacité et leur incidence sur la compétitivité. Les experts pertinents du milieu universitaire, de l’industrie, d’organismes de consommateurs et de peuples autochtones pourraient être consultés au sujet des priorités et des points de vue à l’égard de ces examens, et les résultats devraient être rendus publics.
Consultations, mobilisation et communications
Le Comité a entendu dire qu’il est nécessaire que les organismes de réglementation et les parties réglementées comprennent mieux les défis et les réalités auxquels chacun est confronté. Il est constamment nécessaire d’améliorer les relations, la confiance et les possibilités de communications entre le gouvernement, l’industrie, les universités et les établissements de recherche, les consommateurs, les peuples autochtones et les autres parties intéressées pertinentes. Grâce aux nouvelles technologies, les organismes de réglementation disposent d’outils supplémentaires pour faciliter les consultations et créer de nouveaux moyens d’obtenir des commentaires de façon continue. Le Comité tient toutefois à souligner qu’il y a encore une place importante pour le dialogue en personne, qui peut être un puissant moyen de parvenir à une compréhension commune et de régler des problèmes complexes. Le dialogue en personne peut être un bon complément aux vastes consultations en ligne. Les consultations et la mobilisation sont des sujets que le Comité a abordés dans sa première lettre, et, compte tenu de leur importance, il s’agit de questions sur lesquelles il prévoit revenir.
Afin d’aider à entamer des consultations, une mobilisation et des communications accrues, le Comité recommande au gouvernement :
- de mener des enquêtes et d’envisager la mise à l’essai de nouvelles technologies disponibles pour améliorer les consultations, ainsi que d’étudier la possibilité d’utiliser des approches novatrices qui permettent la tenue de consultations plus intensives, interactives et multipartites sur des questions complexes qui peuvent bénéficier de nouvelles approches. Il pourrait être possible de le faire lors de prochaines consultations;
- de veiller à ce que toutes les régions du Canada aient la possibilité de participer;
- de coordonner, dans la mesure du possible, des consultations avec d’autres organisations ou régions (c.-à-d. d’autres ministères, organismes, provinces ou territoires), qui pourraient tenir des consultations sur des initiatives similaires;
- d’être conscient des moments où certains intervenants pourraient ne pas être en mesure de participer (p. ex., les agriculteurs ne sont généralement pas disponibles pendant la saison de la plantation et celle de la récolte);
- d’examiner les possibilités de mobilisation des parties concernées, tôt et souvent, pour faciliter un dialogue continu tout au long de l’élaboration des règlements, y compris au moment de déterminer l’approche réglementaire;
- de fournir une justification détaillée lorsque des projets de règlement sont exemptés de la publication préalable dans la Partie I de la Gazette du Canada afin d’accroître la transparence du processus décisionnel.
En outre, le Comité recommande au gouvernement d’envisager la tenue d’une consultation en ligne plus générale sur les irritants réglementaires afin de mobiliser tous les Canadiens intéressés, et ce, en vue de déterminer les questions qui peuvent être relativement faciles à régler, comme le libellé compliqué de formulaires, les hyperliens brisés et les secteurs de service qui pourraient avoir besoin d’attention. Le Comité croit que cela pourrait profiter à tous les ministères et organismes, et pourrait être particulièrement pertinent pour cerner certaines questions faciles à régler dans le cadre de l’examen de la numérisation. De plus, cela aidera le gouvernement à mieux comprendre le large éventail de questions qui peuvent contribuer à l’idée que le Canada puisse améliorer sa compétitivité réglementaire. Si l’initiative est un succès, le gouvernement pourrait créer un emplacement plus permanent sur son site Web afin de constamment solliciter des suggestions en vue de réduire les irritants réglementaires et d’accroître la responsabilisation en matière de réglementation.
Questions de compétitivité dans la réglementation des pesticides
Le secteur agroalimentaire du Canada est essentiel à notre prospérité. À la suite des recommandations des tables sectorielles de stratégies économiques concernant les façons de renforcer le secteur agroalimentaire du Canada, et dans le but de mieux comprendre certaines des questions soulevées lors de l’examen réglementaire des secteurs de l’agroalimentaire et de l’aquaculture, on a demandé au Comité de fournir certaines observations au sujet des questions relatives aux pesticides qui ont trait à la compétitivité réglementaire. Le Comité aimerait remercier le Conseil des grains du Canada et l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada pour leurs points de vue. Cet exemple a fait ressortir des questions du point de vue du gouvernement et de l’industrie qui sont communes à plusieurs programmes de réglementation, y compris la complexité des réévaluations des produits déjà sur le marché (p. ex. des ensembles de données de 30 000 pages), le volume croissant de réévaluations (qui approchent des niveaux insoutenables), l’arriéré des réévaluations (dont la résolution peut parfois prendre des années) et les défis associés à l’harmonisation à l’échelle internationale. Les représentants du gouvernement et de l’industrie ont convenu que le système actuel de réévaluation n’est pas aussi efficace ou efficient qu’il devrait l’être.
Compte tenu de l’importance des pesticides pour les nombreuses parties du secteur agroalimentaire, de la nécessité d’assurer la protection de l’environnement et de la santé, et des défis actuels associés au processus de réévaluation des pesticides, le Comité recommande que l’ARLA envisage :
- de prioriser les pesticides présentant le plus grand risque aux fins de réévaluation après leur mise en marché (en fonction de critères clairs et objectifs aux fins de priorisation), plutôt que d’utiliser seulement l’examen cyclique temporel actuel de tous les pesticides. Il pourrait s’agir d’une approche intéressante à envisager dans d’autres secteurs où le processus d’approbation du gouvernement accumule un retard important;
- d’étudier la faisabilité d’utiliser des approches et des outils novateurs pour s’attaquer à l’arriéré dans le processus de réévaluation des pesticides, comme un projet pilote d’intelligence artificielle pour les pesticides à faible risque;
- de déterminer les occasions qui permettraient d’assumer un rôle concret de leadership afin d’influencer les normes internationales;
- d’explorer des stratégies qui permettraient au Canada d’accepter les évaluations de pesticides effectuées par des partenaires internationaux de confiance;
- de mobiliser l’industrie et les groupes concernés ne faisant pas partie de l’industrie (p. ex. les professionnels de la santé, les chercheurs, les organisations de défense du public, les organismes de consommateurs et les universitaires) tout au long du processus de réévaluation afin de cerner les risques et les répercussions, d’identifier des solutions proposées et d’obtenir des données fiables (p. ex. des données sur la surveillance des eaux).
Prochaines étapes
Comme prochaine étape, nous observerons certaines des consultations sur la réglementation cet été afin de fournir des recommandations supplémentaires dans les domaines susmentionnés, ainsi que sur le processus de consultation en soi. En examinant la portée de notre mandat et en nous tournant vers les travaux futurs, nous prévoyons revenir sur les questions entourant les consultations et les communications relatives à la réglementation, ainsi que sur l’important défi que représente la mesure réglementaire. Il demeure important de trouver des moyens de réduire les irritants réglementaires, et nous aimerions nous pencher sur le défi déterminant que représente la modernisation du système de réglementation afin de faire de l’excellence en matière de réglementation un avantage stratégique clé pour le Canada. Nous aimerions explorer des solutions novatrices et collaboratives qui appuient l’élaboration conjointe de règlements comme les « bacs à sable » et les approches de réglementation fondées sur le risque qui font une meilleure utilisation des données en vue de faciliter l’obtention de meilleurs résultats et la réduction du fardeau de la conformité. Une enquête plus approfondie sur les moyens de réduire les retards et l’incertitude en matière de réglementation, et de connaître le point de vue des parties intéressées au sujet de l’efficacité de la première série d’examens réglementaires est également sur notre écran radar.
Nous avons hâte de fournir d’autres conseils au cours de la prochaine année et continuons de féliciter le gouvernement pour son engagement continu à prendre des mesures afin de moderniser le système de réglementation du Canada dans l’intérêt de tous les Canadiens.
Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, mes plus sincères salutations.
Laura Jones
Présidente, Comité consultatif externe sur la compétitivité réglementaire
Au nom des membres du Comité :
Dre Catherine Beaudry
Professeure et Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la création, le développement et la commercialisation de l’innovation
Polytechnique Montréal
Stewart Elgie
Professeur de droit et d’économie et Président exécutif de l’Institut pour l’IntelliProspérité
Université d’Ottawa
Ginny Flood
Vice-présidente des relations gouvernementales
Suncor Energy Inc.
Anne Fowlie
PDG de l’organisme AgWise Strategic Solutions
Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes
Laura Jones
Vice-présidente exécutive et Chef de la stratégique
Fédération canadienne de l’entreprise indépendante
Don Mercer
Président
Conseil des consommateurs du Canada
Keith Mussar
Vice-président aux Affaires réglementaires
I.E.Canada, Association canadienne des importateurs et exportateurs
Nancy Olewiler
Directrice de l’École de politique publique
Université Simon Fraser
Les opinions exprimées dans cette lettre sont celles des membres du Comité et ne représentent pas celles des organismes auxquels les membres sont affiliés.
Détails de la page
- Date de modification :