ARCHIVÉ – État de santé et capital social des nouveaux immigrants : données probantes issues de l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada

Analyse de la documentation

Définir le capital social

Le terme « capital social » recouvre une notion hybride qui « fait appel à la fois aux justifications théoriques et empiriques pour considérer les liens sociaux comme des ingrédients potentiellement importants pour le bien-être et la prospérité d’une société » (PRP 2005b, 37). Il s’agit d’un concept à la fois géographique, politique, économique et sociologique, et même si l’on ne s’entend pas sur sa définition et sa conceptualisation, il reste qu’il véhicule une « simplicité séduisante » [Traduction] (Mohan et Mohan 2002, 191) parce qu’il est « fondé sur la prémisse qu’un réseau de relations interpersonnelles a de la valeur pour ses membres en leur donnant accès aux ressources sociales disponibles au sein de ce réseau » [Traduction] (Staber 2006, 190). Comme l’explique Putnam, « à l’instar des outils (capital physique) et de la formation (capital humain), les réseaux sociaux ont de la valeur » (2007, 137); « ils ont de la valeur pour les personnes qui en font partie, et ils ont, du moins dans certains cas, des effets externes démontrables, de sorte qu’il existe à la fois des aspects publics et privés du capital social » [Traduction] (2001, 41).

Le tableau 1 donne un aperçu des diverses définitions que l’on trouve du capital social dans la documentation.

Tableau 1 : Définitions du capital social

Les caractéristiques de l’organisation sociale comme les réseaux, les normes et la confiance sociale, qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel. Putnam 1995, 67
La somme des ressources, réelles ou virtuelles, qui s’accumulent pour un individu ou un groupe du simple fait de la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées de connaissance et de reconnaissance mutuelles. Bourdieu et Wacquant 1992, 119
La capacité des acteurs d’obtenir des avantages du simple fait d’appartenir à des réseaux sociaux ou à d’autres structures sociales. Portes 1998, 6

On a établi un lien entre le capital social et des effets externes positifs tels qu’une meilleure santé, des taux d’emploi plus élevés et une interaction sociale accrue (Mohan et Mohan 2002, 193). Toutefois, ce ne sont pas tous les effets du capital social qui sont positifs : « tout comme les sources du capital social sont plurielles, ses conséquences le sont aussi » [Traduction] (Portes 1998, 9). Portes (1998) a relevé plusieurs effets externes négatifs du capital social dont « l’exclusion des personnes de l’extérieur, les revendications excessives à l’endroit des membres du groupe, les restrictions imposées aux libertés individuelles et les normes de nivellement vers le bas » (15). Selon Putnam, « même si les réseaux peuvent influer considérablement sur notre capacité de faire avancer les choses, rien ne garantit que ce qui est accompli par le biais des réseaux sera bénéfique socialement » (2007, 138). Par conséquent, « pour comprendre en quoi consiste le capital social, il faut insister sur la nature des interactions, la signification des liens et leur potentiel de faciliter le changement, plutôt que sur l’enveloppe structurelle et les connexions visibles proprement dites » [Traduction] (MacKian 2002, 208; en italique dans le texte original).

Capital social et intégration des immigrants

On a constaté que le concept du capital social était particulièrement pertinent dans l’étude de l’intégration des immigrants. Les recherches effectuées sur le capital social ont mis en lumière l’importance des réseaux sociaux (tant homogènes qu’hétérogènes) pour un éventail de résultats, y compris l’emploi. Les résultats d’analyses récentes de l’Enquête sociale générale (ESG) et de l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC) viennent corroborer l’importance du capital social pour l’intégration des immigrants au Canada (van Kemenade et coll. 2006; Xue 2008). Des données probantes issues des deux enquêtes montrent que le capital social est un déterminant majeur de la santé des immigrants (Zhao 2007a; van Kemenade et coll. 2006).

On a établi des rapports entre le capital social et le niveau d’instruction des immigrants. Ooka et Wellman (2006) ont trouvé que le niveau d’instruction est associé positivement avec l’appartenance à des réseaux d’amis hétérogènes. Les auteurs ont constaté que les immigrants de la première génération ayant obtenu un diplôme d’études postsecondaires sont plus susceptibles de faire partie d’un réseau hétérogène que ceux dont le niveau d’instruction est moins élevé. La situation des immigrants sur le plan de l’instruction et de l’emploi joue un rôle en influant sur leur état de santé. Dunn et Dyck (1998) ont analysé les résultats de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP 1994-1995). Dans leurs constatations, les auteurs ont montré que les immigrants ayant atteint un niveau d’instruction élevé et des revenus supérieurs étaient plus susceptibles d’auto-évaluer leur état de santé comme très bon ou excellent.

Mécanismes liant le capital social et la santé

En dépit d’un récent « regain d’intérêt sur le plan épidémiologique et de la santé publique pour l’investigation des effets du capital social sur l’état de santé physique » [Traduction] (Kim et coll. 2008,186), les mécanismes reliant le capital social et la santé ne sont pas encore bien compris (Kawachi et coll. 1999, 1190) : « Sur le plan individuel, il n’est pas encore complètement établi si la bonne santé est le résultat du capital social ou si le capital social est le résultat d’une bonne santé ou d’autres caractéristiques personnelles non mesurées qui déterminent à la fois l’état de santé et les modèles de l’engagement social » [Traduction] (Kawachi 2006, 992). Malgré ce défi important, plusieurs chercheurs dont Kawachi et coll. (1999), Putnam (2000) ainsi que Berkman et Glass (2000) ont tenté de déterminer les voies et mécanismes par lesquels le capital social influe sur l’état de santé communautaire et individuelle.

Dans la documentation, on semble indiquer que les réseaux sociaux pourraient influencer l’état de santé – en agissant comme un outil de diffusion rapide des renseignements sur la santé, contribuant ainsi à améliorer l’accès aux ressources dans ce domaine (Kawachi et coll. 1999; Berkman et Glass 2000); en fournissant une aide tangible comme « de l’argent, des soins de convalescence et des moyens de transport, ce qui réduit le stress psychologique et physique et fournit un filet de sécurité » [Traduction] (Putnam 2000, 327); en renforçant les normes en matière de santé (p. ex. activité physique) et l’influence sociale (valeurs et normes des réseaux) (Kawachi et coll. 1999; Putnam 2000; Berkman et Glass 2000); et enfin, en offrant un soutien affectif (Berkman et Glass 2000), susceptible de servir « de mécanisme de déclenchement psychologique, stimulant le système immunitaire pour combattre la maladie et atténuer le stress » [Traduction]  (Putnam 2000, 327).

Capital social et santé

Putnam (2000) déclare, « dans tous les domaines où j’ai tenté de déterminer les conséquences du capital social, c’est dans celui de la santé et du bien-être que l’importance de l’appartenance sociale est la mieux établie » [Traduction] (326). La relation entre le capital social et l’état de santé a été examinée dans le cadre de recherches tant empiriques que théoriques. Le capital social a été mis en rapport avec divers aspects de la santé tels que l’accès aux soins de santé, la consommation occasionnelle excessive d’alcool, le temps libre, l’inactivité physique, la sécurité alimentaire, les problèmes liés au comportement des enfants, la marche, les crimes violents et les homicides, l’espérance de vie, les taux de cas de tuberculose, la satisfaction de vivre et les taux de suicide (Kawachi et coll. 2004).

Des études écologiques ont montré que le capital social est associé à des taux inférieurs de suicide et à des taux supérieurs de satisfaction de vivre (Helliwell 2003). Fisher et coll. (2004) ont trouvé que les collectivités unies où règne la confiance se caractérisent par des taux accrus d’activité physique, et les résultats de Hendryx et coll. (2002) semblent indiquer que le capital social d’une collectivité est associé à un meilleur accès aux soins de santé. Les recherches dans ce domaine sont également arrivées à la conclusion que dans les voisinages où le capital social est élevé, les membres ont tendance à déclarer et à auto-évaluer plus positivement leur état de santé (Wen et coll. 2003).

L’analyse de la documentation a révélé que l’état de santé auto-évalué, une mesure de plus en plus souvent utilisée pour évaluer la santé globale, était lié à un éventail de mesures individuelles du capital social (Kim et coll. 2008). Par exemple, les recherches ont montré que l’état de santé auto-évalué était lié à la longévité et à la capacité fonctionnelle (Idler et Kasl 1995; Idler et coll. 1999), à la confiance sociale (Lavis et Stoddart 1999), ainsi qu’à la participation aux réseaux formels et informels (Rose 2000).

Capital social et santé des immigrants

Peu de recherches se penchent directement sur les manières dont le capital social influe sur l’état de santé des populations immigrantes. Toutefois, les travaux de Deri (2005), Newbold (2009), van Kemenade et coll. (2006) et Zhao (2007a) ouvrent des horizons dans ce domaine. 

Deri (2005) a utilisé des données issues de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) pour examiner si et comment les réseaux sociaux influent sur les habitudes d’utilisation des soins de santé des immigrants dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français. À l’instar de Bertrand et coll. (2000), elle évalue les réseaux sociaux en fonction de la concentration linguistique dans un secteur de subdivision de recensement. Les constatations de Deri semblent indiquer que les réseaux sociaux jouent un rôle important en influençant les comportements en matière d’utilisation des soins de santé. Elle a en effet constaté que « dans les groupes linguistiques faisant un usage élevé des soins de santé, le fait de vivre dans un secteur où le groupe linguistique est fortement concentré stimule l’accès. Inversement, dans les groupes linguistiques faisant un usage restreint des soins de santé, le fait de vivre dans un secteur où le groupe linguistique est fortement concentré réduit l’accès » [Traduction] (Deri 2005, 1079). 

Newbold (2009) a utilisé l’ELIC pour évaluer la transition des états de santé des nouveaux immigrants. D’après Newbold, les nouveaux immigrants « qui signalaient entretenir chaque mois des interactions sociales avec des membres de leur famille ou des amis (par rapport à ceux qui entretenaient des interactions à une fréquence moindre), avaient moins de risques de transition vers un mauvais état de santé. Par ailleurs, le degré d’interaction sociale était sans importance » (329-30). Toutefois, les constatations de l’auteur montrent également que le fait d’avoir des proches ou des amis à proximité et de participer à un groupe social ne semble pas avoir d’incidence sur l’évolution de l’état de santé.

À partir de l’Enquête sociale générale (ESG), van Kemenade et coll. (2006) a trouvé que « le fait d’avoir accès à des réseaux proches de personnes ayant la même origine culturelle – de même qu’à des programmes soutenant ces réseaux – a un lien avec l’intégration sociale et économique des immigrants dans le pays d’accueil et avec leur bien-être » (19). Les résultats montrent : 1) « l’existence d’une association positive entre la taille des réseaux avec lesquels les immigrants entretenaient des liens étroits et le bon état de santé des intéressés »; 2) « l’existence d’une association positive entre le nombre de liens avec les organismes et l’état de santé autodéclaré des immigrants ». Les immigrants ayant un nombre élevé de liens avec les organismes perçoivent leur santé comme bonne »; 3) « les femmes immigrantes qui déclarent entretenir au moins une relation d’entraide mutuelle avec leurs réseaux sociaux avaient davantage tendance à se déclarer en bonne santé que leurs pairs n’entretenant pas une telle relation »; et 4) « les hommes immigrants qui ont participé à des activités à titre bénévole au cours de l’année précédant l’enquête avaient deux fois plus de chances de se déclarer en bonne santé que leurs pairs n’ayant pas participé à des activités de ce genre » (19).

Zhao (2007a) a mené une analyse de durée de l’ELIC en vue d’obtenir d’autres indications sur l’état de santé des nouveaux immigrants du Canada et les déterminants socioéconomiques de leur santé. Selon Zhao (2007a), les immigrants qui entretenaient de fréquentes interactions avec des amis au Canada, qui parlaient au moins une des deux langues officielles, qui ne vivaient pas dans des familles à faible revenu, et qui étaient propriétaires d’une maison plutôt que locataires avaient des risques moins élevés de subir un recul dans leur état de santé. Zhao a aussi constaté que « les immigrants ayant un réseau social et un soutien social avaient davantage tendance à voir un médecin » (42). Cette constatation donne à penser que les immigrants ayant un réseau social et un soutien social avaient moins de difficulté à avoir accès à des services de santé, mais aussi qu’ils étaient susceptibles d’avoir plus de problèmes de santé. Toutefois, les effets du capital social n’étaient pas les principaux intérêts de Zhao (2007a). Les différences principales entre cette dernière recherche et la présente sont les suivantes : 1) nous catégorisons les réseaux sociaux en trois types, c.-à-d., réseau de parents, d’amis et réseaux organisationnels; 2) pour chaque type de réseau, nous tenons compte également de la taille du réseau, de sa diversité et de sa densité, etc.; et 3) nous appliquons un modèle de données recueillies au moyen d’un panel afin de prendre en compte des caractéristiques individuelles non observées, comme la diversité génétique, la diversité de style de vie et les attitudes à l’égard de l’activité physique.

 

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