Un nouvel ordre résidentiel? : La géographie sociale des minorités visibles et des groupes religieux à Montréal, Toronto et Vancouver en 2031

Daniel Hiebert
Juillet 2012

Les avis et opinions exprimés dans le présent document sont ceux de l’auteur et ne sont pas nécessairement ceux de Citoyenneté et Immigration Canada ou du gouvernement du Canada.

Les copies du rapport circonstancié sont disponibles sur demande à Research-Recherche@cic.gc.ca.


Sommaire

Le présent rapport porte sur la troisième phase d’une étude sur l’évolution du paysage ethnoculturel à Montréal, Toronto et Vancouver.

La première phaseNote de bas de page 1 a établi les fondations conceptuelles et a analysé les changements qui se sont produits de 1996 à 2006. Elle a conçu une typologie des quartiers qui tient compte de la concentration et de la composition – uniques ou mixes – des minorités visibles (voir l’annexe B pour les définitions des types de quartiers, l’indice de dissimilitude et l’indice de ségrégation). Cette phase a défini des processus simultanés de dispersion et de concentration de la population de minorités visibles dans des enclaves (composition de plus en plus diversifiée dans les enclaves et les quartiers blancs), surtout à Toronto et Vancouver. Cette phase a également analysé les caractéristiques socioéconomiques des enclaves, faisant ressortir que les modèles de marginalisation socioéconomique sont complexes, et non associés de manière univoque à une concentration ethnoculturelle élevée.

La deuxième phaseNote de bas de page 2 a fait porter l’attention sur la question des trajectoires résidentielles, plus particulièrement sur la question de savoir si les enfants nés au Canada d’immigrants vivent dans les mêmes quartiers que la génération de leurs parents. Trois groupes de minorités visibles (les gens qui se sont identifiés comme Noirs, Chinois et habitants de l’Asie méridionale) et quatre groupes d’origine européenne (les gens qui se sont identifiés comme Italiens, Juifs, Polonais et Portugais) ont été sélectionnés dans le cadre d’une étude de cas. L’étude démontre qu’à Toronto, dans presque tous les groupes, les générations nées au Canada sont plus dispersées et, s’il s’agit de minorités visibles, elles sont moins susceptibles de vivre dans des enclaves que les immigrants de première génération. Les tendances sont beaucoup moins claires et diffèrent d’un groupe à l’autre à Montréal et Vancouver. Pour ce qui est de la dispersion, aucune distinction directe n’a été relevée entre les groupes d’origine européenne et ceux des minorités visibles.

La troisième phase adapte les projections ethnodémographiques de Statistique Canada pour 2031 à l’échelle métropolitaine et à l’échelle intra-urbaine, et transpose les données de l’échelle des régions métropolitaines de recensement (RMR) obtenues pour un groupe en particulier à l’échelle des secteurs de recensement. Cette phase tient compte des populations ayant diverses affiliations religieuses, de même que des populations des minorités visibles. Brian Klinkenberg a élaboré la méthode permettant de transposer les projections pour les RMR à l’échelle des secteurs de recensement (un rapport distinct expose en détail la méthodologie et les cartes conçues pour cet exerciceNote de bas de page 3). L’élaboration de l’algorithme de projection a nécessité plusieurs hypothèses, ce qui a permis de brosser un portrait nécessairement simplifié des processus complexes qui façonneront le paysage ethnoculturel et religieux des trois RMR. Plus particulièrement, on a supposé que les mêmes conditions socioéconomiques, politiques et d’urbanisme seront en place de 2006 (2001 dans le cas des groupes religieux) à 2031, comme c’était le cas au cours des 20 années antérieures, afin que les décisions résidentielles conservent un modèle comparable à celui utilisé de 1996 à 2006 (2001 dans le cas des groupes religieux). En outre, l’algorithme peut avoir une partialité inhérente dans la surévaluation des concentrations élevées, surtout dans les cas extrêmes. Il est donc important de garder à l’esprit ces hypothèses et limites lorsqu’on interprète les résultats.

Selon les projections, Montréal devrait subir des changements qui reflètent la situation canadienne en général, tandis que Toronto et Vancouver devraient connaître une géographie sociale entièrement nouvelle au Canada. Dans l’ensemble, Montréal aura encore une proportion plus faible de minorités visibles (qui devrait atteindre 31 p. 100) que celle de Toronto ou Vancouver en 2006. À Montréal, environ neuf Blancs sur dix vivront dans des zones dominées par les Blancs, tandis que la population de minorités visibles sera dispersée dans des quartiers de toute sorte (c.-à-d. caractérisés par les diverses concentrations de minorités visibles ou de Blancs), ce qui suggère un degré assez élevé de mélange ethnoculturel. En revanche, Toronto et Vancouver devraient devenir des villes à minorité majoritaire, dont la population globale de minorités visibles s’élèverait à 63 et 59 p. 100 respectivement. À Toronto et Vancouver, le degré de séparation entre les Blancs et les minorités visibles devrait augmenter considérablement et s’approcher de celui constaté entre les Blancs et les Africains-Américains dans la ville moyenne aux États-Unis en 2010.

Ces changements feront également sentir leur effet dans la dynamique intergénérationnelle. À Montréal, la propension des membres des groupes de minorités visibles à résider dans des enclaves devrait se dissiper d’une génération à l’autre, dans une mesure plus grande que celle déjà observée dans le passé. À l’opposé, à Toronto et Vancouver, la propension des immigrants de deuxième génération à vivre dans des enclaves ne devrait qu’être un peu plus faible que celle des immigrants de première génération.

Pour ce qui est des affiliations religieuses, les trois villes constateront une croissance des affiliations religieuses non chrétiennes au sein de leur population, tandis que le nombre de personnes sans affiliation religieuse demeurera nettement élevé à Vancouver. Au chapitre des principales catégories de non-chrétiens, la communauté sikhe et, dans une mesure légèrement moindre, la communauté juive de Montréal devraient connaître un degré élevé d’isolement. En revanche, les musulmans devraient avoir le degré d’isolement le plus faible parmi les catégories de non-chrétiens. À Toronto, la communauté juive devrait être le groupe de non-chrétiens se distinguant le plus sur le plan résidentiel et se trouver assez isolée des autres. Les sikhs devraient également être considérablement isolés. Les trois autres groupes (les bouddhistes, les hindous et les musulmans) ont des profils sociospatiaux beaucoup plus dispersés à Toronto, tout particulièrement les musulmans. La concentration résidentielle des groupes de non-chrétiens à Vancouver devrait être comparable à celle de Toronto, mais la dispersion de la communauté juive (beaucoup plus petite) devrait être beaucoup plus grande.

Parallèlement, les communautés religieuses non chrétiennes à Toronto et Vancouver se trouveront surtout dans des enclaves dans certains quartiers (c.-à-d. où les minorités visibles sont supérieures à 70 p. 100). Les groupes de non-chrétiens comportant plusieurs sous-ensembles, comme les bouddhistes et les musulmans, résideront dans des quartiers dont la composition ethnique et la concentration de minorités visibles varient. Les groupes religieux qui sont associés de plus près à une catégorie de minorités visibles en particulier (comme les Hindous et les Sikhs, qui sont essentiellement qualifiés d’habitants de l’Asie méridionale) seront beaucoup plus concentrés géographiquement au sein des enclaves où vivent des groupes uniques.

En conclusion, il est important de souligner qu’il n’existe aucune relation ayant été vérifiée empiriquement entre le mélange ethnoculturel et l’isolement et les conflits résidentiels ou la pathologie résidentielle. Les politiques et programmes sociaux ont un rôle essentiel à jouer afin d’améliorer ou d’intensifier les incidences que peut avoir la concentration ethnoculturelle. À titre d’exemple, si les programmes d’intégration des immigrants sont accessibles et bien utilisés, les nouveaux venus croient que le marché du travail leur est ouvert et les enfants des minorités visibles réussissent à l’école. Il est alors difficile de penser que les enclaves ethnoculturelles auraient une incidence négative sur la société.

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