La forêt fossile de l’île Axel Heiberg

Tyler C. Cantwell

Souche noire et brune de +/- 40 millions d’années émergeant de la toundra sableuse avec charte des couleurs et piquet d’identification placés à côté

© Gouvernement du Canada, Institut canadien de conservation. 77566-0003
Figure 1. Érosion d’une souche d’arbre vieille de 40 millions d’années.

Premières mentions de la forêt fossile

Sur l’île Axel Heiberg (ᐅᒥᖕᒪᑦ ᓄᓈᑦ), un site d’importance internationale est resté largement méconnu pendant des décennies. Cette île est située dans le Haut-Arctique, dans ce qui était autrefois les Territoires du Nord-Ouest et qui est maintenant le Nunavut. Les peuples autochtones connaissaient probablement ce site depuis des siècles. Les premiers explorateurs du XIXe siècle ont observé le phénomène, et un pilote effectuant des travaux d’arpentage l’a également repéré depuis un hélicoptère au milieu du XXe siècle (Strang, 2022). Cependant, ce n’est qu’en 1985 que B. D. Ricketts (Ph. D.), de la Commission géologique du Canada, a documenté l’importance du site (Grattan, 1997).

Ricketts a constaté que le site contenait les restes fossiles d’une forêt in situ vieille d’environ 40 millions d’années. « In situ » signifie que les souches se trouvaient encore là où les arbres étaient il y a 40 millions d’années, et que le sol de la forêt, composé de litière de feuilles, de cônes et de graines, était préservé de façon à offrir, en quelque sorte, une photographie de cette époque. Il s’agissait d’une forêt composée principalement de deux types d’arbres : des métaséquoias du Sichuan (Metasequoia), une espèce qui est aujourd’hui indigène dans la province du Hubei, en Chine (Grattan et coll., 1996), et une espèce éteinte de sapins dorés (Pseudolarix), espèce apparentée aux arbres qui produisaient l’ambre de la Baltique (Anderson et LePage, 1995). Les souches, les feuilles, les graines et les cônes étaient tous dans un état de conservation remarquable, offrant ainsi la preuve d’une ancienne période de réchauffement climatique (Grattan, 1997).

La forêt fossile a suscité un important intérêt de la part du milieu universitaire. Malheureusement, le nom « forêt fossile » peut être trompeur, car les souches, les graines, les cônes et la litière de feuilles sont plus momifiés que fossilisés. Seulement 5 % des souches sont minéralisées. On a vite découvert que le fait de retirer les spécimens de leur milieu arctique sec et gelé entraînait leur dégradation rapide. Actuellement, l’ensemble du site est menacé de dégradation en raison de l’accélération des changements climatiques. Ironiquement, c’est l’érosion qui a contribué à la formation du site par l’accumulation de boue, qui s’est ensuite transformée en pergélisol, et c’est maintenant l’érosion qui menace l’intégrité du site.

L’ICC innove en matière de techniques de conservation

En 1986, l’Institut canadien de conservation (ICC) a commencé à s’intéresser au site lorsque le Musée national des sciences naturelles (aujourd’hui le Musée canadien de la nature) d’Ottawa a reçu une souche fossilisée. Malgré la prise de grandes précautions lors de la manipulation et de l’emballage, on a constaté à l’arrivée de la souche que celle-ci présentait des fissures et qu’elle avait commencé à se délaminer (une sorte de fracturation). L’ICC s’est efforcé de mettre au point des techniques pour conserver les spécimens récupérés sur le site, ainsi que pour documenter et conserver le site lui-même. En injectant du polyéthylèneglycol dans le spécimen pour prévenir son rétrécissement et en le lyophilisant, les scientifiques en conservation de l’ICC ont réussi à empêcher la souche de se détériorer davantage (Grattan et coll., 1996).

Les feuilles, les graines et les cônes fossilisés posaient un plus grand défi en raison de leur extrême fragilité. Il était essentiel que l’ICC conserve ces spécimens, car ils revêtaient une grande importance pour les paléobotanistes (les scientifiques qui étudient les plantes fossilisées). Cependant, en 1986, il n’existait aucune technique de conservation connue pour les matériaux de cette nature. Les restaurateurs de l’ICC sont donc devenus des pionniers en matière de préservation des feuilles, des graines et des cônes fossilisés lorsqu’ils ont collaboré avec Union Carbide dans le cadre d’un projet visant l’application d’un revêtement de parylène pour préserver les fossiles sans altérer radicalement leur apparence (Grattan et coll., 1996).

Assortiment de cônes d’arbres noirs et gris bien conservés et récupérés de la forêt fossile après avoir été traités avec un revêtement de parylène

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Figure 2. Collection de cônes fossilisés après l’application d’un revêtement de parylène, photographiée en studio à l’ICC.

La conservation du site lui-même a également nécessité une attention considérable. L’érosion sous forme de vent, de gel et d’eau menaçait (et menace toujours) le site année après année. Bien qu’ils soient atténués par le pergélisol, des vents allant jusqu’à 90 km/h soufflent sur le site, emportant le gravier et exposant la litière de feuilles de la forêt fossile. Les dépôts sont souvent interrompus en raison des polygones de toundra, qui sont des fissures qui se remplissent d’eau et regèlent, créant ainsi une fente de glace (Bigras et coll., 1995). Le dégel printanier provoque également le déplacement du sol saturé en eau au-dessus de la limite du pergélisol.

Certains des pires dommages survenus sur le site ont été causés par la venue d’autres personnes depuis le voyage de Ricketts. Dans le Haut-Arctique, les empreintes de pas dans le sol meuble peuvent persister pendant plus d’un an et accélérer la formation de chenaux d’érosion sur les versants (Bigras et coll., 1995). L’excavation, bien que nécessaire pour mieux comprendre le site, est par nature destructrice et peut menacer d’autres zones du site si des précautions appropriées ne sont pas prises (Bigras et coll., 1995). Les hélicoptères peuvent également causer des dommages importants au site en raison des forts courants descendants qu’ils occasionnent, ce qui détruit les matériaux et emporte l’horizon superficiel. Il s’agit d’une menace importante pour le site, puisque les Forces armées canadiennes sont souvent présentes dans le Haut-Arctique.

Les imposants arbres Metasequoia et Pseudolarix qui poussaient dans la forêt il y a plus de 40 millions d’années produisaient un type spécial de sève qui, grâce à des réactions de polymérisation complexes, durcissait et se solidifiait lorsqu'elle suintait des plantes et qu’elle était exposée à la lumière et à l’air. Au fil des millénaires, la sève a vieilli, s’est fossilisée et est devenue de l’ambre. Sur le site, l’ambre est présent sous différentes formes : il est presque invisible, apparaissant comme de petits cailloux érodés dans les zones exposées de la forêt, et est étincelant comme des pierres précieuses fraîchement taillées lorsqu'il est protégé par les feuilles fossiles enfouies (Jahren, 2017). Les travaux qu’ont effectués les scientifiques de l’ICC sur de nombreux spécimens ont révélé que les arbres Pseudolarix produisaient de l’ambre qui différait chimiquement de toutes les autres classes d’ambre précédemment caractérisées dans le monde. On a alors introduit une nouvelle sous-classe (classe Id) pour les catégoriser. Cette sous-classe a été élargie pour inclure également des spécimens de l'île voisine d'Ellesmere (Poulin et Helwig, 2012).

Malheureusement, en plus des visites universitaires de chercheurs attentifs, le site a aussi été l’objet de quelques pillages, notamment des chasses à l’ambre infructueuses à la suite de la sortie du film Le Parc jurassique en 1993 (Strang, 2022), mais les bonnes intentions de quelques individus ont eu des répercussions considérables sur la protection du site. Même si celui-ci ne bénéficiait d’aucune forme de protection en 2012, le capitaine Dean Campbell des Forces armées canadiennes a communiqué avec David W. Grattan de l’ICC et James Basinger de l’Université de la Saskatchewan pour demander que le secteur soit inscrit comme zone d’exclusion pour les opérations et le personnel. On ne saurait trop insister sur l’importance de ce geste pour la protection du site de l’île Axel Heiberg.

3 hommes derrière une souche de la forêt fossile et des souches dispersées sur la colline. 1 homme transporte le matériel d’arpentage sur son dos

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Figure 3. Malcolm Bilz, Tom Strang et Carl Bigras prennent la pose derrière l’une des souches exposées.

Les forces de l’érosion sont considérables, surtout lorsqu’elles sont combinées. Alors qu’il travaillait sur le site en 1989, Charles Gruchy de l’ICC a noté dans son journal qu’il devait y avoir cinquante souches qui n’étaient pas visibles l’année précédente (Gruchy, 1990).

L’ICC a donc entrepris de documenter le site aussi rapidement que possible. En 1995 et en 1996, des employés de l’ICC ont effectué des levés à l’aide d’un système mondial de positionnement (GPS) et d’un système d’information géographique (SIG) et pris des photographies aériennes par cerf-volant afin de dresser un inventaire des quelque 1 000 souches du site et de surveiller l’érosion et les répercussions qu’occasionnent les visiteurs. Les contraintes logistiques et financières ont écarté les nombreuses options offertes en matière de photographie aérienne, sauf celle par cerf-volant. Carl Bigras a proposé d’utiliser son propre matériel de photographie aérienne par cerf-volant pour que le projet puisse être mené à bien dans le cadre du budget restreint qui était prévu.

Bigras a consulté des collègues de l’ICC spécialisés dans la conservation des meubles (Michael Harrington et Paul Heinrichs) pour fabriquer la plateforme de l’appareil photographique du cerf-volant à partir de bois de balsa extrêmement léger. Deux appareils photographiques Kodak Cameo achetés par Bigras ont été installés sur le cerf-volant avec un recouvrement de 60 % pour permettre la stéréophotographie (Bigras, 1997). Comme ils n’ont pas eu le temps de mettre le système à l’essai avant leur départ, Bigras et ses coéquipiers ont dû se résoudre à croire en leurs compétences et au fait que le système fonctionnerait comme il se doit sur le terrain.

Carl Bigras fait voler le cerf volant qui prend les photos aériennes et Malcolm Bliz observe. Une colline escarpée et dénudée s’élève derrière eux

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Figure 4. Appareil photographique stéréoscopique en vol.

Des problèmes sont inévitablement survenus une fois sur le terrain, mais l’ingéniosité de l’équipe a permis de corriger rapidement la situation. Cela était impératif parce que l’équipe disposait d’un temps limité sur le site et que, souvent, elle ne pouvait pas faire voler l’appareil en raison du mauvais temps et des vents violents. L’un des problèmes rencontrés était que le cerf-volant se déplaçait d’un côté à l’autre sans se stabiliser et qu’il ne volait pas parallèlement au sol, ce qui était essentiel pour prendre des photographies claires de la topographie du site. Avec un peu de ruban à conduits, du bambou, des attaches de câble et une manche à air faite d’un drapeau canadien, l’engin s’est stabilisé lors des vols suivants (Bigras, 1997). Le projet mené par Bigras et ses collègues a été couronné de succès. En superposant les photographies de l’équipe de Bigras aux photographies aériennes de 1989, les chercheurs ont pu évaluer l’érosion du site. Après des années d’étude, un taux d’érosion moyen d’au moins 3 mm par année a été confirmé par les travaux réalisés au moyen du GPS et du SIG de Tom Strang et David W. Grattan en 1995, et de nouveau en 1996 (Bigras et coll., 1995).

Photographie aérienne du site de la forêt fossile prise par cerf volant et qui montre les polygones de toundra (érosion) et les souches fossilisées

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Figure 5. Image tirée de la photographie aérienne par cerf-volant qui a pu être superposée aux images aériennes précédentes pour documenter l’érosion et d’autres changements dans le paysage. Les polygones de toundra sont facilement visibles du côté gauche et forment un motif en damier.

La vie dans la forêt fossile : entrevue avec Tom Strang

J’ai rencontré Tom Strang, scientifique principal en conservation, pour en savoir plus sur ses expériences sur l’île Axel Heiberg. Tom a commencé à travailler à l’ICC en 1988 et a effectué son premier voyage à la forêt fossile en 1995 alors qu’il remplaçait Chuck Gruchy, qui avait eu un empêchement à la dernière minute. Tom m’a raconté à quel point il était heureux de se retrouver dans ce nouvel environnement et qu’il se souvenait de la neige lourde et humide qui lui tombait dessus alors qu’il déployait une technologie de pointe sur le site.

À l’époque, l’utilisation de GPS et de SIG numériques était très récente dans le domaine de la conservation, et Tom a lancé l’idée d’utiliser de tels outils sur le site de la forêt fossile. Il a réussi à convaincre ses supérieurs de l’utilité de ces outils et a commencé à louer l’équipement nécessaire, y compris plusieurs seaux de piles rechargeables. Après un cours d’introduction dans un stationnement et la consultation de nombreux manuels, Tom était prêt à voyager aux côtés de David W. Grattan.

David et Tom ont pris l’avion d’Ottawa pour Resolute (ᖃᐅᓱᐃᑦᑐᖅ), dans les Territoires du Nord-Ouest (maintenant le Nunavut), où l’équipe du Programme du plateau continental polaire (PPCP) les a approvisionnés en nourriture et en provisions. Ils ont rempli leurs sacs à lunch de barres Nanaimo provenant de l’installation du PPCP et ont observé tout leur matériel être placé dans le godet d’une chargeuse frontale et conduit jusqu’à un appareil Twin Otter qui les attendait pour les emmener directement à la forêt fossile. Après deux heures de vol au-dessus d’îles bordées par les glaces de l’Arctique et un atterrissage dans la toundra rocheuse, tout près du lit d’un cours d’eau sinueux, ils ont finalement pu décharger leur matériel. Alors que le bourdonnement des moteurs de l’avion s’estompait, laissant les deux hommes seuls sur l’île, Tom a entendu un autre son, comme un grondement sourd. Après un moment, il a réalisé qu’il s’agissait du battement de son cœur perçant le silence du Haut-Arctique.

L’objectif principal du voyage était de retirer les piquets de mesure de l’érosion des barres d’armature, qui devenaient un danger potentiel pour l’atterrissage des hélicoptères. Pendant que David se déplaçait sur la colline pour enlever les piquets, Tom effectuait des levés avec le GPS et le SIG dans son sillage. La vitesse à laquelle le GPS et le SIG ont pu arpenter le site a laissé David stupéfait. Malheureusement, le voyage de 1995 a été marqué par le mauvais temps. La neige et le vent ont écourté le voyage. Tom savait qu’il devait revenir l’année suivante.

En juillet 1996, Tom est effectivement retourné sur l’île Axel Heiberg avec Carl Bigras et Malcom Bilz. Le vol vers le nord jusqu’à Resolute étant nuageux, Tom a pris le temps de réviser les manuels du GPS et du SIG, ainsi que le plan d’arpentage. Après un vol à bord d’un Twin Otter de Resolute à Eureka, sur l’île d’Ellesmere, Tom, Carl et Malcolm se sont dirigés vers le pilote qui devait les emmener sur l’île Axel Heiberg. Le trio est passé juste à côté de l’hélicoptère, qui n’avait plus de rotor de queue. Lorsqu’ils sont entrés dans l’installation du PPCP, Tom a remarqué une affiche avec un dessin humoristique représentant une décapitation par le rotor d’un hélicoptère. Le texte sur l’affiche se lisait comme suit : « Les rotors coûtent chers. »

Quand ils sont entrés dans les quartiers d’habitation, Tom a d’abord vu le mécanicien. C’était un jeune homme portant des lunettes de soleil argentées. Des morceaux du rotor de queue étaient éparpillés sur une table et des manuels de réparation étaient étalés autour du mécanicien. Il a indiqué que le pilote se trouvait dans l’autre pièce, où le trio a entendu quelqu’un rire en écoutant Bugs Bunny à la télévision. Tom n’était pas convaincu qu’ils voleraient le lendemain. Cependant, peu de temps après, le trio a réussi à se rendre à l’île Axel Heiberg à la suite d’une série de vols chargés de matériel sous élingue.

Les trois hommes sont restés immobiles pendant un certain temps, absorbés par le paysage, « comme le seraient des bœufs musqués », m’a dit Tom. L’équipe a ensuite installé son campement en commençant par le mât d’antenne et le contrôle radio. En plus d’avoir aidé à l’organisation du transport, le PPCP avait fourni les tentes et la majeure partie des provisions. Le trio avait également du matériel loué pour le GPS et le SIG, du matériel pour la photographie aérienne par cerf-volant, un panneau solaire pour charger tout ce matériel, une radio et un fusil de chasse de l’ICC, ce dernier étant nécessaire pour se protéger des ours blancs dans cette région nordique et isolée.

Bien que le trio fût seul sur l’île, il avait souvent l’impression d’avoir de la compagnie. À l’époque, l’Armée canadienne était occupée à nettoyer l’Arctique, et plus particulièrement à ramasser les vieux réservoirs et barils de pétrole qui avaient été éparpillés au cours des décennies précédentes. Les trois hommes pouvaient aussi entendre plusieurs discussions sur les ondes radio. Un individu s’est entre autres plaint qu’une poignée de pompe pour une douche à eau chaude n’était pas sur place et qu’elle devait absolument être sur le prochain vol. Le trio, qui se lavait avec l’eau froide d’un cours d’eau, a bien ri du malheur de cet individu.

Pendant qu’ils travaillaient, les trois hommes ne s’éloignaient que très peu du campement et de la colline de la forêt fossile. Tom a comparé l’expérience à un atterrissage sur la lune. « Vous ne voulez jamais laisser le vaisseau spatial hors de votre vue », a-t-il expliqué. Il faut dire que la région était surnommée « la côte de la famine » et que le temps y était imprévisible.

Tom utilisait un appareil Trimble Navigation 4000SSi avec des fonctions cinématiques en temps réel. Il s’agit d’un système d’arpentage avec GPS qui a une résolution horizontale stationnaire de 1 cm et une résolution verticale de 2 cm (Strang, 1997). Même en marchant, Tom pouvait enregistrer des positions avec une résolution de 4 cm à 6 cm à la fois verticalement et horizontalement (Strang, 1997).

À l’aide de données d’arpentage antérieures fusionnées avec les données GPS que Tom avait recueillies l’année précédente et téléversées sur l’ordinateur portable, Tom et Malcolm ont pu facilement localiser les entités précédemment repérées et en documenter de nouvelles (Strang, 1997). Les données générées par Tom ont ensuite été superposées aux photographies aériennes et à un modèle numérique d’élévation produit par The Base Mapping Company pour créer une représentation incroyablement complète et détaillée du site.

Image numérique des données GPS et SIG de Tom Strang superposées à une image aérienne du site indiquant l’emplacement des souches d’arbres

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Figure 6. Tom Strang avec le système de cartographie GPS du côté nord de la forêt fossile.

L’état de la forêt fossile de nos jours

Il semble que plusieurs souches aient disparu au fil des années consacrées à l’étude et à l’arpentage du site. En 1992, 62 souches répertoriées en 1988 ne pouvaient plus être localisées. Le personnel de l’ICC a supposé que les sédiments de surface s’étaient déplacés, dissimulant une fois de plus les souches (Bigras et coll., 1995).

Une autre possibilité est que des visiteurs inconnus aient enlevé ou détruit des souches. En effet, vers 1999, une équipe dirigée par Arthur H. Johnson de l’Université de Pennsylvanie, avec des chercheurs de l’Université Johns-Hopkins et de l’Université du Maine, a obtenu un permis de recherche de l’Institut de recherche du Nunavut ainsi que l’approbation du gouvernement fédéral canadien (par l’entremise du PPCP) pour fouiller le site de façon exhaustive à l’aide de scies à chaîne et de tranchées de plusieurs mètres de long. Cela s’est fait à l’insu des employés de l’ICC qui travaillaient à la conservation du site depuis des années. L’équipe de recherche a transporté hors du site de grands blocs de bois. L’ampleur des pertes subies sur le site n’a pas encore été déterminée.

De même, les bateaux de croisière dans l’Arctique ont fait de l’île Axel Heiberg une escale incontournable et ont transporté bon nombre de touristes sur l’île. Plusieurs de ces touristes ont même recueilli des « souvenirs » sur le site et les ont ramenés avec eux. En 1992, Bigras et ses collègues ont insisté sur la nécessité de protéger le site en l’intégrant au Service canadien des parcs, par exemple en l’annexant à la réserve de parc national de l’Île-d’Ellesmere, maintenant connue sous le nom de parc national Quttinirpaaq (Bigras et coll., 1992). Plusieurs membres de l’ICC ont travaillé avec diligence, dont certains tout au long de leur carrière, pour conserver et protéger ce site d’importance tant canadienne qu’internationale.

Arthur H. Johnson, chef de projet des fouilles dirigées par l’Université de Pennsylvanie à la fin des années 1990, a déclaré ce qui suit alors qu’il devait composer avec les critiques et examens minutieux des chercheurs et des journalistes canadiens : « Certaines personnes pensent que cet endroit est sacré, d’autres veulent en faire un endroit où pique-niquer. Nous pensons qu’il s’agit d’une ressource scientifique… Il serait peut-être bon que la population canadienne décide de ce qu’elle veut faire de ce site. » (George, 1999)

Lorsque la pandémie de COVID-19 touchera à sa fin et que la vie reviendra à la normale, le nombre de bateaux de croisière et de visiteurs augmentera certainement à nouveau. Après le voyage de Strang, Bilz et Bigras en 1996, le personnel de l’ICC n’est jamais retourné sur le site de la forêt fossile malgré son intention de le faire pour mener une étude sur l’érosion d’une zone plus vaste. Ainsi, l’état actuel du site est largement inconnu.

Tom Strang résume l’engagement de l’ICC à l’égard du site de la forêt fossile dans un article de 1997 publié dans le Bulletin de l’ICC :

Prévue à l’origine comme une étude des pertes naturelles, l’étude à laquelle l’ICC a participé a quelque peu été réorientée en raison de la facilité d’accès et de la renommée de la forêt fossile, qui y ont attiré de nombreux visiteurs dont les actions ont parfois causé des dégâts. Au bout du compte, la carte et les photographies de l’ICC contribueront à l’élaboration d’un plan de gestion des lieux et aux efforts en vue de l’obtention d’un statut protégé pour le site. L’ICC produira un dépliant d’information que les pilotes d’hélicoptère pourront utiliser, pour éviter d’atterrir sur les souches parfois difficiles à apercevoir, et les visiteurs, pour ne pas piétiner les éléments fragiles du paysage ou ne pas créer de rigoles d’érosion. Par-dessus tout, la réunion du dossier le plus complet et le plus précis de données sur l’emplacement a permis à l’ICC de mettre sur pied une étude approfondie à long terme de l’utilisation bonne et mauvaise du site où se trouve l’un des environnements les plus fragiles du globe.

Au moment de rédiger le présent texte, le site n’était toujours pas protégé.

Tom Strang sur le flanc d’une colline tenant en équilibre la mire d’arpentage contre la pente. La toundra en contrebas s’étend jusqu’à l’horizon

© Gouvernement du Canada, Institut canadien de conservation. 77566-0008
Figure 7. Vue du nord-est de la forêt fossile à partir d’une montagne au sud du site (1996).

Bibliographie

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Bigras, C. « Kite Aerial Photography of the Axel Heiberg Island Fossil Forest », dans Proceedings of the First North American Symposium on Small Format Aerial Photography, Cloquet, Minnesota, 14-17 October 1997: Technical Papers (sous la direction de M. Bauer, W. Befort, P. R. Coppin et B. Huberty), Bethesda (Maryland), American Society for Photogrammetry and Remote Sensing, 1997, p. 147-153.

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Grattan, D. W. « Fossil Forest » (format PDF; en anglais seulement), New Parks North Newsletter, no 6 (mars 1997), p. 12.

Grattan, D. W., C. Gruchy, M. Bilz et C. Bigras. « The Fossil Forest Project at the Canadian Conservation Institute », dans ICOM-CC, 11th Triennial Meeting, Edinburgh, Scotland, 1-6 September 1996: Preprints (sous la direction de J. Bridgland), Londres (Royaume-Uni), James & James, vol. 2, 1996, p. 776-783.

Gruchy, C. « Une forêt fossile dans l’île d’Axel Heiberg », Bulletin de l’ICC, no 6 (septembre 1990), p. 6.

Strang, T. « Levé de la forêt fossile du Grand Nord canadien », Bulletin de l’ICC, no 19 (mars 1997), p. 1-4.

Strang, T. Entrevue menée par T. C. Cantwell, 19 mai 2022.

© Gouvernement du Canada, Institut canadien de conservation, 2023

No de catalogue : CH57-4/67-2023F-PDF
ISBN 978-0-660-49169-1

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