Réconciliation : un engagement professionnel et une réflexion personnelle
Amanda Salmon et Alice Wang
En tant que fonctionnaires fédéraux, la réconciliation peut être à la fois un engagement professionnel et une réflexion personnelle. Pour marquer le 50e anniversaire de l’Institut canadien de conservation (ICC), j’ai discuté avec la restauratrice Amanda Salmon de certains moments charnières de l’histoire de l’organisme, qui ont contribué à façonner son approche de la conservation des biens autochtones tout au long de sa carrière.
Amanda s’est jointe à l’ICC à titre de stagiaire en 2007. En 2011, elle a accepté un poste de restauratrice à temps plein avec spécialisation en meubles et en objets en bois. Au cours des dernières années, Amanda a joué un rôle essentiel dans l’examen des programmes et politiques en matière d’équité, de diversité et d’inclusion. Ce travail s’est fait en parallèle avec son soutien à la contribution de l’ICC à la réconciliation. Amanda revient ici sur un grand symposium international organisé par l’ICC en 2007, de même que sur son évaluation récente d’un projet de commémoration de la Commission de vérité et réconciliation.
Alice Wang (AW) : En 2007, l’ICC a organisé un symposium intitulé « Préserver le patrimoine autochtone : approches techniques et traditionnelles ». À l’époque, vous étiez stagiaire à l’ICC. Quelles étaient vos impressions de ce symposium? Cela a-t-il eu des retombées sur votre carrière à long terme?
Amanda Salmon (AS) : Le symposium de 2007 demeure le congrès sur le patrimoine le plus instructif auquel j’ai assisté. Pour moi, c’était d’abord et avant tout une introduction à plusieurs cultures autochtones différentes, car j’avais eu peu d’exposition à ces communautés auparavant. Il s’agissait également d’un aperçu diversifié et informatif des efforts contemporains déployés par les communautés et les praticiennes et praticiens du patrimoine occidentaux et autochtones pour préserver le patrimoine autochtone, au Canada et à l’étranger, au moyen d’approches de conservation traditionnelles, techniques et mixtes.

© Gouvernement du Canada, Institut canadien de conservation. 97628-0004
Figure 1. Membres du Comité de planification et du Comité consultatif du Symposium de l’ICC de 2007.
À ce jour, je demeure frappée par la volonté des personnes participantes autochtones, des aînées et aînés, des spécialistes et des conseillères et conseillers de s’engager, de faire part de leurs connaissances sur leurs pratiques culturelles et de collaborer avec la communauté de conservation occidentale avec tant de générosité. Chaque jour, le symposium commençait par une cérémonie, y compris la purification par la fumée ou l’allumage du qulliq. Ces moments ont aidé à ancrer et à encadrer les histoires et leçons échangées dans les diverses présentations dans le respect, l’humilité et un esprit d’apprentissage partagé.
Le programme du symposium comprenait des explorations franches de questions éthiques complexes et délicates, comme les répercussions préjudiciables des pratiques muséales colonialistes sur les communautés autochtones. Parmi les exposés mémorables, citons l’appel de John Moses pour l’équité en matière d’emploi et le pluralisme sur le terrain, avec des propositions d’application pratique. Il y a eu plusieurs discussions sur des projets communautaires collaboratifs, comme l’intégration, dans la planification des expositions, des conservatrices et conservateurs communautaires et des conseils consultatifs autochtones. Les exposés sur le contexte et les besoins uniques de la préservation de la culture intangible et l’exploration des visions du monde, des valeurs et des pratiques autochtones traditionnelles m’ont particulièrement ouvert les yeux.
En plus d’assister aux exposés, j’ai participé à un atelier connexe sur le tannage de peaux qui a eu lieu sur l’île Victoria, un site sacré au milieu de la rivière des Outaouais, sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine Anishinabe. J’ai appris à préparer une peau de chevreuil en utilisant les méthodes traditionnelles de l’instructeur Morgan Baillargeon, aussi artiste, écrivain et conservateur métis, et d’autres participants comme le tanneur Steven Tamayo. Nous avons travaillé la peau jusqu’à ce qu’elle se transforme en cuir souple sous d’imposants totems juxtaposés à une vue de la Colline du Parlement de l’autre côté de la rivière. J’ai également eu le grand honneur et le plaisir d’observer des personnes effectuer la danse des herbes sacrées dans leurs beaux costumes et d’entendre des interprètes de chants de gorge inuits pour la première fois au souper du symposium. Il s’agissait toutes d’expériences nouvelles, exaltantes et profondes pour moi.
Les études de cas présentées au symposium sont devenues pour moi des points de référence qui ont éclairé mon travail de restauratrice, même si je n’ai pas eu tellement d’occasions de traiter des objets appartenant aux peuples autochtones au cours de ma carrière. Lorsque j’ai eu le rare privilège de le faire, j’ai le regret de dire que l’engagement des collectivités sources n’était pas toujours une priorité. J’aimerais pouvoir dire que les pratiques de l’ICC en matière de préservation du patrimoine autochtone ont beaucoup évolué à la suite de cet événement extrêmement collaboratif et progressiste, mais je pense que notre chemin vers la réconciliation a été lent et tortueux. Cependant, le progrès n’est pas toujours linéaire, et les leçons que nous avons tirées de nos erreurs sont précieuses. Je suis heureuse que mes collègues et moi ayons eu récemment l’occasion de travailler, à l’ICC, à la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Personnellement, mes intentions sont plus significatives maintenant; ma conscience et ma pratique ont évolué.
AW : Récemment, la restauratrice Anne-Stéphanie Etienne et vous avez effectué une évaluation du traitement de conservation de la Couverture des témoins. L’installation multimédia qu’a créée Carey Newman, artiste et maître sculpteur kwakwak’awakw, était l’un des projets de commémoration commandés par la Commission de vérité et réconciliation. À quoi ressemblait l’évaluation de la Couverture des témoins?
AS : La collaboration avec l’artiste, son équipe, l’équipe du Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP) et les collègues de l’ICC pour effectuer l’évaluation de la Couverture des témoins a été une expérience enrichissante, émotionnelle et transformatrice. J’étais reconnaissante aux membres de l’équipe d’avoir abordé notre travail ensemble non seulement avec un professionnalisme impressionnant, mais aussi avec une empathie et une gentillesse indéfectibles. Cela a imprégné nos interactions, créé des liens instantanés et assuré un projet productif.

© Musée canadien pour les droits de la personne, Jessica Sigurdson.
Figure 2. Amanda Salmon (deuxième à partir de la gauche) et Anne-Stéphanie Etienne (à gauche), restauratrices à l’ICC, avec les membres de l’équipe de l’artiste et du personnel du MCDP.
L’hommage créatif de Carey Newman à son père, aux survivants des pensionnats et aux survivants intergénérationnels est émouvant et impressionnant. Contrairement aux hypothèses qui peuvent exister au sujet de la neutralité du travail de restaurateur, les histoires tragiques et troublantes et la résilience des survivants incarnés dans l’œuvre d’art n’ont pas pu être séparées de la stratégie de conservation. Nous avons eu beaucoup de chance d’avoir l’occasion de consulter l’artiste et de confirmer ses souhaits quant à la préservation de son œuvre. Honorer les victimes et les ancêtres, comme l’a énoncé l’artiste dans ses directives, était un objectif fondamental de l’évaluation, et c’était notre point de départ. Il était également merveilleux de connaître l’intention véritable de l’artiste afin d’éviter les doutes qui minent l’élaboration de propositions de traitement lorsqu’on ne consulte pas les créatrices et créateurs ou que les preuves archivistiques définitives sont absentes.
D’un point de vue technique, la prise en compte d’un si grand nombre de matériaux et de types d’objets différents dans diverses conditions était exigeante. De même, l’évaluation structurelle de l’ensemble unique de blocs de cèdre à suspension libre qui forment cette couverture carrelée a présenté de nouveaux défis. Il était aussi incroyablement intéressant de discuter et de réfléchir avec l’artiste et nos collègues aux répercussions de tout traitement proposé sur les aspects intangibles et tangibles de l’œuvre d’art.
Je n’ai pas appris les sombres séquelles des pensionnats pendant mes études formatrices. Ce projet a approfondi ma conscience de nos histoires, et il a marqué pour moi le début d’un nouveau parcours d’apprentissage et d’une période de réflexion et de croissance personnelles.
AW : Merci de votre témoignage, Amanda. Y a-t-il des réflexions finales sur l’ICC et ce qui l’attend dans l’avenir?
AS : L’ICC travaille depuis longtemps avec les communautés autochtones pour préserver leur patrimoine. Il est important de reconnaître que cette histoire comporte autant de lacunes que de réussites. Les origines de l’ICC étaient profondément ancrées dans l’impulsion colonialiste de recréer un exemple européen, et il n’y a aucune preuve que l’organisme a véritablement tenu compte des enjeux uniques liés au patrimoine autochtone au moment de sa fondation. Certes, notre éthique et notre approche ont évolué depuis, mais il reste encore beaucoup à faire. Nous avons encore beaucoup de réflexion, d’apprentissage et de travail à faire pour faire progresser de façon significative la réconciliation à l’ICC. Nous devons repenser et remanier nos pratiques pour les rendre plus inclusives et pluralistes; aller de l’avant dans des domaines comme l’engagement de la communauté source et la gouvernance des données autochtones; et soutenir activement l’autodétermination des Autochtones.
Je me réjouis que nous établissions nos intentions et que nous élaborions une stratégie organisationnelle pour examiner et réviser nos politiques et pratiques actuelles, reconnaître et éliminer les préjugés et les obstacles et fournir des outils plus efficaces aux communautés autochtones qui souhaitent obtenir notre appui dans la préservation de leur patrimoine. Je suis reconnaissante de participer à ce travail, et je suis ravie de faire partie d’un organisme diversifié et inclusif qui reconnaît pleinement ses obligations envers les communautés autochtones et qui s’efforce d’assumer ces responsabilités de façon réfléchie, efficace, empathique et novatrice.
Bibliographie
Dignard, C., K. Helwig, J. Mason, K. Nanowin et T. Stone (directeurs de publication). Preserving Aboriginal Heritage, Technical and Traditional Approaches: Proceedings of a Conference Symposium 2007 / Préserver le patrimoine autochtone : approches techniques et traditionnelles : actes d’un congrès Symposium 2007, Ottawa (Ontario), Institut canadien de conservation, 2008.
Newman, C., et K. Hudson. Picking Up the Pieces: Residential School Memories and the Making of the Witness Blanket, Victoria (Colombie-Britannique), Orca Book Publishers, 2019.
Wall, S., C. Colford, C. Sirett, S. Chipilski et C. Newman. Prendre soin de la Couverture des témoins, Winnipeg (Manitoba), Musée canadien pour les droits de la personne, 2023.
Lecture complémentaire
Newman, C., et K. Hudson. The Witness Blanket: Truth, Art and Reconciliation, Victoria (Colombie-Britannique), Orca Book Publishers, 2022.
© Gouvernement du Canada, Institut canadien de conservation, 2023
No de catalogue : CH57-4/75-2023F-PDF
ISBN 978-0-660-49897-3
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