Exposition et mise en réserve des objets de musée contenant du nitrate de cellulose – Notes de l'Institut canadien de conservation (ICC) 15/3

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La Note de l'ICC 15/3 fait partie de la quinzième série des Notes de l'ICC (Matériaux modernes et collections industrielles)

Introduction

Le nitrate de cellulose, souvent appelé nitrocellulose, est utilisé en photographie depuis les années (Hager, ) et sert à la fabrication d'explosifs depuis (Roff et coll., ) et d'objets de plastique moulé depuis environ (Dubois, ). Il a été mis en marché sous différentes marques de commerce comme Celluloïd, Collodion, Fulmicoton, Pyraline, Pyroxyline et Xylonite. Parmi les divers objets fabriqués au moyen du nitrate de cellulose, on trouve des manches de coutellerie (en ivoire artificiel et autres ersatz d'ivoire), des équerres et des gabarits de dessinateur, des jouets et des poupées, des pellicules photographiques, des montures de lunettes, des revêtements protecteurs et décoratifs ainsi que de nombreux articles de toilette, des contenants pour produits de beauté et des articles ménagers qui vont du bouton au siège de toilette.

Les publications consacrées à la conservation traitent surtout de la préservation de photographies à support en nitrate (par exemple Calhoun, ; Hager, ) et de la détérioration des adhésifs (Koob, , Shashoua, Bradley et Daniels, ). Selwitz () traite du nitrate de cellulose utilisé en guise d'adhésif pour la céramique et en guise de laque pour les métaux. Johnson () décrit plusieurs produits en nitrate de cellulose et l'usage que l'on en fait dans les musées. La présente Note porte sur un sujet qui a été peu étudié : la dégradation, la conservation et la mise en réserve de gros objets tridimensionnels en nitrate de cellulose.

Lorsque le nitrate de cellulose ne contient ni pigment ni charge et ne s'est pas dégradé, il est incolore et transparent. Pendant quelque 50 ans, soit jusque vers , ce produit était la seule matière plastique translucide, de ton clair, que l'on pouvait facilement se procurer. Les objets qui possèdent ces caractéristiques et qui ont été fabriqués ou acquis avant cette époque sont probablement en nitrate de cellulose. Bien qu'il entre encore dans la composition de divers objets, ce produit est généralement remplacé de nos jours par des matières plastiques plus stables.

Le nitrate de cellulose s'obtient par divers procédés de nitration, qui consistent à substituer des groupes nitrates à un nombre variable de groupes hydroxyles de la cellulose. Le pourcentage d'azote (le taux de nitration) détermine les propriétés physiques et chimiques du plastique. Le tableau 1 montre les types de produits que l'on peut fabriquer au moyen du nitrate de cellulose. On notera que les diverses catégories de produits ont un pourcentage d'azote différent.

Tableau 1. Les types de produits que l'on peut fabriquer au moyen du nitrate de cellulose.
ProduitsPourcentage d'azote (%)
Objets en plastique, revêtements 10,5 à 11,5
Revêtements, pellicules photographiques, feuilles de plastique 11,5 à 12,3
Explosifs, poudre noire 12,4 à 13,5

La stabilité du nitrate de cellulose dépend en grande partie du pourcentage d'azote de ce produit : plus il y a d'azote, moins le produit est stable. Certains produits qui ont un haut pourcentage d'azote (généralement plus de 13%) explosent sous l'effet de la chaleur ou lorsqu'il a frottement ou choc, mais les objets et les pellicules photographiques qui ont un plus faible pourcentage d'azote (habituellement moins de 12%) ne risquent pas d'exploser. Ils sont toutefois très inflammables et exigent des précautions particulières. On peut déceler la présence de nitrate de cellulose dans ces produits, quel que soit leur taux d'azote, au moyen d'un test ponctuel à la diphénylamine (consultez Test ponctuel à la diphénylamine pour déceler la présence de nitrate de cellulose dans les objets de musée, Notes de l'ICC, 17/2).

Dégradation du nitrate de cellulose

La dégradation du nitrate de cellulose fait l'objet d'une discussion détaillée dans l'ouvrage de Charles Selwitz (consultez la Bibliographie). En se dégradant, le nitrate de cellulose libère des gaz, plus précisément des oxydes d'azote acides et oxydants (y compris l'oxyde nitreux, l'oxyde nitrique et le bioxyde d'azote). De fortes concentrations de ces gaz s'accumulent dans les tiroirs fermés, les armoires et les vitrines d'exposition peu aérés. Les métaux peuvent alors se corroder, les matériaux organiques se fragiliser et se décolorer, et les objets eux mêmes risquent de se dégrader à un rythme accéléré. Le problème est beaucoup moins grave quand il s'agit de pellicules ou d'objets minces car les gaz qui se forment alors s'échappent plus rapidement et peuvent être évacués. La diffusion est beaucoup plus lente lorsque les objets sont épais; en effet, dans de tels cas, les gaz restent emprisonnés plus longtemps et risquent davantage de catalyser la dégradation des objets. Il se crée ainsi un cercle vicieux : une décomposition plus rapide entraîne une augmentation de la concentration d'oxyde d'azote à l'état gazeux, ce qui accélère la décomposition. Sous l'effet de la chaleur qu'il dégage, l'objet peut s'enflammer spontanément.

Bien que le soin apporté à la préparation du nitrate de cellulose et à la fabrication des objets contenant ce produit puisse ralentir la détérioration, il n'existe encore aucune méthode qui permette d'enrayer complètement ce processus. Cinq stades de la dégradation de la pellicule photographique ont été décrits par Cummings (Cummings et coll., ), dont les suivants : le jaunissement progressif de la pellicule (qui devient éventuellement brun foncé), la formation de bulles ou de mousse, la fragilisation et le rétrécissement de la pellicule qui, en se dégradant, devient une masse pulvérulente ou bulleuse. Pendant que se produisent ces modifications, une odeur nauséabonde se dégage de l'oxyde d'azote à l'état gazeux. On peut s'attendre à ce que tous les objets contenant du nitrate de cellulose se détériorent à un rythme identique, mais le progrès de la dégradation sera beaucoup moins rapide s'il s'agit d'objets tridimensionnels, étant donné que ceux-ci sont fabriqués au moyen d'un nitrate de cellulose moins azoté que celui qui est utilisé pour les pellicules.

En même temps que ces modifications ont lieu, on note une baisse progressive de la température d'autocombustion, c'est-à-dire de la température minimale à laquelle un objet s'enflamme spontanément en l'absence d'une source directe de chaleur (combustion spontanée). La température d'autocombustion du nitrate de cellulose non dégradé, de fabrication récente, est de 150 °C. (Le papier s'enflamme spontanément à une température allant de 315 à 370 °C.) Au dernier stade de la dégradation, le nitrate de cellulose devient une masse pulvérulente ou bulleuse qui peut s'enflammer spontanément à une température d'à peine 50 °C, qui correspond généralement à la température enregistrée à proximité d'une ampoule électrique, d'un radiateur ou d'une autre source de chaleur, ou encore à l'intérieur des édifices ou des greniers non ventilés, pendant les chaudes journées d'été. C'est ce qui explique les accidents survenus dans des dépôts de pellicules photographiques.

Chaque fois qu'on a signalé un cas de combustion spontanée du nitrate de cellulose, il s'agissait de collections de pellicules photographiques, cinématographiques ou radiographiques, entassées en vrac dans des locaux mal ventilés où elles s'étaient dégradées comme il a été décrit ci-dessus. On n'a rapporté aucun cas de combustion spontanée lorsque la ventilation était suffisante et que les objets n'entraient pas en contact les uns avec les autres, par exemple lorsque les pellicules d'une collection étaient isolées par des feuillets intercalaires ou que les objets étaient bien espacés sur les étagères.

Plusieurs études ont été menées au cours des années et pour déceler et résoudre les problèmes que pose la mise en réserve des pellicules photographiques, lesquelles sont constituées d'un matériau instable dont le pourcentage d'azote est élevé. La plupart des objets de musée contenant du nitrate de cellulose ne requièrent pas des conditions de mise en réserve aussi rigoureuses que celles que préconisent ces études. Mais les principes qui sous-tendent les recommandations contenues dans ces travaux peuvent servir de lignes directrices pour la mise en réserve de tous les objets qui contiennent du nitrate de cellulose.

Recommandations pour la mise en réserve

Méthode de rangement et ventilation

Bien que les objets contenant du nitrate de cellulose soient très inflammables, ils ne risquent guère d'exploser ou de s'enflammer spontanément s'ils sont mis en réserve dans des conditions appropriées à un musée, surtout s'ils ne sont pas dans le grave état de détérioration décrit ci-dessus. Ces objets se dégradent toutefois progressivement et inévitablement, à des degrés divers, par suite de l'émission de gaz acides, oxydants, nocifs et corrosifs. Pour éviter que ces gaz n'attaquent d'autres matériaux adjacents, en particulier les métaux et les matières organiques, tous les objets contenant du nitrate de cellulose devraient être mis en réserve dans des endroits bien aérés et à l'épreuve du feu.

Les objets en nitrate de cellulose ne devraient pas être placés dans des contenants fermés. On doit plutôt les ranger en les espaçant bien, de façon à ce que l'air puisse circuler librement, ce qui permettra l'évacuation des gaz de décomposition. L'air devrait être renouvelé au moins une fois par jour afin que les gaz ne puissent s'accumuler. L'air évacué ne doit pas circuler là où se trouvent d'autres parties de la collection.

Conditions ambiantes

La lumière, la chaleur et un taux d'humidité relative élevé accélèrent la dégradation du nitrate de cellulose. Les effets de ces facteurs de détérioration devraient être minimisés; pour ce faire, on doit veiller à ce que les conditions ambiantes dans les réserves soient appropriées. Les publications qui traitent de la conservation contiennent peu de conseils au sujet des objets en nitrate de cellulose, sauf en ce qui concerne les pellicules photographiques.

Il a été recommandé de maintenir une température de 10 °C et une humidité relative de 40 à 50% pour le stockage de quelques kilos de pellicules photographiques à base de nitrate de cellulose, et de veiller à ce qu'il y ait un espace suffisant pour chaque objet (Calhoun, ). Le nitrate de cellulose est plus stable si la température et l'humidité relative sont basses; ces conditions ambiantes ne conviennent toutefois pas aux émulsions photographiques, à moins que des précautions supplémentaires n'aient été prises (Haynes, ). S'il s'agit d'objets de musée, on devrait envisager la réfrigération ou la conservation en chambre froide à moins de 50% d'humidité relative. On peut utiliser à cette fin un réfrigérateur domestique, mais encore faut-il le choisir avec soin : en effet, certains réfrigérateurs sans givre produisent une humidité relative très élevée pendant le cycle frigorifique. Wilhelm () recommande que les objets soient soumis graduellement aux nouvelles conditions ambiantes quand on les déplace d'un milieu froid à un milieu plus chaud, ou vice versa. On doit chercher à éviter non seulement la condensation de la vapeur d'eau présente dans l'air mais les contraintes thermiques. La température ne doit jamais dépasser 30 °C. (Comme il en a été fait mention précédemment, il est arrivé que des pellicules cinématographiques très dégradées se soient enflammées spontanément à une température de 50 °C.)

Le nitrate de cellulose jaunit lorsqu'il est exposé à un rayonnement entre 360 nm et 400 nm (Parkins, ). Une fois déclenché, le processus continue, même à l'obscurité. La lumière de forte énergie (la lumière ultraviolette d'une longueur d'onde inférieure à 360 nm) a tendance à briser la chaîne du polymère cellulosique, réduisant ainsi la force des plastiques composés de nitrate de cellulose. Il s'ensuit que les revêtements se décolorent et se fendillent; les objets s'affaiblissent, se fragilisent et finissent par se craqueler, se fissurer ou se briser; les adhésifs deviennent inefficaces. Pour éviter de tels dommages, les objets en nitrate de cellulose ne devraient pas être exposés à la lumière solaire ni placés à proximité d'une source lumineuse trop vive. On devrait prendre soin de ces objets comme de ceux qui sont particulièrement vulnérables, par exemple les aquarelles, les tapisseries, etc., et veiller à ne pas les exposer à un niveau d'éclairage supérieur à 50 lux (Macleod, ).

Programme de surveillance

Il est extrêmement important de mettre sur pied un programme de surveillance pour la protection des objets en nitrate de cellulose mis en réserve. On devrait établir un calendrier où l'on note l'état des objets soumis à un examen périodique. Bien que le nitrate de cellulose soit très inflammable, on ne rapporte aucun cas d'incendie là où existe un tel programme. Des problèmes se sont posés uniquement dans des dépôts de pellicules cinématographiques et radiographiques où aucune surveillance n'était exercée. En se dégradant, le nitrate de cellulose présente des aspects divers, qui indiquent son état de détérioration. Les objets qui se dégradent doivent être traités immédiatement au moyen des méthodes décrites précédemment. La détérioration peut être ralentie mais elle ne saurait régresser. Si la dégradation est très avancée, la perte de l'objet est inévitable (S'assurer que l'objet est bien documenté.). Aux derniers stades de la dégradation, l'objet constitue un tel danger pour le reste de la collection qu'il vaut mieux alors s'en défaire. De toute façon, quand un objet a atteint ce stade de détérioration, il devient, à toutes fins pratiques, inutilisable dans un musée.

Prévention des incendies

Les objets en nitrate de cellulose sont beaucoup plus inflammables que la plupart des autres objets de musée; on devrait donc veiller à les mettre en réserve dans des endroits à l'épreuve du feu tout en ayant recours à des mesures tendant à réduire les risques d'incendies. étant donné que le nitrate de cellulose présente les mêmes risques d'incendie que d'autres substances très inflammables comme l'essence et les solvants, on doit prendre des précautions identiques pour la mise en réserve et la manipulation de ce produit. Lorsqu'il est peu dégradé, le nitrate de cellulose n'est pas plus susceptible de s'enflammer que ces autres substances.

Conclusion

Le nitrate de cellulose est très inflammable; par conséquent, il ne doit jamais être à proximité d'une source de chaleur, d'une étincelle ou d'une flamme nue. Ce n'est toutefois pas tant à cause de leur tendance à s'enflammer spontanément ou à exploser que les objets en nitrate de cellulose constituent un danger dans les musées, mais plutôt à cause des propriétés corrosives, acides et oxydantes des gaz qu'ils dégagent en se dégradant. Les objets en nitrate de cellulose devraient donc être tenus à l'écart du reste de la collection.

Tout programme de mise en réserve ou d'exposition devrait avoir pour but de réduire l'intensité lumineuse et le temps d'exposition, la température et l'humidité relative, car tous ces facteurs accélèrent la dégradation. On devrait veiller à ce qu'il y ait une bonne ventilation, de façon à ce que les gaz produits par la dégradation soient évacués.

Il importe aussi de mettre sur pied un programme de surveillance afin de pouvoir noter les changements d'aspect des objets et d'évaluer ainsi la progression de la décomposition et l'augmentation parallèle des risques. Si la décomposition est à un stade très avancé, l'objet est à toutes fins pratiques inutilisable. Il faut le retirer de la collection et s'en défaire (ou lui accorder un soin tout particulier dans un lieu à l'écart, qui lui est spécialement réservé). (S'assurer d'avoir bien documenté l'objet).

Si l'on observe ces recommandations, il devrait être possible de mettre en réserve et d'exposer des objets en nitrate de cellulose sans avoir à craindre qu'ils ne causent des dommages au reste de la collection par suite de leur détérioration ni qu'ils provoquent un incendie catastrophique. Il n'est pas nécessaire de mettre au rebut ou de détruire systématiquement des objets simplement parce qu'ils contiennent du nitrate de cellulose.

Bibliographie

  1. Calhoun, J.M. « Storage of Nitrate Amateur Still-Camera Film Negatives », Journal of the Biological Photographic Association, vol. 21, 3, , p. 1-13.

  2. Cummings, James W., Hutton, Alvin C. et Howard Silfin. « Spontaneous Ignition of Decomposing Nitrate Film », Journal of the Society of Motion Picture and Television Engineers, vol. 54, , p. 268-274.

  3. Dubois, J.H. Plastics, Chicago, American Technical Society, , p. 63.

  4. Hager, Michael. « Saving the Image : the Deterioration of Nitrate Negatives », Image, vol. 26, 4, , p. 1-18.

  5. Haynes, Ric. « A Temporary Storage Method to Retard the Deterioration of Cellulose Nitrate Flat Film Negative », Preprints of papers presented at the ninth annual meeting, Philadelphia, Pennsylvania, , Washington, The American Institute for Conservation of Historic and Artistic Works, p. 75-81.

  6. Johnson, Meryl. « Nitrocellulose as a Conservation Hazard », Preprints of papers presented at the fourth annual meeting, Dearborn, Michigan, , Washington, The American Institute for Conservation of Historic and Artistic Works, , p. 66-75.

  7. Koob, Stephen P. « The Instability of Cellulose Nitrate Adhesives », The Conservator, 6, , p. 31-34.

  8. Macleod, K.J. L'éclairage des musées, Bulletin technique 2, Ottawa, Institut canadien de conservation, réimpr., , p. 10.

  9. Parkins, John A. « Behaviour of Cellulose Nitrate and Finishes in Light », Paint and Varnish Production, , p. 42-44.

  10. Roff, W.J., Scott, J.R. et J. Pacitti. Handbook of Common Polymers: Fibres, Films, Plastics and Rubber, Londres, Butterworths and Co., , p. 163.

  11. Selwitz, Charles M. « Cellulose Nitrate in Conservation », Research in Conservation, vol. 2, Martina Del Rey, The Getty Conservation Institute, .

  12. Shashoua, Y., Bradley, S.M. et V.D. Daniels. « Degradation of Cellulose Nitrate Adhesive », Studies in Conservation, vol. 37, , p. 113-119.

  13. Wilhelm, Henry. « Storing Color Materials: Frost-free Refrigerators Offer a Low-cost Solution », Industrial Photography, vol. 27, 10, , p. 32-33 et p. 55-60.

  14. Institut canadien de conservation. Test ponctuel à la diphénylamine pour déceler la présence de nitrate de cellulose dans les objets de musée, Notes de l'ICC, 17/2, Ottawa, Institut canadien de conservation, .


Par R. Scott Williams, Laboratoire de recherche analytique

Texte également publié en version anglaise.
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© Gouvernement du Canada,
Nº de cat. NM 95-57/ 15-3-1988F
ISSN : 1191-7237


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