Mâts totémiques exposés à l'intérieur – Notes de l'Institut canadien de conservation (ICC) 6/7

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Introduction

En raison d'une résurgence de la sculpture de mâts totémiquesNote en fin de texte 1, de nombreux musées ont fait l'acquisition de ces oeuvres et doivent apprendre à les préserver. Dans cette Note, on examine les procédures de manipulation et d'entretien appropriées concernant les mâts totémiques exposés à l'intérieur. Même si l'information vise principalement les mâts récemment construits, elle s'applique également aux mâts plus anciens qui sont déménagés dans un immeuble pour la première fois. Pour des conseils sur l'exposition de mâts totémiques à l'extérieur, consulter le 6/8 des Notes de l'ICC : Mâts totémiques exposés à l'extérieur.

Les mâts totémiques véritables sont sculptés dans du thuya géant (Thuja plicata), un bois tendre, aromatique, à fil droit et de faible densité qui est exceptionnellement durable en raison des fongicides et insecticides puissants que renferme l'enveloppe externe de son bois de coeur. Le thuya géant convient parfaitementà la sculpture de mâts totémiques : il est très gros et facile à sculpter lorsqu'il est encore humide ou « vert » et, en outre, on le trouve facilement près des communautés qui fabriquent des mâts totémiques. Malheureusement, il est aussi extrêmement tendre et se fend facilement le long du fil – toutefois cette dernière caractéristique peut s'avérer utile lorsqu'il faut enlever un grand volume de bois pendant la sculpture.

Gerces

Les mâts totémiques gercent toujours (c.-à-d. qu'ils se fissurent ou se fendillent) dans une certaine mesure pendant ou après la sculpture en raison de changements dans la teneur en eau du bois pendant le séchage. Au moment où le thuya géant est abattu, il peut contenir plus de 50 % de son poids en eau.À mesure que le bois sèche, il perd la plus grande partie de cette eau, son volume diminue, le diamètre du mât totémique est réduit et des fissures apparaissent à la surface. Sur des mâts totémiques de pleine grandeur, il est normal de trouver des gerces pouvant atteindre jusqu'à 2 cm de largeur. En règle générale, celles ci n'affaiblissent pas le mât et, jusqu'à un certain point, elles ne sont pas perçues comme un aspect défigurant. On ne doit ni les boucher avec une substance ni tenter d'entraver le mouvement naturel du bois.

En raison des variations constantes dans leur teneur en eau, les mâts totémiques sont susceptibles de gercer au cours de toute leur vie. Si la teneur en eau du bois peut atteindre un équilibre à une température et à une humidité relative (HR) données (par exemple : teneur en eau de 9 % à 20 °C et à 50 % d'HR), l'équilibre sera briséà la suite de tout changement d'HR ou de température de l'air ambiant. Le changement de volume qui s'ensuit peut alors provoquer de nouvelles gerces.

Acclimatation

Au moment où l'on apporte des mâts totémiques à l'intérieur, on les expose soudainement à un environnement qui est probablement beaucoup plus sec que celui auquel ils s'étaient habitués. Cette baisse soudaine de l'HR peut causer une perte rapide d'humidité dans le bois, laquelle peut provoquer de nombreuses gerces. En acclimatant graduellement le mât à son nouvel environnement (c.-à-d. en diminuant progressivement l'HR), il est possible de ralentir le processus de séchage au point où la teneur en eau à la surface demeure aussi près que possible de celle du coeur. Les contraintes provoquées par le séchage sont ainsi réduites. Le ralentissement du séchage permet en outre d'atténuer les contraintes créées.Si l'acclimatation n'élimine pas la fissuration, elle permet néanmoins de la réduire au minimum.

La première étape du processus d'acclimatation consiste à déterminer la quantité d'eau que contient le mât au moment de son transfert à l'intérieur. Pour ce faire, on utilise un humidimètre sans sonde, placé près de la moelle du bois, ou encore un résistivohmmètre. Lorsque l'on évalue la teneur en eau, les mesures maximales sont notées aux endroits les plus éloignés de la surface, particulièrement aux filaments de l'extrémité, s'il y a eu un contact avec le sol.

En général, si la teneur maximale en eau ne dépasse pas 12 %, l'effort à consacrer au séchage contrôlé sera minime. Si, par contre, la teneur en eau est supérieure à 12 %, le séchage contrôlé peut s'avérer nécessaire pour réduire au minimum la fissuration. Si la teneur en eau dépasse 20 %, le séchage contrôlé est recommandé.

L'étape suivante consiste à déterminer si une mesure de relaxation des contraintes est prévue. Comme la face sculptée d'un mât totémique comporte un volume de bois moindre et une plus grande surface permettant l'évaporation d'eau, elle sèche plus vite que la face arrière lisse. L'écart dans la teneur en eau entre l'avant et l'arrière du mât totémique produit une contrainte qui, en l'absence d'une mesure de relaxation quelconque, entraînera la fissuration de l'avant du mât. Parmi les mesures de relaxation des contraintes possibles, il y a notamment l'évidement du mât, ou une entaille au dos de la surface jusqu'à la moelle.

La plupart des sculpteurs de la côte du nord-ouest évident l'arrière de leurs mâts. D'autres, respectueux de leurs traditions culturelles, n'évident pas le mât et en acceptent simplement les conséquences visuelles qui en résultent. D'autres encore pratiquent une entaille longitudinale à l'arrière du mât (un « trait de scie »), jusqu'à proximité de la moelle, ce qui permet au bois de s'ouvrir à l'arrière en séchant. Sur les mâts pour lesquels aucune mesure de relaxation des contraintes n'a été prévue au moment de leur fabrication, il serait sage de faire une telle entaille à l'arrière. Toutefois, si l'artiste qui a sculpté le mât est toujours en vie, il est impératif d'obtenir sa permission au préalable.

Les mâts totémiques pour lesquels une mesure de relaxation des contraintes a été prévue sécheront probablement sans que des fissures importantes ne viennent en défigurer la face. Il n'est donc pas nécessaire de contrôler le processus de séchage dans ces cas. Toutefois, si ces mâts sont munis de renforts à l'arrière (tels que des fixations en acier ou en bois), il est important de s'assurer que ces renforts n'empêcheront pas la contraction naturelle du bois au cours du séchage. Il peut être nécessaire de desserrer ces fixations. Pour prévenir une fissuration généralisée dans le cas des mâts pour lesquels aucune mesure de relaxation n'a été ou ne peut être prise, il faut procéder à un séchage contrôlé jusqu'à ce que la teneur en eau ait atteint 12 %.

Le processus de séchage contrôlé doit s'effectuer dans un endroit protégé de toute fuite d'eau éventuelle, et à l'abri de la lumière directe du soleil.

Soutenir le mât à l'horizontale à l'aide de supports placés à environ 2 à 3 m d'écart et à au moins 15 cm (6 po) du sol, et construire une enceinte ou une tente d'humidification hermétique autour du mât. Pour ce faire, on peut monter un cadre – en pièces de bois de 2 sur 4 po – sur lequel on déposera une pellicule de polyéthylène d'une épaisseur de 6 mil (0,15 mm).L'enceinte doit entourer le mât jusqu'au sol et être suffisamment grande pour qu'une personne puisse faire le tour du mât et inspecter toutes ses faces. Ne pas envelopper le mât d'une pellicule de plastique, car cela peut favoriser la croissance de moisissures à la surface du mât et provoquer des taches. Dès que l'enceinte est achevée, installer suffisamment d'humidificateurs pour élever l'HR à un taux correspondant à la teneur maximale en eau du mâtNote en fin de texte 2, jusqu'à concurrence de 65 % (une teneur supérieure peut favoriser la croissance de moisissures). Des humidificateurs portables conviennent bien à cet usage, mais il peut être nécessaire d'y ajouter de l'eau quotidiennement. À mesure que le mât totémique sèche et que sa teneur en eau diminue, on peut réduire l'HR de l'enceinte en conséquence. Il s'agit d'un processus plutôt lent, qui peut durer de nombreux mois. Par exemple, pour réduire à 10 % la teneur en eau d'un mât en thuya ayant un mètre de diamètre (39 po) et une teneur en eau de 40 %, il faudra compter environ 18 mois de séchage. Pour en savoir davantage sur ce processus, communiquer avec l'Institut canadien de conservation.

Enceinte appropriée pour un séchage contrôlé pour le mât totémique.
Figure 1. Exemple d'enceinte appropriée pour un séchage contrôlé. Le polyéthylène est drapé sur le cadre de bois pour former une tente qui entoure le mât complètement. On a pratiqué une ouverture pour la porte que l'on peut refermer avec du ruban adhésif.

Manipulation

Comme les mâts totémiques sont fragiles, on doit toujours les manipuler avec soin. Les mâts secs peuvent paraître plus lourds qu'ils ne le sont réellement, et même les grands mâts peuvent souvent être déplacés sur de courtes distances par un petit groupe de personnes. Toutefois, si un mât est trop lourd pour être ainsi déplacé, il faut utiliser un système mécanique.

Si l'utilisation d'un appareil de levage ou d'une grue est requise pour soulever un mât, il faut protéger le mât à l'aide d'élingues plates tissées garnies de couvertures pliées ou d'une bonne épaisseur de mousse plastique (on recommande la mousse de polyéthylène). Si on utilise une corde, un câble ou une chaîne comme élingue, il faut protéger le mât à l'aide de couvertures ou de mousse, et recouvrir ensuite le mât d'un matériau dense et résistant tel que des sections de pneus ou des lattes de bois. S'il faut utiliser un chariot élévateur à fourche pour soulever le mât horizontalement, insérer une feuille épaisse de contreplaqué garnie de couvertures ou de mousse plastique entre le mât et les fourches.

Support

Avant de tenter de dresser un mât totémiqueà l'intérieur d'un immeuble, il est impératif de s'assurer que le plancher peut supporter le poids concentré du mât ainsi placé. Pour ce faire, estimer le poids du mât et consulter un architecte ou un technicien en mécanique du bâtiment. On peut estimer le poids d'un mât totémique en le percevant comme un cylindre et en appliquant une géométrie simple : compter 350 kg pour chaque mètre cube de bois et multiplier par πr2h (où r = le rayon du mât et h = sa hauteur). Un mât d'une hauteur de 10 m pèse généralement environ 1 000 kg – un poids considérable concentré sur une petite surface. Comme la capacité portante d'un plancher est supérieure près des murs et des colonnes, le meilleur endroit où placer des mâts totémiques est probablement le long des côtés d'une salle.

Certains mâts, particulièrement ceux qui sont vieux, ou qui ont des éléments mobiles ou de la pourriture, peuvent avoir besoin d'être soutenus d'une façon ou d'une autre pour reconstituer et consolider l'ensemble de leur structure avant de pouvoir les dresser. La conception d'un tel support est tributaire de l'état du mât.

Tout mât totémique a besoin d'une structure de soutien à la base pour le maintenir en position verticale. La conception du support dépend des caractéristiques particulières du mât et de l'immeuble. Un support qui repose sur une grande surface au sol comporte deux avantages : primo, la charge au mètre carré est inférieure à celle qu'exerce un support qui repose sur une petite surface, et secundo, il y a plusieurs endroits où arrimer le support au sol, ce qui permet de rectifier la position verticale du mât. Les structures de soutien sont généralement faites en acier, et il faut demander conseil à un restaurateur pour la fixation du mât au soutien. Pour ce qui est des grands mâts, dont une installation non sécuritaire pourrait constituer un danger pour le public, il faut demander à un ingénieur civil d'approuver la conception du soutien et de sa fixation à l'immeuble.

Pour dresser des mâts totémiques mesurant plus de 7 m, il faudra probablement utiliser une grue. Il y a plusieurs façons de réaliser cette tâche, mais il faut la laisser aux soins de professionnels qui ont de l'expérience du soulèvement d'objets lourds, par exemple des opérateurs de grue. Si le mât est doté d'un soutien fait en acier, attacher les câbles de levage de la grue au soutien, assurant ainsi un lien sécuritaire, sans risque d'endommager le mât. Si le mât n'a aucun point d'ancrage en acier, il sera nécessaire d'utiliser une sangle de nylon serrée autour du mât pour le soulever. L'utilisation de matelassure, décrite ci-dessus, permettra de protéger le mât. Cette opération doit être menée avec prudence pour éviter tout dommage inutile au mât. En effet, un grand nombre d'anciens mâts ont subi des défigurations profondes et permanentes à cause de l'utilisation de câbles de levage serrés très fort pour les dresser.

La notion de verticalité constitue, essentiellement, une décision d'ordre artistique. Comme les mâts totémiques sont sculptés dans des troncs d'arbres, ils sont généralement un peu courbés et tordus. Avant de procéder au positionnement définitif d'un mât, il est préférable de l'observer depuis l'autre côté de la salle ou depuis un endroit aussi éloigné que possible.

Dès qu'ils sont bien fixés en position verticale, les mâts totémiques ne nécessitent aucun soutien ou fixation supplémentaire.

Exposition et sécurité

Tout enfant qui s'approche d'un mât totémique doit être surveillé. Les jeunes enfants aiment souvent grimper dans les mâts et les enfants plus âgés aiment les photographier. Ces deux activités peuvent entraîner des accidents ou des dommages. Si un mât dont l'arrière a été évidé est placé contre un mur, s'assurer que l'espace entre le mât et le mur ne permet pas à un enfant d'y pénétrer. Installer une barrière autour des mâts totémiques pour décourager les visiteurs d'y monter ou de les toucher, car tout contact fréquent des doigts laissera une légère couche d'huile qui tachera les surfaces non peintes et donnera un aspect lustré aux surfaces recouvertes d'une peinture mate.

Peu de musées sont assez grands pour permettre aux visiteurs de photographier facilement un mât dans sa totalité. Au moment de choisir l'endroit d'exposition, se rappeler que les visiteurs qui tentent de photographier des mâts totémiques peuvent provoquer de la congestion. En outre, placer les autres objets exposés à une distance suffisamment grande des mâts pour que les visiteurs qui les prennent en photo ne risquent pas de s'y heurter.

Entretien

Dès qu'ils sont acclimatés à l'environnement intérieur, les mâts totémiques requièrent peu d'entretien.

Éviter les variations importantes d'HR (supérieure à ± 10 %). Si l'HR dans le musée varie de façon importante, il est préférable de régler l'environnement plutôt que de protéger le mât par d'autres moyens.

Épousseter les mâts le moins souvent possible: une fois par année suffit. Le personnel d'entretien ne doit pas épousseter les mâts pendant leur ronde quotidienne, parce que les parties inférieures des mâts deviendront rapidement polies ou usées par le frottement.

Mâts miniatures

Certains mâts, sculptés spécifiquement en vue d'une exposition à l'intérieur, sont de pleine grandeur. Il y en a bien d'autres, par contre, qui sont de petite taille. Les mâts miniatures sont plus faciles à déplacer, à soutenir et à protéger. De plus, comme ils sont de moindre volume et ont probablement été sculptés à l'intérieur, ils seront mieux protégés contre les changements atmosphériques qui peuvent survenir pendant l'expédition, et leur période d'acclimatation sera plus courte.

Bibliographie

  • FOREST PRODUCTS LABORATORY (U.S.). The Encyclopedia of Wood: Wood as an Engineering Material, New York, Sterling Publishing Co., .

  • GRATTAN, D.W. « Permanent Probes for Measuring Moisture in Wood », APT Bulletin XXI, 3/4, , p. 71–78.

  • HOADLEY, R.B. Understanding Wood: A Craftsman's Guide to Wood Technology, Newtown (CT), Taunton Press, .


par Philip Ward
révision : David Grattan, Robert L. Barclay et James Hay

Date de la première publication :
révision :

Texte également publié en version anglaise.
Copies are also available in English.

© Ministre, Travaux publics et Services
Gouvernementaux Canada,
Nº de cat. : NM95-57/6-7-2010F
ISSN : 1191-7237
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