ARCHIVÉE - Chapitre 1 : La discipline et le système de justice militaire

1.1 La discipline

La discipline constitue la pierre angulaire d'une armée professionnelle; elle est essentielle à la réussite des opérations des FC. Elle est insufflée par l'instruction et le leadership, et elle est appuyée par la loi. Une bonne discipline permet de s'assurer que tous les membres des FC respectent la chaîne de commandement et suivent les ordres qui leur sont donnés, et ce, même dans des situations dangereuses. Elle permet également de s'assurer que la force utilisée par les militaires est correctement dirigée et coordonnée, et que ces derniers partagent et préservent tous un ensemble commun de valeurs institutionnelles et éthiques. Si une force militaire manque de discipline, ou si les questions disciplinaires ne sont pas abordées de façon appropriée, alors la capacité de ladite force à mener à terme ses missions au nom du gouvernement sera sérieusement compromise.

Les commandants des FC sont légalement responsables de l'exécution des tâches que le gouvernement leur confie par l'intermédiaire du Chef d'état-major de la Défense. Ces commandants doivent assurer la réussite des missions militaires, promouvoir le bien-être des membres des FC qui sont sous leur commandement ainsi que la discipline auprès de ceux-ci, et gérer adéquatement l'équipement et les ressources qui leur sont confiés à des fins de défense. Les membres des FC, quant à eux, sont légalement tenus d'exécuter promptement les ordres légitimes de leur commandant.

Pour remplir leurs rôles respectifs, les commandants et les membres subalternes des FC doivent comprendre et respecter le cadre juridique dans lequel ils évoluent, ainsi que la portée et l'importance des ordres légitimes. La réussite des missions militaires s'appuie sur une force bien formée et bien entraînée qui se conforme immédiatement aux directives légitimes et qui exécute ses tâches de manière efficace. La discipline joue un rôle essentiel à cet égard, car l'incapacité à suivre les règles ou les ordres légitimes peut être néfaste pour la réalisation de la mission et peut mettre la vie de membres des FC et d'autres personnes en danger.

Le maintien de la discipline exige que les militaires soient entraînés et tenus de respecter des normes élevées en matière de conduite et de rendement, et que la chaîne de commandement soit responsable du respect de ces normes par l'intermédiaire du leadership. Par conséquent, les FC offrent aux commandants à tous les niveaux une formation sur le leadership tout au long de leur carrière. Elles offrent également une formation générale sur la discipline et le système de justice militaire à tous les militaires de façon progressive, et ce, dès le début de leur carrière militaire. Ce type de formation fait en sorte que les membres des FC ont une compréhension commune de la nécessité de faire preuve de discipline, et met l'accent sur le fait que chaque membre des FC a un rôle à jouer dans le respect de celle-ci.

Bien que l'instruction et le leadership soient essentiels au maintien et au respect de la discipline, la chaîne de commandement doit également disposer d'un mécanisme juridique lui permettant d'enquêter et de prendre des sanctions à la suite de manquements à la discipline qui nécessitent une intervention officielle. Dans les FC, ce mécanisme s'appelle le système de justice militaire.

1.2 Le système de justice militaire

Le système de justice militaire est un système parallèle mais distinct de justice au sein du cadre juridique canadien. Bien qu'il soit semblable à bien des égards au système de justice pénale civil, il diffère tout de même de ce dernier. Il est expressément reconnu par la Charte canadienne des droits et libertés3 et assujetti à celle-ci, et il puise son autorité législative dans le Code de discipline militaire (CDM) qui figure à la partie III de la LDN.

La Cour suprême du Canada a, à plus d'une occasion, reconnu et confirmé la nécessité de mettre en place un système de justice militaire distinct afin de maintenir et de faire respecter la discipline.4 Une définition claire de l'opinion de la Cour sur ce point a été exprimée par le juge en chef Lamer en 1992 dans l'affaire R. c. Généreux :

« Le but d'un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes. La sécurité et le bien-être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d'une armée, composée de femmes et d'hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire. Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s'ensuit que les Forces armées ont leur propre code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire. En outre, des tribunaux militaires spéciaux, plutôt que les tribunaux ordinaires, se sont vu conférer le pouvoir de sanctionner les manquements au Code de discipline militaire. Le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. Il est donc nécessaire d'établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire ».5

Cet extrait aborde plusieurs thèmes fondamentaux de la justice militaire. Premièrement, en traitant rapidement et de façon équitable les « questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes », les commandants des FC améliorent l'efficacité opérationnelle des FC. Les troupes disciplinées sont bien entraînées, organisées et très motivées et répondent immédiatement aux directives, et les FC ne peuvent atteindre les objectifs opérationnels fixés par le gouvernement du Canada que lorsque ces conditions sont respectées. Si les militaires ne font pas preuve de discipline, on ne peut alors pas se fier à eux pour accomplir le mandat crucial qu'ils ont reçu au nom du gouvernement.

Si des membres des FC enfreignent les règles, mais qu'ils ne sont pas tenus de rendre compte de leurs actes, cela peut avoir des répercussions négatives sur le moral de l'unité, ce qui est étroitement lié à la discipline et à l'efficacité de celle-ci. La grande majorité des militaires, qui s'efforcent de faire preuve de discipline et qui partagent les mêmes valeurs institutionnelles, peuvent avoir l'impression que le système les laisse tomber lorsqu'aucune mesure disciplinaire n'est prise à l'endroit de leurs collègues qui ne respectent pas les règles. L'absence de mesure disciplinaire peut encourager ces derniers à continuer dans cette voie, et les problèmes disciplinaires peuvent s'aggraver. Enfin, les autres militaires de l'unité peuvent croire que la chaîne de commandement approuve ce type de comportement et décider d'enfreindre les règles à leur tour. Lorsque des militaires ne suivent pas les ordres, alors les tâches ne peuvent pas être réalisées de manière convenable et efficace, et cela met en péril la réussite de la mission militaire. Le manque de discipline entraîne encore plus de problèmes disciplinaires, rendant ainsi la situation encore plus difficile.

Deuxièmement, la Cour suprême du Canada fait remarquer ce qui suit : « Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. » Ainsi, la Cour reconnaît que les répercussions négatives du comportement d'un membre des FC qui ne respecte pas la loi (particulièrement dans le cadre d'une opération outre-mer) sont souvent bien pires que si un civil avait enfreint la même loi au Canada. Alors que le fait de dormir sur son lieu de travail ou d'ignorer les instructions de son superviseur pourrait avoir des répercussions négatives sur la carrière d'un civil, le même comportement chez un militaire pourrait entraîner des pertes de vie et l'échec de la mission. Le système de justice militaire permet aux commandants de régler ce type de questions sur place avant que les problèmes disciplinaires se multiplient ou que de graves préjudices se produisent.

Troisièmement, il y a la notion selon laquelle « [l]e recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. » Cet énoncé s'applique également aux infractions d'ordre militaire ayant un caractère purement militaire (comme les exemples précédents concernant le fait de dormir sur le lieu de travail ou de désobéir à un ordre légitime), ainsi qu'à des infractions d'ordre militaire en vertu du Code criminel ou d'autres lois fédérales poursuivies en vertu de l'article 130 de la LDN. Toutes ces infractions ont un effet particulièrement néfaste sur la discipline militaire et sont donc mieux traitées par les divers intervenants du système de justice militaire. Dans le cadre d'un procès sommaire, les officiers présidant un procès sommaire mettent à contribution leur connaissance approfondie des besoins d'une unité en matière de discipline alors que les procureurs militaires, les avocats militaires de la défense et les juges militaires peuvent porter des accusations, défendre une cause et juger des infractions d'ordre militaire avec une bonne compréhension du contexte militaire, aspect qui n'existe pas dans le système civil.

De possibles retards dans le cadre d'une procédure constituent également une préoccupation. Les répercussions négatives sur la discipline qui surviennent à la suite d'un incident seraient encore plus graves si les militaires n'étaient pas en mesure de mener une enquête, de porter des accusations et de juger un militaire pris en défaut en temps opportun. Cela pourrait se produire, par exemple, si l'accusé et les témoins étaient tous partis en mission à l'étranger et qu'il était, par conséquent, impossible d'avoir un recours direct devant les tribunaux civils ou un organisme chargé de l'application de la loi. Le fait de reporter la procédure jusqu'à la fin du déploiement pourrait avoir de graves répercussions sur le moral et la discipline au sein des troupes déployées alors que le rapatriement de membres des FC durant une opération afin qu'ils subissent leur procès devant un tribunal civil faisant partie d'un système judiciaire déjà débordé aurait une incidence néfaste sur la capacité des FC à atteindre les objectifs du Canada à l'échelle internationale.

Tout comme l'a indiqué la Cour suprême du Canada, le système de justice militaire permet d'atténuer ces préoccupations. Il s'agit d'un système distinct qui peut être mis en place n'importe où et qui est adapté aux besoins particuliers des militaires. Les commandants des FC sont formés à cet égard et détiennent le pouvoir nécessaire pour obliger le personnel militaire à exécuter les ordres. Ils disposent également de moyens juridiques qui leur permettent de prendre rapidement les mesures nécessaires à l'encontre des personnes qui refusent d'obtempérer, et ce, peu importe l'endroit où la présumée infraction a eu lieu. Dans la même veine, les juges militaires sont en mesure d'entendre une cause, peu importe où elle doit être entendue. Les lois et les règlements qui s'appliquent au système de justice militaire, qui se trouvent principalement dans la LDN et dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), sont le fondement juridique sur lequel s'appuient les commandants des FC afin d'assumer de façon équitable leurs responsabilités en matière de discipline. Les commandants font également l'objet d'une surveillance constante afin que les droits des membres des FC soient respectés.


Notes en bas de page

3 L'alinéa 11 (f) de la Charte prévoit que tout inculpé a le droit, « sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave ».

4 MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370 et R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259

5 R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259 à 293

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