ARCHIVÉE - Chapitre 3 : Le système de justice militaire canadien - 2012-13
Le système de justice militaire du Canada est un système de justice distinct et parallèle qui fait partie intégrante de la mosaïque juridique canadienne. Il partage de nombreux principes sous-jacents avec le système de justice pénale civile et est assujetti au même cadre constitutionnel, notamment à la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). En effet, le système de justice militaire est expressément reconnu dans la Charte. À plus d’une occasion, la Cour suprême du Canada a directement traité de la nécessité d’un système de justice militaire distinct, et elle a chaque fois confirmé la nécessité de ce type de système de justice dans les Forces armées canadiennes (FAC).5
Les objectifs du système de justice militaire diffèrent de ceux de sa contrepartie civile. En plus de veiller à ce que la justice soit administrée équitablement et à ce que la primauté du droit soit respectée, le système de justice militaire contribue au maintien de la discipline, de la bonne administration et du moral afin de promouvoir l’efficacité opérationnelle des FAC. Ce double objectif en matière de discipline et d’équité est à l’origine de multiples différences au niveau de la procédure et du droit positif. Ces distinctions différencient le système militaire du système civil.
La capacité des militaires du Canada à mener efficacement des opérations dépend de la capacité du commandement à inculquer et à maintenir la discipline. Bien que l’entraînement et le leadership soient essentiels au maintien de la discipline, la chaîne de commandement doit disposer d’un mécanisme juridique lorsqu’une intervention officielle, juste et rapide est nécessaire. Ce mécanisme doit permettre de mener une enquête et de prendre des sanctions advenant d’éventuels manquements à la discipline. Tel que constaté par la Cour suprême du Canada en 1992 dans l’affaire R. c. Généreux, « Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus sévèrement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. […] Il est donc nécessaire que des tribunaux distincts soient chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire
». Le système de justice militaire vise à répondre à ces besoins uniques qui ont été énoncés par la plus haute cour du Canada.
La structure du système de justice militaire
Le Code de discipline militaire et infractions d’ordre militaire
Le Code de discipline militaire (CDM), énoncé à la partie III de la Loi sur la Défense nationale (LDN), est la pierre angulaire du système de justice militaire au Canada. Il décrit les infractions d’ordre militaire et établit la compétence qui est essentielle au maintien de la discipline et de l’efficacité opérationnelle. Le CDM énonce aussi les peines, les pouvoirs d’arrestation, l’organisation et la procédure des tribunaux militaires, les appels et les révisions consécutives aux procès.
L’expression « infraction d’ordre militaire » s’entend d’une « infraction à la LDN, au Code criminel ou toute autre loi fédérale – passible de la discipline militaire
». Ainsi, les infractions d’ordre militaire comprennent de nombreuses infractions disciplinaires uniques à la profession des armes, telles que la désobéissance à un ordre légitime, l’absence sans permission, la conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline et de même que des infractions plus conventionnelles faisant partie du Code criminel et d’autres lois fédérales. La diversité des infractions d’ordre militaire prévue au CDM, permet au système de justice militaire de favoriser la discipline, l’efficacité et le moral, tout en assurant le maintien d’un système de justice équitable au sein des FAC.
Les membres de la Force régulière des FAC sont assujettis en tout temps au CDM peu importe où ils se trouvent, tandis que les membres de la Force de réserve y sont assujettis uniquement dans les circonstances précisées à la LDN. Les civils peuvent être assujettis au CDM dans certaines circonstances, notamment lorsqu’ils accompagnent une unité ou un autre élément des FAC lors d’une opération. Pendant la période visée par le rapport, une décision rendue en cour martiale a confirmé que les dispositions de la LDN concernant l’assujettissement des civils au CDM sont constitutionnelles et n’enfreignent pas les droits conférés par la Charte.6
L’enquête et le dépôt d’une accusation
S’il y a des raisons de croire qu’une infraction d’ordre militaire a été commise, une enquête visant à déterminer s’il existe des motifs suffisants pour porter une accusation, est effectuée. Si la plainte est grave ou de nature délicate, le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) l’examinera et fera enquête au besoin. Autrement, les enquêtes sont menées par la police militaire (PM) ou, si l’infraction alléguée est mineure, par du personnel de l’unité.
En vertu de la LDN, du Code criminel et des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), des autorisations et des pouvoirs sont impartis aux membres de la PM. Parmi les fonctions de la PM, mentionnons la conduite d’enquêtes et la rédaction de rapports sur les infractions criminelles et les infractions d’ordre militaire commises ou alléguées comme étant commises par des personnes assujetties au CDM. Afin de préserver et d’assurer l’intégrité de toutes les enquêtes, les membres de la PM conservent leur indépendance professionnelle et ne sont pas soumis à l’influence de la chaîne de commandement.
Si des accusations doivent être portées, un officier ou un militaire du rang ayant le pouvoir de porter des accusations, incluant le personnel du SNEFC, doit préalablement obtenir l’avis d’un avocat militaire du juge-avocat général (JAG). Cette exigence s’applique à l’égard d’une infraction ne pouvant être instruite sommairement, étant prétendument commise par un officier ou un militaire du rang d’un grade supérieur à celui de sergent où, si les accusations sont portées, elles donneraient le droit à l’accusé de choisir d’être jugé par une cour martiale. L’avis juridique doit porter sur la suffisance des éléments de preuve, la question de savoir si une accusation devrait ou non être portée dans les circonstances, et le choix de l’accusation appropriée lorsqu’il faut en porter une.
Les deux niveaux du système de justice militaire
Le système de justice militaire est une structure judiciaire à deux niveaux de tribunaux militaires : le procès sommaire et la cour martiale. Les ORFC énoncent les mesures à prendre relatives aux accusations devant ceux-ci.
Procès sommaires
Le procès sommaire est le tribunal militaire le plus communément utilisé. Durant la période visée, 1 210 procès sommaires ont eu lieu, ce qui représente plus de 95 % de toutes les instances militaires (voir l’annexe A pour une revue en détaillée des données statistiques). Le procès sommaire permet de traiter des infractions d’ordre militaire relativement mineures et d’instruire la cause promptement au niveau de l’unité.
Les procès sommaires sont présidés par des membres de la chaîne de commandement. Le JAG les entraîne à l’exercice de leur responsabilité dans l’administration du CDM, et les certifie à titre d’officier président. Tout justiciable accusé a le droit de recevoir l’aide d’un officier désigné par un commandant pour lui prêter main-forte lors de la préparation et la conduite du procès sommaire.
S’il est déterminé qu’un accusé peut être jugé par procès sommaire, ce dernier se verra offrir le choix d’être jugé par une cour martiale, sauf s’il est accusé de certaines infractions prescrites, dont les circonstances sont suffisamment mineures (e.g. acte d’insubordination, absence sans permission et ivresse), ou sauf il s’agit d’une infraction particulière pour laquelle il n’existe pas de compétence pour trancher par voie de procès sommaire. Avant d’exercer son droit, l’accusé pourra consulter un conseiller juridique du service d’avocats de la défense.
Pendant la période visée, lorsqu’ils en ont eu la possibilité, les accusés ont choisi d’être jugés par une cour martiale à 39 reprises sur un total de 415 dossiers (9,4%). Le nombre relativement peu élevé de personnes ayant choisi d’être jugées par une cour martiale concorde avec celui des années antérieures et indique la perception d’équité qui se dégage du système de procès sommaire.
La compétence liée à un procès sommaire est limitée par des facteurs tels que le grade de l’accusé, le type d’infraction sur lequel repose l’accusation, et le fait que l’accusé a opté ou non pour un procès en cour martiale. Dans les cas qui ne peuvent être jugé par procès sommaire, le dossier est déféré au directeur des poursuites militaires (DPM) qui déterminera des mesures à prendre relativement à l’accusation.
Le traitement des accusations par voie de procès sommaire a aussi un objectif de rapidité. En conséquence, l’officier qui préside ne peut juger une personne accusée par procès sommaire à moins que le procès ne commence dans l’année qui suit le jour où l’infraction d’ordre militaire alléguée aurait été commise.
Les procédures d’un procès sommaire sont explicites et les pouvoirs de punition limités. Cette restriction sur la sévérité des peines reflète la nature relativement mineure des infractions commises, et l’intention d’imposer des peines qui sont principalement de nature corrective.
La révision des procès sommaires
Tous les contrevenants reconnus coupables lors d’un procès sommaire peuvent demander et obtenir une révision des verdicts, de la peine imposée ou des deux. Les verdicts rendus et les peines imposées dans le cadre d’un procès sommaire peuvent également faire l’objet d’une révision sur l’initiative indépendante d’une autorité de révision. L’autorité de révision est un officier de grade supérieur dans la chaîne de commandement désigné en vertu des ORFC. Les autorités de révision agissant selon l’article 108.45 des ORFC doivent obtenir une opinion juridique avant de prendre une décision concernant les demandes de révision.
Les cours martiales
Une cour martiale, un tribunal militaire formel présidé par un juge militaire, a pour mandat de juger les infractions d’ordre militaire plus graves. Pendant la période visée par le rapport, 64 accusés ont été jugés en cour martiale, ce qui représente un peu moins de 5% des tribunaux militaires. Les cours martiales suivent des règles et une procédure semblables à celles des tribunaux pénaux civils et ont des droits, des pouvoirs et des privilèges identiques à ceux d’une cour supérieure de juridiction criminelle en ce qui a trait à « toutes [les] autres questions relevant de sa compétence
»7.
En cour martiale, la poursuite est menée par un avocat militaire désigné par le DPM. La personne accusée a le droit d’être représentée, sans frais, par un avocat de la défense désigné par la direction du service d’avocats de la défense ou par un avocat civil, à ses frais. L’accusé peut aussi choisir de ne pas être représenté par un avocat.
La LDN prévoit deux types de cour martiale : la cour martiale générale et la cour martiale permanente. La cour martiale générale est composée d’un juge militaire et d’un comité de cinq membres des FAC. Le comité des membres des FAC est choisi aléatoirement et est régi par des règles qui rehaussent le caractère particulier des comités militaires. Dans une cour martiale générale, le comité décide des faits alors que le juge militaire décide des questions juridiques et détermine la sentence. Les comités doivent en arriver à une décision unanime sur tout verdict de culpabilité. Dans une cour martiale permanente, le juge militaire siège seul, rend tout verdict nécessaire, et prononce la sentence dans le cas d’un verdict de culpabilité.
Faire appel de la décision d’une cour martiale
La personne assujettie au CDM ou le ministre de la Défense nationale (ou un avocat mandaté par le ministre) peut porter en appel des décisions à la Cour d’appel de la cour martiale (CACM). La CACM est un tribunal civil composé de juges de la Cour fédérale du Canada et de la Cour d’appel fédérale ainsi que des cours supérieures et des cours d’appel des provinces et des territoires.
Les décisions de la CACM peuvent être portées en appel devant la Cour suprême du Canada sur toute question de droit pour laquelle un juge de la CACM est dissident ou sur toute question de droit lorsque l’autorisation d’appel a été accordée par la Cour suprême du Canada.
Respect de la Loi sur les langues officielles
En juin 2012, le JAG s’est engagé auprès du chef du personnel militaire d’inclure dans le rapport annuel du JAG le cadre règlementaire qui garantit à l’accusé le droit d’être jugé dans la langue de son choix et de rendre compte des instances dans lesquelles le non-respect des exigences de la Loi sur les langues officielles (LLO) a eu une incidence.
La note A de l’article 108.16 des ORFC énonce qu’un accusé peut, conformément à la LLO, opter pour que son procès sommaire se déroule en français ou en anglais. On y énonce aussi que l’officier qui exerce sa compétence de juger sommairement doit être en mesure de comprendre la langue officielle du procès sans avoir recours à un interprète et, s’il détermine qu’il n’a pas la compétence linguistique requise, l’officier devrait renvoyer l’accusation à un autre officier qui a la compétence linguistique requise. En outre, l’article 107.07 des ORFC prescrit le format de procès-verbal de procédure disciplinaire dans lequel doit être consignée la langue officielle choisie par l’accusé.
Une disposition semblable existe pour la cour martiale. Aux termes de l’alinéa 111.02 (2)(b) des ORFC, les ordres de convocation d’une cour martiale doivent indiquer la langue du procès choisie par l’accusé.
Durant la période visée, on a rapporté un cas dans lequel un accusé a reçu la copie de l’ordre de convocation qui n’était pas dans la langue officielle de son choix. L’accusé a cependant été jugé en cour martiale dans la langue officielle de son choix.
Notes en bas de page
5 R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259 ; Mackay c. R., [1980] 2 R.C.S. 370 à 399.
6 R. c. Wehmeier (2012), CM 1005 et 1006. La décision a été portée en appel devant la Cour d’appel de la cour martiale.
7 Voir l’article 179 de la LDN.