Comprendre les blessures morales
Durant leur vie, et plus particulièrement pendant leur service militaire, les membres des Forces armées canadiennes (FAC) sont amenés à vivre des événements marquants. Ces événements et leurs répercussions varient d’une personne à l’autre et peuvent changer en fonction des circonstances de la vie d’une personne à un moment donné. Certaines professions dont l’objectif est de s’occuper de la santé, du bien-être et de la sécurité des gens comportent un risque plus élevé d’exposition à des événements qui pourraient causer des blessures morales. Bien que la documentation portant sur les blessures morales se soit beaucoup développée ces dernières années, le concept reste complexe et les experts ne s’entendent pas encore sur sa définition, ses causes et ses effets sur les gens, ni sur la possibilité de prédire qui y est vulnérable et pourquoi. Il n’est donc pas surprenant que plusieurs ne sachent pas encore ce que sont les blessures morales. Ce guide a été créé pour sensibiliser les membres des FAC aux concepts de stress, de détresse et de blessure de type moral et pour soutenir les individus, les chefs et l’organisation dans leurs efforts visant à atténuer les répercussions d’événements potentiellement préjudiciables sur le plan moral (EPPM) dans le lieu de travail.
Qu’est-ce qu’un événement potentiellement préjudiciable sur le plan moral?
Le sens moral provient d’une source interne généralement fondée sur les valeurs et les convictions profondes d’une personne, et constitue les règles fondamentales selon lesquelles une personne détermine ce qui est « bien » et ce qui est « mal ». Ces croyances sont façonnées par des facteurs personnels tels que l’éducation et l’expérience, le genre, la race, la sexualité et l’appartenance ethnique, entre autres. Nous nous appuyons souvent sur notre sens moral pour prendre des décisions, en particulier pour gérer nos comportements dans certains contextes ou situations difficiles.
Les EPPM sont des événements qui heurtent des valeurs et des croyances profondément ancrées et qui laissent souvent aux gens un profond sentiment de malaise ou l’impression que quelque chose ne va pas. Il est important de comprendre que les collègues et les chefs ne peuvent pas toujours prédire si un événement sera moralement blessant pour un individu, car cela dépend en grande partie des croyances, des valeurs et des expériences personnelles de cette personne.
Les EPPM entrent généralement dans l’une des trois catégories suivantes : actes de commission, actes d’omission ou actes de trahison. Il y a acte de commission lorsqu’une personne fait quelque chose qui va à l’encontre de ses valeurs et croyances profondes en matière de bien et de mal. Il y a acte d’omission lorsqu’une personne aurait dû faire quelque chose en accord avec ses valeurs mais ne l’a pas fait. Enfin, il y a acte de trahison lorsqu’une personne se sent trahie par d’autres, souvent une autorité supérieure, qui a fait ou n’a pas fait quelque chose ou qui a contraint quelqu’un à aller à l’encontre à ses valeurs.
Voici des exemples d’EPPM dans un contexte militaire : être témoin de la souffrance des autres, ne pas être en mesure de protéger les autres, observer l’exploitation de personnes vulnérables sans pouvoir agir, devoir choisir comment allouer des ressources limitées, et toute action entreprise par soi-même ou par des membres de l’équipe qui va à l’encontre de l’éthique ou de la morale. Chacune de ces situations peut causer du stress, de la détresse ou une blessure sur le plan moral.

Text : Figure 1 - Modèle de stress moral
De la même manière que les changements en matière de santé mentale peuvent être représentés le long d’un continuum, le stress moral change aussi avec le temps et l’intensité. À gauche du continuum se trouve le stress moral, qui est généralement de faible intensité et de relativement courte durée. La détresse morale est au milieu du continuum et dure généralement un peu plus longtemps et peut être plus intense. À l'extrême droite du continuum se trouve la blessure morale, qui peut être plus durable et beaucoup plus intense.
Qu’est-ce que le stress moral?
Le stress moral est une réaction normative lorsqu’on est confronté à des choix ou à des actions qui compromettent nos valeurs et nos croyances, ce qu’on appelle des défis moraux. Le stress moral est un phénomène courant qui, dans la plupart des cas, ne cause que des dommages ou des troubles mineurs.
Qu’est-ce que la détresse morale?
La détresse morale est une réaction négative au stress qui peut survenir à la suite d’un défi moral. Parmi les facteurs qui transforment le stress moral en détresse morale, il y a notre capacité à détecter un facteur de stress moral ainsi que l’intensité, la fréquence et la durée de l’EPPM. La détresse morale se manifeste par des sentiments de frustration ou d’impuissance à court terme, qui ont un effet modéré sur l’état de la personne. Cependant, la détresse morale, même modérée, peut nuire à la performance et à l’engagement organisationnel.
Qu’est-ce qu’une blessure morale?
Une blessure morale est une réaction de stress grave à un événement ou à une série de situations qui vont à l’encontre des croyances morales d’une personne. Les blessures morales se caractérisent par des sentiments durables de culpabilité, de honte, de dégoût, de colère, de mépris et de désespoir. Dans les cas les plus graves, elles peuvent causer des pensées suicidaires et des tentatives de suicide. Les blessures morales semblent nuire à notre capacité à faire confiance à autrui et augmentent le sentiment de désespoir. Un nombre restreint mais significatif de personnes qui subissent un facteur de stress moral ou un événement moralement préjudiciable souffrent de blessures morales.
Quels sont les signes potentiels d’une blessure morale?
Outre le déplacement de l’état de la personne vers la droite du continuum de la santé mentale, voici des émotions et des réactions qui peuvent indiquer la présence d’une blessure morale :
- des émotions intenses, telles que la culpabilité, la honte, la colère, le remords, le dégoût et la trahison
- des sentiments de dévalorisation, d’impuissance et de perte de pouvoir
- une diminution de la confiance envers soi et les autres
- des comportements autodestructeurs, tels qu’un manque de soins personnels, l’abus de substances et l’imprudence la remise en question permanente de croyances fondamentales au sujet de soi-même, des autres, du monde et de la spiritualité
- l’incapacité à acquérir de nouvelles croyances et une rumination permanente
- l’incapacité à gérer des émotions difficiles (honte, culpabilité, colère, mépris)
- l’incapacité à établir des liens avec les personnes, les lieux et les choses qui donnent un sens à notre vie

Text : Figure 2 - Tableau du modè du continuum de la santé mentale
En santé | En réaction | Blessé | Malade | |
---|---|---|---|---|
Bien-être émotionnel | J’ai fréquemment et régulièrement des émotions et des pensées positives | Je ressens moins d’émotions et de pensées positives | J’ai de la difficulté à ressentir des émotions et des pensées positives | Je ne ressens presque jamais d’émotions et de pensées positives |
Performance et capacité fonctionnelle | Ma capacité fonctionnelle est excellente | Ma capacité fonctionnelle est bonne | Ma capacité fonctionnelle est passable | Ma capacité fonctionnelle est mauvaise |
Sommeil | Je bénéficie généralement d’un bon sommeil en quantité suffisante | Je bénéficie souvent d’un bon sommeil en quantité suffisante | Je bénéficie rarement d’un bon sommeil en quantité suffisante | Je ne bénéficie jamais d’un bon sommeil en quantité suffisante |
Bien-être physique | Ma santé est excellente | Ma santé est bonne | Ma santé est passable | Ma santé est mauvaise |
Bien-être social | J’ai une vie sociale active | Je ressens une diminution de mes activités sociales | J’évite les activités sociales, je me replie sur moi-même | Je ne sors pas de chez moi, je ne réponds pas au téléphone |
Bien-être spirituel | Je pense fermement que la vie a un but et un sens; mes croyances et ma vision du monde sont solides | Je me demande si la vie a un but et un sens; mes croyances et ma vision du monde sont remises en question | Je pense que la vie n’a peut-être aucun but ni sens; mes croyances et ma vision du monde sont affaiblies | Je pense que la vie n’a aucun but ni sens; mes croyances et ma vision du monde sont démolies |
Dépendances | Pas ou peu de consommation d’alcool et/ou de drogues et/ou de jeux d’argent | Consommation régulière mais contrôlée d’alcool et/ou de drogues et/ou de jeux d’argent comme stratégie d’adaptation | Consommation accrue d’alcool et/ou de drogues et/ou de jeux d’argent, difficile à contrôler et entraînant des conséquences négatives | Consommation fréquente d’alcool et/ou de drogues et/ou de jeux d’argent; incapable de me contrôler, ce qui entraîne des conséquences graves |
Que peuvent faire les individus et les chefs pour se préparer à des événements potentiellement préjudiciables sur le plan moral et en atténuer les répercussions?
La prise de conscience de nos propres valeurs, la compréhension des valeurs des autres, la capacité à reconnaître les situations où nos valeurs peuvent être attaquées, le fait de détecter des dilemmes moraux et d’en discuter—tout cela peut contribuer à renforcer les compétences morales et à réduire potentiellement la détresse morale.
Voici quelques conseils qui peuvent vous aider :
- Prenez le temps de réfléchir à vos valeurs, croyances et principes. Posez-vous la question : Pourquoi est-ce que je fais cela? Qu’est-ce que cela signifie pour moi?
- Comprenez le contexte opérationnel et les règles d’engagement avant d’entreprendre une tâche donnée.
- Anticipez les défis potentiels et discutez-en avec les membres de votre équipe et vos chefs, et planifiez la façon dont vous ferez face à ces situations.
- Employez des stratégies de performance et de résilience, telles que les quatre grandes stratégies (établissement d’objectifs, respiration tactique, monologue interne, visualisation), pour gérer votre activation et réguler vos réactions émotionnelles.
- Veillez à adopter des stratégies de récupération active pour rester en bonne santé dans tous les domaines (physique, social, mental, émotionnel et spirituel).
- Veillez à dormir suffisamment car cela vous aidera à prendre des décisions.
- Développez un réseau de personnes qui peuvent vous aider et que vous pouvez aider.
- Ayez confiance en votre formation et votre expérience.
- Discutez des dilemmes et des conflits moraux à mesure qu’ils se présentent avec les membres de votre équipe et vos chefs. Reconnaissez les émotions difficiles.
- Si vous pensez souffrir de détresse ou de blessures morales, communiquer avec une prestataire de soins de santé. Cette personne est la mieux placée pour évaluer votre situation et veiller à ce que vous ayez accès aux ressources appropriées.
- Faites preuve de compassion et de gentillesse envers vous-même.

Text : Figure 3 - Dimensions de la récupération / du santé
Les activités de rétablissement se répartissent en cinq domaines.
Les activités de récupération physique sont celles qui réduisent l’activation et aident à régénérer les ressources internes. Les exemples incluent le sommeil, l’alimentation saine, les activités physiques, des étirements et des techniques de relaxation.
Les activités de rétablissement social améliorent le soutien social et le sentiment d’appartenance et de connectivité auprès des autres. Les exemples incluent passer du temps avec la famille/les amis, demander et donner du soutien, partir en vacances, se joindre un groupe/un club/une équipe.
Les activités de récupération émotionnelle remontent le moral ou aident à gérer les émotions. Les exemples incluent des activités qui amélioration l'humeur, l'acceptation, le monologue interne positif, les techniques de relaxation et la pleine conscience.
Les activités de récupération mentale nous stimulent intellectuellement en renforçant les ressources internes sans imposer de pression excessive. Les exemples incluent apprendre une nouvelle compétence, lire, se joindre à un cours, pratiquer des passe-temps qui stimulent l’esprit.
Les activités de rétablissement spirituel donnent à notre vie un but, un sens et une valeur. Les exemples incluent se connecter à ce qui est important, passer du temps dans la nature, des moments de paix/tranquillité, le culte/la prière, le bénévolat.
Qui peuvent faire les chefs pour atténuer les répercussions des blessures morales?
Les chefs influencent les autres par leurs qualités personnelles (qui ils sont) et leur comportement (ce qu’ils font), et leur position particulière leur permet d’influencer la façon dont les autres interprètent et comprennent les expériences stressantes (leur but et leur signification). Le soutien des chefs est essentiel et souvent la seule chose requise pour maintenir le moral, la motivation et le bien-être de l’unité pendant des périodes de stress physiologique et psychologique.
- Identifiez les situations moralement difficiles et comprenez l’effet qu’elles peuvent avoir sur la santé mentale et l’état de préparation des individus.
- Concentrez-vous sur les actions quotidiennes qui renforceront la cohésion et le moral de l’unité et favoriseront la confiance envers l’environnement de travail et les chefs.
- Dites ce que vous savez mais aussi ce que vous ne savez pas. La manière dont les chefs communiquent influence grandement la façon dont le personnel réagit aux événements.
- Prenez régulièrement des nouvelles des gens et permettez-leur de parler s’ils en ont besoin. Encouragez et facilitez le soutien social. Le sentiment d’être en contact avec d’autres personnes peut faire en sorte que les gens ne se sentent pas isolés et seuls.
- Donnez l’exemple en matière de comportement et créez un climat éthique cohérent.
- Animez des discussions sur les facteurs de stress moral et la prise de décision morale pendant la formation. Faites des mises en situation visant à explorer des réactions potentielles et à renforcer les compétences morales.
- Avant un déploiement ou une opération, analysez le contexte opérationnel et détectez les défis moraux potentiels de l’environnement. Planifiez des stratégies visant à s’adapter et à bien réagir à ces types d’événements et discutez-en.
- Concentrez-vous sur l’essentiel. Quand les gens prennent soin d’eux-mêmes physiquement, ils peuvent mieux gérer les situations stressantes. Encouragez-les à bien manger, offrez-leur des occasions de faire de l’activité physique et soulignez l’importance du sommeil. Le sommeil est un facteur essentiel de la prise de décisions éthiques, et les membres adoptent de meilleures habitudes de sommeil lorsque leurs chefs en soulignent l’importance.
- Prenez régulièrement le temps d’évaluer et de constater le niveau de stress de votre équipe, et rappelez-vous que chaque individu réagit différemment au stress.
- À la suite d’un EPPM, une intervention précoce peut faire la différence. Les chefs doiventprendre l’initiative d’avoir des conversations difficiles. Réagissez aux événements indésirables de la façon suivante : Reconnaissez qu’un événement important s’est produit. Informez les membres de l’équipe des réactions potentielles à l’événement et rappelez-leur quelles sont les stratégies d’adaptation saines. Prenez de leurs nouvelles dans les jours suivants.
- Tenez-vous au courant des ressources dont vous et votre équipe pouvez disposer et sachez comment les obtenir. Si vous pensez qu’un membre de votre équipe souffre de détresse ou de blessures morales, dirigez-le vers une prestataire de soins de santé.Cette personne est la mieux placée pour évaluer leur situation et veiller à ce qu’ils aient accès aux ressources appropriées.
La santé mentale des militaires. Vous n’êtes pas seul.
Si vous pensez souffrir de détresse ou de blessures morales, il existe des traitements et des ressources efficaces pour vous aider. Les Forces armées canadiennes offrent d’excellents soins médicaux et de santé mentale, basés sur des traitements fondés sur des preuves.
Santé mentale des militaires
https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/services/avantages-militaires/sante-mentale-militaires.html
Services d’aide aux militaires
https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/services/avantages-militaires/sante-soutien/services-aide-militaires-famille.html
1-800-268-7708 Vous pouvez avoir un entretien confidentiel 24 heures sur 24.
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https://sbmfc.ca/services-de-soutien/ligne-d%E2%80%99information-pour-les-familles
1-800-866-4546 La ligne est disponible 24 heures par jour, sept jours par semaine.
Les centres médicaux et dentaires des FAC
https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/services/avantages-militaires/sante-soutien/centres-medicaux-dentaires.html
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