Introduction

La Croix de Victoria symbolise le meilleur de la vaillance militaire. Nous découvrons l'histoire de cette médaille à travers le récit du sergent Ernest « Smokey » Smith.

Photo : Centre d’imagerie interarmées des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale

Des militaires en deuil attendent en file sur la Colline du Parlement, à Ottawa, pour rendre un dernier hommage à Ernest « Smokey » Smith, V.C., C.M., O.B.C., C.D., exposé en chapelle ardente le 9 août 2005. 1

La file s’étendait de la porte principale de l’édifice du Centre du Parlement, à Ottawa, jusqu’au-delà de l’entrée du Sénat, tout le long du sentier en pente et jusqu’à la moitié de l’édifice de l’Est. La plupart des gens qui la composaient portaient l’uniforme noir, vert ou bleu propre à l’une des trois armées des Forces canadiennes. On comptait aussi quelques civils ici et là. C’était le mardi 9 août 2005. Le ciel était clair, le soleil, haut dans le ciel, le temps, chaud. Des hommes et des femmes attendaient en file de rendre personnellement un ultime hommage à un héros, le dernier récipiendaire canadien de la Croix de Victoria à s’éteindre.

Le Sergent Ernest Alvia « Smokey » Smith, V.C., CM, O.B.C., CD, était mort en paix à son domicile de Vancouver, le 3 août, à l’âge de 91 ans. Après quelques cérémonies préliminaires tenues à Vancouver immédiatement après son décès, on a transporté par avion à Ottawa les vestiges de crémation du Sergent Smith, dans le but de les exposer en chapelle ardente dans le foyer de la Chambre des communes, à l’édifice du Centre du Parlement. Cet honneur n’avait été accordé auparavant qu’à une poignée d’éminents Canadiens – anciens gouverneurs généraux, premiers ministres ou députés – à la notable exception du Soldat inconnu en l’an 2000. Le Sergent Smith a eu droit à cet honneur tout à fait à propos, en cette Année de l’ancien combattant. Tandis que les porteurs transportaient le cercueil dans l’édifice, on a fait sonner la cloche de la Tour de la Paix 91 fois en tout. Dans l’ensemble de la capitale nationale et du Canada et sur les immeubles canadiens à l’étranger, les drapeaux ont été mis en berne. Le 9 août au matin, après la tenue d’une cérémonie privée regroupant dignitaires et hauts fonctionnaires, les portes principales du Parlement ont été ouvertes au public. Les nombreux militaires et civils en file ont lentement progressé vers l’intérieur, signant le livre de condoléances, remarquant la veille militaire établie et rendant hommage au défunt. L’un des reporters a signalé que certains des visiteurs souriaient, tandis que d’autres « saluaient ou inclinaient la tête en se recueillant silencieusement, tandis qu’ils se tenaient près du cercueil contenant les cendres du Sergent Smith ». (Traduction libre).

Quatre jours plus tard, soit le 13 août, d’imposantes funérailles militaires ont eu lieu à Vancouver. La cérémonie a commencé à 10 h au manège militaire du régiment Seaforth, où les restes du Sergent Smith faisaient l’objet d’une veille depuis le jour précédent. La procession, regroupant des centaines de militaires, hommes et femmes, a lentement défilé le long de la rue Burrard, empruntant le même trajet que les anciens combattants du Seaforth Highlanders of Canada – le régiment auquel appartenait le Sergent Smith pendant la guerre – avaient suivi à leur retour au Canada à l’automne de 1945. Des milliers de personnes en deuil debout dans les rues, sous le soleil ardent, regardaient passer le cercueil du Sergent Smith, drapé du drapeau national, posé sur un ancien affût de canon et encadré par des porteurs honoraires de la Marine, de l’Armée de terre et de la Force aérienne. Lorsque le cercueil a traversé le pont de la rue Burrard, quatre chasseurs CF18 ont effectué un survol, adoptant la formation en hommage aux disparus afin de signifier la « perte d’un camarade ». Une délégation d’anciens combattants s’est jointe au cortège funèbre alors qu’il s’approchait de sa destination finale.

Après un trajet de deux kilomètres, le cortège funèbre a atteint la St. Andrew’s Wesley United Church, où devait se dérouler le service funèbre. Huit porteurs, tous du régiment Seaforth, ont retiré le cercueil posé sur l’affût de canon et ont transporté les restes du Sergent Smith dans l’église. Les gens rassemblés à l’extérieur de l’église bondée, qui souhaitaient rendre hommage au défunt, ont commencé à applaudir. Les funérailles comportaient les éléments habituels, soit principalement des prières, des hymnes et des allocutions. Parallèlement, quelques pièces musicales jouées pendant le service funèbre, comme Way Down Yonder in New Orleans, l’une des préférées du Sergent Smith, rappelaient « le petit côté irrévérencieux bien connu de Smith ».

Les dernières volontés de Smokey Smith concernant son lieu de repos ont été accomplies le lendemain des funérailles. Il avait demandé que ses cendres soient dispersées au-dessus de l’océan Pacifique. L’« insigne honneur » d’exécuter cette tâche a été confiée à l’équipage du NCSM Ottawa, l’une des frégates canadiennes stationnées non loin de là, à Esquimalt. Le matin du 14 août, la famille immédiate de Smith, emportant les cendres de ce dernier, a pris place à bord de l’Ottawa pour le bref voyage. Un peu après 10 h 30, les restes de Smokey Smith ont été dispersés au-dessus des eaux au large de Point Atkinson, près de Howe Sound.

La voiture d’état-major allemande est le premier véhicule ennemi à traverser la ligne de barrages routiers et de mines antichars établie par le peloton de chasse aux chars du Seaforth. Le chauffeur de la petite Volkswagen s’est débrouillé pour éviter les mines et a réussi à traverser la ligne sans blessure. Cependant, il n’a pas vu le soldat du Seaforth armé d’un lance-bombes antichars d’infanterie (PIAT) lancer sa bombe à bout portant. Le chauffeur est coupé en deux et la voiture a roulé dans le fossé. Un officier supérieur allemand est sorti du véhicule démoli et semble commencer à hurler des ordres. Il ne fait pas long feu non plus.

Ce qui s’est ensuivi a confirmé l’utilité de la présence d’un peloton antichars au sein du Régiment. La nuit précédente, soit le 21 octobre 1944, le Seaforth Highlanders of Canada avait lancé une attaque sur la rivière Savio, le long de la côte Est de l’Italie. Le temps était exécrable : des pluies diluviennes faisaient monter le niveau de la rivière jusqu’à la taille. Le courant était fort, ce qui rendait la traversée difficile. Mais le pire effet se faisait sentir sur l’abrupte rive éloignée, qui était devenue extrêmement glissante. Néanmoins, les officiers et les hommes de troupe des compagnies « D » et « B », mouillés et couverts de boue, sont parvenus à traverser la rivière et à consolider leurs positions le long de la rive. Tandis que les deux compagnies progressaient, elles étaient harcelées par les tirs de mortier et de mitrailleuse.

Photo : Direction – Histoire et patrimoine, ministère de la Défense nationale

Photo du Sergent Smokey Smith, prise quelque temps après l’obtention de sa Croix de Victoria. 2

Les compagnies « A » et « C » sont alors allées de l’avant, ont dépassé les compagnies de tête et se sont enfoncées plus profondément en territoire ennemi. La compagnie « C » du Seaforth progressait à la droite, se déplaçant sur une route menant au village de Pieve Sestina, puis poussant un peu plus loin jusqu’à une église voisine. Le peloton de chasse aux chars, qui avait initialement traversé la rivière avec la compagnie « B », a été détaché et est allé de l’avant avec la compagnie « C ». Malheureusement, l’avance exposait les compagnies « A » et « C » à des attaques de tous côtés, car, après tout, elles avaient franchi la ligne de front allemande. Elles étaient entourées de toutes parts par des fantassins, des mitrailleurs, des chars et des canons automoteurs ennemis, sauf là où elles entretenaient des connexions ténues avec les compagnies « B » et « D ».

Tandis qu’elle s’approchait de l’église vers 4 h, la compagnie « C » a essuyé le feu ennemi. Pire encore, on entendait des blindés allemands se déplacer dans le secteur. Les soldats canadiens ont vite commencé à creuser. La compagnie « C » ne disposait pas de soutien antichars, les chars et les canons antichars canadiens étant toujours retenus à l’est de la rivière Savio. Le Sergent Keith Thompson, qui commandait le peloton de chasse aux chars, a déployé celui-ci et a fait ériger des barrages routiers. Les soldats, armés de PIAT, se sont cachés dans les tranchées le long de la route en vue de la très probable avance des blindés ennemis. Le Sergent Thompson a personnellement placé une série de mines antichars le long de la route et les a camouflées. Les Allemands sont bientôt sortis de derrière certains des immeubles situés près de l’église. La première victime a été la voiture d’état-major, mais les paroles de l’officier ennemi avaient été entendues, et un canon automoteur chenillé de 75 mm est bientôt apparu. Il a continué à avancer avec fracas vers les membres du Seaforth et leur barrage routier. Le Soldat K.W. Ballard a lancé une bombe dans sa direction avec son PIAT, mais celle-ci est passée au-dessus du canon automoteur. Heureusement, tandis que le monstre continuait de progresser, il a roulé sur l’une des mines antichars et a perdu une chenille, bloquant la route par la même occasion. Les membres du Seaforth ont poussé des hourras et l’un des soldats a jeté une grenade à main dans la tourelle du canon automoteur, tuant l’équipage.

Une voiture d’état-major détruite. Un canon automoteur immobilisé. Venait ensuite un Panther. C’était une tout autre histoire. Il ne s’agissait pas d’un véhicule non blindé ni d’une pièce d’artillerie munie d’un blindage mince. Le Panther était l’un des chars les plus meurtriers de l’arme blindée allemande. Il s’est avancé derrière le canon automoteur fumant et s’est arrêté. Les chasseurs de chars du Seaforth étaient prêts. Le Soldat Ernest Alvia « Smokey » Smith avait auparavant installé deux hommes et un PIAT dans une position de l’autre côté de la route, au cas où l’on aurait besoin d’eux. Avant l’arrivée du Panther, le Soldat Smith et le Soldat James Tennant ont retraversé la route et saisi un deuxième PIAT. Tandis que le Panther s’approchait de leur position, il a ouvert le feu au moyen de sa mitrailleuse MG-34. De plus, les fantassins allemands sur le char lançaient des grenades dans la direction des Canadiens. Le Soldat Tennant – on disait que Smith et lui s’entendaient comme larrons en foire – a été blessé à l’épaule et au bras par des éclats de shrapnel. Le Panther se trouvait maintenant à moins de 10 mètres de la position de Smith. Il a sauté hors du fossé, puis s’est recouché à terre, dans une position très exposée, afin de pouvoir viser le mieux possible avec son lanceur. Il a tiré. De nombreuses années plus tard, le Soldat Smith se rappellera qu’il avait à peine eu le temps de viser. Le Panther a fait encore quelques verges, puis il s’est arrêté. Gravement touché, il a commencé à tenter de s’éloigner de la position canadienne.

Le Panther n’était peut-être plus une menace, mais il semblait que le tir antichars n’avait pas d’effet sur les quelque 10 fantassins allemands qui avaient fait le trajet à l’arrière du char. Maintenant, ils sautaient à terre, armés de mitraillettes et de grenades en forme de pilons à pommes de terre, et ils chargeaient dans la direction du Soldat Smith. Totalement imperturbable, celui-ci a refusé de reculer et a plutôt avancé sur la route. Utilisant sa mitraillette Thompson, il a tiré sur les Allemands à bout portant, en tuant quatre et forçant les autres à reculer. Un autre véhicule blindé ennemi qui se trouvait à proximité a ouvert le feu dans la direction du Soldat Smith et l’infanterie allemande a commencé à se regrouper et à avancer de nouveau. Le Soldat Smith a maintenu sa position, rechargé son arme et protégé son camarade blessé jusqu’à ce que les Allemands capitulent et se retirent.

Encore une fois, un char ennemi a commencé à tirer en direction du Soldat Smith. Et, une fois de plus, ce dernier a fait fi de la menace et a emmené le Soldat Tennant, qui saignait alors abondamment, jusqu’à l’église avoisinante pour qu’il obtienne de l’aide du personnel médical du Bataillon. Le Soldat Smith est ensuite retourné à sa position défensive sur le bord de la route, au cas où l’ennemi récidiverait. Mais il n’y a eu aucune autre attaque. Le Soldat Smith venait d’accomplir des actions dignes de la Croix de Victoria.

Tandis que Smokey Smith se battait, d’autres chars allemands et canons automoteurs ont tenté d’attaquer le Seaforth en passant par l’autre côté de l’église. Eux aussi ont échoué, le peloton de chasse aux chars poursuivant le combat, détruisant deux des armes de l’ennemi et tuant de nombreux soldats. Les hommes du Sergent Thompson ont été magnifiques. Le Sergent Thompson a lui-même reçu plus tard une Médaille de conduite distinguée pour son « sang-froid et sa ténacité » ainsi que son ses qualités de dingeant. Les incendies causés par la destruction des chars et des canons ennemis ont bientôt éclairé le ciel. Des cadavres allemands jonchaient le sol. À 6 h, l’ennemi s’était retiré; cette partie de la bataille était terminée.

À première vue, la Croix de Victoria ne paraît pas impressionnante. Avec son fini mat et son simple ruban cramoisi, la médaille d’un brun foncé uniforme semble dérisoire à côté de décorations aux couleurs plus vives décernées par les régimes de distinctions honorifiques britannique ou canadien. Il serait malheureux, toutefois, d’en arriver à pareille conclusion. La Croix de Victoria doit la considération, voire la révérence, qu’elle inspire en partie à sa simplicité et à l’idée que la reconnaissance d’un acte de bravoure ultime, souvent fatal, n’exige pas un insigne compliqué ou ostentatoire. Un dessin simple, énergique et discret rend un plus grand hommage.

Plus de 1 300 Croix de Victoria ont été décernées à des marins, des soldats et des aviateurs de l’Empire britannique et, plus tard, des nations du Commonwealth, contribuant ainsi considérablement au patrimoine militaire de ces pays. En vérité, la décoration a une portée encore plus grande, car certains des récipiendaires étaient les fils d’autres nations qui s’étaient engagés dans un pays de l’Empire britannique ou du Commonwealth et avaient accompli un acte de bravoure insigne. Certains récipiendaires ont survécu à leur acte de bravoure et reçu leur décoration de leur vivant, ce qui ne fut pas le cas d’autres, dont les pierres tombales spécialement gravées se dressent dans les cimetières militaires du Commonwealth et d’autres partout dans le monde.

Dans certains endroits du Commonwealth, la Croix de Victoria reste la plus haute distinction décernée pour acte de bravoure face à l’ennemi. Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont tous adopté leur propre Croix de Victoria. Dans ces deux derniers pays, elle est identique à la décoration originale. La décoration canadienne est décernée pour « reconnaître des actes de bravoure ou d'abnégation insignes, ou le dévouement ultime au devoir, face à l'ennemi ». C’est cette dernière condition (« face à l’ennemi ») qui établit une distinction entre la Croix de Victoria et la Croix de la vaillance et qui en fait, respectivement et tout simplement, les deux plus hautes décorations visant à reconnaître les actes de courage civils et militaires.

Comme l’ont souligné l’exposition en chapelle ardente et les funérailles de « Smokey » Smith, la Croix de Victoria touche toujours profondément les Canadiens, même si plus de 60 ans se sont écoulés depuis la dernière fois où elle a été décernée à un militaire canadien. Dans les années 80 et 90, les débats sur sa place dans le Régime canadien de distinctions honorifiques ont conduit à la création, en 1993, de la version canadienne de la médaille. En 2006, des timbres et des pièces de monnaie soulignant le 150e anniversaire de la création de la distinction originale se sont ajoutés à la collection toujours croissante d’objets et d’ouvrages rappelant l’histoire de la Croix de Victoria et du Canada. Sa place au premier rang du Régime canadien de distinctions honorifiques est assurée.


Crédits photo

  • 1 Centre d’imagerie interarmées des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale
  • 2 Direction – Histoire et patrimoine, ministère de la Défense nationale

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