Page 11 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – benzène

Partie II. Science et considérations techniques - suite

10.0 Classification et évaluation

Le benzène a été classé dans le groupe 1 (cancérogène pour les humains) par Santé Canada (Environnement Canada et Santé et Bien-être social Canada, 1993), le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, 1987) et l'U.S. EPA (IRIS, 2003). Bien qu'on ait observé des effets autres que le cancer chez des animaux exposés au benzène par ingestion ou inhalation ainsi que chez des humains ayant subi une exposition professionnelle au benzène par inhalation, la cancérogénicité est considérée comme le facteur le plus important sur lequel doit s'appuyer une recommandation pour l'eau potable. Il est important de souligner que les animaux et les humains présentent des effets toxiques similaires après une exposition au benzène, quelle que soit la voie d'exposition (inhalation ou ingestion). Chez l'animal et l'humain, ce sont les organes hématopoïétiques qui sont les plus sensibles aux effets de l'exposition au benzène.

Dans la recommandation pour l'eau potable précédente, Santé Canada avait jugé que les études épidémiologiques étaient insuffisantes pour servir de base à l'estimation quantitative des risques de cancer associés à l'exposition au benzène (Santé Canada, 1986). La recommandation avait été formulée sur la base d'une étude de 2 ans chez le rat et la souris (NTP, 1986) et comportait une correction pour tenir compte de la surface corporelle de l'humain par rapport à celle des rongeurs. Elle employait un modèle robuste d'extrapolation linéaire, en considérant que la consommation type d'eau potable était de 1,5 L/jour. Au moyen de cette méthode, on avait estimé que la plage de risque unitaire à vie associée à l'ingestion de 1 µg/L de benzène dans l'eau potable allait de 6,1 × 10-7 (valeur basée sur le taux de leucémie et de lymphomes chez les souris femelles) à 6,7 × 10-6 (valeur basée sur le taux de carcinome épidermoïde de la cavité buccale chez les rats mâles).

En 2006, il n'existait encore aucune donnée concernant le risque de cancer chez l'humain par suite de l'ingestion de benzène. Le risque chez l'humain peut être extrapolé d'après les données concernant l'exposition professionnelle humaine par inhalation. Toutefois, comme Santé Canada ne dispose que de données sommaires pour estimer le risque unitaire de cancer associé à l'exposition au benzène et comme les effets hématologiques découlant de l'exposition au benzène sont semblables chez l'animal et chez l'humain, l'étude menée dans le cadre du programme NTP (1986) aux États-Unis est encore considérée comme la meilleure étude sur laquelle s'appuyer pour établir une CMA dans l'eau potable.

À l'aide d'un modèle linéarisé à degrés multiples et d'une échelle allométrique (pour corriger les différences de métabolisme entre l'animal et l'humain), on a estimé que la plage de risque unitaire à vie associée à l'ingestion d'eau potable contenant 1 µg de benzène/L allait de 2,03 × 10-6 à 4,17 × 10-6 (Santé Canada, 2005a). Le risque unitaire global associé à l'ingestion de benzène dans l'eau potable est exprimé comme une plage parce que l'exposition pendant toute la vie à cette substance a été liée à plus d'un type de cancer chez l'animal. Dans la plage de risque unitaire ci-dessus, la limite inférieure (sensibilité la plus faible) correspond au lymphome malin chez le rat femelle (2,03 × 10-6) et la limite supérieure (sensibilité la plus forte), à l'hyperplasie de la moelle hématopoïétique(4,17 × 10-6) chez le rat mâle. Ces valeurs de risque unitaire ont été établies en fonction d'une consommation d'eau potable chez l'humain de 3,5 Leq/jour afin de tenir compte de l'exposition par contact cutané et par inhalation, telle qu'estimée à l'aide des données de Krishnan (2004).

Depuis que la recommandation de 1986 a été formulée, de nombreux auteurs ont présenté des données probantes concernant le pouvoir leucémogène du benzène chez l'humain, données découlant d'études sur des travailleurs exposés au benzène par inhalation en milieu de travail. Les études de la cohorte Pliofilm de l'Ohio (Rinsky et coll., 1981, 1987; Crump et Allen, 1984; Paustenbach et coll., 1993; Paxton et coll., 1994) et de la cohorte de travailleurs chinois (Yin, et coll., 1987, 1994, 1996; Dosemeci et coll., 1994, 1996) se sont révélées des études valables pour l'évaluation du pouvoir cancérogène du benzène chez l'humain après une exposition professionnelle par inhalation. Lorsqu'elle a établi ses objectifs de santé publique pour le benzène dans l'eau potable, la California Environmental Protection Agency (CalEPA) a réanalysé les données portant sur la cohorte Pliofilm de l'Ohio et la cohorte de travailleurs chinois (OEHHA, 2001). Pour la cohorte Pliofilm, des données inédites ont été obtenues, ce qui a permis une analyse de sensibilité exhaustive portant sur plusieurs questions non résolues relevées dans la littérature, dont le choix de la matrice d'exposition, la date de début de la détermination des personnes-années à risque, les sous-groupes de travailleurs ainsi que le choix du modèle et des niveaux de fond de l'incidence pour le calcul du risque à vie. La CalEPA n'a pas été en mesure d'obtenir un ensemble complet de données pour la cohorte de travailleurs chinois. Par conséquent, il a fallu utiliser les données sommaires groupées publiées par les auteurs de l'étude originale (Hayes et coll., 1997) et il a donc été impossible d'effectuer une analyse complète.

Après une évaluation détaillée de l'analyse réalisée par la CalEPA, Santé Canada a reconnu le bien-fondé de son approche équilibrée et de son examen approfondi des questions non résolues susmentionnées. Étant donné que Santé Canada ne dispose que de données sommaires pour une réévaluation des deux études de cohortes, qu'aucune donnée de suivi n'a été obtenue depuis l'évaluation effectuée par la CalEPA et que de nombreux auteurs dans le monde ont procédé à des analyses exhaustives de ces deux cohortes, le Ministère a conclu qu'une autre étude utilisant pratiquement la même approche serait inutile. Le seul changement qu'il conviendrait d'apporter à l'analyse de la CalEPA serait d'utiliser les taux de mortalité canadiens (au lieu des taux américains ou californiens) pour calculer le risque de cancer à vie. Vu la similitude prévisible entre les taux canadiens, américains et californiens d'incidence de la leucémie et de mortalité par cette maladie, ce changement ne devrait entraîner que des modifications mineures des estimations du risque à vie (Santé Canada, 2005b).

En s'appuyant sur les estimations effectuées par la CalEPA du risque unitaire de leucémie associé à l'ingestion de benzène, qui ont extrapolées d'après les données relatives à l'inhalation obtenues avec la cohorte Pliofilm et celle des travailleurs chinois, Santé Canada a estimé que le risque à vie associé à l'ingestion de 1 µg/L de benzène dans l'eau potable s'établissait à 4,8 × 10-6 (IC à 95 %), d'après la cohorte Pliofilm, et à 6,3 × 10-6 (IC à 95 %), d'après la cohorte de travailleurs chinois. Encore une fois, ces estimations du risque à vie se situent dans la plage de risque considérée comme « essentiellement négligeable » et sont comparables aux estimations du risque unitaire à vie basées sur les données chez l'animal. Lors de l'estimation du risque unitaire à vie, on a établi à 3,5 Leq/jour la consommation type d'eau potable chez l'humain (pour tenir compte de l'exposition par inhalation et par contact cutané). Pour convertir le risque unitaire associé à l'inhalation en risque unitaire associé à l'ingestion, on a utilisé un poids corporel type de 70 kg, une fréquence respiratoire de 20 m3/jour, un taux d'absorption par inhalation de 50 % et un facteur de conversion de 1 ppm égal à 3 190 µg/m3 d'air (OEHHA, 2001). Chez les humains, le principal cancer hématopoïétique induit par l'exposition au benzène est la leucémie aiguë non lymphoïde; chez les rongeurs, des cas de leucémie lymphoïde ont été observés chez des souris (Snyder et coll., 1980; NTP, 1986; Cronkite et coll., 1989). La différence dans l'induction de cancers hématopoïétiques chez la souris et l'humain n'est pas encore claire, mais elle peut être due à des différences dans l'hématopoïèse entre les deux espèces. Chez la souris, une plus forte proportion des cellules nucléées dans la moelle osseuse sont des lymphocytes (Parmley, 1988); la leucémie lymphoïde chez la souris pourrait donc simplement être attribuable au fait que les lymphocytes représentent une population de cellules cibles plus nombreuse pour les métabolites du benzène dans la moelle osseuse. D'autres recherches doivent être effectuées sur le mécanisme de développement du lymphome et de la leucémie chez l'animal et l'humain après des expositions au benzène.

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