Page 11 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le tétrachlorure de carbone

Partie II. Science et considérations techniques - suite

10.0 Classification et évaluation

Le tétrachlorure de carbone a été classé dans le groupe IIIC (Santé Canada, 1994), substances possiblement cancérogènes pour les humains, en raison des données insuffisantes sur sa cancérogénicité chez l'humain, mais des données suffisantes chez les animaux de laboratoire. Bien que la recommandation précédente de Santé Canada ait été basée sur la carcinogénèse, la cancérogénicité du tétrachlorure de carbone semble maintenant être secondaire aux effets hépatotoxiques dans les études animales, suggérant qu'un seuil pourrait exister. Cette classification est conforme à celles du Centre international de recherche sur le cancer, qui classe le produit dans le groupe 2B (CIRC, 1999), peut-être cancérogènes pour l'homme, en raison de données insuffisantes chez l'humain, mais de données suffisantes chez les animaux, et de l'Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis, qui le classe dans le groupe B2 (IRIS, 1991), probablement cancérogène pour les humains, en raison des données insuffisantes sur sa cancérogénicité chez les humains, mais des données suffisantes chez les animaux de laboratoire. Le U.S. Department of Health and Human Services a déterminé que le tétrachlorure de carbone peut raisonnablement être anticipé comme étant un carcinogène (ATSDR, 2005).

Dans les études épidémiologiques indiquant une association entre l'exposition au tétrachlorure de carbone et le cancer, il existait de nombreux facteurs de confusion, dont l'exposition à d'autres substances dans l'eau potable ou les milieux industriels, l'absence de groupes témoins adéquats et l'absence de signification statistique des effets. Ces études sont tétrachlorure de carbone et le cancer chez l'humain (PISSC, 1999).

Les études animales ont révélé une incidence accrue des tumeurs hépatiques chez le rat, la souris et le hamster après une exposition par voie orale ou par inhalation au tétrachlorure de carbone. Le PISSC (1999) a indiqué que plusieurs essais de génotoxicité ont été effectués avec le tétrachlorure de carbone. Sur la base des données disponibles, le tétrachlorure de carbone peut être considéré comme étant un composé non-génotoxique. Le tétrachlorure de carbone induit des hépatomes et des carcinomes hépatocellulaires chez les souris et les rats, toutefois, les doses induisant les tumeurs hépatiques sont plus élevées que celles induisant la toxicité cellulaire. Malgré les données relatives à la cancérogénicité du tétrachlorure de carbone chez l'animal, il existe de nombreuses lacunes relevées dans les études sur la cancérogénicité (e.g. voies d'exposition inappropriées, faible relation dose-réponse, mortalité excessive et taille insuffisante des échantillons). En conséquence, l'approche utilisant la DJT est considérée comme appropriée pour calculer la recommandation pour le tétrachlorure de carbone dans l'eau potable. De plus, la cancérogénicité du tétrachlorure de carbone semble découler de ses effets hépatotoxiques, ce qui laisse croire à l'existence d'un seuil. Selon certaines données, le mécanisme de cancérogénicité du tétrachlorure de carbone ferait intervenir à la fois des processus génotoxiques et des processus non génotoxiques. La capacité des métabolites réactifs du tétrachlorure de carbone et des produits de la peroxydation des lipides à se lier à l'ADN indique une génotoxicité possible. Cependant, les résultats de la plupart des études in vivo chez l'animal suggèrent que les effets génotoxiques pourraient découler de la cytotoxicité. Le tétrachlorure de carbone pourrait aussi provoquer le cancer par des mécanismes non génotoxiques impliquant l'hyperplasie régénératrice.

Comme il n'existe aucune étude de longue durée adéquate sur le tétrachlorure de carbone, l'étude sur l'exposition subchronique menée chez le rat par Bruckner et coll. (1986) a été choisie à titre d'étude la plus adéquate pour l'évaluation du risque. Les études sur l'exposition subchronique de rongeurs réalisées par Condie et coll. (1986), Hayes et coll. (1986) et Allis et coll. (1990) ont appuyé le choix de l'étude de Bruckner et coll. (1986), étant donné que des effets hépatotoxiques semblables ont été observés dans ces études à des doses similaires. Il faut souligner que, dans l'étude de Bruckner et coll. (1986), le tétrachlorure de carbone a été administré aux rats sous forme de bolus oral unique dans l'huile de maïs, ce qui ne correspond pas au scénario d'exposition typique chez l'humain.

Sanzgiri et coll. (1995) ont montré que le tétrachlorure de carbone était significativement plus hépatotoxique lorsqu'il était administré en un seul bolus oral plutôt qu'en infusion gastrique sur une période de 2 heures. De plus, Bruckner et coll. (1986) ont administré le tétrachlorure de carbone aux rats peu après le début de leur période lumineuse/inactive, ce qui depuis s'est révélé accroître la sensibilité aux effets hépatotoxiques du tétrachlorure de carbone. Ces effets sont probablement liés à l'apport alimentaire limité durant la période d'inactivité, le jeûne augmentant l'activité de la CYP2E1 et potentialisant l'hépatotoxicité du tétrachlorure de carbone (Bruckner et coll., 2002). Comme les données expérimentales laissent croire que le schéma posologique et la période de la journée utilisés par Bruckner et coll. (1986) ont pu avoir une influence sur la toxicité observée, la recommandation fondée sur cette étude utilise une approche conservatrice.

La DJT de tétrachlorure de carbone se calcule comme suit :

Figure 3. La formule pour la dose journalière tolérable
Figure 31
Figure 3 - Équivalent textuel

La dose journalière tolérable du tétrachlorure de carbone est égale à 0,00071 milligrammes par kilogramme de poids corporel par jour. Cette valeur a été calculée en divisant 0,71 milligrammes par kilogramme de poids corporel par jour par 1000.

Où :

  • 0,71 mg/kg p.c. par jour est la NOAEL ajustée; une NOAEL de 1 mg/kg pc par jour déterminée dans l'étude de Bruckner et coll. (1986) a été multipliée par 5/7 afin de corriger pour un horaire de dosage de 5 jours par semaine; et
  • 1 000 est le facteur d'incertitude (×10 pour la variabilité interespèces; ×10 pour la variabilité intraespèce; ×10 pour les lacunes majeures de la base de données, dont le manque d'études adéquates sur l'exposition chronique et de données concernant le mode d'action cancérogène chez les animaux).

En utilisant la DJT, nous avons établi comme suit la concentration maximale acceptable (CMA) pour le tétrachlorure de carbone dans l'eau potable :

Figure 4. La formule pour la concentration maximale acceptable
Figure 4
Figure 4 - Équivalent textuel

La concentration maximale acceptable pour le tétrachlorure de carbone est égale à 0,002 milligramme par litre (valeur arrondie). Cette valeur a été calculée en multipliant la dose journalière tolérable (précédemment calculée) 0,00071 milligrammes par kilogramme de poids corporel par jour par 70 kilogrammes, puis par 0,2. La valeur obtenue a par la suite été divisée par 4,3 litres équivalent par jour pour avoir la concentration maximale acceptable.

Où :

  • 0,000 71 mg/kg p.c. par jour est la DJT établie ci-dessus;
  • 70 kg est le poids corporel moyen de l'adulte;
  • 0,20 est le facteur d'attribution par défaut pour l'eau potable en l'absence de données d'exposition adéquates de tous les milieux d'exposition; et
  • 4,3 Leq/jour est le volume d'eau consommé chaque jour par un adulte, en tenant compte des voies d'exposition suivantes : 1,0 L-eq/jour par absorption dermale et 1,8 L-eq/jour par inhalation.

Une évaluation quantitative du risque de cancer a été effectuée par Santé Canada (2006b) afin d'estimer le risque unitaire associé avec les carcinomes et adénomes hépatocellulaires chez les rats et les souris à partir de deux études (Weisburger, 1977; Nagano et al., 1998). Les concentrations de tétrachlorure de carbone dans l'eau potable liés aux risques de 1 × 10−5 et 1 × 10−6 varient de 1,0 à 30,0 µg/L, et de 0,1 à 3,0 µg/L, respectivement. La confiance de Santé Canada en ces risques unitaires estimés est faible en raison de la qualité des études et du manque de correspondance des données de Nagano et al. (1998) au model statistique appliqué.

Ceci supporte d'autant plus le choix d'une approche basée sur une DJT comme la plus appropriée pour le développement de la CMA pour le tétrachlorure de carbone dans l'eau potable.

10.1 Considérations internationales

Le niveau de contaminant maximal (MCL) actuel de l'U.S. EPA pour le tétrachlorure de carbone est de 5 µg/L (U.S. EPA, 1998b) basé sur le potentiel cancérigène du tétrachlorure de carbone. L'approche de l'U.S. EPA est de calculer la moyenne géométrique de la limite supérieure des estimés de risques unitaires (3,7 × 10−6) à partir de données de quatre études animales, puis de choisir cette moyenne comme le risque unitaire correspondant à de l'eau potable contenant 1 µg/L. Une consommation d'eau de 2 L/jour et un poids corporel de 70 kg ont été utilisés pour dériver le facteur de pente de 1,3 × 10−1 (mg/kg-jour)−1 à partir du risque unitaire ci-haut (U.S. EPA, 1984, 1989).

L'OMS a établi une recommandation de 4,0 µg/L dans l'eau potable basée sur un NOAEL de 1 mg/kg à partir de Buckner et al. (1986) pour les effets hépatotoxiques chez les rats. La valeur de la recommandation est établie en utilisant un facteur d'attribution de 10% de la DJT à l'eau potable, un poids corporel de 60 kg pour un adulte et une consommation d'eau potable de 2 litres par jour. L'OMS a rapporté cette valeur comme étant plus faible que la plage de valeurs associées à la limite supérieure des excès de risques de cancer à vie de 10−4, 10−5 et 10−6 calculés par extrapolation linéaire (OMS, 2004a).

Le California EPA a développé un objectif de santé publique de 0,1 µg/L (ou 0,1 ppb) pour le tétrachlorure de carbone dans l'eau potable (OEHHA, 2000). Cet objectif est basé sur une augmentation de l'incidence de carcinomes hépatocellulaires chez les souris, un potentiel de cancer estimé de 1,8 × 10−1 (mg/kg-day)−1, ainsi qu'un excès de risque de cancer individuel de minimis théorique de 10−6. La norme actuelle pour le tétrachlorure dans l'eau potable en Californie est de 0,5 µg/L. Le California Department of Health Services (DHS) a adopté cette norme, référée comme étant le niveau de contaminant maximal (MCL) de l'état, en 1988.

La recommandation australienne pour le tétrachlorure de carbone dans l'eau potable est de 3 µg/L, basée sur un NOAEL de 1,2 mg/kg poids corporel par jour en raison de l'hépatotoxicité chez les souris. La valeur de recommandation est établie en utilisant un facteur d'attribution de 10% de la DJT à l'eau potable, un poids corporel de 70 kg pour un adulte et une consommation d'eau potable de 2 litres par jour (NHRMC, 2004).

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