Page 7 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – les trihalométhanes
5.0 Exposition
Bien qu'ayant fait l'objet de nombreuses études, les réactions chimiques entre le chlore et les matières organiques présentes dans l'eau demeurent complexes et mal comprises. Les facteurs importants qui interviennent comprennent la concentration de précurseurs organiques naturels, la concentration de chlore, la durée du contact, la température et le pH de l'eau , ainsi que la concentration en ions bromure. C'est pourquoi les concentrations mesurées de THM dans l'eau potable varient considérablement.
Les concentrations de chloroforme, THM le plus courant, sont en général plus élevées dans les eaux traitées provenant d'eau de surface que dans celles provenant d'eau souterraine, en raison de concentrations plus élevées de matières organiques dans les eaux de surface. L'importance de la formation du chloroforme varie selon les procédés de traitement de l'eau. Dans l'eau chlorée des usines de traitement et des réseaux de distribution, les concentrations de chloroforme sont environ deux fois plus élevées l'été que l'hiver parce que les concentrations de précurseurs organiques dans l'eau brute sont plus élevées par temps chaud et que le taux de formation de SPD augmente avec la température (LeBel et coll., 1997). Les concentrations peuvent augmenter à mesure que l'eau s'éloigne de l'usine de traitement dans le réseau de distribution, en raison de la présence continue de chlore résiduel. Les concentrations de chloroforme dans l'eau peuvent aussi augmenter encore dans les chauffe-eau domestiques. Il faut toutefois noter que le stockage dans le chauffe-eau augmente la concentration de chloroforme deux fois plus l'hiver que l'été, lorsqu'on a besoin d'une plus grande quantité d'eau chaude pour maintenir la température de la douche. Par conséquent, les concentrations de chloroforme dans l'eau chaude utilisée pour la douche demeurent relativement constantes au cours des deux saisons (Williams et coll., 1995; Benoit et coll., 1997).
On a mesuré les concentrations de THM dans des sources d'approvisionnement en eau potable dans de nombreux endroits au Canada (Sous-groupe des questions de qualité de l'eau, 2003). Huit provinces ont fourni des données sur les concentrations de THM de 1994 à 2000 dans un peu plus de 1 200 réseaux de distribution d'eau desservant un échantillon de plus de 15 millions de Canadiens. Les méthodes d'échantillonnage et d'analyse utilisées étaient variées, et n'étaient pas toujours bien décrites, mais on a en général prélevé des échantillons au milieu ou à l'extrémité des réseaux de distribution d'eau et utilisé comme méthodes d'analyse l'extraction liquide-liquide ou la chromatographie en phase gazeuse par purge et piégeage.
Si l'on se fonde sur les données reçues des huit provinces, la concentration moyenne de THM s'est établie à environ 66 µg/L dans les échantillons d'eau potable provenant de tous les réseaux de distribution. Les valeurs moyennes de certains réseaux étaient de l'ordre de 400 µg/L et d'autres présentaient des concentrations maximales ou de pointe de l'ordre de 800 µg/L. Dans les huit provinces, 282 réseaux de distribution d'eau (23 % des réseaux échantillonnés) représentant une population échantillon de 523 186 personnes (3,4 % de la population échantillon desservie) ont signalé que leur concentration moyenne de THM dépassait 100 µg/L, tandis que 506 (41 %) desservant une population échantillon de 2 509 000 personnes (16 %) ont signalé au moins un cas où les concentrations de THM dépassaient 100 µg/L (Sous-groupe des questions de qualité de l'eau, 2003).
Pendant la période allant de 1994 à 2000, les concentrations moyennes de chloroforme dans les réseaux étaient en général de moins de 50 µg/L, tandis que certaines valeurs maximales ou de pointe ont atteint 400 µg/L. Parmi les fournisseurs qui ont produit des données sur le chloroforme, 290 réseaux de distribution d'eau (26 %) desservant une population échantillon de 1 130 000 personnes (8 %) ont signalé des concentrations moyennes de chloroforme de plus de 75 µg/L, tandis que 425 réseaux (39 %) desservant 1 740 000 consommateurs (12 %) affichaient une concentration de pointe de plus de 75 µg/L dans leur eau potable au cours de la même période (Sous-groupe des questions de qualité de l'eau, 2003).
Les concentrations moyennes de BDCM et de DBCM dans les réseaux étaient en général de moins de 10 µg/L, mais certaines moyennes étaient supérieures. Dans plusieurs endroits, on a signalé des cas ponctuels de plus de 200 µg/L. Parmi les fournisseurs qui ont produit des données sur le BDCM, 87 réseaux de distribution d'eau (8 % des réseaux qui ont produit des données), représentant une population échantillon de 285 000 personnes (2 % de la population desservie), ont signalé des concentrations moyennes de BDCM de plus de 10 µg/L, tandis que 192 réseaux (18 %) desservant une population échantillon de 1 165 000 personnes (8 %) ont signalé au moins un cas où les concentrations de BDCM ont dépassé 10 µg/L (Sous-groupe des questions de qualité de l'eau, 2003).
Les concentrations moyennes de bromoforme étaient habituellement inférieures au seuil de détection, soit environ 0,5 µg/L, et les valeurs individuelles n'atteignaient pas 10 µg/L. Dans quelques réseaux, toutefois, les concentrations moyennes et maximales de bromoforme ont dépassé 30 µg/L au cours de la même période (Sous-groupe des questions de qualité de l'eau, 2003).
Les concentrations de THM dans l'eau potable étaient en général plus élevées dans les petites localités dont les systèmes de traitement étaient moins sophistiqués. Au cours de cette étude nationale portant sur la période de 1994 à 2000, on a constaté que dans les endroits qui comptaient moins de 1 000 habitants ou dont le nombre d'habitants n'était pas signalé, 274 réseaux présentaient des concentrations moyennes de THM de plus de 75 µg/L et que dans 45 cas, les concentrations moyennes de BDCM dépassaient 10 µg/L. Par ailleurs, dans les endroits comptant plus de 50 000 habitants (et où l'on s'attendrait à trouver des usines de traitement plus modernes), on a constaté que les concentrations moyennes de THM dépassaient 75 µg/L dans quatre réseaux seulement et qu'un seul présentait une concentration moyenne de BDCM de plus de 10 µg/L. Dans les agglomérations de plus de 10 000 habitants, les 118 réseaux desservant 11 036 000 personnes affichaient une concentration moyenne de THM de 37 µg/L - ce qui est beaucoup moins que la moyenne de 66 µg/L calculée pour tous les réseaux, sans égard à leur taille. Dans le cas des agglomérations de plus de 50 000 habitants, les 41 réseaux desservant 9 439 000 personnes affichaient une concentration moyenne de THM de quelque 27 µg/L (Sous-groupe des questions de qualité de l'eau, 2003).
On a évalué l'importance de l'exposition au chloroforme et au BDCM par inhalation et absorption cutanée de l'eau du robinet dans la douche et le bain. On a aussi calculé un facteur de modification pour chaque composé, exprimé en litres équivalents par jour (Leq/jour), en évaluant la contribution relative des expositions par inhalation et voie cutanée associées à la douche et au bain.
Krishnan (2003) a calculé des valeurs de Leq/jour dans le cas des expositions par inhalation et voie cutanée des adultes et des enfants (6, 10 et 14 ans) pendant la douche et le bain pris à l'eau du robinet contenant du chloroforme (5 µg/L) et du BDCM (5 µg/L)Note de bas de page 3. On a calculé les valeurs Leq/jour pour une douche de 10 minutes et un bain de 30 minutes en utilisant des données produites par un modèle pharmacocinétique physiologique (PBPK) portant sur la fraction absorbée (Corley et coll., 1990, 2000; Haddad et coll., 2001; Price et coll., 2003). Dans le cas des expositions par inhalation et voie cutanée, la « fraction absorbée » tenait compte de la dose absorbée à la suite de l'exposition, ainsi que de la portion exhalée au cours des 24 heures suivantes.
Les calculs effectués dans le cas du chloroforme et du BDCM ont tenu compte des différences entre produits chimiques dans le facteur eau-air (fondées sur les différences des constantes de la loi de Henry), de la fraction de la dose absorbée pendant les expositions par inhalation et voie cutanée, ainsi que du coefficient de perméabilité de la peau. On a supposé que pour toutes les sous-populations, l'absorption du chloroforme et du BDCM ingérés dans l'eau potable était complète (100 %). Les renseignements disponibles sur l'importance de l'extraction de ces THM dans le foie ont appuyé cette hypothèse (Corley et coll., 1990; DaSilva et coll., 1999).
Les valeurs Leq/jour dans le cas des expositions par inhalation et voie cutanée ont été plus élevées dans le scénario du bain de 30 minutes que dans celui de la douche de 10 minutes pour toutes les sous-populations, compte tenu de la durée plus longue de l'exposition. On a relevé les valeurs les plus élevées pour les adultes dans le scénario du bain de 30 minutes : 4,11 Leq/jour (1,5 L par ingestion, 1,7 L par inhalation, 0,91 L par voie cutanée) et 3,55 Leq/jour (1,5 L par ingestion, 0,67 L par inhalation, 1,38 L par voie cutanée) dans le cas du chloroforme et du BDCM respectivement. On considère que ces valeurs sont conservatrices puisque la plupart des Canadiens ne prennent pas un bain de 30 minutes tous les jours. Lorsqu'une personne passe plus de 10 minutes dans la douche ou est exposée au chloroforme ou au BDCM dans le contexte d'autres activités domestiques ou parce qu'elle passe plus de temps dans la salle de bains, les valeurs Leq/jour calculées ci-dessus (qui tiennent compte des expositions par inhalation et voie cutanée à la suite d'un bain de 30 minutes) seront probablement adéquates comme estimation.
Les données des États-Unis et du Canada ont suffi comme base de calcul pour estimer les concentrations minimale, intermédiaire et maximale de chloroforme dans 131 des 181 aliments pour lesquels on disposait d'un taux d'absorption journalière (c.-à-d. g/jour) par habitant. Les concentrations intermédiaires dépassaient 100 µg/kg dans le cas de 12 matières alimentaires (c.-à-d. beurre, margarine, matières grasses et huiles végétales, céréales pour bébé, pizza, poisson d'eau salée, poisson d'eau douce, craquelins, crêpes, veau, rôti de boeuf et fromage). Les concentrations les plus élevées de chloroforme sont souvent mesurées dans les produits laitiers (Environnement Canada et Santé Canada, 2001).
On a détecté des concentrations maximales de 2 200 µg/kg de chloroforme et de 3 µg/kg de BDCM dans les tissus adipeux de neuf espèces de poisson dans six zones de la côte norvégienne polluées principalement par les effluents d'usines de pâtes et papiers, mais aussi par les eaux de ruissellement de terres agricoles, les effluents d'usines de produits chimiques et d'autres industries. On a détecté la présence de bromoforme et de DBCM dans un seul échantillon, à des concentrations de 115 et de 9 µg/kg respectivement (Ofstad et coll., 1981). Aux États-Unis, on n'a trouvé aucune trace de chloroforme ni de BDCM dans des échantillons composés de viande, de poisson et de volaille (limites de dosage de 18 et 4,5 ng/g, respectivement) ou d'huile et de graisse (limites de dosage de 28 et 8,3 ng/g respectivement) provenant de 39 aliments différents (Entz et coll., 1982). Dans l'échantillon composé de produits laitiers, les concentrations de chloroforme et de BDCM s'établissaient à 17 et 1,2 µg/L, respectivement.
Au New Jersey, les concentrations de THM dans six boissons différentes, contenant ou non du cola (cinq échantillons de chacune), ont varié de 3,2 à 44,8 µg/L (Abdel-Rahman, 1982). Les concentrations moyennes de chloroforme et de BDCM dans des boissons américaines non précisées ont atteint 32 et 1,0 µg/L respectivement (Wallace et coll., 1984). De plus, les concentrations de chloroforme étaient environ 10 fois plus élevées dans les boissons gazeuses avec cola que dans celles qui n'en contenaient pas, même si la source d'eau potable était semblable (Abdel-Rahman, 1982; Entz et coll., 1982; Wallace et coll., 1984). Ces résultats pourraient être attribuables à la méthode d'extraction du cola ou à la présence de caramel dans ces boissons gazeuses. On a détecté du chloroforme dans 11 des 13 échantillons de boissons analysés à Ottawa, et sa concentration maximale a atteint 14,8 µg/kg dans une boisson aux fruits (Environnement Canada et Santé Canada, 2001).
Aux États-Unis, on a calculé les émissions provenant de quelque 5 000 substances dont un petit nombre émettent du chloroforme, habituellement en quantités négligeables. On a établi que les matières suivantes émettent du chloroforme (les concentrations médianes des émissions sont indiquées entre parenthèses) : encre et plume (10,0 µg/g), articles ménagers divers (4,85 µg/g), matériel de photographie (2,5 µg/g), caoutchouc (0,9 µg/g), matériel électrique (0,23 µg/g), lubrifiants (0,2 µg/g), adhésifs (0,15 µg/g), tissu (0,1 µg/g), pellicule photographique (0,1 µg/g), ruban adhésif (0,05 µg/g) et mousse (0,04 µg/g) (Environnement Canada et Santé Canada, 2001).
L'utilisation d'une piscine produit une exposition aux THM par inhalation et voie cutanée à cause principalement de la réaction entre le chlore et les matières organiques. Dans une piscine intérieure, les concentrations de chloroforme dans le plasma augmentent proportionnellement au niveau d'activité des baigneurs et sont reliées étroitement aux concentrations de chloroforme dans l'air et à la durée de la baignade (Aggazzotti et coll., 1990). Les nageurs de compétition peuvent en général être exposés à des concentrations plus élevées de chloroforme que les autres parce qu'ils respirent plus rapidement et sont exposés plus longtemps (Santé Canada, 1999).
Chez les baigneurs, l'exposition par inhalation semble beaucoup plus importante que par la voie cutanée. Levesque et coll. (1994) ont calculé que lorsque des baigneurs (dans une piscine intérieure) étaient exposés à des concentrations élevées de chloroforme dans l'eau de la piscine et dans l'air, l'absorption par inhalation et par voie cutanée produisait 78 % et 22 % de la charge corporelle respectivement. Des données limitées indiquent que l'absorption par voie cutanée peut être beaucoup plus importante chez les utilisateurs de cuves thermales, car l'eau de celles-ci est plus chaude (Wilson, 1995).
L'Organisation mondiale de la santé (OMS, 2005) a établi des estimations de l'exposition totale au chloroforme pour la population générale et de la contribution relative de l'eau potable à l'exposition totale. Dans cette estimation, on a établi à 0,3-1,1 µg/kg p.c. par jour l'absorption moyenne de chloroforme dans l'air intérieur. L'absorption moyenne de chloroforme (par inhalation et voie cutanée) dans la douche a été établie à 0,5 µg/kg p.c. par douche. Les résultats préliminaires d'une étude réalisée par Benoit et coll. (1998) sur quatre volontaires indiquent qu'une douche de 10 minutes à l'eau chaude traitée au moyen d'un désinfectant chloré équivaut annuellement, en moyenne, à la consommation journalière de 2,7 L d'eau froide provenant de la même source. L'absorption par voie cutanée représente en moyenne 30 % de l'absorption totale. L'absorption moyenne estimative de chloroforme découlant de l'ingestion d'eau potable, calculée sur la base d'une concentration moyenne inférieure à 20 µ/L, s'établit à moins de 0,7 µg/kg p.c. par jour pour la population générale. L'absorption de chloroforme provenant de denrées alimentaires est estimée à quelque 1 µg/kg p.c. par jour. On calcule que l'exposition par l'air extérieur est beaucoup moindre que celle qui provient d'autres sources. L'absorption moyenne totale est estimée à quelque 2-3 µg/kg p.c. par jour et elle peut atteindre 10 µg/kg p.c. par jour dans le cas de certaines personnes vivant dans des logements où l'eau du robinet contient des concentrations relativement élevées de chloroforme (OMS, 2005).
Comme indiqué plus haut, les piscines constituent une source supplémentaire d'exposition au chloroforme pour les baigneurs. La dose quotidienne de chloroforme produite par une baignade d'une heure (65 µg/kg p.c. par jour) dans les conditions que l'on trouve dans les piscines intérieures publiques est beaucoup plus élevée que toutes les expositions calculées ci-dessus (Levesque et coll., 1994).
Dans le rapport d'évaluation du chloroforme, inscrit dans la liste des substances prioritaires en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE) de 1999 (Environnement Canada et Santé Canada, 2001), on a établi, pour six groupes d'âge, des estimations déterministes de l'exposition au chloroforme fondées sur des données relatives aux concentrations de chloroforme dans l'air extérieur et intérieur réunies au cours d'études nationales effectués au Canada et sur des estimations des concentrations de chloroforme dans les aliments au Canada et aux États-Unis. Les estimations de l'absorption dans l'eau potable reposaient sur des données de surveillance des provinces et des territoires. On a aussi établi pour les adolescents, les adultes et les personnes âgées des estimations de l'absorption journalière moyenne de chloroforme par inhalation et voie cutanée au cours de la douche.
En résumé, l'inhalation d'air intérieur et l'ingestion d'eau du robinet constituent les principales sources d'exposition au chloroforme pour la population générale au Canada. L'air extérieur et les aliments contribuent beaucoup moins à l'exposition que l'air intérieur et l'eau du robinet (Environnement Canada et Santé Canada, 2001). La majeure partie du chloroforme présent dans l'air intérieur s'est volatilisée de l'eau potable (OMS, 2005). Une étude plus récente basée sur le modèle pharmacocinétique physiologique (Krishnan, 2003) a relevé les plus hautes valeurs d'exposition au chloroforme chez les adultes qui prennent un bain de 30 minutes par jour.
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