ARCHIVÉ - Maladies chroniques au Canada

 

Volume 30, no 3, juin 2010

Effets de la socialisation à la maison sur la prédisposition des jeunes au tabagisme : analyse secondaire de l’Enquête sur le tabagisme chez les jeunes au Canada 2004-2005

A. S. H. Schultz, Ph. D. (1); J. Nowatzki, M. Sc. (2); D. A. Dunn, M. Sc. I. (3); E.J. Griffith, Ph. D. (2, 4)

https://doi.org/10.24095/hpcdp.30.3.01f

Rattachement

  1. Faculté des sciences infirmières, Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba)

  2. Épidémiologie et registre du cancer, Action cancer Manitoba, Winnipeg (Manitoba)

  3. Études communautaires et sur la santé, Kwantlen Polytechnic University, White Rock (Colombie Britannique)

  4. Département des sciences de la santé communautaire, faculté de médecine, Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba)

Correspondance : Mme Annette Schultz, Helen Glass Centre for Nursing, Université du Manitoba, 89, Curry Place, Winnipeg (Manitoba) R3T 2N2; tél. : 204 258-1311; téléc. : 233-7214; courriel : Annette_Schultz@UManitoba.ca

Résumé

Objectifs : Déterminer les relations entre la prédisposition des plus jeunes au tabagisme et quatre variables relatives aux ménages associées à la socialisation au tabagisme : tabagisme chez les parents ainsi que chez les frères et sœurs, restrictions quant au tabagisme à la maison, et exposition au tabagisme à bord de véhicules.

Méthodes : On a effectué une analyse secondaire de l’Enquête sur le tabagisme chez lesjeunes au Canada 2004-2005 au moyen d’une régression logistique afin d’étudier les rapports entre la prédisposition des jeunes au tabagisme, le sexe, et quatre variables relatives aux ménages associées à la socialisation au tabagisme. La prédisposition au tabagisme a été définie par trois niveaux d’expérience et d’intention quant au tabagisme : non-fumeur non prédisposé, non-fumeur prédisposé et expérimentateur/fumeur. L’enquête nationale a été menée auprès de 29 243 élèves de la 5e à la 9e année provenant d’écoles publiques et privées échantillonnées de façon aléatoire dans dix provinces.

Résultats : Chez les non-fumeurs, la probabilité d’être prédisposé au tabagisme augmente avec le fait d’avoir un frère ou une sœur qui fume, l’absence d’une interdiction complète quant au tabagisme à la maison, et le fait d’avoir voyagé à bord d’un véhicule en compagnie d’un fumeur au cours de la semaine précédente, toutes les autres variables du modèle ayant été ajustées. Ces variables font aussi augmenter la probabilité d’être un expérimentateur/fumeur plutôt qu’un non-fumeur prédisposé. La catégorie de tabagisme des parents ne s’est pas révélée significative dans ces modèles.

Conclusion : Les messages de dénormalisation, transmis par la mise en application d’interdictions de fumer à la maison et à bord de véhicules, semblent aider les jeunes à rester déterminés à ne pas fumer et ce, quelle que soit la catégorie de tabagisme des parents.

Mots clés : jeunes, prédisposition au tabagisme, socialisation, interdiction de fumer à la maison, interdiction de fumer à bord de véhicules, tabagisme chez les frères et sœurs, ETJ 2004-2005.

Introduction

La prévention du tabagisme chez les jeunes demeure une priorité de santé publique 1a-6a. Les recherches portent généralement sur les facteurs associés à l’usage du tabac que les adolescents âgés de 14 ans et plus déclarent. Puisque la plupart des fumeurs adultes disent avoir fumé leur première cigarette avant l’âge de 14 ans3b, il est probable que l’idée de faire l’essai du tabagisme se forme avant cet âge. Selon une étude longitudinale réalisée par Pierce et ses collaborateurs, la prédisposition des jeunes à essayer de fumer fondée sur leur déclaration – et définie comme étant le degré de détermination à rester non-fumeur par rapport à la probabilité de prendre quelques bouffées d’une cigarette ou de fumer une cigarette entière à l’avenir – est fortement associée aux comportements futurs en matière de tabagisme6b. Il est donc important de se concentrer sur un groupe d’âge plus jeune pour examiner les facteurs associés aux intentions futures en matière de tabagisme et ceux associés aux comportements déjà survenus en matière de tabagisme.

L’Enquête sur le tabagisme chez le jeunes(ETJ) 2004-2005 repose sur des donnéesrecueillies auprès de 29 243 jeunes Canadiens de la 5e à la 9e année (âgés de 11 à 15 ans) 7a. On comptait peu de fumeurs réguliers (1,9 %) et d’expérimentateurs (13 %) parmi ces niveaux scolaires; sur les 85 % de jeunes non-fumeurs, 64 % étaient classés dans la catégorie des jeunes non prédisposés et 36 % étaient classés dans la catégorie des jeunes prédisposés de faire l’essai du tabagisme à l’avenir. L’étude des différences entre les non-fumeurs non prédisposés, les non-fumeurs prédisposés, et les expérimentateurs/fumeurs nous donne la possibilité d’explorer les facteurs associés aux intentions et aux comportements en matière de tabagisme.

Cette étude vise à explorer les liens entre la prédisposition des plus jeunes au tabagisme et les variables relatives aux ménages associées à la socialisation au tabagisme. Nous avons décidé de nous concentrer sur le milieu familial parce que les messages, les règles et le comportement anti-tabac des dispensateurs de soins sont particulièrement essentiels pendant la phase de développement au cours de laquelle la détermination des jeunes à rester non-fumeurs prend forme3c,6c.

En effet, le fait de vivre avec un parent ou un frère ou une sœur qui fume est associé avec l’adoption d’un comportement de fumeur chez les adolescents (âgés de 12 à 17 ans)4b,5b,8a-11. D’après Pierce et ses collaborateurs, le tabagisme chez les parents peut être l’un des facteurs qui façonnent les cartes mentales des enfants concernant l’acceptabilité du tabagisme6d. À ce titre, il est plausible que le tabagisme des membres de la famille façonne les attitudes des jeunes vis-à-vis le tabagisme avant qu’ils ne commencent à fumer.

Les règles établies par les dispensateurs de soins afin d’imposer des restrictions quant au tabagisme à la maison sont de plus en plus répandues12,13, ce qui s’explique peut-être par les données probantes indiquant que l’exposition à la fumée de tabac ambiante (FTA) a des effets négatifs sur la santé. Non seulement les mesures anti-tabac, comme l’interdiction de fumer à la maison, protègent-elles les jeunes contre la FTA, mais elles sont inversement corrélées aux taux de tabagisme chez les jeunes plus âgés et ce, même dans les foyers où l’un des parents fume6e,14,15. Les règles imposées à la maison semblent influer sur les décisions des jeunes pour ce qui est de faire l’essai du tabagisme8b,16a, et les jeunes vivant dans des ménages où il est entièrement interdit de fumer sont beaucoup moins susceptibles d’essayer de fumer un jour16b. Les interdictions de fumer à la maison sont donc un facteur important à prendre en considération lors de l’examen de la prédisposition des jeunes au tabagisme.

En plus d’exposer les jeunes à la FTA, l’exposition au tabagisme à bord de véhicules, tout comme l’exposition au tabagisme à la maison, peut transmettre le message que le tabagisme est acceptable. Par conséquent, les interdictions de fumer à bord de véhicules imposées par les parents constituent une autre stratégie anti-tabac qui pourrait influer sur les décisions des jeunes quant à l’usage du tabac. Cette stratégie peut être particulièrement utile auprès des enfants de moins de 15 ans, car ils sont les plus susceptibles d’être passagers à bord de véhicules conduits par leurs parents ou par des conducteurs que leurs parents connaissent. Nous n’avons relevé aucune étude explorant le rapport entre la prédisposition des jeunes au tabagisme et les règles parentales concernant le tabagisme à bord de véhicules ou l’exposition des jeunes à la fumée à bord de véhicules.

Étant donnée l’importance du milieu familial, sa relation avec la prédisposition des jeunes au tabagisme a été analysée ici au moyen des variables suivantes : tabagisme chez les parents (père/mère, tuteur ou autre dispensateur de soins), tabagisme chez les frères et sœurs, restrictions quant au tabagisme à la maison et exposition au tabagisme à bord de véhicules.

Méthodologie

Notre analyse secondaire de l’ETJ 2004-2005, une enquête nationale financée par Santé Canada qui sonde des élèves de la 5e à la 9e année, repose sur une régression logistique visant à une corrélation entre des variables relatives au milieu familial et la prédisposition des jeunes au tabagisme. Les données ayant servi au calcul des variables proviennent des fichiers publics de microdonnées de l’ETJ 2004-20057b.

Procédure d’échantillonnage

La méthodologie de l’ETJ repose sur un échantillonnage à deux étapes et englobe des écoles publiques et privées de dix provinces17a. La première étape a consisté à échantillonner des conseils scolaires au sein de chacune des provinces, à l’aide d’une stratification fondée sur les taux correspondants de tabagisme chez les adultes. Au cours de la seconde étape, les écoles ont été échantillonnées à partir des conseils scolaires sélectionnés. Un échantillon aléatoire d’écoles privées a également été sélectionné dans chacune des provinces. Dans les cas où un conseil scolaire ou une école refusait de  participer à l’étude, un conseil ou une école de remplacement a été choisi à partir d’une liste de substitution prédéterminée. Tous les élèves des écoles sélectionnées pouvaient participer à l’étude, sous réserve du consentement de leurs parents.

Mesures

Les variables indépendantes de notre analyse sont le sexe, le niveau scolaire et quatre variables relatives aux ménages associées à la socialisation au tabagisme : catégorie de tabagisme des parents, catégorie de tabagisme des frères et sœurs, restrictions quant au tabagisme à la maison et exposition au tabagisme à bord de véhicules. En ce qui concerne la catégorie de tabagisme des parents (mère, père, tuteur ou autre dispensateur de soins), nous avons classé les répondants comme étant membres d’une famille dont aucun des parents ne fume, dont un parent fume, ou dont les deux parents fument. Pour ce qui est de la catégorie de tabagisme des frères et sœurs, nous avons classé les répondants comme n’ayant aucun frère ou sœur qui fume ou ayant au moins un frère ou une sœur qui fume. Nous avons défini les restrictions quant au tabagisme à la maison en fonction des réponses à la question « Quelles sont les règles concernant le tabagisme chez toi? », les réponses possibles étant une interdiction complète (« Personne n’a le droit de fumer à l’intérieur de la maison »), certaines restrictions (« Seuls certains invités peuvent fumer dans la maison » ou « On peut fumer uniquement dans certaines zones de la maison ») et aucune restriction (« On peut fumer partout chez moi »). Nous avons déterminé l’exposition au tabagisme à bord de véhicule à partir des réponses à la question « Au cours des sept derniers jours, combien de jours as-tu voyagé à bord d’une voiture en compagnie d’une personne qui fumait des cigarettes? », les réponses possibles étant classées en deux catégories, aucun (« 0 jour ») et au moins un jour (« 1 ou 2 jours, « 3 ou 4 jours », « 5 ou 6 jours », ou « les 7 jours »).

La variable dépendante que nous avons utilisée dans le cadre de cette étude est la prédisposition des jeunes au tabagisme, définie par trois niveaux d’adoption du tabagisme chez les jeunes, à partir des réponses relatives à deux variables dérivées de l’ETJ concernant les intentions et les comportements en matière de tabagisme. Sa construction est fondée sur les travaux relatifs à l’adoption du tabagisme chez les jeunes effectués par Wakefield et ses collaborateurs qui ont utilisé les réponses ayant trait au comportement passé et actuel en matière de tabagisme et aux intentions concernant le comportement futur en matière de tabagisme16c. Dans notre étude, les « non-fumeurs non prédisposés » sont les jeunes n’ayant jamais essayé la cigarette et n’ayant pas l’intention de fumer dans le futur; les « non-fumeurs prédisposés » sont ceux n’ayant jamais essayé la cigarette mais manifestant une détermination faible concernant le non-tabagisme à l’avenir, ou ceux ayant déjà pris quelques bouffées d’une cigarette mais ayant la ferme intention de ne pas fumer dans le futur; enfin, les « expérimentateurs et fumeurs » sont les jeunes ayant déjà pris quelques bouffées d’une cigarette et manifestant une faible détermination concernant le non-tabagisme à l’avenir, ou ceux ayant déjà fumé au moins une cigarette entière, quelle que soit alors leur intention à fumer dans le futur.

Analyse statistique

Nous avons procédé à une analyse de régression logistique au moyen de la version 9.2 de Stata/SE pour Windows. Comme Wakefield et ses collaborateurs16d, nous avons effectué une analyse des seuils de changement qui permet aux variables indépendantes d’avoir des effets variés à différents niveaux seuils18. À ce titre, nous avons réalisé une régression logistique multivariée à chacun des seuils entre les différents niveaux ou degrés séquentiels de prédisposition au tabagisme. Cela ne signifie cependant pas que les jeunes franchiront les niveaux selon une séquence directe. La première régression a permis de comparer les non-fumeurs non prédisposés aux non-fumeurs prédisposés, et la deuxième, les non-fumeurs prédisposés aux expérimentateurs et aux fumeurs.

La pondération des participants individuels a compensé la stratégie d’échantillonnage complexe utilisée dans le cadre de la méthodologie de l’ETJ. Elle tient compte de la méthode de sélection des conseils, de la sélection des écoles et de la non-réponse des élèves. Les pondérations individuelles ont en outre été calibrées en fonction de la répartition selon la province, le sexe et le niveau scolaire. Nous avons généré un ensemble de poids bootstrap à attacher aux données17b.

Résultats

Au total, 29 243 élèves de la 5e à la 9e année ont participé à l’ETJ 2004-2005. Les taux de réponse globaux à cette enquête nationale sont les suivants : 78 % des conseils scolaires sélectionnés ont participé, 55 % des écoles sélectionnées ont participé et 58 % des jeunes admissibles fréquentant ces écoles ont répondu à l’enquête. L’échantillon comprenait un peu moins d’élèves de 9e année que des autres niveaux scolaires, la proportion de garçons et de filles ayant répondu à l’enquête était approximativement la même. La majo- rité des répondants ont indiqué que leurs parents ne fument pas, que leurs frères et sœurs ne fument pas, qu’il est complètement interdit de fumer à la maison, et qu’ils n’avaient pas été exposés au taba-gisme à bord de véhicules au cours des sept derniers jours. En ce qui concerne la prédisposition au tabagisme, 85 % des répondants ont déclaré être non-fumeurs, près des deux tiers d’entre eux étant des non-fumeurs non prédisposés, et un tiers des non-fumeurs prédisposés. Le tableau 1 présente les caractéristiques des répondants.

 

Tableau 1
Caractéristiques des répondants à l’Enquête sur le tabagisme chez les jeunes au Canada 2004-2005
  Répondants
N = 29 243
  n %
Niveau scolaire
5 5 881 20,1
6 6 657 22,8
7 5 894 20,2
8 5 864 20,1
9 4 947 16,9
Sexe
Garçons 13 911 47,6
Filles 15 332 52,4
Nombre de parents fumeurs
0 19 280 66,6
≥ 1 9 652 33,4
Nombre de frères et sœurs fumeurs  
0 25 717 88,5
≥ 1 3 331 11,5
Restrictions quant au tabagisme à la maison 
Interdiction complète 18 578 65,5
Certaines restrictions 6 551 23,1
Aucune restriction 3 223 11,4
Jours d’exposition au tabagisme à bord de véhicules au cours des 7 derniers jours
0 21 041 72,9
≥ 1 7 827 27,1
Phase de susceptibilité au tabagisme 
Non-fumeur non susceptiblea 15 855 54,2
Non-fumeur susceptibleb 9 036 30,9
Fumeur ou expérimentateurc 4 344 14,9

 

Abréviations : N, taille globale de l’échantillon; n, taille du sous-échantillon; %, pourcentage; ≥, égal ou supérieur à.

a Les non-fumeurs non susceptibles n’avaient jamais essayé la cigarette et n’avaient pas l’intention de fumer dans l’avenir.

b Les non-fumeurs susceptibles n’ont jamais essayé la cigarette mais manifestaient néanmoins de faibles intentions concernant le non-tabagisme dans l’avenir, ou avaient déjà pris quelques bouffées d’une cigarette et avaient la ferme intention de ne pas fumer dans l’avenir.

c Les expérimentateurs ont déjà fumé au moins une cigarette entière, ou avaient déjà pris quelques bouffées d’une cigarette et manifestaient de faibles intentions concernant le non-tabagisme dans l’avenir.

 

 

Régression logistique

Lors des analyses préliminaires, nous avons calculé les corrélations de Spearman pour chacune des paires de variables indépendantes. Nous avons relevé des corrélations positives statistiquement signifi-catives entre les quatre variablesrelatives aux ménages associées à la socialisation au tabagisme. En raison des corrélations élevées, nous avons cherché à vérifier l’existence une colinéarité entre les variables indépendantes. Les facteurs d’inflation de la variance de toutes les variables indépendantes envisagées pour le modèle étaient acceptables. Toutefois, l’inclusion des niveaux scolaires dans les analyses réduisant la stabilité globale du modèle en deçà des niveaux acceptables, nous n’avons pas inclus le niveau scolaire dans le modèle final. Le tableau 2 présente les corrélations de Spearman entre les variables indépendantes intégrées dans le modèle final.

 

Tableau 2
Corrélations de Spearman entre les variables indépendantes
Variables Sexe Tabagisme chez les parents Tabagisme chez les frères et sœurs Restrictions à la maison Jours d’exposition
au tabagisme à bord de véhicules
au cours des 7 derniers jours
Sexe        
Tabagisme chez les parents -0,02*      
Tabagisme chez les frères et sœurs -0,03** 0,20**    
Restrictions quant au tabagisme à la maison -0,0* 0,50** 0,15**  
Jours d’exposition au tabagisme à bord de véhicules au cours des 7 derniers jours -0,04** 0,56** 0,20** 0,41**

 

* p < 0,05

** p < 0,01

Les variables sont définies comme suit : Sexe : 0 = filles, 1 = garçons; Tabagisme chez les parents : 0 = aucun parent/tuteur fumeur; 1 = 1 parent/tuteur fumeur; 2 = 2 parents/tuteurs fumeurs; Tabagisme chez les frères et sœurs : 0 = aucun des frères et sœurs ne fume; 1 = au moins 1 fumeur parmi les frères et sœurs; Restrictions à la maison : 0 = interdiction complète, 1 = certaines restrictions, 2 = aucune restriction; Jours d’exposition au tabagisme à bord de véhicules au cours des 7 derniers jours : 0 = 0 jour, 1 = au moins 1 jour.

 

 

Selon nos résultats, les variables faisant augmenter la probabilité d’être un non-fumeur prédisposé plutôt qu’un non-fumeur non prédisposé, après ajustement des autres variables du modèle, sont : le fait d’avoir au moins un frère ou une sœur qui fume, le fait que l’on impose seulement certaines restrictions ou que l’on n’impose aucune restriction quant au tabagisme à la maison, et le fait d’avoir récemment été exposé au tabagisme à bord de véhicules. Le tabagisme parental et le sexe ne sont pas associés de façon significative à la prédisposition de commencer à fumer chez les jeunes non-fumeurs après ajustement de toutes les autres variables du modèle. Les mêmes variables font augmenter la probabilité d’être un expérimentateur ou un fumeur plutôt qu’un non-fumeur prédisposé, après ajustement des autres variables du modèle. Encore une fois, le tabagisme parental et le sexe ne sont pas significatifs à ce seuil après ajustement de toutes les autres variables du modèle. Le tableau 3 présente les résultats de la régression logistique pour chacun des seuils de prédisposition des jeunes au tabagisme.

 

Tableau 3
Seuils de régression logistique pour l’analyse du changement
  Seuil relatif aux non-fumeurs susceptiblesa
RC (IC) c
Seuil relatif aux expérimentateurs/fumeursb
RC (IC)c
Sexe
Filles 1,00 1,00
Garçons 1,04 (0,92 à 1,16) 1,02 (0,85 à 1,22)
Nombre de parents fumeurs
0 1,00 1,00
1 1,09 (0,90 à 1,32) 1,02 (0,84 à 1,24)
2 0,99 (0,77 à 1,27) 1,12 (0,86 à 1,46)
Nombre de frères et sœurs fumeurs
0 1,00 1,00
≥ 1 1,61** (1,24 à 2,10) 3,10** (2,55 à 3,77)
Restrictions quant au tabagisme à la maison
Interdiction complète 1,00 1,00
Certaines restrictions 1,60** (1,34 à 1,92) 1,26* (1,06 à 1,50)
Aucune restriction 1,46** (1,13 à 1,90) 1,70** (1,31 à 2,21)
Jours d’exposition au tabagisme à bord de véhicules au cours des 7 derniers jours
0 1,00 1,00
≥ 1 1,43** (1,18 à 1,73) 2,34** (1,84 à 2,97)

 

Abréviations : IC, intervalle de confiance; RC, rapport de cotes; p, valeur p.

a Seuil entre le niveau des non-fumeurs non susceptibles et le niveau des non-fumeurs susceptibles.

b Seuil entre le niveau des non-fumeurs susceptibles et le niveau des expérimentateurs/fumeurs.

c Intervalle de confiance de 95 %.

* p < 0,05;

** p < 0,01

 

Analyse

La présente analyse de l’ETJ au Canada 2004-2005 a fourni des résultats probants concernant la prédisposition des jeunes au tabagisme et ses liens avec la socialisation au tabagisme en milieu familial : le tabagisme chez les frères et sœurs, l’imposition de restrictions (et non l’interdiction pure et simple) ou l’absence de restriction quant au tabagisme à la maison, et le fait de voyager à bord d’un véhicule en compagnie d’un fumeur sont associés à une augmentation de la probabilité de se situer à un niveau ou degré plus élevé de prédisposition au tabagisme, après ajustement des autres variables du modèle.

Il existe au moins deux mécanismes plausibles de socialisation pouvant expliquer ces résultats6f,10b. Premièrement, l’exposition à des fumeurs peut présenter un modèle de comportement en matière de tabagisme, donner des images positives du tabagisme et faciliter l’accès à des cigarettes. Deuxièmement, les interdictions complètes de fumer à la maison et à bord de véhicules peuvent transmettre des messages de dénormalisation indiquant que le tabagisme n’est ni approprié, ni socialement acceptable.

Le tabagisme parental a été associé à des taux plus élevés de jeunes faisant l’essai du tabagisme4c,9b,10c, alors que nos résultats laissent penser qu’il n’existe pas de rapport significatif entre le tabagisme parental et le tabagisme chez les jeunes à l’un ou l’autre des seuils de prédisposition au tabagisme après ajustement des autres variables du modèle. Il existe au moins trois points à considérer à ce sujet. Premièrement, l’influence du tabagisme parental peut s’exercer lors de déplacements à bord d’un véhicule en compagnie d’un fumeur jouant le rôle de figure parentale dans la vie du jeune. Deuxièmement, la catégorie de tabagisme dont les parents font partie lorsque les enfants sont plus jeunes (c.-à-d. en 3e année) influe sur le comportement en matière de tabagisme durant l’adolescence (en 12e année)1b. Par conséquent, la catégorie de tabagisme dont les parents font partie pendant l’adolescence des jeunes ne reflète peut-être pas complètement l’influence que le tabagisme parental exerce sur les enfants. Troisièmement, l’interdiction totale de fumer à la maison semble être associée plus étroitement à l’adoption du tabagisme chez les jeunes que la catégorie de tabagisme des parents16e, données que les résultats de notre étude confortent. Il se peut que les mesures anti-tabac prises par les parents, comme l’interdiction de fumer à la maison, transmettent de fermes messages de dénormalisation au sujet du tabagisme et ce, quelle que soit la catégorie de tabagisme des parents.

L’exposition à de jeunes fumeurs plus âgés semble également influer sur les décisions que les jeunes prennent concernant le tabagisme4d,5c. Par exemple, les jeunes âgés de 14 à 16 ans ayant des frères ou sœurs qui fument étaient plus enclins à se déclarer fumeurs4e. De plus, Leatherdale et ses collaborateurs ont constaté que les jeunes de 5e et de 6e année qui fréquentent une école présentant des taux de tabagisme plus élevés chez les élèves de 8e année étaient plus susceptibles d’avoir fumé une cigarette entière5d. Dans le cadre de notre étude, le tabagisme chez les frères et sœurs a été associé aux intentions des répondants quant au tabagisme dans l’avenir et à leurs comportements actuels en matière de tabagisme. Nous ne connaissons pas l’âge des frères et sœurs des participants à l’étude, mais compte tenu du jeune âge et des faibles taux de tabagisme des participants à l’ETJ, il est raisonnable de présumer que les frères et sœurs fumeurs sont plus âgés. Quoi qu’il en soit, selon les résultats de notre étude, le tabagisme chez les frères et sœurs est étroitement associé aux comportements et aux intentions des jeunes en matière de tabagisme, après ajustement des autres variables du modèle.

Notre étude démontre finalement que l’absence de restrictions quant au tabagisme à la maison est associée à un degré supérieur de prédisposition au tabagisme aux deux seuils vérifiés, après ajustement des autres variables du modèle. Autrement dit, lorsque le tabagisme n’est pas complètement interdit ou ne fait l’objet que de certaines restrictions à la maison, la probabilité que les jeunes non-fumeurs fument dans le futur est plus forte et celle que les non-fumeurs prédisposés deviennent des expérimentateurs ou des fumeurs l’est également. Ces constatations concordent avec les corrélations signalées antérieurement entre les interdictions de fumer et l’adoption du tabagisme chez les jeunes8c,16f.

L’exposition au tabagisme à bord de véhicules est étroitement associée à un niveau plus élevé d’adoption du tabagisme aux deux seuils, après ajustement des autres variables du modèle. Les jeunes voyageant à bord de véhicules en compagnie de fumeurs seraient ainsi plus susceptibles d’intentions de tabagisme dans l’avenir (non-fumeur prédisposé) ou d’essai de tabagisme. Ce résultat soulève plusieurs interrogations nécessitant une enquête plus poussée. Qui fume à bord des véhicules, les conducteurs ou les passagers? Les conducteurs sont-ils les parents des jeunes, ou des conducteurs détenant un permis de conduire et que les jeunes connaissent? Quelles sont les croyances concernant les effets du tabagisme à bord de véhicules? Une étude qualitative menée auprès de familles de race blanche et de race noire à faibles revenus a révélé que les décisions d’interdire le tabagisme à bord de voitures ne faisaient généralement pas l’objet de discussions, indépendamment de la catégorie de tabagisme des adultes au sein de la famille19. Dans les familles ne comptant aucun fumeur, la justification sous-jacente commune de cette absence de discussion était qu’il était rare que des fumeurs voyagent à bord de leurs voitures. Dans les familles comptant des fumeurs, les risques associés à l’exposition à la fumée secondaire à bord de voitures n’étaient pas clairement connus. Quoi qu’il en soit, l’interdiction de fumer à bord de véhicules est une autre mesure anti-tabac que les parents peuvent prendre pour influencer les décisions de leurs enfants quant au tabagisme et ce, même s’ils sont eux-mêmes fumeurs.

À ce titre, l’interdiction de fumer à bord de voitures peut être davantage qu’une simple question de protéger les enfants contre la fumée secondaire : elle peut signifier que le tabagisme n’est ni acceptable, ni approprié, et par conséquent contribuer à décourager les enfants dans leurs intentions ou leurs tentatives de fumer à l’avenir. Ce résultat pourrait appuyer la législation interdisant de fumer à bord de véhicules lorsque des enfants sont présents, législation en gestation ou en projet dans divers endroits au Canada, aux États-Unis et en Australie, entre autres20.

Limites

Les résultats de notre étude ont plusieurs limites. Premièrement, les données d’enquête transversales ne permettent pas d’établir des liens de cause à effet, même si elles fournissent des données probantes permettant d’appuyer ou de réfuter certaines relations. Notre étude porte sur une comparaison entre trois niveaux d’adoption du tabagisme à deux seuils de changement et non sur une progression sur une trajectoire d’acquisition du tabagisme. Une enquête plus poussée de nature longitudinale nous permettrait de mieux comprendre l’incidence des variables indépendantes et les liens de cause à effet. Ensuite, l’analyse secondaire des données soulève couramment des questions qui ne sont pas abordées dans le questionnaire de l’enquête initiale. Par exemple, il aurait été utile de savoir si les frères et sœurs fumeurs étaient plus âgés, s’ils vivaient à la maison, et s’ils fumaient à bord de véhicules en présence des répondants. Une troisième limite tient au fait que les données sont fondées sur l’autodéclaration par les jeunes. Dans une étude connexe21, on a comparé les réponses des jeunes aux réponses disponibles de leurs parents. La majorité des réponses des parents et des jeunes concordaient, mais dans les cas où il y avait des différences, celles-ci faisaient souvent ressortir un modèle non aléatoire de désaccord. Par conséquent, lors de l’interprétation des résultats de cette étude, il importe de garder à l’esprit que les variables relatives aux ménages sont mesurées ici du point de vue des jeunes.

Conclusion

La présente analyse secondaire de l’ETJ 2004-2005 nous a permis de mieux comprendre les intentions et les comportements des jeunes en matière de tabagisme ainsi que leurs liens avec la socialisation à la maison. Les attitudes des jeunes à l’égard du tabagisme et leurs décisions de fumer sont façonnées par de nombreux facteurs présents dans leur environnement, dont les comportements de leurs pairs en ce qui a trait au tabagisme, les interdictions de fumer à l’école, et les normes de la collectivité concernant le tabagisme. Selon nos résultats, la communication de fermes messages de dénormalisation dans le milieu familial peut constituer un mécanisme de protection pour les jeunes. L’interdiction de fumer à la maison et à bord de véhicules peut offrir un moyen de socialisation permettant de soutenir les jeunes dans leur détermination à rester non-fumeur et ce, quelle que soit la catégorie de tabagisme de leurs parents. Des recherches supplémentaires s’imposent pour explorer les rapports entre facteurs liés aux ménages et prédisposition des jeunes au tabagisme. L’élaboration de stratégies de prévention visant à influencer le comportement actuel des jeunes en matière de tabagisme ainsi que leur prédisposition au tabagisme dans l’avenir contribuerait à soutenir la politique de santé publique actuelle faisant de la réduction des taux de tabagisme chez les jeunes une priorité. Les messages de promotion de la santé destinés aux parents et aux dispensateurs de soin pourraient faire ressortir la puissance potentielle des interdictions de fumer à la maison et à bord de véhicules.

Remerciements

Cette recherche a été appuyée financièrement grâce un contrat de courte durée de Santé Canada (no 4500142783) avec le Bureau de la recherche, de la surveillance et de l’évaluation du Programme de lutte contre le tabagisme. Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêts à déclarer.

Références

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