Maladies chroniques au Canada

Volume 31 · supplément 1 · automne 2011
L’utilisation des services de santé dans les régions rurales du Canada

R.W. Pong, Ph. D. (1); M. DesMeules, M. Sc. (2); D. Heng, M. Sc. (1); C. Lagacé, M. Sc. (2) J. R. Guernsey, M. Sc., Ph. D. (3); A. Kazanjian, D. Soc. (4); D. Manuel, M. D., M. Sc. (5); J. R. Pitblado, Ph. D. (1); R. Bollman, Ph. D. (6); I. Koren, M. Sc. (1); M.P. Dressler, M. Sc. (2); F. Wang, M. Sc. (2); W. Luo, M. Sc. (2)

https://doi.org/10.24095/hpcdp.31.S1.01f

Rattachement des auteurs

  1. Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du nord, Université Laurentienne
  2. Agence de la santé publique du Canada
  3. Université Dalhousie
  4. Université de la Colombie-Britannique
  5. Institut de recherche en services de santé
  6. Statistique Canada

Correspondance : Raymond Pong, Centre for Rural and Northern Health Research, Laurentian University, 935 Ramsey Lake Road, Sudbury (Ontario) Canada  P3E 2C6; tél. : 705-675-1151 poste 4357; téléc. : 705- 675-4855; courriel : rpong@laurentienne.ca

Introduction

Contexte

Les Canadiens ont à cœur la facilité d’accès aux services de santé. Bien que de nombreuses études aient porté sur l’accessibilité des soins de santé au Canada, très peu d’entre elles l’ont examinée sous l’angle des différences entre les régions urbaines et rurales, particulièrement dans une perspective à échelle nationale. Pourtant, il existe des disparités entre les populations des régions urbaines et rurales, tout comme il existe des différences entre les services dans les régions éloignées et dans les régions à faible densité de population.

Les collectivités rurales au Canada : comprendre la santé rurale et ses déterminants est un programme de recherche de trois ans financé par l’Initiative sur la santé de la population canadienne (ISPC) de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS)et par l’Agence de la santé publique du Canada (l’ASPC). Y participent entre autres des chercheurs de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) et du Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du Nord de l'Université Laurentienne et d’autres chercheurs. Le premier document publié dans le cadre de ce programme de recherche s’intitule Comment se portent les Canadiens vivant en milieu rural? Une évaluation de leur état de santé et des déterminants de la santéFootnote 1a1a. Le présent document constitue la seconde publication de ce programme : il s’agit d’une analyse descriptive et comparative de l’utilisation d’un grand nombre de services de santé par les populations rurales et urbaines.

Cadre de l’analyse de l’utilisation des services de santé

L’endroit où nous vivons influe sur notre santé, par l’intermédiaire des conditions environnementales, climatiques et socioéconomiques, des activités professionnelles, de la composition ethnique, de la culture et des spécificités de la collectivité. Les caractéristiques des lieux et des personnes qui y vivent sont liées inextricablement et il faut les prendre en compte, ainsi que le système de soins de santé lui-même, lors de toute analyse portant sur la santé. Nous avons utilisé un modèle théorique conçu par AndersenFootnote 2a2a pour orienter la recherche et l’analyse à la base de ce rapport. Ce « nouveau modèle comportemental » établit les facteurs prédisposants, les facteurs habilitants et les besoins qui influencent d’une manière déterminante l’utilisation des services de santé (figure 1)Footnote 2b2b. Parmi les facteurs prédisposants, il y a l’âge, le sexe et l’état civil; les facteurs habilitants comprennent, entre autres, les conditions externes qui facilitent ou freinent l’utilisation des services de santé (comme la distance à parcourir pour se rendre au cabinet du médecin); enfin, les besoins, tant du point de vue du patient que de celui du fournisseur de soins de santé, correspondent à l’état pathologique ou aux incapacités.

Le travail des chercheurs était de déterminer lesquels parmi ces facteurs sont importants dans une situation particulière et de quelle façon ils interagissent pour faciliter ou freiner l’utilisation des services de santé.

Figure 1
Adaptation du nouveau modèle comportemental à l’utilisation des services de santé par la population

Figure 1
Figure 1 - Texte équivalent

Adaptation du nouveau modèle comportemental à l’utilisation des services de santé par la population

Nous avons utilisé un modèle théorique conçu par Andersen2a pour orienter la recherche et l’analyse à la base de ce rapport. Ce « nouveau modèle comportemental » établit les facteurs prédisposants, les facteurs habilitants et les besoins qui influencent d’une manière déterminante l’utilisation des services de santé.

Adapté avec la permission de R.M. AndersenFootnote 2c2c.

Éléments du cadre de recherche

Environnement

Le régime de soins de santé universel garantit à tous les Canadiens un accès aux soins médicaux et hospitaliers essentiels. Cependant, les collectivités éloignées ou peu peuplées ont à leur disposition moins de fournisseurs de services et, par conséquent, moins de services. Par exemple, en dépit du fait que 21,1 % de la population canadienne vivait dans des régions rurales en 2004, seulement 9,4 % de tous les médecins (16 % de médecins de famille et 2,4 % de médecins spécialistes) exerçaient dans ces régionsFootnote 3a3a. Une étude des facteurs qui influencent l’aiguillage vers des médecins spécialistes de l’Ontario a révélé que le type de collectivité où exerce un médecin – région rurale, petite ville, collectivité où n’exercent que des médecins de premier recours, ou agglomération urbaine possédant ou non des hôpitaux universitaires – est le prédicteur le plus précis des taux d’aiguillage vers des médecins spécialistes, et que, des quatre types de collectivité, c’est dans les régions rurales que ce taux est le plus faibleFootnote 44.

L’environnement externe est composé de facteurs comme la situation économique, la richesse relative, la politique et les normes de la société. Par exemple, les collectivités rurales sont aux prises avec un certain nombre de difficultés sur les plans économique et de l’emploi. Les changements technologiques et l’épuisement des ressources peuvent limiter l’emploi dans certaines régions rurales, et la centralisation des services peut ébranler la viabilité économique et sociale de certaines autres. Les données factuelles donnent à penser que le chômage et l’incertitude économique sont une source de maladies physiques, de stress mental et de taux élevés de mortalité, conditions qui pourraient donner lieu à un besoin et à une utilisation plus intenses de services de santéFootnote 55. En plus d’être exposés aux changements économiques, de nombreux services de santé dépendent de plus en plus de technologies sophistiquées et coûteuses que seuls les grands hôpitaux des grandes collectivités peuvent se permettre, ce qui pourrait se traduire par un manque de ressources et de services de santé dans les régions rurales.

Facteurs prédisposants

La conjoncture sociodémographique des collectivités rurales influe différemment de celle des collectivités urbaines sur l’utilisation des services de santé. Par exemple, de nombreuses collectivités rurales ont un rapport de dépendance plus élevé, car elles comptent une plus grande proportion d’enfants et de personnes âgéesFootnote 66; en outre, les très jeunes enfants et les vieillards font plus souvent appel aux services de santé que la population en âge de travaillerNote de bas de page *. Les caractéristiques d’une collectivité peuvent également avoir une grande influence. Une étude a révélé que chez les femmes, la perception de la qualité de la vie dans la collectivité est étroitement liée à la perception de leur état de santé et de leur santé fonctionnelle; les hommes, quant à eux, perçoivent leur environnement physique par rapport à leur état de santé et à leur santé fonctionnelleFootnote 77. Il s’avère que les femmes des collectivités encourageant la mammographie recourent en plus grand nombre à ce mode de dépistage que celles des collectivités qui sont plus réfractaires à cette technique de préventionFootnote 88.

Les convictions relatives à la santé sont un déterminant important de l’utilisation des services de santé. Par exemple, les Australiens des régions rurales considèrent la santé d’un point de vue négatif, c’est-à-dire comme une absence de maladieFootnote 99 et par conséquent, ils pourraient attacher une plus grande importance à la guérison et à l’atténuation des symptômes ou de l’inconfort plutôt qu’à la prévention des maladies ou au maintien d’une bonne santéFootnote 1010. Les valeurs traditionnelles en région rurale comme l’autonomie, l’indépendance et la préférence pour les réseaux de soutien informels peuvent aussi mener à une baisse de l’utilisation des services préventifs ou d’autres services de santé à moins qu’un problème grave de santé ne survienne.

Facteurs habilitants

Les problèmes de transport sont une des principales préoccupations des résidents des régions rurales lorsqu’il est question de l’accès aux services de santéFootnote 1111. D’ailleurs, les services de transport en commun ont été réduits ou sont devenus plus coûteux dans de nombreuses collectivités rurales du Canada. Certains programmes provinciaux ont toutefois vu le jour pour faciliter l’accès aux services de soins de santé. En Ontario par exemple, un programme d’extension des services médicaux et un programme de consultations offertes par des spécialistes itinérants ont été mis sur pied dans le cadre du Programme des services aux régions insuffisamment desservies. Dans d’autres provinces et territoires, les patients des régions rurales peuvent obtenir de l’aide pour se déplacer en vue d’obtenir des soins qui ne sont pas offerts près de chez eux. Les effets sont quantifiables : par exemple, le taux de dépistage par mammographie dans les régions rurales du Manitoba a augmenté grâce à l’utilisation d’unités de dépistage mobilesFootnote 1212,Footnote 13a13a.

Les résidents des régions rurales, pour protéger leur vie privée, peuvent également hésiter à se faire soigner si la petite taille de leur collectivité et les liens étroits entre habitants risquent de compromettre leur anonymat. La protection de la vie privée compte davantage pour les jeunes femmes des régions rurales que pour celles des régions urbaines dans la décision de consulter un médecinFootnote 1414.

Besoins

Les ressources consacrées aux soins de santé pour les Canadiens souffrant d’une maladie chronique couvrent 67 % de l’ensemble des coûts directs (soins de santé) et 60 % des coûts indirects (perte de productivité et de revenus)Footnote 1515. En général, les risques de mortalité attribuables aux maladies chroniques comme les maladies du système circulatoire et du système respiratoire ainsi que le diabète sont plus élevés dans les régions rurales que dans les régions urbainesFootnote 1b1b. D’autres études ont révélé qu’une proportion plus élevée de la population rurale ou nordique considère avoir un état de santé mauvais ou passable, des limitations d’activités et des incapacitésFootnote 16a–1816a–18. Toutes choses étant égales par ailleurs, les personnes dont l’état de santé est mauvais ou dont les besoins sont plus grands consulteront le médecin ou utiliseront d’autres services de santé plus souvent.

Utilisation des services de santé

Peu de données nationales existent sur l’utilisation des services de santé par les Canadiens des régions rurales, malgré le fait que les provinces aient analysé leurs propres données sur les consultations médicales et les admissions dans les hôpitaux. Par exemple, en 2000, les taux de consultation du médecin, de recours aux unités de soins ambulatoires et de consultation de spécialistes itinérants chez les résidents des régions rurales et nordiques du Manitoba étaient moindres que les taux provinciaux moyensFootnote 13b13b. En Ontario, les taux de congé d’hôpital pour soins de courte durée des régions rurales étaient de près de 50 % plus élevés que le taux moyen provincialFootnote 17b17b. Au Québec, le taux de congé s’est également avéré plus élevé dans les régions rurales, en dépit du fait que la durée de l’hospitalisation ait été plus courte que dans les régions urbainesFootnote 16b16b. En outre, les services d’urgence des hôpitaux ruraux reçoivent un plus grand nombre de patients qui ne nécessitent pas de soins urgents (c’est-à-dire dont les interventions peuvent être reportées) que ceux des hôpitaux en région urbaineFootnote 1919.

Objectifs de la présente étude

La présente étude, en s’appuyant sur ce cadre de recherche, tente d’évaluer les tendances nationales de l’utilisation des services de santé par les Canadiens des milieux ruraux et à les comparer à celles des citadins. Elle utilise les résultats d’une analyse descriptive et d’une analyse bidimensionnelle de mesures particulières de l’utilisation des services de santé, ainsi que des constatations découlant d’analyses de régression multivariées portant sur des facteurs connexes.

Nous avons établi les questions de recherche suivantes :

  • En quoi l’utilisation dans les régions rurales des services médicaux et d’autres services de santé, y compris les services aux malades hospitalisés, diffère-t-elle de celle des régions urbaines au Canada?
  • En plus des différences dans l’utilisation des services de santé entre les régions urbaines et rurales, existe-t-il des disparités entre les régions rurales?
  • L’utilisation des services de santé par les Canadiens ruraux et urbains diffère-t-elle selon le type de maladie?
  • Quels sont les profils géographiques provinciaux de l’utilisation des services hospitaliers ou médicaux en Nouvelle-Écosse, en Ontario et en Colombie-Britannique?
  • Le lieu de résidence est-il un déterminant de l’utilisation des services de santé?

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