Maladies chroniques et blessures au Canada
Volume 32, no. 2, mars 2012
Maladies chroniques et blessures au Canada
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Évaluation des associations de facteurs de risque de dépression de l’Enquête nationale sur la santé de la population : une étude de simulation évaluant la vulnérabilité au biais
S. B. Patten, M.D., Ph. D. (1,2,3)
https://doi.org/10.24095/hpcdp.32.2.02f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Rattachement de l’auteur
- Department of Community Health Sciences, University of Calgary, Calgary (Alberta), Canada.
- Department of Psychiatry, University of Calgary, Calgary (Alberta), Canada
- Hotchkiss Brain Institute, University of Calgary, Calgary (Alberta), Canada.
Correspondance : Dr Scott Patten, Department of Community Health Sciences, University of Calgary, 3rd Floor TRW Building, 3280 Hospital Drive NW, Calgary (Alberta) T2N 4Z6; tél. : 403-220-8752/4285; téléc. : 403-270-7307; courriel : patten@ucalgary.ca
Résumé
Contexte : Au Canada, l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) est la principale source de données longitudinales sur l’épidémiologie des épisodes de dépression majeure (EDM). Cependant, le moment auquel les interviews sont réalisées pourrait soulever des doutes sur la qualité des estimations fournies par l’ENSP. Plus précisément, l’interview effectuée dans le cadre de l’ENSP vise à évaluer les EDM survenus au cours de l’année qui a précédé l’interview, alors que les interviews sont réalisées à deux ans d’intervalle. La présente étude visait à déterminer si l’on doit s’attendre à ce que cet aspect de l’ENSP introduise un biais dans les estimations longitudinales des associations de facteurs de risque.
Méthodologie : Un modèle de simulation a été utilisé pour représenter l’épidémiologie de base et les résultats attendus d’une étude adoptant l’approche de l’ENSP en matière d’évaluation des EDM. Ce modèle a servi à analyser l’ampleur de la distorsion des estimations qui en découle pour divers rapports des risques instantanés sous‑jacents.
Résultats : Les simulations ont révélé que le moment des interviews de l’ENSP et la période visée par ces interviews sur la dépression semblent ne pas introduire de biais important. Le modèle semblait indiquer que l’incidence serait sous‑estimée en raison des épisodes non recensés, mais qu’aucune distorsion importante des estimations des associations n’en découlerait.
Conclusion : Le moment auquel ont lieu les interviews de l’ENSP ne devrait pas fausser les estimations du risque relatif. Il se peut, bien entendu, que les estimations de l’ENSP soient minées par d’autres sources de biais.
Mots‑clés : trouble dépressif majeur, trouble de l’humeur, épidémiologie, études longitudinales, simulation, modèle mathématique
Contexte
L’amélioration des prédictions relatives au risque de survenue d’épisodes de dépression majeure (EDM) aiderait à cibler les interventions préventives et à appuyer les décisions en matière de prise en charge clinique. Les données épidémiologiques sont utiles à la détermination du risque, mais les écrits fondés sur des études longitudinales sont rares. En épidémiologie psychiatrique, les études sont pour la plupart transversales et portent sur la prévalence plutôt que sur l’incidence. La prévalence est fonction de la durée de la maladie et ne traduit pas nécessairement le risque.
À l’échelle internationale, des écrits reposant sur des études de l’incidence commencent à être publiés. La Netherlands Mental Health Survey and Incidence Study (NEMESIS)Note en bas de page 1,Note en bas de page 2 et la Dunedin Birth CohortNote en bas de page 3 en sont deux exemples notables. Au Canada, l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) est une source de données longitudinales à l’échelle du paysNote en bas de page 4. L’ENSP comprend un outil diagnostique, le CIDI-SFMD (forme abrégée du questionnaire composite international pour le diagnostic de la dépression majeure), qui vise à recenser les EDM survenus au cours de l’année précédant l’enquêteNote en bas de page 5. Toutefois, l’ENSP comporte des particularités de conception qui pourraient mettre en doute la validité de ses estimations longitudinales. Les interviews de l’ENSP sont réalisées tous les deux ans, tandis que le CIDI-SFMD porte sur les douze mois précédant l’interview. Par conséquent, l’interview diagnostique ne recense pas nécessairement tous les épisodes survenus entre les cycles de l’ENSP. De plus, le CIDI-SFMD ne permet pas de déterminer à quel moment les épisodes se sont produits; il ne vérifie que la présence de symptômes au cours d’une seule et même période de deux semaines, au cours de l’année précédant l’interview.
La plupart des études reposant sur les données de l’ENSP ont défini l’incidence des épisodes comme étant la proportion de personnes qui n’avaient pas eu d’EDM au cours de l’année précédant l’interview initialeNote en bas de page 6 ou au cours de plusieurs cycles d’interviews de l’ENSPNote en bas de page 7 et qui ont connu un EDM au cours de l’année précédant une interview subséquente. Cependant, on ne saurait considérer que cela représente précisément une proportion de l’incidence annuelle ou de l’incidence bisannuelle. D’autres études ont utilisé des modèles des risques proportionnels afin d’évaluer l’incidenceNote en bas de page 8, mais la question fondamentale du moment des interviews demeure entière. Si on le considère comme une mesure de l’incidence annuelle au cours de l’année précédant une interview de suivi, le CIDI-SFMD pourrait ne pas être spécifique (puisque certains épisodes ayant débuté avant la période d’un an couverte par l’interview peuvent être compris dans le numérateur d’une proportion de l’incidence). Par contre, si on le considère comme une mesure de la proportion de l’incidence bisannuelle, cet outil pourrait ne pas être sensible (puisque certains épisodes ayant débuté plus d’un an avant la deuxième interview peuvent s’être terminés avant le début de l’année précédant l’interview et, par conséquent, ne pas être recensés)Note en bas de page 9. Quoi qu’il en soit, les véritables répercussions de cet aspect de la stratégie de mesure de l’ENSP ne sont pas connues.
Si l’ENSP comprenait une mesure type de référence évaluant l’évolution complète des EDM dans sa cohorte, il serait possible d’étudier l’effet de ces problèmes de conception à partir de données réelles. Une telle mesure étant inexistante, nous avons tenté d’analyser ces questions à l’aide d’un modèle de simulation conçu de façon à représenter à la fois l’épidémiologie de base et la stratégie de l’ENSP en matière de mesure des EDM.
Méthodologie
Afin d’atteindre les objectifs de la présente étude, nous avons élaboré un modèle de simulation d’événements discrets au moyen de la version 10 du logiciel ArenaNote en bas de page 10. Nous avons conçu le modèle de façon à ce que l’horloge de simulation couvre une durée de suivi identique à celle de l’ENSP (données disponibles à l’époque), soit de 1994 à 2006. Dans le modèle, les entités représentaient des personnes qui faisaient partie de la cohorte de l’ENSP au moment de leur entrée dans l’étude et qui, alors, n’étaient pas dans un état dépressif (qui étaient donc à risque de devenir des cas incidents). Le modèle de simulation décrivait l’épidémiologie de base en représentant l’incidence des épisodes et le rétablissement subséquent; il simulait l’expérience de chaque entité à compter du moment de son entrée en 1994 jusqu’à la survenue d’un épisode de dépression ou pendant une période maximale de 12 ans de suivi. Le modèle n’a pas tenté de représenter la mortalité. Trois pistes de simulation étaient possibles pour chacune des entités : 1) elles pouvaient se rendre au bout des 624 semaines (12 ans) d’observation simulée sans que ne survienne d’épisode; 2) elles pouvaient vivre un épisode à un moment où celui‑ci aurait été détecté; dans ce cas, l’épisode était recensé comme un cas incident et l’entité était alors retirée de la simulation; 3) elles pouvaient connaître un épisode dont le début et la fin seraient survenus à des moments tels qu’il aurait été indétectable compte tenu de la stratégie de mesure de l’ENSP; dans ce cas, l’entité était replacée dans la partie du modèle simulant l’incidence. Les entités suivant la troisième piste pouvaient par la suite suivre l’une ou l’autre des pistes possibles, c’est‑à‑dire connaître ou non une récidive, qui pouvait alors être détectée ou ne pas l’être.
Cette étude de simulation avait pour principal objectif d’élaborer une représentation de l’épidémiologie et de la stratégie de mesure de l’ENSP qui nous permette d’évaluer l’ampleur de la distorsion produite par cette même stratégie (figure 1). La première étape consistait à représenter le rétablissement d’un EDM. Il s’agit d’un élément important, puisque les épisodes de plus longue durée survenant au cours d’une période de deux ans persisteraient plus souvent jusque dans la deuxième année de cet intervalle, ce qui pourrait potentiellement modifier l’ampleur du biais introduit. Au départ, la description de la durée d’un épisode reposait sur certaines estimations de l’ENSP [représentées par (a) dans la figure 1], plus particulièrement sur un modèle de régression logistique ordinale décrivant la durée des épisodes autodéclarés au sein de la cohorte de l’ENSP en fonction de l’âge (ce dernier s’étant révélé le déterminant le plus important de la durée des épisodes)Note en bas de page 11. Nous avons utilisé une équation représentant le profil temporel du rétablissement des différents groupes d’âge du modèle et nous avons effectué un étalonnage de ses paramètres par rapport aux estimations de l’ENSP. Une fois le rétablissement établi, le modèle pouvait représenter l’incidence des EDM tout en représentant la possibilité que le début et la fin (rétablissement) d’un épisode soient survenus à des moments tels que l’épisode aurait pu ne pas être recensé. Par exemple, pour qu’un épisode soit détecté lors de l’interview de 1996, les symptômes devaient avoir été présents pendant au moins deux semaines au cours de l’année précédente. Les rapports d’incidence chez les répondants exposés ou non exposés aux facteurs de risque présentent divers degrés d’association avec les EDM, comme ils l’auraient fait dans les données de l’ENSP.
Figure 1. Schéma décrivant la méthode de simulation employée dans l’étude
Équivalent texte - Figure 1
Cette étude de simulation avait pour principal objectif d’élaborer une représentation de l’épidémiologie et de la stratégie de mesure de l’ENSP qui nous permette d’évaluer l’ampleur de la distorsion produite par cette même stratégie. La première étape consistait à représenter le rétablissement d’un EDM. Il s’agit d’un élément important, puisque les épisodes de plus longue durée survenant au cours d’une période de deux ans persisteraient plus souvent jusque dans la deuxième année de cet intervalle, ce qui pourrait potentiellement modifier l’ampleur du biais introduit. Au départ, la description de la durée d’un épisode reposait sur certaines estimations de l’ENSP [représentées par (a)], plus particulièrement sur un modèle de régression logistique ordinale décrivant la durée des épisodes autodéclarés au sein de la cohorte de l’ENSP en fonction de l’âge (ce dernier s’étant révélé le déterminant le plus important de la durée des épisodes).
Abréviations : EDM, épisodes de dépression majeure; ENSP, Enquête nationale sur la santé de la population.
Pour représenter l’incidence des EDM (et le rétablissement subséquent), nous avons choisi un type d’équation pouvant illustrer le fait que l’incidence diminue en fonction du temps passé sans épisode de dépression, comme c’est généralement le cas dans la pratique et comme l’ont déjà révélé les données de l’ENSPNote en bas de page 9. L’équation 1 a servi à calculer une fonction linéaire (FL) pour chaque entité en assignant à cette entité un attribut (désigné ici par l’appellation générale de « covariable ») prenant la valeur 0 ou 1 et représentant une exposition aux facteurs de risque :
FLincidence = α + Betaβcovariable*covariable + Betaβlog t*log t
où t est le temps en semaines.
Le temps représenté dans les simulations a été exprimé en intervalles d’une semaine. Pour simplifier les choses, l’équation 1 ne comprend qu’une seule covariable, soit une variable indicatrice prenant la valeur 0 ou 1. Par contre, l’âge était illustré dans la plupart des simulations comme un attribut à cinq niveaux (12–18 ans; 19–25 ans; 26–45 ans; 46–65 ans; 66 ans et plus) utilisant quatre variables indicatrices distinctes (de sorte que le groupe des 12–18 ans constituait la catégorie de référence), puisque l’âge est le principal déterminant de la durée des épisodesNote en bas de page 11. La fonction linéaire (FL) a été transformée en un risque hebdomadaire (qui changeait avec chaque semaine passée sans épisode de dépression) à l’aide de l’équation 2 :
Risque hebdomadaire = 1 − exp[−exp(FL)]
Nous avons utilisé cette équation de risque hebdomadaire afin de simuler le risque d’un nouvel épisode durant chaque semaine de la simulation. Cela était représenté dans la piste de simulation par une boucle, le passage autour de cette boucle correspondant à une période de simulation d’une semaine. Chaque passage autour de la boucle ajoutait une semaine à la variable de temps et le risque était de nouveau calculé. Le rétablissement d’un épisode était simulé à l’aide d’une méthode semblable. Pour pouvoir analyser la relation entre les coefficients Betaβ de l’équation 1 et les estimations analogues de l’ENSP, il était nécessaire d’établir une valeur pour α et Betaβlog t de l’équation 1. Pour y parvenir, nous avons mis au point un modèle des risques proportionnels en temps regroupé pour 7 029 répondants à l’ENSP pour qui des données complètes avaient été recueillies à tous les cycles pertinents de l’ENSP. Nous avons choisi ce sous‑ensemble parce qu’un important facteur de risque des EDM, les antécédents familiaux d’EDM, a été évalué seulement dans le cycle 2004 de l’ENSP. Le tableau 1 compare les caractéristiques de cette cohorte à celles de la cohorte de l’ENSP dans son ensemble. Principale différence : la cohorte n = 7 029 était plus jeune, probablement en raison de la déperdition, au fil du temps, des répondants plus âgés de l’échantillon d’origine (p. ex. parce qu’ils sont décédés ou ont été placés en établissement). Le tableau 2 présente les rapports des risques instantanés estimés à partir du modèle des risques proportionnels. La valeur α (−7,435) et les paramètres Betaβlog t (−0,128) de l’équation 1 ont été étalonnés à l’aide de la procédure automatisée OptQuest du logiciel ArenaNote en bas de page 10 afin d’établir les valeurs des paramètres permettant aux résultats du modèle de ressembler aux estimations de l’ENSP.
Échantillon de départ de l’ENSP (N = 13 175) (%) |
Échantillon admissible (n = 7 029) (%) |
||
---|---|---|---|
Sexe | Homme | 48,4 | 46,4 |
Femme | 51,6 | 53,6 | |
Âge (ans) | 12–18 | 11,8 | 11,9 |
19–25 | 10,2 | 8,8 | |
26–45 | 40,6 | 44,8 | |
46–65 | 24,5 | 26,8 | |
66 et plus | 13,0 | 7,6 | |
État matrimonial | Marié/conjoint de fait | 59,8 | 65,3 |
Célibataire | 28,0 | 25,3 | |
Veuf/séparé/divorcé | 12,2 | 9,4 | |
Scolarité | Diplôme d’études secondaires ou moins | 47,5 | 42,4 |
Études postsecondaires | 52,5 | 57,6 | |
RevenuTableau 1 - Note a | Le plus faible | 17,5 | 12,6 |
Faible/moyen/élevé | 82,5 | 87,4 | |
Blessure au cours des 12 derniers moisTableau 1 - Note b | Oui | 17,1 | 17,4 |
Non | 82,9 | 82,6 | |
Affection chronique | Oui | 49,9 | 48,0 |
Non | 50,1 | 52,0 | |
Tabagisme | Fumeur | 28,3 | 25,3 |
Ex-fumeur/n’a jamais fumé | 71,7 | 74,7 | |
Stress/traumatisme pendant l’enfance | Oui | 47,7 | 48,0 |
Non | 52,3 | 52,0 | |
StressTableau 1 - Note c | Oui | 28,5 | 27,8 |
Non | 71,5 | 72,2 | |
Sentiment de maîtriser sa vieTableau 1 - Note d | Faible | 25,5 | 23,5 |
Pas faible | 74,5 | 76,5 | |
Estime de soi | Faible | 34,6 | 32,8 |
Pas faible | 65,4 | 67,2 | |
Consommation de benzodiazépines au cours des deux derniers jours | Oui | 2,0 | 1,4 |
Non | 98,0 | 98,6 | |
Douleur | Modérée/forte | 10,8 | 9,7 |
Légère/aucune | 89,2 | 90,3 | |
Abréviation : ENSP, Enquête nationale sur la santé de la population.
|
Variable | Estimation des rapports de risques instantanés à partir des données de l’ENSP |
---|---|
Femme | 1,5 |
Groupe d’âge, ansTableau 2 - Note a | |
19–25 | 1,0 |
26–45 | 0,8 |
46–65 | 0,5 |
66 et plus | 0,3 |
Blessure | 1,3 |
Affection chroniqueTableau 2 - Note b | 1,3 |
Tabagisme actuel | 1,3 |
Stress pendant l’enfanceTableau 2 - Note c | 1,4 |
StressTableau 2 - Note d | 1,5 |
Sentiment de maîtriser sa vieTableau 2 - Note e | 1,3 |
Antécédents familiaux de dépression | 1,6 |
DouleurTableau 2 - Note f | 1,8 |
Consommation de benzodiazépines | 1,8 |
Abréviations : EDM, épisodes de dépression majeure; ENSP, Enquête nationale sur la santé de la population.
|
En fait, les interviews de l’ENSP n’ont pas lieu à un moment précis dans le temps; elles sont plutôt effectuées au cours d’une période de plusieurs mois. Par souci de simplicité, cet aspect de la cueillette de données n’a pas été représenté dans le modèle de simulation. Chacune des entités était plutôt générée à la semaine 0 (interview de référence) et les interviews subséquentes étaient représentées comme ayant lieu aux semaines 104, 208, 312, 416, 520 et 624. Pour chacune des entités, des variables de suivi enregistraient les moments de début et de fin simulés des épisodes de dépression et établissaient le nombre de semaines écoulées dans la simulation. On présumait que l’ENSP avait permis de détecter les épisodes si une entité avait présenté des symptômes de dépression pendant au moins deux semaines au cours de la période de 52 semaines ayant précédé le moment d’évaluation simulé. De cette façon, le modèle pouvait représenter à la fois la « sous‑détection » des épisodes à laquelle on s’attend dans l’ENSP et la « sur‑détection » qui se produit lorsque des épisodes des années antérieures se prolongent dans l’année précédant l’interview. Chaque fois qu’une simulation était lancée, l’expérience d’un grand nombre d’entités était simulée, ce qui permettait d’évaluer les distributions de fréquences.
Au départ, le modèle a été vérifié au moyen d’une évaluation des résultats attendus associés à différentes valeurs d’entrée. Par exemple, la fréquence des épisodes non détectés a été évaluée en fonction de diverses durées d’épisodes. Lorsque le taux de rétablissement était représenté comme étant très élevé, p. ex. si une valeur importante était entrée pour le coefficient α dans l’équation relative au rétablissement (voir l’équation 1), la proportion d’entités dont les épisodes n’avaient pas été détectés s’élevait à environ 50 %; lorsque la probabilité de rétablissement était très faible (p. ex. si une valeur négative importante était entrée pour le même coefficient), la proportion d’entités dont les épisodes n’avaient pas été détectés devenait nulle. Pour étalonner le modèle, nous avons créé des variables de sortie représentant la somme des différences au carré entre les estimations de l’ENSP quant à la durée des épisodes et nous avons utilisé les résultats de la simulation et la fonction OptQuest afin de déterminer les valeurs des paramètres permettant aux résultats du modèle de ressembler aux estimations de l’ENSP. Nous avons également déterminé les valeurs de l’équation relative au rétablissement qui permettait de produire des fréquences de durées d’épisodes simulées ressemblant à celle prédite par le modèle de régression logistique ordinale décrivant la durée des épisodes en fonction de l’âge dans l’ENSPNote en bas de page 11.
Ces représentations approximatives de la durée des épisodes ont par la suite servi à examiner la relation entre les estimations des rapports des risques instantanés de l’ENSP relatives aux facteurs de risque et une série de rapports des risques instantanés hypothétiques associés à un éventail de valeurs pertinentes. Le logarithme de cet ensemble de rapports des risques instantanés hypothétiques a été entré dans le modèle à titre de coefficients Betaβ dans l’équation 1, où les coefficients Betaβ sont des rapports des risques instantanés exprimés sous forme logarithmique. Les résultats du modèle (traduisant le début, la fin et la mesure simulés des épisodes), sous forme de rapports de risques pendant l’intervalle de risque des 104 premières semaines, étaient ensuite comparés à ces rapports des risques instantanés afin d’en vérifier la concordance.
Dans le cadre de l’ENSP, les EDM ont été évalués à l’aide du CIDI-SFMD. Il s’agit d’un questionnaire bref et entièrement structuré visant à détecter les épisodes probables survenus au cours de l’année précédant l’interview. Le questionnaire CIDI-SFMD est destiné à des intervieweurs non cliniciens et la notation est fonction d’un algorithme de probabilité prédictive fondé sur le nombre de critères satisfaits (symptômes présents) pendant une période de deux semaines au cours de l’année précédente. L’algorithme de détermination du score requiert la présence d’une humeur dépressive ou d’une perte d’intérêt ou de plaisir, pratiquement toute la journée et presque tous les jours au cours d’une seule et même période de deux semaines, conformément au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV)Note en bas de page 12. Pour les analyses de données effectuées dans le cadre de cette étude (comme pour la plupart des autres études sur la dépression fondées sur l’ENSP), le seuil prédictif de l’outil a été fixé à 90 %Note en bas de page 5. Ce seuil correspond à la présence de cinq symptômes de dépression parmi les neuf mentionnés, au cours d’une seule et même période de deux semaines, ce qui concorde dans l’ensemble avec les critères du DSM-IV. (Même si la méthode adoptée par le CIDI-SFMD est conforme au DSM-IV, il convient de noter que l’outil a été élaboré à partir de données fondées sur le DSM-IIIR, qui ont été recueillies dans le cadre de la National Comorbidity SurveyNote en bas de page 5).
Résultats
La figure 2 illustre la durée des épisodes simulés dans le groupe d’âge le plus jeune (12 à 18 ans) et le plus vieux (66 ans et plus), qui présentaient les durées respectivement les plus courtes et les plus longues, les courbes des autres groupes d’âge se situant entre les deux. La forme de toutes les courbes de durée selon l’âge correspondait globalement à celle d’autres estimations internationalesNote en bas de page 13. Comme nous l’avons décrit ci‑dessus, ces courbes ont par la suite été intégrées à des simulations ultérieures en tant que représentation du profil de rétablissement ainsi que comme moyen d’évaluer les répercussions probables de la stratégie de mesure de l’ENSP. Les figures 3 et 4 illustrent les prédictions simulées (200 000 entités simulées pour chaque point de données) du risque relatif qui devrait être établi par l’ENSP, compte tenu des rapports de risques instantanés sous‑jacents qui varient de 1 à 5, d’après le modèle. Les logarithmes de ces divers rapports de risques instantanés ont servi de coefficients Betaβ pour l’incidence lors de la production de ces simulations, comme dans l’équation 1. Deux groupes d’âge sont représentés : l’un comprenant les personnes qui étaient âgées de 12 à 18 ans en 1994 (voir la figure 3) et l’autre comprenant les personnes qui étaient âgées de 66 ans et plus en 1994 (voir la figure 4). Les rapports des risques instantanés dans les deux groupes d’âge se ressemblent beaucoup. La ligne grise sur les figures représente l’équivalence des deux ensembles de rapports de risques instantanés. L’approche adoptée par l’ENSP pour mesurer les EDM semble ne modifier que de façon négligeable les estimations du risque relatif.
Figure 2. Profil de rétablissement des EDM selon l’ENSP, dans deux groupes d’âge
Équivalent texte - Figure 2
La figure 2 illustre la durée des épisodes simulés dans le groupe d’âge le plus jeune (12 à 18 ans) et le plus vieux (66 ans et plus), qui présentaient les durées respectivement les plus courtes et les plus longues, les courbes des autres groupes d’âge se situant entre les deux. La forme de toutes les courbes de durée selon l’âge correspondait globalement à celle d’autres estimations internationales. Comme nous l’avons décrit ci‑dessus, ces courbes ont par la suite été intégrées à des simulations ultérieures en tant que représentation du profil de rétablissement ainsi que comme moyen d’évaluer les répercussions probables de la stratégie de mesure de l’ENSP.
Abréviations : EDM, épisodes de dépression majeure; ENSP, Enquête nationale sur la santé de la population.
Remarque : Les courbes des 19–25 ans, des 26–45 ans et des 46–65 ans se situent entre celles des 12–18 ans et des 66 ans et plus et ne sont pas illustrées (lisibilité).
Figure 3. Risques relatifs simulés de l’ENSP associés à diverses valeurs plausibles du rapport des risques instantanés, 12–18 ans
Équivalent texte - Figure 3
Les figures 3 et 4 illustrent les prédictions simulées (200 000 entités simulées pour chaque point de données) du risque relatif qui devrait être établi par l’ENSP, compte tenu des rapports de risques instantanés sous‑jacents qui varient de 1 à 5, d’après le modèle. Les logarithmes de ces divers rapports de risques instantanés ont servi de coefficients β pour l’incidence lors de la production de ces simulations, comme dans l’équation 1. Deux groupes d’âge sont représentés : l’un comprenant les personnes qui étaient âgées de 12 à 18 ans en 1994 (figure 3) et l’autre comprenant les personnes qui étaient âgées de 66 ans et plus en 1994 (figure 4). Les rapports des risques instantanés dans les deux groupes d’âge se ressemblent beaucoup. La ligne grise sur les figures représente l’équivalence des deux ensembles de rapports de risques instantanés. L’approche adoptée par l’ENSP pour mesurer les EDM semble ne modifier que de façon négligeable les estimations du risque relatif.
Abréviations : ENSP, Enquête nationale sur la santé de la population; RR, risque relatif.
Figure 4. Risques relatifs simulés de l’ENSP associés à diverses valeurs plausibles du rapport des risques instantanés, 66 ans et plus
Équivalent texte - Figure 4
Les figures 3 et 4 illustrent les prédictions simulées (200 000 entités simulées pour chaque point de données) du risque relatif qui devrait être établi par l’ENSP, compte tenu des rapports de risques instantanés sous‑jacents qui varient de 1 à 5, d’après le modèle. Les logarithmes de ces divers rapports de risques instantanés ont servi de coefficients β pour l’incidence lors de la production de ces simulations, comme dans l’équation 1. Deux groupes d’âge sont représentés : l’un comprenant les personnes qui étaient âgées de 12 à 18 ans en 1994 (figure 3) et l’autre comprenant les personnes qui étaient âgées de 66 ans et plus en 1994 (figure 4). Les rapports des risques instantanés dans les deux groupes d’âge se ressemblent beaucoup. La ligne grise sur les figures représente l’équivalence des deux ensembles de rapports de risques instantanés. L’approche adoptée par l’ENSP pour mesurer les EDM semble ne modifier que de façon négligeable les estimations du risque relatif.
Abréviations : ENSP, Enquête nationale sur la santé de la population; RR, risque relatif.
Bien que nos simulations indiquent qu’il est peu probable que les estimations des rapports des risques instantanés liés aux facteurs de risque d’EDM soient entachées d’un biais important en raison du moment des interviews de l’ENSP, les estimations de l’incidence sont sujettes à un biais. D’après les simulations, lorsque les degrés d’association se situent dans la fourchette la plus pertinente (rapports des risques instantanés de 1 à 2), environ 40 % des entités ayant vécu au moins un EDM n’auraient pas été détectées pendant le suivi. Environ 15 % des cas qui seraient considérés comme incidents (absence de dépression à un cycle et présence de dépression au cycle suivant) auraient vu leur épisode commencer au cours de la première année de l’intervalle de deux ans et pourraient être considérés comme de faux positifs si l’estimation vise la proportion de l’incidence annuelle.
Conclusion
L’épidémiologie psychiatrique est une discipline relativement jeune. La génération actuelle d’études (reposant sur des méthodes diagnostiques normalisées et des échantillons représentatifs) a vu le jour dans les années 1980Note en bas de page 14. Les études publiées à ce jour sont en grande partie descriptives et transversales. Par conséquent, de nombreuses estimations de la prévalence sont disponibles, même si ces estimations ne sont pas aussi fiables qu’on pourrait le souhaiterNote en bas de page 15. Pour mieux comprendre l’épidémiologie des EDM, on devra disposer de données longitudinales faisant ressortir l’association entre l’incidence des EDM et divers déterminants potentiels ainsi que les associations entre ces déterminants et le pronostic des EDM. Malheureusement, à l’exception de quelques études internationalesNote en bas de page 1,Note en bas de page 16, les sources de données longitudinales sont rares. Au Canada, par exemple, l’ENSP constitue la principale source d’information sur l’incidenceNote en bas de page 7 et sur les associations entre les facteurs de risque longitudinauxNote en bas de page 6. Toutefois, certains aspects de la méthodologie de l’ENSP peuvent conduire à douter de la validité de ces estimations. En ce sens, les résultats de la présente étude de simulation sont encourageants. En effet, selon les simulations présentées ici, rien ne permet de croire que les estimations des rapports des risques instantanés fondées sur les données longitudinales de l’ENSP soient entachées d’un biais important en raison des particularités de conception de l’étude.
Limites et forces
Une limite importante de notre étude tient à la façon dont l’incidence a été illustrée dans le modèle. Nous avons dû simuler l’incidence des EDM plutôt que l’incidence des troubles dépressifs. Certaines des personnes considérées comme étant « à risque » de vivre un EDM (de devenir des cas incidents) du fait qu’elles n’avaient pas connu d’EDM selon l’interview de référence peuvent avoir été atteintes d’un trouble dépressif majeur par le passé. Chez ces personnes, les épisodes incidents pourraient donc être en fait des récidives de ce trouble. Par ailleurs, le profil de l’incidence diminuant avec le temps représenté par l’équation 1 pourrait s’expliquer en partie par le retrait graduel des entités le plus à risque au fur et à mesure qu’elles vivent des épisodes.
Bien entendu, d’autres facteurs peuvent influer sur la validité des estimations provenant de l’ENSP. Le CIDI-CIDI complet. Le CIDI-SFMD ne comprend pas de questions permettant d’obtenir des précisions sur la durée et la gravité de chaque symptôme ou de déterminer l’étiologie (organique ou non) des symptômesNote en bas de page 17,Note en bas de page 18. Les biais de classification découlant d’erreurs de mesure associées au CIDI-SFMD (indépendamment du moment des interviews) pourraient également fausser les estimations provenant de l’ENSP. Un autre problème est celui de la déperdition au fil du temps, causée par des facteurs tels qu’un suivi impossible, le décès et le placement en établissement : si une telle déperdition dépend du résultat (EDM) d’une façon qui diffère selon les expositions aux facteurs de risque, un biais peut survenir. Les estimations utilisées dans la présente étude étaient fondées uniquement sur les répondants pour qui des données complètes avaient été recueillies, ce qui est lié à la question de la validité et du caractère généralisable des estimations. Comme les estimations de l’ENSP utilisées dans le projet provenaient d’un sous‑ensemble de la cohorte longitudinale (les personnes pour qui des données complètes avaient été recueillies tout au long des sept cycles), les résultats pourraient ne pas s’appliquer à l’ensemble de la population. Les méthodes de simulation employées visaient à examiner un aspect problématique bien précis de l’ENSP, soit le moment des interviews par rapport à la mesure de la dépression. Sur ce point précis, les résultats sont rassurants.
Remerciements
L’auteur est chercheur principal en santé à l’Alberta Heritage Foundation for Medical Research. Le Dr Scott Patten n’a aucun conflit d’intérêt par rapport au présent projet. Il a reçu des honoraires d’expert‑conseil de Cipher Pharmaceuticals et a représenté cette entreprise au sein d’un conseil de contrôle de la sauvegarde des données. Il a également reçu des honoraires de Servier Canada Inc. et de Lundbeck Canada à titre d’expert‑conseil et de conférencier. Le présent projet a été financé par une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada. L’analyse repose sur des données recueillies par Statistique Canada. Les résultats ne reflètent toutefois pas le point de vue de Statistique Canada.
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