Environnement alimentaire de la vente au détail et expériences de magasinage dans les collectivités des Premières nations du nord des provinces

Kristin Burnett, Ph. D. Note de fin de document 1; Kelly Skinner, Ph. D. Note de fin de document 2; Travis Hay, MA Note de fin de document 3; Joseph LeBlanc, Ph. D. Note de fin de document 4; Lori Chambers, Ph. D. Note de fin de document 5

https://doi.org/10.24095/hpcdp.37.10.03f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Correspondance : Kristin Burnett, Département d’études autochtones, Université Lakehead, 955 Oliver Road, Thunder Bay (Ontario)  P7B 5E1; tél. : 807-346-7721; courriel : kburnett@lakeheadu.ca

Résumé

Introduction. Cet article porte sur l'environnement de la vente d’aliments dans les collectivités des Premières nations du nord des provinces, en particulier sur la concurrence éventuelle dans la vente au détail de la North West Company (NWC) ainsi que sur les expériences d'achats alimentaires de la population vivant dans le Nord canadien.

Méthodologie. Nous avons utilisé deux méthodologies pour évaluer l’environnement alimentaire de la vente au détail dans le Nord. D’abord, nous avons cartographié les détaillants en alimentation du Nord afin d’examiner le degré de concurrence au détail dans les régions nordiques, en prêtant une attention particulière aux collectivités qui ne sont pas accessibles à l’année par la route. Ensuite, nous avons enquêté auprès des personnes vivant dans les collectivités du Nord canadien à propos de leurs expériences d’achat au détail et de magasinage.

Résultats. Cinquante‑quatre pour cent des collectivités du nord des provinces et du Grand Nord n’avaient aucune épicerie en concurrence avec la NWC. Les provinces comptant les plus fortes proportions de collectivités nordiques sans concurrence dans la vente au détail étaient l’Ontario (87 %), la Saskatchewan (83 %) et le Manitoba (72 %). Les participants au sondage (n = 92) ont fait état de leurs préoccupations quant à leurs expériences d'achat dans trois grands secteurs : le coût des aliments, la qualité et la fraîcheur des aliments et la disponibilité de certains aliments.

Conclusion. La concurrence dans la vente au détail est limitée dans le nord des provinces. Au Manitoba, en Saskatchewan et en Ontario, la NWC ne fait face à aucune concurrence dans au moins 70 % des collectivités nordiques. Les consommateurs du Nord canadien considèrent que les aliments nutritifs sont peu abordables, et ils souhaitent avoir accès à un plus grand choix d’aliments périssables en bon état.

Mots‑clés : environnement alimentaire, vente au détail, qualité des aliments, nord des provinces, Nord canadien

Points saillants

  • Les collectivités sans accès routier à l’année présentent des taux extrêmement élevés d’insécurité alimentaire.
  • Les environnements de vente au détail du Nord sont particuliers et différents de ceux du Sud et des milieux urbains.
  • La North West Company est dans une situation d’oligopole dans le nord des provinces.
  • Il est possible que la concurrence limitée dans le marché de la vente au détail contribue à l’insécurité alimentaire dans le Nord canadien.
  • Les principales préoccupations exprimées par les répondants du Nord en matière d'achats alimentaires relevaient de trois ordres : un prix des aliments élevé, la qualité des aliments disponibles (leur fraîcheur) et enfin la disponibilité, le choix et la variété de certains aliments spécifiques (fruits et légumes frais et produits laitiers).

Introduction

Les environnements de vente au détail du Nord sont particuliers et diffèrent de ceux du Sud et des milieux urbains, ce qui présente des défis importants en matière de sécurité alimentaireNote de bas de page 1. Entre autres, le fait de regrouper les régions nordiques des provinces et le Grand Nord (Territoires du Nord‑Ouest, Yukon et Nunavut) empêche de saisir les contextes et les difficultés spécifiques en matière de commerce de détail alimentaire dans ces milieux. Un examen approfondi de l’environnement de vente au détail dans le nord des provinces a notamment révélé que l’absence de concurrence et de choix dans le marché de détail et la longueur extrême des chaînes d’approvisionnement (ainsi que les coûts connexes) se traduisent par un prix des aliments exceptionnellement élevé et par des lacunes importantes en matière de qualité, d’accessibilité et de variété des alimentsNote de bas de page 2,Note de bas de page 3,Note de bas de page 4,Note de bas de page 5. La fin du programme Aliments‑poste du gouvernement fédéral (une subvention de transport appliquée à certains aliments et produits) et son remplacement en 2011 par Nutrition Nord Canada (NNC) (une contribution versée directement aux détaillants pour certains aliments) a mis en lumière un prix élevé des alimentsNote de bas de page 6.

Les mouvements et les organisations autochtones populaires ont réagi aux modifications du programme de subvention en portant à l’attention du grand public canadien les taux extrêmement élevés d’insécurité alimentaire dans le Nord canadien, grâce à des campagnes dans les médias sociaux et par des pages Facebook comme « Feeding My Family »Note de bas de page 7. Les réactions de ces collectivités ont été relayées par le milieu universitaire et par des organisations internationales. Par exemple, en 2014, le Conseil des académies canadiennes a publié le rapport intitulé La sécurité alimentaire des populations autochtones dans le Nord du Canada : évaluation de l’état des connaissances, selon lequel l’insécurité alimentaire dans le Nord canadien est un problème urgent devant faire l’objet de mesures immédiatesNote de bas de page 8. Cette analyse a été précédée en 2012 du rapport d’Olivier De Schutter, alors Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation des Nations Unies en mission au Canada, qui a révélé que 60 % des ménages autochtones dans les réserves du nord du Manitoba étaient en situation d’insécurité alimentaire, tout comme 70 % des adultes inuits du NunavutNote de bas de page 9. De Schutter a aussi souligné que ces taux d’insécurité alimentaire étaient six fois plus élevés que la moyenne nationale et qu’ils représentaient « le plus haut taux d’insécurité alimentaire attesté pour une population autochtone d’un pays développé »Note de bas de page 9. La situation dans le Grand Nord est extrêmement préoccupante, ce qui fait que les discussions sur l’insécurité alimentaire ont été essentiellement limitées à cette région (plus spécifiquement au Nunavut). S'il est clair que le Nunavut (et les Territoires du Nord‑Ouest et le Yukon) ont besoin du programme NNC (et d’autres programmes plus efficaces destinés à réduire le prix des aliments et à accroître l’accès aux aliments terrestres et marins), notre recherche porte plutôt sur les environnements alimentaires de vente au détail des collectivités des Premières nations établies dans le nord des provinces.

L’utilisation répandue du terme nordique a créé de la confusion quant à ce qui constitue « le Nord ». Nous craignons que le nord des provinces et le Grand Nord ne soient amalgamés et que les crises alimentaires vécues dans ces deux régions soient regroupées en une seule expérience représentative. Le « Nord canadien », qui représente 96 % de la masse terrestre du pays, englobe des peuples très variés sur le plan géographique et culturel, qui vivent dans des contextes économiques, politiques et sociaux différents. Leur seul point commun est le taux disproportionné d’insécurité alimentaire qui touche les peuples autochtones vivant dans des collectivités rurales et nordiques et la présence d’oligopoles commerciaux.

Dans cet article, nous nous concentrons sur le nord des provinces, souvent considéré comme une région oubliée du Canada (« Canada’s forgotten North »)Note de bas de page 10,p.312. Il est généralement exclu des discussions concernant « le Nord », qui portent dans la plupart des cas sur le Grand Nord (c.‑à‑d. le Nunavut, les Territoires du Nord‑Ouest et le Yukon)Note de bas de page 11. Bien que, de façon générale, le nord des provinces ait plus d’éléments en commun avec le Grand Nord qu’avec le sud urbain, le fait de regrouper ces deux régions ne leur rend pas service : au contraire, cela revient à ignorer leurs caractéristiques spécifiques. Ce type de discours mêlant les peuples autochtones du Nord produit un effet colonisateur, qui revient à homogénéiser les Premières nations et les Inuits et à les extraire de leurs contextes culturels, géographiques et historiques.

Contexte

Durant la dernière décennie, de plus en plus de chercheurs se sont intéressés à l’insécurité alimentaire et à l'environnement alimentaire dans les collectivités des Premières nations et des Inuits. Cependant, la majorité de leurs travaux ont porté sur le Grand Nord et sur les pratiques des Inuits relatives aux aliments terrestres et marins. D'autres études ont été menées dans le nord des provinces sur des collectivités spécifiques, mais elles ont visé pour l'essentiel à mesurer l’insécurité alimentaire. Par exemple, une étude de 2012 sur 14 collectivités du nord du Manitoba a révélé que les trois quarts des ménages (75 %) étaient en situation d’insécurité alimentaire. L’incidence et la gravité de l’insécurité alimentaire étaient variables, avec des taux généralement plus élevés dans les collectivités accessibles uniquement par avion que dans celles accessibles par la route ou par chemin de ferNote de bas de page 12. De même, d'après une étude menée en 2013 sur la Première nation de Fort Albany, établie le long de la côte de la baie James dans ce qui constitue aujourd’hui le nord de l’Ontario, 70 % des ménages vivaient dans l’insécurité alimentaireNote de bas de page 13. Les auteurs des deux études ont indiqué que les environnements de vente au détail des collectivités des Premières nations accessibles uniquement par avion offrent des choix limités et que l’absence de routes praticables en toute saison affectait grandement la sécurité alimentaireNote de bas de page 12. Le détaillant le plus important et le plus présent dans les collectivités des Premières nations du nord des provinces est la North West Company (NWC), qui exploite notamment les magasins Northern Store. La NWC a une présence de longue date dans ces collectivités, qui remonte à l’époque où elle constituait une division des Magasins du Nord de la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC). En 1987, des cadres supérieurs de la HBC et des investisseurs privés ont fait l’acquisition de la division, l'ont renommée NWC et l'ont réorientée vers la vente d’aliments au détailNote de bas de page 14,Note de bas de page 15.

Dans une situation de marché de détail limité, les détaillants ont un grand poids dans la structure des environnements alimentaires locaux ainsi que dans l’accès de la population aux aliments. Des universitaires tels que Teresa Socha et ses collègues ont fait remarquer que les membres des collectivités considéraient que le modèle axé sur le profit utilisé par les détaillants nuisait à l’accès à des aliments abordablesNote de bas de page 3,Note de bas de page 4. Ces chercheurs ont soulevé un dilemme important lié au prix élevé des aliments : « l’alimentation ou le profit? »Note de bas de page 3,p. 58. En 2011, ils ont réalisé une étude pour comparer le prix des aliments dans les magasins d’alimentation à Thunder Bay et dans une collectivité des Premières nations établie dans une région éloignée du nord‑ouest de l’Ontario, faisant valoir que la résolution de l’insécurité alimentaire dans le nord des provinces passait par la résolution des problèmes liés à la chaîne alimentaire, qui touchent notamment le transport, l’accessibilité et la disponibilitéNote de bas de page 3,p. 58.

Parmi les solutions à l’insécurité alimentaire, notons un accès facilité pour les peuples autochtones aux aliments terrestres et marins grâce à des réseaux communautaires de partage d’aliments, des programmes d’aide à la récolte et à la chasse et par l’utilisation de congélateurs communautairesNote de bas de page 4,Note de bas de page 12,Note de bas de page 16. Autrement dit, la souveraineté alimentaire des Autochtones est indispensable à la décolonisation des environnements alimentaires locaux. Toutefois, les mesures destinées à assurer la souveraineté alimentaire des Autochtones ont été en grande partie limitées au contrôle des aliments terrestres et marins et, bien que cet aspect soit extrêmement important, il ne doit pas occulter le fait que les systèmes alimentaires fondés sur le marché se traduisent par des prix excessifs et soient déficients dans le choix et la qualité des aliments. La souveraineté alimentaire est essentielle pour les collectivités des Premières nations, mais elle n’élimine pas la nécessité de mettre sur pied des systèmes alimentaires fondés sur le marché qui soient équitables et gérés à l’échelle locale. Il est urgent de s’attaquer aux systèmes alimentaires fondés sur le marché et aux oligopoles qui ont favorisé les conditions auxquelles la plupart des collectivités du nord sont actuellement confrontées. Il faut trouver une solution globale qui accorde une place à la fois aux systèmes fondés sur les aliments terrestres et marins et à ceux fondés sur le marché et qui porte un regard critique sur les activités lucratives des détaillants dans la région.

Contexte historique

La faim et l’insécurité alimentaire dans les collectivités des Premières nations établies dans le nord des provinces ne sont pas des phénomènes récents : elles remontent au colonialisme de peuplement et à l’érosion de l’accès des peuples autochtones à leurs traditions alimentairesNote de bas de page 2,Note de bas de page 8,Note de bas de page 9. Lors de la création des réserves, on n’a pas pris en compte les connaissances et les préférences des peuples autochtones qui avaient vécu sur ces territoires et géré leurs ressources depuis des temps immémoriaux. Les réserves ont été instituées sans égard pour la proximité des aliments, de l’eau potable et des remèdes ni pour la capacité du territoire à soutenir un établissement à long terme. De plus, les lois provinciales sur la chasse ont criminalisé les pratiques de chasse des Autochtones et interdit la prise de certains animaux, et cette violation directe des traités conclus a empêché les peuples autochtones de chasser durant certaines saisons et imposé des limites de prises (c.‑à‑d. des restrictions quant au nombre d’animaux d’une espèce donnée pouvant être tués par les chasseurs)Note de bas de page 17,Note de bas de page 18,Note de bas de page 19,Note de bas de page 20. Par exemple, dans l’Étude sur la nourriture, l’alimentation et l’environnement des Premières nations, 65 % des participants vivant dans des réserves en Colombie‑Britannique ont déclaré que les restrictions gouvernementales affectaient ou limitaient les lieux de chasse, de pêche et de cueillette de baies. Les restrictions gouvernementales ont donc constitué le plus grand obstacle aux activités de récolteNote de bas de page 21.

Sous le régime des pensionnats indiens du Canada, des centaines de milliers d’enfants autochtones ont été retirés de force de leur famille et de leur collectivité afin de fréquenter des écoles qui avaient été conçues pour les assimiler. Ces écoles ont eu – et continuent d’avoir – un effet profond sur la transmission intergénérationnelle des connaissances nécessaires à la récolte et à la préparation des aliments traditionnelsNote de bas de page 22. Les changements climatiques ont aussi bouleversé les habitudes migratoires des animaux et réduit la capacité de l’humain de chasser et de pêcherNote de bas de page 8. Malgré tout, la récolte, la préparation et la consommation d’aliments traditionnels restent profondément enracinés dans le tissu familial, culturel et social des collectivités. Elles constituent un élément essentiel du bien‑être social et physique des Premières nationsNote de bas de page 8,Note de bas de page 22.

Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a lancé une série de programmes d’aide sociale et de subventions alimentaires ainsi que des mesures d’éducation qui ont eu pour conséquences de perturber les traditions alimentaires des Autochtones, rendant ceux‑ci de plus en plus dépendants des systèmes alimentaires du Sud fondés sur le marché. Par exemple, à la fin des années 1960, le gouvernement fédéral a institué une subvention de transport pour un groupe déterminé d’aliments qui seraient livrés par Postes Canada, appelée le programme Aliments‑poste. Cette subvention a existé jusqu’en avril 2011, date à laquelle elle a été remplacée par Nutrition Nord Canada (NNC), un programme destiné à financer l’achat d’aliments nutritifs périssables dans le Nord. En vertu de ce programme, les détaillants reçoivent une contribution pour certains aliments transportés par avion dans les collectivités du nord admissibles. Il existe deux niveaux de contribution (élevé et faible) pour les aliments nutritifs périssables et les taux sont établis d’après la destination et le poids des produits. La contribution est directement versée aux détaillants enregistrés, qui ont la responsabilité de faire profiter leurs clients des économies ainsi réalisées, mais qui ne font l’objet d’à peu près aucun contrôle. Jusqu’au 1er octobre 2016, le nord de l’Ontario comptait 32 collectivités accessibles uniquement par avion, dont 8 seulement avaient droit à une contribution complèteNote de bas de page 23 alors que toutes avaient désespérément besoin de cette contribution pour l’alimentationNote de bas de page 6.

Le programme a été sévèrement critiqué en 2014 dans un rapport du vérificateur général du CanadaNote de bas de page 24, qui a révélé que l’admissibilité des collectivités n’était pas fondée sur les besoins et qu’Affaires autochtones et du Nord Canada n’avait pas vérifié si les contributions versées dans le cadre du programme NNC avaient été entièrement transmises aux consommateurs. À la suite de la victoire du Parti libéral à l’élection fédérale de l’automne 2015, 37 autres collectivités ont été déclarées admissibles à des contributions du programme NNC à compter du 1er octobre 2016, dont 19 situées dans le nord l’OntarioNote de bas de page 23. Des consultations ont récemment eu lieu avec des intervenants de NNC afin de déterminer comment le programme pouvait être amélioréNote de bas de page 25. Le rapport du vérificateur généralNote de bas de page 24 n’aborde toutefois pas le manque de concurrence au détail dans de nombreuses collectivités des Premières nations établies dans le nord des provinces. Un grand nombre de collectivités autochtones vivant dans des réserves situées dans le nord des provinces sont accessibles uniquement par avion ou par barge maritime, et brièvement par des routes de glace saisonnières. En raison des grandes distances de transport, le prix des aliments est excessivement élevé, le choix et la qualité des aliments sont faibles et la plupart des collectivités sont desservies par un seul magasin d’alimentation. Un des principaux facteurs responsables de l’insécurité alimentaire des membres des Premières nations est le coût relatif de l’accès aux aliments, qui favorise à la fois la dépendance envers le système alimentaire fondé sur le marché (importations) et l’inflation des coûts liés à la participation aux activités de récolte d’aliments terrestres et marinsNote de bas de page 26.

Objectifs

Notre recherche visait à définir l’environnement alimentaire de vente au détail dans le Nord canadien selon deux points de vue : 1) en examinant si la NWC avait de la concurrence dans le marché de l’alimentation au détail dans les collectivités non accessibles à l’année par la route et 2) en invitant les personnes habitant dans des collectivités éloignées et semi‑éloignées à faire connaître leurs expériences de l’environnement alimentaire de vente au détail dans le Nord. Il est très difficile de convaincre la population vivant dans des collectivités éloignées et semi‑éloignées de participer à des sondages et d’obtenir son avis sur les questions touchant le Nord. Bien que les méthodes utilisées comportent des limites, notamment la faible taille de l’échantillon, cet article constitue une contribution importante à la maigre documentation existante sur la question de l'environnement de la vente au détail dans le Nord canadien.

Méthodologie

Nous avons utilisé deux méthodes pour évaluer l'environnement alimentaire de la vente au détail. La première visait à déterminer si la NWC faisait face à une concurrence notable dans le Nord, étant donné qu’elle est la principale chaîne d’alimentation à l'échelle du Nord canadien. Nous avons d’abord recensé toutes les collectivités du Nord canadien qui ne sont pas accessibles à l’année par la route, puis nous avons vérifié si elles étaient desservies par un magasin NWC en consultant la liste des établissements figurant sur le site Web de la NWC en date de décembre 2016. Nous avons repris les collectivités de cette liste pour examiner si les magasins NWC avaient de la concurrence dans le marché de détail en recherchant si d’autres commerces offrant un service complet d’épicerie étaient présents. Les petits commerces locaux (dépanneurs) n’ont pas été considérés comme des concurrents des magasins NWC.

Pour être retenue dans notre étude, une collectivité devait satisfaire à l’un des critères suivants : être établie dans le nord d’une province, au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest, au Nunavut, au Nuavik ou au Labrador ou bien participer au programme NNC ou bien être visée par l’article intitulé « From Food Mail to Nutrition North Canada: Reconsidering Federal Food Subsidy Programs for Northern Ontario », publié dans Canadian Food Studies en mai 2015Note de bas de page 6, ou encore être mentionnée sur le site Web de la NWC. Nous avons aussi inclus dans l’étude la ville de Moosonee, située dans le nord de l’Ontario, car elle constitue un point de services important (aliments, articles généraux et soins de santé) pour les Premières nations des territoires de Mushkegowuk qui est accessible à l'année uniquement par train (il n’existe pas encore de routes praticables en toute saison). Tous les commerces faisant la vente d’aliments à titre de magasin général ou d’épicerie ont été retenus dans l’étude. Nous avons pris en compte les commerces œuvrant dans plus d’un secteur au sein de leur collectivité (p. ex. la NWC exploite généralement un magasin d’alimentation et une station‑service), généralement dans plusieurs bâtiments mais sous la même enseigne, malgré des emplacements et des secteurs de vente au détail différents. Bien que la classification de ces commerces dans des catégories plus précises puisse fournir des renseignements supplémentaires sur l’étendue des oligopoles dans les collectivités nordiques, elle dépasse la portée de cet article.

La seconde méthode consistait à collecter des données auprès des membres des collectivités établies dans le Nord canadien à l’aide d’un sondage en ligne préparé en consultation avec des membres des collectivités et des Aînés. Le Groupe consultatif sur la souveraineté alimentaire (GCSA) de l’Ontario est constitué de sept militants de la cause alimentaire et de membres des collectivités, dont un Aîné, qui vivent dans le nord de l’Ontario et qui ont formé un groupe de revendication qui intervient dans les questions liées à la souveraineté alimentaire et dans les rapports de pouvoir et d’inégalité par diverses activités. Nous avons travaillé avec le GCSA pendant deux ans. Nos discussions ont clairement fait ressortir de graves préoccupations concernant les dates limites de conservation et de péremption, la qualité des aliments, les préférences alimentaires et les pratiques de vente au détail, ainsi qu’un désir d’obtenir plus de renseignements sur ces questions. Nous avons rédigé une première ébauche de questionnaire sur ces sujets de préoccupation avec une échelle à 5 points et des boîtes de commentaires pour encourager les participants à témoigner de leurs principales sources de préoccupation. Comme l’incapacité des gens à comprendre les dates limites de conservation est un argument fréquemment invoqué par les détaillants, nous avons décidé, au terme d’une longue discussion avec les membres des collectivités, d’utiliser le terme « expired foods » ou aliments périmés (c.‑à‑d. aliments ayant dépassé leur date limite de consommation). Ce terme est celui qui est le plus souvent employé par les membres des collectivités, et la perception que la date limite de conservation (« meilleur avant le... ») et la date de péremption sont synonymes est pertinent quand on voit l'information disponible pour orienter les décisions d’achat de la population (aliments emballés vendus après leur date limite de conservation). Quatre ébauches du questionnaire ont été révisées en consultation avec cinq des membres des collectivités et de l’Aîné du GCSA.

Le questionnaire a été lancé à l’aide de l’outil de sondage en ligne FluidSurveys (Fluidware, Ottawa, Ontario, Canada) le 12 novembre 2014 et clos le 31 décembre 2014. Nous avons invité les habitants du Nord canadien à faire part de leurs expériences et de leurs préoccupations concernant les expériences d’achat d’aliments chez les détaillants locaux. Pour faire la promotion du sondage et encourager les habitants du Nord à y répondre, des cartes postales expliquant l’étude ont été distribuées lors de la conférence de 2014 du Réseau pour une alimentation durable et ont également été envoyées à nos partenaires communautaires afin qu’ils fassent connaître l’étude dans leurs réseaux sociaux. Nous avons communiqué avec les médias traditionnels et les médias sociaux des régions nordiques (p. ex. groupe Facebook Feeding My Family) de même qu’avec des organisations du Nord qui s’attaquent aux problèmes liés à sécurité alimentaire et, de manière plus générale, à la santé et au bien‑être. En raison des lourdes contraintes liées à la réalisation d’une étude auprès de collectivités éloignées, nous avons été limités à un échantillon de commodité. Les répondants n’ont reçu aucune récompense en échange de leur participation.

Résultats

Concurrence des magasins

Il existe 120 établissements de la NWC (c.‑à‑d. magasins NorthMart et Northern) à l'échelle du Canada, situés dans des collectivités du nord des provinces et du Grand Nord qui ne sont pas accessibles à l'année par la route et qui sont accessibles temporairement en hiver par chemin de fer ou par des routes de glace saisonnières. Les établissements de la NWC sont les seuls magasins d’alimentation dans 65 (54 %) des 120 collectivités. Les 55 autres collectivités possèdent un deuxième commerce offrant un service complet d’épicerie. Autrement dit, la NWC exploite le seul magasin à offrir un service complet d’épicerie dans 54 % des collectivités où elle est établie au Canada.

Le portrait devient plus complexe si l’on répartit les magasins de la NWC par province et territoire. Le tableau 1 indique le nombre de magasins de la NWC subissant la concurrence d’au moins un autre commerce offrant un service complet d’épicerie dans chaque province et territoire. Les provinces comptant le plus grand nombre de magasins de la NWC sont le Manitoba, l’Ontario et la Saskatchewan, où l’entreprise ne fait face à pratiquement aucune concurrence. Proportionnellement parlant, les magasins de la NWC desservant les Premières nations du nord de l’Ontario sont ceux qui subissent la plus faible concurrence : 91 % d’entre eux ne sont soumis à aucune concurrence. Dans le nord de la Saskatchewan et du Manitoba, respectivement 83 % et 72 % des collectivités sont desservies uniquement par un magasin de la NWC.

Tableau 1. ConcurrenceTableau 1 - Note a de la North West Company par province et territoire, Canada, 2016
Province ou territoire Nombre de collectivités dotées d’un magasin de la NWCTableau 1 - Note b Nombre de collectivités où le magasin de la NWC est le seul magasin d’alimentation Nombre de collectivités comptant au moins un magasin d’alimentation en plus de celui de la NWC
Alberta 4 1 25 % 3 75 %
Colombie-Britannique 1 0 0 % 1 100 %
Manitoba 25 18 72 % 7 28 %
Terre-Neuve-et-Labrador 4 1 25 % 3 75 %
Territoires du Nord-Ouest 18 13 72 % 5 28 %
Nunavut 22 1 5 % 21 95 %
Ontario 22 20 91 % 2 9 %
Québec 11 1 9 % 10 91 %
Saskatchewan 12 10 83 % 2 17 %
Yukon  1 0 0 % 1 100 %
Canada 120 65 54 % 55 46 %
Abréviation : NWC, North West Company.

Expériences de la vente au détail

Le second volet de notre étude consistait à évaluer l’environnement de vente au détail d’après les expériences et les perceptions de la population concernant le prix élevé des aliments, la qualité des aliments offerts (frais ou périmés) et la disponibilité et le choix d’aliments spécifiques (fruits et légumes frais, produits laitiers). Des 113 personnes recrutées au début de l’étude, nous avons dû exclure celles qui n’avaient répondu qu’aux premières questions du questionnaire (n = 20) de même qu’une personne habitant aux États‑Unis. Les analyses descriptives ci‑dessous ont été réalisées à l’aide des données obtenues auprès des autres répondants (n = 92).

La majorité des répondants étaient de sexe féminin (71,7 %), 27,2 % d’entre eux étaient âgés de 35 à 44 ans, 25,0 % de 25 à 34 ans et 21,7 % de 45 à 54 ans. Vingt‑et‑un pour cent des répondants vivaient dans un ménage de 5 personnes ou plus, le nombre moyen de personnes par ménage s’établissant à 3,4. Environ le tiers (32,6 %) des répondants habitait dans le nord de l’Ontario, qui était suivi des Territoires du Nord‑Ouest (avec 21,7 % des répondants), le Manitoba (18,5 %) et le Nunavut (12,0 %). Huit des provinces et territoires étaient représentés (figure 1).

Figure 1 : Répartition géographique en pourcentage des participants au sondage par province et territoire
Figure 1
Figure 1 - Description textuel

Dans la figure 1, on voit qu’environ le tiers (32,6 %) des répondants au sondage habitait dans le nord de l’Ontario, qui était suivi des Territoires du Nord‑Ouest (avec 21,7 % des répondants), le Manitoba (18,5 %) et le Nunavut (12,0 %). Huit des provinces et territoires étaient représentés.

Quatre‑vingt‑neuf pour cent des répondants ont déclaré vivre dans une collectivité éloignée ou semi‑éloignée. Nous avons demandé aux répondants qui n’habitaient plus dans une collectivité éloignée ou semi‑éloignée mais qui y avaient déjà vécu de donner leur point de vue sur leur expérience sur ce contexte.

Environ la moitié (51,1 %) des répondants vivaient dans une collectivité accessible par route à l’année. Selon les répondants qui ont mentionné le prix de l’essence (n = 74, 80,4 %), son coût moyen était de 1,59 $ par litre et il variait entre 1 $ et 3 $ par litre.

La majorité (84,7 %) des répondants ont déclaré être la principale personne responsable des achats alimentaires de leur ménage. Le principal détaillant où ils faisaient leurs achats était un magasin de la NWC (49,5 %), suivi d’un commerce privé local (18,9 %), d’un magasin communautaire (15,8 %) et d’un magasin de Coopératives de l’Arctique Limitée (6,3 %). À la question « Est‑ce que le magasin vend des aliments périmés? », pour laquelle le choix de réponse était « Souvent », « Parfois », « Jamais » et « Ne sait pas », 82 % des répondants ont indiqué que leur magasin vendait souvent ou parfois des aliments périmés. À la question « Est‑ce que les aliments périssables sont généralement en bon état? », à laquelle les répondants devaient répondre par « Oui » ou « Non », plus de la moitié (57 %) d’entre eux ont répondu par la négative. Nous avons donné aux répondants ayant déclaré que les aliments périssables n’étaient généralement pas en bon état l’occasion de fournir des précisions sur l’état des aliments dans leur magasin. Leurs commentaires ont fait ressortir un manque de fraicheur des aliments, la nécessité d'être très vigilant sur la qualité des aliments périssables avant de les acheter et des problèmes liés à la fraîcheur et à la qualité des aliments dus à leur transport sur de grandes distances. (« Plus souvent qu’autrement, ils sont pourris ou presque lorsqu’ils arrivent », a écrit un répondant d’une collectivité éloignée du nord du Manitoba). Des répondants ont indiqué que les aliments étaient de qualité variable (un sujet d’une collectivité éloignée du Yukon a ainsi précisé : « Très variable — des fois, ils arrivent en bon état, les bananes et les concombres sont en général congelés ou ramollis »). Des répondants ont déclaré qu’ils devaient s’assurer de les consommer rapidement après les avoir achetés (un répondant d’une collectivité éloignée des Territoires du Nord‑Ouest a ainsi décrit ses aliments frais comme « pourris, ou si mûrs qu’il faut les manger immédiatement », et un autre d’une collectivité semi‑éloignée du nord de l’Ontario a écrit qu’il « faut généralement les consommer le jour où on les achète »). Plusieurs personnes ont mentionné que les aliments périssables étaient de moins grande qualité durant les mois d’hiver, tandis que d’autres ont expliqué que c’était un problème à l’année (« Ils ne durent pas plus d’un jour ou deux après qu’on les achète… Les mois d’hiver sont pires que les mois d’été », selon un répondant d’une collectivité éloignée du Nunavut).

À la question « Qu’est‑ce qui vous préoccupe le plus lorsque vous magasinez chez votre détaillant principal? », les réponses les plus courantes des participants au sujet des achats alimentaires se divisaient en trois grandes catégories : le prix élevé des aliments, la qualité des aliments offerts (frais ou périmés) et enfin la disponibilité, le choix et la variété d’aliments spécifiques (fruits et légumes frais, produits laitiers). Lorsque nous avons demandé aux participants « Quels sont les cinq produits alimentaires que vous achetez le plus souvent? », la réponse qui revenait le plus souvent était du lait. Enfin, lorsque nous avons demandé aux participants « Nommez les trois produits alimentaires nutritifs frais ou périssables qui devraient selon vous être plus abordables », les fruits et légumes frais sont arrivés en tête des réponses. Ils étaient suivis de près du lait et de la viande.

À la fin du sondage, les participants ont été invités à signaler toute autre préoccupation ou question n’ayant pas été abordée. Vingt‑sept personnes (29,3 %) ont fourni des commentaires supplémentaires. Certains des commentaires portaient sur les causes possibles de la variété et de la qualité insuffisantes des produits offerts, comme celui‑ci d’un membre d’une collectivité éloignée du Nunavut :

Le manque de variété est dû à l’administration centrale : les employés sont limités à ce qui se trouve dans le guide de commande. Ils vendent aussi beaucoup de produits de leur marque – qui est horrible – parce qu’ils gagnent plus d’argent à vendre leur marque. On a remarqué que même les aliments qui arrivent par barge – et qui devraient être moins chers – sont vendus au même prix que ceux transportés par avion. En plus, tous leurs produits non alimentaires ont l’air d’être de mauvaise qualité, mais ils les vendent à gros prix… De la merde qu’on peut acheter dans les magasins à un dollar dans le sud, mais les prix sont tellement majorés ici. Maintenant on sait pourquoi la North West Company réalise toujours des profits : c’est parce que ses prix sont exorbitants.

D’autres participants étaient très préoccupés par le prix élevé de certains aliments de base comparativement à d’autres aliments moins santé, comme en témoigne ce commentaire d’un membre d’une collectivité éloignée du nord du Manitoba :

Pourquoi est‑ce que le prix du lait, des œufs, du pain, etc., n’est pas réglementé dans tout le pays? Je n’ai jamais vu un seul de ces produits en solde. Un sac de quatre litres de lait coûte plus de 8,50 $ dans la ville nordique où j’habite. Pourtant, les deux litres de Pepsi et de Coke peuvent descendre jusqu’à 1 $, les croustilles sont aussi en solde. L’alcool est réglementé, mais pas le lait. Il faut faire quelque chose pour que ça change.

Les commentaires ont aussi fourni des détails sur quelques‑uns des obstacles à l’accès aux aliments durant certaines périodes de l’année et sur leur effet sur les prix : « Durant la débâcle du printemps et l’englacement automnal, on transporte les articles d’épicerie par hélicoptère. Je vois le prix des aliments augmenter durant ces périodes, mais ils ne redescendent jamais » (membre d’une collectivité éloignée des Territoires du Nord‑Ouest). Plusieurs répondants ont aussi décrit le prix des aliments par rapport au coût de la vie : « Comment peut‑on gagner sa vie quand le lait coûte 15 dollars? Je sais que ce n’est même pas le pire au Canada, mais sérieusement. Les gens doivent nourrir leur famille et tout ce qu’ils peuvent se permettre, ce sont des aliments préemballés affreux qui sont mauvais pour la santé » (membre d’une collectivité éloignée du nord de l’Ontario). Enfin, un certain nombre de répondants ont critiqué les profits dégagés par les détaillants et l’efficacité des programmes de contribution du gouvernement, dont le programme NNC : « Je pense qu’il doit y avoir plus de transparence quant à savoir combien les aliments coûtent, combien de profits font les détaillants, et dans quelle mesure le gouvernement subventionne les coûts » (membre d’une collectivité éloignée des Territoires du Nord‑Ouest).

Analyse

Notre article met en lumière l’étendue des activités de vente d’aliments au détail de la NWC dans le nord des provinces ainsi que l’environnement de vente alimentaire au détail dans le Grand Nord et dans le nord des provinces en s’appuyant sur les points de vue exprimés par la population vivant dans ces régions. Le regroupement des expériences et des contextes d’un grand nombre de collectivités et de lieux variés, parsemés sur un vaste territoire, dans un vaste concept appelé simplement « le Nord » empêche de caractériser adéquatement la nature de l’environnement de vente au détail et l’environnement alimentaire des collectivités autochtones du Nord. Il existe de grandes différences tant entre le Grand Nord et le nord des provinces qu’entre leurs régions et leurs collectivités. Nous avions pour objectif d’examiner et d’expliquer quelques‑uns des défis particuliers que doivent surmonter de nombreuses collectivités des Premières nations dans le nord des provinces pour acquérir des aliments vendus dans les commerces, notamment le manque de concurrence, la présence d’oligopoles et les expériences de vente au détail.

Notre analyse de la concurrence au détail dans le Nord canadien a montré que la NWC occupe une position dominante dans ce marché, particulièrement en ce qui concerne la vente d’aliments. De 1987 (année de la vente de la division des Magasins du Nord de la Compagnie de la Baie d’Hudson à des cadres supérieurs et à des intérêts privés) à 2015, sa part de profits découlant de la vente d’aliments a plus que doublé, passant d’un peu plus de 30 % à 79,3 %Note de bas de page 27. En effet, la participation au marché des aliments au détail s’est avérée si profitable que la NWC a pris de l’ampleur en 2007 par l’entremise de sa bannière Cost‑U‑Less, initiative dans le Pacifique Sud et les Caraïbes, invoquant « une position concurrentielle de pointe appuyée sur de fortes barrières à l’entrée »Note de bas de page 27. La domination du marché du Nord par la NWC est facilitée par l'accès de l’entreprise aux programmes de contribution du gouvernement tels que Nutrition Nord Canada et son prédécesseur, le programme Aliments‑poste. Durant l’année financière 2014‑2015, la NWC a reçu la majorité (50 %) de la contribution du gouvernement fédéral au programme NNC, devançant largement le deuxième bénéficiaire à ce chapitre, en l’occurrence Coopératives de l’Arctique Limitée (seulement 19 %), dont les activités sont essentiellement concentrées au Nunavut, aux Territoires du Nord-Ouest et au YukonNote de bas de page 28.

Les régions comptant le plus grand nombre de magasins de la NWC au Canada étaient le nord du Manitoba et le nord de l’Ontario (respectivement 25 et 22). Très peu des collectivités incluses dans notre échantillon possédaient un deuxième commerce offrant un service complet d’épicerie : seulement 1 dans le nord de l’Ontario, et 7 dans le nord du Manitoba. Bien que les difficultés liées à la vente au détail dans ces régions aient limité la concurrence au détail et empêché l’exploitation de plus d’un magasin d’alimentation dans un grand nombre de collectivités, les détaillants qui desservent les Premières nations du Nord continuent de réaliser des profits importants. Selon le rapport sur le programme NNC intitulé « Vente au détail des aliments dans le Nord – Collecte de données et analyse par Enrg Research Group », commandé et publié en 2014 par le gouvernement fédéral, bien que « les détaillants n’étaient pas disposés à fournir des informations financières précises concernant la rentabilité de leurs activités de vente au détail du Nord », il est permis de conclure que « les épiciers du Nord tirent profit de leurs activités dans les collectivités nordiques et le profit est donc un facteur contribuant au coût global d’épicerie »Note de bas de page 29.

Le sondage en ligne que nous avons mené auprès de répondants du Nord canadien donne du relief à la description des environnements de vente au détail et met en évidence plusieurs des problèmes soulignés dans le rapport du vérificateur général de novembre 2014 au sujet du programme NNCNote de bas de page 24, dans le rapport récemment publié par le gouvernement du Canada sur le processus de mobilisation des collectivités concernant le programme NNNote de bas de page 25,Note de bas de page 30 et dans une évaluation externe du programmeNote de bas de page 31. Le rapport du gouvernementNote de bas de page 30 a résumé en ces termes les observations générales faites par des membres des collectivités au sujet du processus de mobilisation du public :

Les résidents du Nord pensent que tout dans le Nord coûte cher. Un certain nombre de participants ont indiqué qu’il est difficile pour eux, en tant que résidents du Sud, de comprendre ces défis. La situation est accentuée par le fait que de nombreuses personnes vivent de revenus fixes. Même avec les contributions fournies par NNC, qui sont généralement appréciées, de nombreuses familles ne peuvent pas se permettre d’acheter des aliments sains. Il existe des réserves quant à la qualité et à la disponibilité générale des aliments périssables nutritifs dans le Nord.

De manière générale, les résultats de notre sondage sur les expériences des peuples du Nord en matière d’accès aux aliments vendus au détail correspondent à ces observations. Les membres des collectivités des Premières nations nordiques et éloignées qui ne sont accessibles que brièvement par des routes de glace saisonnières demandent un accès à un plus grand choix d’aliments en bon état à des prix abordables. La mauvaise qualité des aliments périssables est un problème important, qui constitue un obstacle à l’achat d’aliments frais. La crainte de dépenser de l’argent sur des aliments avariés peut dissuader les gens d’essayer de nouveaux types d’aliments ou encore les amener à privilégier les aliments prêts‑à‑servir et les repas‑minute qu’ils sont raisonnablement certains de pouvoir manger. En effet, la qualité est toujours une des plus grandes préoccupations exprimées par les membres des collectivités, mais elle reste le facteur jugé le moins important dans la conception des recherches et dans l’évaluation du programme NNC, qui, à ce jour, se sont concentrées sur la collecte des prix d’un groupe déterminé d’aliments du Panier de provisions nordique révisé (PPNR)Note de bas de page *. L’incapacité à comprendre la dynamique entre la qualité des aliments et les habitudes d’achats alimentaires dans le Nord renforce la perception erronée que les membres des collectivités des Premières nations établies dans le nord des provinces choisissent d’acheter des aliments malsains, préemballés et transformés au lieu des aliments frais et périssables plus nutritifs. En réalité, de nombreuses décisions concernant l’achat d’aliments sont influencées par le souvenir d’avoir acheté des aliments avariés, moisis ou pas frais qui étaient immangeables.

Enfin, bien que tous les membres des collectivités aient remis en question l’environnement actuel de vente au détail dans les collectivités des Premières nations du nord des provinces accessibles uniquement par avion, les organismes gouvernementaux ont lamentablement échoué à poser les mêmes questions. Le rapport du vérificateur général de 2014 au sujet du programme NNC souligne que certaines collectivités du nord de l’Ontario ont été jugées admissibles au programme NNC et d’autres pas, mais il ne mentionne toutefois pas la domination d’une entreprise sur le système alimentaire fondé sur le marché ni l’influence de cette entreprise sur les processus de décision qui affectent les collectivités autochtones. Par exemple, lors des consultations sur le programme Aliments‑poste qui ont eu lieu en 2007 et 2008, l’importance accordée à la NWC par Dargo and Associates (le cabinet de consultants) a été au moins aussi grande que celle accordée aux collectivités et aux Premières nations, si ce n'est, dans certains cas, plus grande que celle accordée aux membres des collectivitésNote de bas de page 33. De plus, le rapport soutient que la relation entre le gouvernement fédéral et les détaillants en alimentation « semble contribuer à la désorganisation des marchés et elle nuit au mandat du ministre dont le but est de soutenir le développement économique du Nord »Note de bas de page 33.

GallowayNote de bas de page 31 s’est appuyée sur des données recueillies dans le cadre du programme NNC pour examiner si l’existence du programme de contribution avait eu un effet sur le prix des aliments dans les collectivités nordiques. Elle a conclu que le manque de concurrence sur le marché de détail des petites collectivités, même celles admissibles au programme NNC, s’était traduit par des prix d’aliments extrêmement élevés. Citant en exemple des collectivités du Grand Nord, elle a indiqué que même la présence d’un deuxième détaillant n’avait pas suffi pas pour créer un environnement alimentaire de vente au détail concurrentiel et que les collectivités comptant un seul détaillant en alimentation présentaient les prix d’aliments les plus élevés au CanadaNote de bas de page 31. Dans notre recherche, nous avons observé un manque de concurrence sur le marché de l’alimentation au détail dans le nord des provinces. Nous sommes d’avis que la faible concurrence danas la vente au détail contribue nettement à l’insécurité alimentaire dans le Nord canadien. D’autres recherches sont nécessaires pour obtenir des données sur l’oligopole de l’environnement alimentaire de la vente au détail dans le Nord canadien et pour enrichir la base de données probantes sur le rôle de l’absence de concurrence au détail dans le prix relativement plus élevé des aliments dans les collectivités du NordNote de bas de page 31. Il faut quantifier les écarts de prix des aliments entre les collectivités possédant plusieurs concurrents dans le marché de détail et celles en situation d’oligopole ou de monopole, se pencher sur la qualité des aliments et examiner de plus près les points de vue des personnes vivant dans le Nord canadien.

Points forts et limites

Notre article porte sur un aspect relativement méconnu de la sécurité alimentaire dans les collectivités des Premières nations établies dans le nord des provinces. Il se limite toutefois à la concurrence au détail dans les 120 collectivités dotées d’un magasin de la NWC qui ne sont pas accessibles à l’année par la route. Le sondage en ligne ayant été rempli par des membres des collectivités faisant partie du GCSA, il traduit leurs préoccupations concernant leurs expériences de magasinage mais n’est pas représentatif de l’ensemble de la population. Le nombre de participants au sondage a été limité par plusieurs facteurs : la nécessité d’avoir accès à Internet pour répondre aux questions, les barrières linguistiques et la faible probabilité que les personnes les plus marginalisées participent au sondage. Il en a résulté un échantillon de faible taille (n = 92), constitué de représentants de huit provinces et territoires, qui ne fournit pas un portrait complet des expériences d’achat au détail dans le Nord canadien. Toutefois, compte tenu de la difficulté à obtenir ce type de données dans les régions éloignées, ainsi que de l’absence d’autres données sur les expériences de magasinage des habitants du Nord, notre étude marque un premier pas vers l’établissement de nouvelles données à ce sujet.

Conclusion

L’insécurité alimentaire dans le Nord canadien, particulièrement chez les Premières nations et les Inuits, est un problème de santé publique pressant. La faible concurrence dans le marché de l’alimentation au détail contribue largement à cette situation. Dans le nord de l’Ontario, 91 % (20 sur 22) des collectivités des Premières nations accessibles seulement par avion et par des routes de glace saisonnières comptent un seul commerce offrant un service complet d’épicerie. Le choix limité d’aliments au détail affecte aussi la variété et la qualité des aliments que la population peut acheter. Les mesures visant à favoriser la souveraineté alimentaire des Autochtones doivent prendre en compte tous les aspects de l'économie alimentaire locale, dont la vente au détail et la récolte d’aliments terrestres et marins.

Remerciements

Nous saluons la gentillesse, la générosité et la patience des membres des collectivités à notre égard tout au long du projet. Nous souhaitons également remercier Robert Thivierge, qui a répertorié les magasins d’alimentation dans le Nord canadien, et James Jung, qui nous a aidés à vérifier certains faits à la toute fin du projet. Cette recherche a été subventionnée par le CRSH.

Conflits d’intérêts

Les auteurs n’ont ni affiliation à un organisme ou entité ayant des intérêts financiers ou non-financiers en lien avec les sujets traités dans cet article, ni implication auprès d’un organisme ou d’une entité de ce type.

Contributions des auteurs

KB et KS ont contribué à la conceptualisation du travail, la distribution du sondage, l’acquisition, l’analyse et l’interprétation des données, ainsi que la rédaction et la révision du manuscrit. TH a contribué à la distribution de l’enquête, l’analyse des données et la rédaction du manuscrit. JL a contribué à la conceptualisation du travail, l’élaboration du sondage en ligne et sa distribution parmi les membres de la collectivité. LC a contribué à la conceptualisation du travail et à la révision du manuscrit.

Le contenu de cet article et les opinions qui y sont exprimées n'engagent que les auteurs et ne représentent pas forcément les opinions du Gouvernement du Canada.

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