Réduire la mortalité prématurée chez les jeunes adultes et les adultes d'âge moyen - PSPMC: Volume 37-3, mars 2017

Volume 37 · numéro 3 · mars 2017

Éditorial

Réduire la mortalité prématurée chez les jeunes adultes et les adultes d'âge moyen

Joel G. Ray, M.D., FRCPCNote de bas de page 1,Note de bas de page 2,Note de bas de page 3

https://doi.org/10.24095/hpcdp.37.3.01f

Rattachement de l'auteur

Correspondance : Joel G. Ray, Departments of Medicine, Obstetrics and Gynecology, and Health Policy Management and Evaluation, St. Michael's Hospital, University of Toronto, 30, rue Bond, Toronto (Ontario) M5B 1W8; tél. : 416-864-6060, poste 77442; téléc. : 416-864-5485; courriel : rayj@smh.ca

Le décès d'un individu au début ou au milieu de sa vie adulte est un événement inattendu dont les conséquences tragiques touchent à la fois les parents de la personne décédée, les membres de sa fratrie, son conjoint ou sa conjointe, ses enfantsNote de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3 et ses amis. La prévention des décès prématurés est un objectif central des programmes de soins de santé et de santé publique, et plus largement de la société.

La mortalité prématurée correspond à l'espérance de vie non atteinte. Les définitions conventionnelles de la mortalité prématurée et des années potentielles de vie perduesNote de bas de page 4, qui s'appliquent à l'ensemble de la population de la naissance jusqu'à l'âge de 65Note de bas de page 5 ou de 75Note de bas de page 6 ans, nuisent à notre compréhension des facteurs associés aux décès évitables à l'âge adulte. Par exemple, les décès qui surviennent durant l'enfance touchent surtout les nourrissons - du fait des malformations congénitales et des naissances prématurées. À l'autre extrémité du cycle de vie, chez les aînés de 65 à 75 ans (chez qui l'on compte la plus grande proportion des décès), ce sont les décès par cancer et par maladies cardiovasculaires qui dominent. Pour l'ensemble des Canadiens, les cinq principales causes de décès sont le cancer (30 %), les maladies cardiaques (21 %), les accidents vasculaires cérébraux (6 %), les maladies du poumon (5 %) et les blessures non intentionnelles (4 %)Note de bas de page 7. Chez les Canadiens de 25 à 34 ans, ce sont les blessures non intentionnelles (29 %), le suicide (20 %), le cancer (12 %), les maladies cardiaques (5 %) et les homicides (5 %)Note de bas de page 7. Chez les Canadiens de 35 à 44 ans, parmi les cinq principales causes de décès, on compte les blessures non intentionnelles, le suicide et les maladies du foie, ces dernières découlant souvent de la consommation excessive d'alcool et de l'usage de drogues injectables. À Toronto, les causes de décès prématuré suivent la même tendanceNote de bas de page 8.

De l'ensemble des décès survenant chez les Canadiens de 20 à 64 ans, 20 % touchent ceux de 20 à 44 ansNote de bas de page 9. De plus, la plupart des décès prématurés chez les jeunes adultes et les adultes d'âge moyen sont vraiment évitables. Au Canada, environ 6 % de ces décès sont liés à l'alcool - deux fois plus fréquemment chez les hommes (7,6 %) que chez les femmes (3,5 %)Note de bas de page 10. En Russie, où la consommation d'alcool constitue un problème de santé publique majeur, jusqu'à 43 % des décès signalés chez les hommes de 25 à 54 ans sont attribuables à une consommation d'alcool dangereuseNote de bas de page 11. En Ontario, en 2010, un décès sur huit chez les adultes de 25 à 34 ans était lié à la consommation d'opioïdesNote de bas de page 12 et, à l'échelle du pays, nous constatons l'émergence d'une épidémie liée à l'usage d'opioïdes qui a ravagé et emporté la vie de nombre de Canadiens.

La maladie mentale et les comportements criminels sont également interconnectés dans leurs effets sur la mortalité prématurée. Selon deux vastes études suédoises menées auprès de 15 337 adultes atteints d'un trouble bipolaire, qui ont été appariés selon l'âge et le sexe à 20 adultes choisis aléatoirement au sein de la population générale, 22 % des sujets commettaient des actes suicidaires ou criminels après leur diagnostic de trouble bipolaire, contre 4,6 % des membres de la population générale (risque relatif [RR] corrigé = 3,0; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 2,9 à 3,2)Note de bas de page 13. Les personnes atteintes d'un trouble bipolaire présentaient un risque de suicide 14,6 fois plus élevé (IC à 95 % : 12,1 à 17,6), en particulier celles qui présentaient des antécédents de tentative de suicide ou un trouble lié à la consommation d'alcool ou de droguesNote de bas de page 13. Dans une étude menée auprès de 475 garçons délinquants et de 456 garçons non délinquants suivis de leurs 14 ans à leurs 65 ans, respectivement 6,1 % et 2,4 % sont décédés de causes non naturelles avant l'âge de 40 ans. Les comportements antisociaux chez les jeunes et l'abus d'alcool se sont révélés des prédicteurs de ce résultat, et les décès étaient davantage susceptibles de résulter d'un homicide et d'une piètre autogestion de la santéNote de bas de page 14. Dans une étude menée auprès de récidivistes en Finlande, le risque de décès avant l'âge de 30 ans était 29 fois plus élevé que chez les personnes n'ayant jamais commis d'acte criminelNote de bas de page 15. Sur l'ensemble des individus emprisonnés dans un établissement correctionnel provincial canadien, le ratio normalisé de mortalité s'établit à 4,0 (IC à 95 % : 3,9 à 4,1), les blessures et l'empoisonnement représentant 38 % de tous les décèsNote de bas de page 16, et les RR de décès les plus importants sont observés chez les jeunes délinquants, en particulier chez les femmesNote de bas de page 16. Des statistiques similaires ont été relevées chez les personnes emprisonnées dans un établissement correctionnel fédéralNote de bas de page 17. Il appert donc que certains adultes susceptibles de mourir prématurément sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanie et de criminalité, dont l'origine remonte souvent à leur jeunesse.

Il existe des « facteurs de risque génériques » de mortalité prématurée de nature intentionnelle et non intentionnelle, en particulier des facteurs de risques concentrés autour de la maladie mentale. Neeleman a procédé à un examen systématique de 163 cohortes et a constaté que plusieurs facteurs de risque de suicide connus - en particulier des antécédents d'automutilation, d'abus d'alcool et de drogues et d'une maladie mentale grave - ont été également associés à des décès non liés au suicideNote de bas de page 18. Lai et ses collaborateurs ont évalué 22 études épidémiologiques sur la prévalence de la maladie psychiatrique chez les personnes souffrant de toxicomanieNote de bas de page 19 : les personnes qui consommaient des drogues illicites étaient plus susceptibles de souffrir d'une dépression majeure (risque 3,8 fois plus élevé [IC à 95 % : 3,0 à 4,8]) et de présenter un trouble anxieux (risque 2,9 fois plus élevé [IC à 95 % : 2,6 à 3,3]) et les rapports de cotes chez les personnes ayant un trouble lié à la consommation d'alcool étaient respectivement de 2,4 (IC à 95 % : 2,2 à 2,6) et 2,1 (IC à 95 % : 2,0 à 2,2). Nous pouvons de ce fait utiliser ces facteurs de risque génériques, dont les antécédents d'automutilation, d'abus d'alcool et de drogues et d'une maladie mentale grave, pour déceler les adultes à risque de mourir prématurément, dont plusieurs pourraient faire l'objet d'une intervention, et ce, dès leur enfanceNote de bas de page 18.

Ce n'est pas un hasard si l'augmentation de la prévalence de la dépendance à l'égard des aliments obésogènes hyper-savoureuxNote de bas de page 20 et si l'émergence de l'obésité à l'échelle mondialeNote de bas de page 21 ont amené de nombreuses personnes à considérer l'obésité comme une maladie non transmissible, dont l'impact majeur sur la mortalité prématurée n'a pas encore été établiNote de bas de page 22. Les personnes prédisposées à la dépendance alimentaire ont également tendance à afficher des scores plus élevés aux questionnaires mesurant la dépressionNote de bas de page 20 et sont également plus nombreuses à avoir été victimes de violence durant leur enfanceNote de bas de page 23 et à avoir eu un accès plus limité à des installations facilitant l'activité physique, en particulier dans des régions où le statut socioéconomique est faible et au sein de certains groupes minoritairesNote de bas de page 24, dont les enfants et les adolescents autochtonesNote de bas de page 25. Il est évident que la reconnaissance et la prise en compte adéquate de ces inégalités et de l'ensemble des autres inégalités peuvent aider les jeunes adultes à atteindre un indice de masse corporel plus sain, ce que Bhawra et ses collaborateursNote de bas de page 25, Frankish et ses collaborateursNote de bas de page 26 et Rao et ses collaborateursNote de bas de page 27 soulignent dans ce numéro de Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada.

Dans un autre article publié dans ce numéro, Steensma et ses collaborateurs présentent des données nationales sur l'espérance de vie ajustée en fonction de la santé (EVAS), une mesure composite non seulement de la quantité de vie, mais également de sa qualitéNote de bas de page 28. À l'échelle du Canada, on a montré qu'environ 45 % de la variation de l'EVAS par région sanitaire s'expliquait par des différences liées au statut socioéconomiqueNote de bas de page 29, et Steensma et ses collaborateurs laissent entendre que la situation pourrait être pire à Terre-Neuve-et-Labrador et à l'Île-du-Prince-Édouard, en particulier chez les hommesNote de bas de page 28. En réalité, il s'agirait d'une analyse conservatrice, compte tenu du fait que les données n'étaient disponibles que jusqu'en 2010 et que l'étude n'incluait pas les personnes vivant dans des réserves indiennes, dans certaines régions éloignées de l'Ontario et du Québec ainsi que dans les trois territoires canadiens - qui sont des zones où l'espérance de vie sans incapacité (une mesure semblable à l'EVAS) a tendance à être moins élevéeNote de bas de page 29. Une modélisation de l'EVAS portant spécifiquement sur les personnes âgées de 20 à 45 ans peut certainement révéler dans quelle mesure certains facteurs qui ont un rôle sur les décès prématurés réduisent aussi parallèlement la qualité de vie au début et au milieu de la vie adulte.

Pour s'attaquer au problème de la mortalité prématurée chez les jeunes Canadiens et les Canadiens d'âge moyen, il faut d'abord définir clairement quelles personnes sont les plus à risque et quels sont les facteurs d'influence les plus probables, puis proposer des solutions adaptées, à la fois multidimensionnelles, réalistes et fondées sur des données probantes. Grâce aux études sur le traitement des maladies mentales et des dépendances, ainsi qu'à la prévention primaire et secondaire des blessures intentionnelles et non intentionnelles, nous devrions pouvoir non seulement réduire le nombre de décès prématurés au Canada, mais également améliorer le bien-être des personnes épargnées par cette triste destinée.

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