Aperçu – Déficit associé à l’alcool : recettes publiques et coûts pour la société associés à l’alcool au Canada
Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada
Adam Sherk, Ph. D.
https://doi.org/10.24095/hpcdp.40.5/6.02f
Rattachement de l’auteur
Canadian Institute for Substance Use Research, Université de Victoria, Victoria (Colombie-Britannique), Canada
Correspondance : Adam Sherk, Canadian Institute for Substance Use Research, Technology Enterprise Facility Room 273, Université de Victoria, Victoria (C.-B.) V8P 5C2; tél. : 250-853-3235; courriel : asherk@uvic.ca
Résumé
Cet aperçu offre une comparaison entre les recettes publiques provenant de la vente et de la distribution d’alcool et les coûts pour la société associés à la consommation d’alcool, et ce, pour l’année 2014. Les données de Statistique Canada font état de recettes publiques de 10,9 milliards de dollars. Toutefois, ce montant est contrebalancé par des coûts nets pour la société de 14,6 milliards de dollars, comme le rapporte le projet Coûts et méfaits de l’usage de substances au Canada, un projet de surveillance nationale de la consommation de substances. Les coûts pour la société sont constitués des soins de santé, de la perte de productivité économique, de la justice pénale et de divers autres coûts directs. Bien que les recettes de vente d’alcool soient considérées comme un avantage pour les coffres de l’État, une comptabilisation tenant compte des coûts engagés montre que les provinces et les territoires du Canada subissent plutôt un déficit associé à l’alcool, pour un total de 3,7 milliards de dollars à l’échelle nationale.
Mots-clés : consommation d’alcool, coûts, coûts pour la société, projet Coûts et méfaits de l’usage de substances au Canada, déficit associé à l’alcool
Points saillants
- Le Canada subit un déficit associé à l’alcool d’environ 3,7 milliards de dollars par année si on comptabilise à la fois les recettes publiques et les coûts pour la société provenant de sources établies.
- Les recettes publiques étaient de 10,9 milliards de dollars en 2014, mais ce montant a été plus que contrebalancé par des coûts pour la société de 14,6 milliards de dollars, comme le rapporte le projet Coûts et méfaits de l’usage de substances au Canada.
- Les coûts pour la société sont constitués des soins de santé, de la perte de productivité, de la justice pénale et de divers autres coûts directs.
- Au sein des provinces, et sur la base d’un calcul par habitant, c’est en Alberta que les recettes publiques sont les plus faibles et que le déficit associé à l’alcool a été le plus élevé.
Introduction
Les recettes publiques du Canada provenant de la vente et de la distribution d’alcool sont considérées comme profitables pour l’État, dans la mesure où ces recettes sont susceptibles d’être ensuite redirigées vers les soins de santé et l’éducation. En effet, il est évident, à l’examen des comptes publics, que la vente d’alcool est lucrative, rapportant des recettes considérables au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciauxNote de bas de page 1. Toutefois, comme plus de 75 % des Canadiens adultes ont consommé de l’alcool au cours de l’année précédenteNote de bas de page 2, ces recettes sont contrebalancées par des coûts, considérables et croissantsNote de bas de page 3, associés à l’exposition à grande échelle de la population à l’alcool. Ces coûts pour la société sont constitués des soins de santé, e la perte de productivité, de la justice pénale et de divers autres coûts directs.
Statistique Canada consigne, depuis un certain temps, les recettes publiques provenant de la vente de boissons alcoolisées sous la forme de droits d’accise fédéraux, de bénéfice net des régies des alcools provinciales et de taxe de vente (taxe de vente harmonisée [TVH], taxe de vente provinciale [TVP] et taxe sur les produits et services [TPS])Note de bas de page 1. Toutefois, il s’est écoulé plus de dix ans avant que le Canada ne se dote, en 2018, d’un système national de surveillance de la consommation de substances, soit le projet Coûts et méfaits de l’usage de substances au Canada (CEMUSC)Note de bas de page 3. Ce projet fournit une comptabilisation détaillée et exhaustive des coûts pour la société associés à huit substances psychoactives, dont l’alcool. L’alcool est la substance qui a coûté le plus cher au Canada en 2014, à savoir 14,6 milliards de dollars, soit plus que le tabac (12,0 milliards de dollars) et beaucoup plus que les opioïdes (3,5 milliards de dollars) et le cannabis (2,8 milliards de dollars)Note de bas de page 3.
Cet aperçu répond à la question : en tenant compte des recettes nettes et des coûts nets pour la société, les gouvernements du Canada ont-ils un surplus ou un déficit associé à l’alcool?
Méthodologie
Le cadre conceptuel utilisé par les sources de données décrites dans cet article est un scénario hypothétique, dans lequel l’exposition de la population à la consommation d’alcool est nulle et l’a toujours été. Aucune source, pas plus que cet aperçu, ne défend l’idée que la consommation d’alcool devrait être nulle : il s’agit simplement d’un moyen de comptabiliser les recettes publiques et les coûts pour la société causés par l’alcool ou qui lui sont attribués.
Les données provinciales et territoriales sur les recettes nettes des régies des alcools et des recettes publiques provenant de la vente d’alcool sont tirées de la base de données du CANSIM de Statistique Canada pour l’exercice 2014-2015Note de bas de page 1. Les données téléchargées sont plus détaillées que celles présentées dans cet article, où j’ai utilisé le titre de tableau « bénéfice net des régies des alcools » et le titre de ligne « droits d’accise et droits à l’importation fédéraux » mais j’ai regroupé toutes les autres taxes et catégories de recettes sous la rubrique « taxe de vente et autres recettes ».
Le projet CEMUSC détaille les coûts économiques engagés par la société en fonction de 19 catégories et de 4 domaines (soins de santé, perte de productivité économique, justice pénale et autres coûts directs). Les données provinciales et territoriales de 2014 dans ces quatre catégories de coûts ont été consultées au moyen de l’outil interactif de visualisation du projet le 4 décembre 2019. La méthodologie utilisée pour chaque domaine et celle du projet CEMUSC sont décrites ailleursNote de bas de page 3Note de bas de page 4. Le projet CEMUSC sous-estime les coûts des soins de santé dans la province de Québec, car des données manquent dans certaines catégories pour cette province.
Pour chaque province et territoire, ainsi que pour l’ensemble du Canada, les surplus ou déficits totaux nets ont été calculés en faisant la différence entre les recettes nettes et les coûts nets. J’utilise les termes « recettes nettes » et « coûts nets » puisque les coûts (lorsqu’on parle des recettes nettes) et les économies (lorsqu’on parle des coûts nets) ont déjà été comptabilisés. Par exemple, dans la catégorie de recettes nettes de « bénéfice net des régies des alcools » les coûts incorporables, les dépenses administratives et les salaires des employés ont déjà été déduits des ventes brutes. Pour ce qui est des coûts des soins de santé, une faible quantité d’alcool pouvant avoir un léger effet de protection sur certaines affections, comme le diabèteNote de bas de page 5 ou la cardiopathie ischémique chez les femmesNote de bas de page 6, les économies pour le système de soins de santé qui y sont associées ont déjà été incluses dans les chiffres de « coût net ». Les chiffres par habitant ont été calculés à partir des effectifs de la population au 1er juillet 2014Note de bas de page 7.
Résultats
D’importantes recettes publiques – soit un total de près de 10,9 milliards de dollars – provenaient de la vente d’alcool en 2014 (tableau 1). Toutefois, ce montant a été largement contrebalancé par des dépenses de 14,6 milliards de dollars en raison de la consommation d’alcool, ce qui a donné lieu à un déficit national d’environ 3,7 milliards de dollars en 2014.
Tableau 1. Recettes nettes, coûts nets et déficit net des administrations associés à l’alcool, par administration et au Canada, 2014
Administration | Recettes nettes (exercice 2014-2015), en millions de dollars | Coûts nets (2014), en millions de dollars | Surplus/déficit total net, millions $ | |||||||
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Bénéfice net des régies des alcools | Droits d’accise fédéraux | Taxe de venteNote a de Tableau 1 et autres revenus | Recettes totales nettes | Soins de santé | Perte de productivité | Justice pénale | Autres coûts directs | Coûts totaux nets | ||
Terre-Neuve-et-Labrador | 160,7 | 30,1 | 57,9 | 248,7 | (86,8) | (119,5) | (48,9) | (20,8) | (276,0) | (27,3) |
Île-du-Prince-Édouard | 19,7 | 6,7 | 30,3 | 56,7 | (26,2) | (19,7) | (15,0) | (6,0) | (66,9) | (10,2) |
Nouvelle-Écosse | 228,0 | 41,9 | 102,9 | 372,7 | (144,8) | (168,1) | (89,0) | (24,8) | (426,7) | (54,0) |
Nouveau-Brunswick | 166,1 | 27,4 | 54,3 | 247,8 | (102,5) | (120,5) | (76,3) | (27,1) | (326,4) | (78,6) |
QuébecNote b de Tableau 1 | 1 032,7 | 331,8 | 1 080,9 | 2 445,3 | (598,9) | (983,3) | (708,5) | (298,2) | (2 588,9) | (143,6) |
Ontario | 1 817,4 | 549,2 | 1 552,0 | 3 918,6 | (1 473,6) | (2 118,0) | (1 258,0) | (494,7) | (5 344,3) | (1 425,7) |
Manitoba | 281,6 | 56,4 | 93,6 | 431,5 | (186,2) | (224,2) | (105,3) | (61,8) | (577,5) | (146,0) |
Saskatchewan | 244,2 | 53,8 | 93,4 | 391,4 | (179,8) | (235,6) | (107,3) | (40,2) | (562,9) | (171,5) |
Alberta | 765,8 | 218,4 | 127,0 | 1 111,2 | (709,3) | (1 109,6) | (387,2) | (189,7) | (2 395,8) | (1 284,6) |
Colombie-Britannique | 935,2 | 222,2 | 463,9 | 1 621,3 | (673,2) | (744,3) | (349,0) | (169,0) | (1 935,5) | (314,2) |
Yukon | 9,2 | 2,7 | 6,1 | 17,9 | (15,2) | (20,3) | (3,3) | (1,9) | (40,7) | (22,8) |
Territoires du Nord-Ouest | 25,0 | 3,1 | 2,4 | 30,5 | (17,6) | (30,6) | (3,6) | (4,0) | (55,8) | (25,3) |
Nunavut | 1,2 | 0,3 | 0,3 | 1,7 | (16,1) | (22,5) | (2,7) | (2,0) | (43,3) | (41,6) |
Canada | 5 686,9 | 1 543,9 | 3 664,8 | 10 895,5 | (4 230,2) | (5 916,4) | (3 154,2) | (1 340,3) | (14 641,1) | (3 745,6) |
Parmi les catégories de recettes, le bénéfice net des régies des alcools est le plus important à l’échelle nationale, soit 5,7 milliards de dollars (52 %), suivi de la taxe de vente et d’autres revenus pour 3,7 milliards de dollars (34 %) et des droits d’accise fédéraux pour 1,5 milliard de dollars (14 %). Ce bénéfice net des régies des alcools s’est révélé l’élément le plus important des recettes publiques dans toutes les administrations sauf à l’Île-du-Prince-Édouard et au Québec, où la taxe de vente et les autres revenus forment la catégorie la plus importante.
L’analyse des coûts engagés montre que la perte de productivité économique constituait la proportion la plus importante des coûts associés à l’alcool, soit 5,9 milliards de dollars (40 %), suivie des coûts du système de soins de santé pour 4,2 milliards de dollars (29 %), des dépenses en justice pénale pour 3,2 milliards de dollars (22 %) et des autres coûts directs pour 1,34 milliard de dollars (9 %). Il est à noter que le projet CEMUSC sous-estime les coûts des soins de santé au Québec, car des données manquent dans plusieurs catégories de soins de santéNote de bas de page 3.
L’analyse des recettes publiques ainsi que des coûts et des déficits par habitant révèle des différences régionales considérables (tableau 2). De toutes les provinces, c’est en Alberta que les recettes par habitant sont les plus faibles, soit 272 $ par personne (pp), et que les coûts par habitant sont les plus élevés, soit 587 $ pp, donnant ainsi lieu à un déficit par personne (315 $) représentant plus du double de celui de la province classée au deuxième rang ainsi que près de six fois la moyenne nationale. Le Québec présente le déficit par habitant le plus faible, sachant toutefois que ce ne sont pas tous les coûts de soins de santé qui ont été comptabilisés. Terre-Neuve-et-Labrador (52 $ pp), la Nouvelle-Écosse (58 $ pp), l’Île-du-Prince-Édouard (70 $ pp), le Nouveau-Brunswick (104 $ pp) et l’Ontario (105 $ pp) présentent des déficits par habitant en deçà de la moyenne nationale (106 $ pp). Les déficits dans les territoires sont considérablement plus élevés que cette moyenne nationale.
Tableau 2. Recettes nettes, coût net et déficit net par habitant, par administration et au Canada, 2014
Administration | Par personne, en dollars | ||
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Recettes publiques nettes | Coût net | Surplus ou déficit net | |
Terre-Neuve-et-Labrador | 471,0 | (522,6) | (51,6) |
Île-du-Prince-Édouard | 393,3 | (463,7) | (70,4) |
Nouvelle-Écosse | 397,2 | (454,6) | (57,5) |
Nouveau-Brunswick | 326,5 | (430,1) | (103,6) |
QuébecNote a de tableau 2 | 300,0 | (317,6) | (17,6) |
Ontario | 287,8 | (392,5) | (104,7) |
Manitoba | 337,4 | (451,5) | (114,1) |
Saskatchewan | 351,6 | (505,8) | (154,1) |
Alberta | 272,1 | (586,7) | (314,6) |
Colombie-Britannique | 344,4 | (411,2) | (66,7) |
Yukon | 483,0 | (1 095,9) | (613,0) |
Territoires du Nord-Ouest | 695,3 | (1 271,5) | (576,2) |
Nunavut | 48,5 | (1 203,7) | (1 155,2) |
Canada | 307,5 | (413,2) | (105,7) |
Analyse
Une comptabilisation des recettes publiques et des coûts pour la société associés à la vente et à la consommation d’alcool au Canada montre que la conviction d’un surplus associé à l’alcool est erronée. Dans les 13 administrations, les coûts pour la société sont plus élevés que les recettes publiques, ce qui conduit à un « déficit associé à l’alcool » global de 3,7 milliards de dollars en Canada en 2014.
Cette synthèse comporte des limites dans la mesure où les sources de données utilisées pour estimer les recettes du gouvernement et les coûts pour la société offrent une comptabilisation incomplète et sont susceptibles d’être sous-estimées. Les entreprises de fabrication d’alcool et les employés des commerces d’alcool paient des impôts sur leurs revenus de société ou de particulier au gouvernement fédéral ou aux gouvernements provinciaux. Cet élément devrait faire partie des recettes indirectes du gouvernement associées à la consommation d’alcool au Canada. Par ailleurs, comme je l’ai souligné plus haut, le cadre conceptuel de cette étude est un scénario hypothétique dans lequel la population de référence n’est nullement exposée à l’alcool, or cette étude ne recommande pas d’utiliser ce scénario autrement que dans le cadre d’une comptabilisation fondée sur ce scénario. Dans ce scénario hypothétique de référence, les entrepreneurs et les sociétés feraient partie d’autres secteurs de l’économie que celui de l’industrie de l’alcool, or il est difficile de déterminer l’effet économique global de cette diversion de l’énergie et du capital de la production et de la vente d’alcool vers d’autres secteurs.
Les coûts pour la société associés à la consommation d’alcool saisis dans le cadre du projet CEMUSC sont susceptibles d’être considérablement sous-estimés, étant donné que certaines catégories de coûts n’ont pas pu être énumérées en raison de contraintes de méthodologie ou de données. Le projet ne tient pas compte, par exemple, du coût de la douleur et de la souffrance humaines vécues par les personnes et par leur entourage social et associées à des affections de santé causées par l’alcool. Il ne tient pas non plus compt de la perte de productivité économique résultant de l’incarcération, des coûts tout au long de la vie de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale et les coûts des traitements privésNote de bas de page 3.
Conclusion
Les coûts pour la société, à savoir les soins de santé, la perte de productivité économique, la justice pénale et d’autres coûts directs, étaient considérablement plus élevés que les recettes gouvernementales associées à l’alcool dans l’ensemble des provinces et des territoires en 2014. À l’échelle nationale, les recettes publiques de 10,9 milliards de dollars sont en deçà des coûts pour la société, qui sont de 14,6 milliards de dollars d’après l’étude CEMSUC, donnant donc lieu à un déficit associé à l’alcool 3,7 milliards de dollars. Il est évident que l’on prend à Pierre pour donner à Paul.
Remerciements
Ce travail a été rendu possible grâce à une bourse postdoctorale des Instituts de recherche en santé du Canada.
Conflits d’intérêts
AS était un rédacteur invité de ce numéro de la Revue PSPMC, mais il s’est soustrait à toutes les décisions éditoriales concernant ce manuscrit.
Contributions de l’auteur et avis
AS est responsable de l’ensemble de l’article.
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.
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