Éditorial – Prévention et lutte contre le tabagisme au Canada : quelles sont les prochaines étapes?

Revue PSPMC

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Thierry Gagné, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Jennifer L. O’Loughlin, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3

https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.10.01f

Rattachement des auteurs
Correspondance

Jennifer O’Loughlin, Centre de recherche du centre hospitalier de l’Université de Montréal, Tour Saint-Antoine, 850, rue Saint-Denis, Montréal QC, H2X 0A9; Tél. : 514-890-8000 (local 15858); courriel : jennifer.oloughlin@umontreal.ca

Citation proposée

Gagné T, O’Loughlin JL. Prévention et lutte contre le tabagisme au Canada : quelles sont les prochaines étapes? Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2021;41(10):307-309. https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.10.01f

Mots-clés : Canada, tabagisme, vapotage

Malgré des baisses constantes au cours des 30 dernières années, la plus faible prévalence (15 %) ayant été enregistrée en 2019, le tabagisme continue d’être l’un des principaux fardeaux de santé publique au Canada, en particulier chez les groupes socialement défavorisésNote de bas de page 1. Des problèmes nouveaux et inattendus liés au tabac émergent sans cesse, menaçant les progrès réalisés et remettant en question la compréhension que nous avons du tabagisme. L’adoption rapide du vapotage par les jeunes; les effets imprévus des nouvelles lois (p. ex. cannabis) sur le tabagisme; l’évolution des données probantes sur la relation du vapotage avec l’initiation au tabagisme et l’arrêt du tabac; les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur la consommation de tabac : voici les principaux enjeux cruciaux qui vont orienter les travaux de recherche et les politiques en matière de lutte contre le tabagisme pour les années à venir.

En collaboration avec la revue Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada : Recherche, politiques et pratiques (PSPMC), nous avons organisé ce numéro spécial sur la prévention et la lutte contre le tabagisme et le vapotage au Canada. Pour ce faire, nous avons lancé un appel visant à recueillir de nouvelles données probantes sur les lacunes des politiques liées au tabagisme et les défis concernant leur mise en œuvre, les inégalités relatives à la consommation de tabac et au vapotage et les associations entre le recours à des produits de vapotage, l’arrêt du tabagisme et les comportements de réduction des méfaits chez les fumeurs.

Sur les 20 propositions reçues de chercheurs canadiens et de professionnels oeuvrant dans le domaine de la lutte contre le tabagisme et le vapotage, 10 ont été choisies pour être publiées au terme de l’évaluation par les pairs. Même si la majorité des articles portaient sur le vapotage, le nombre et la portée des manuscrits sélectionnés nous ont incités à publier deux numéros : le premier traite principalement d’enjeux d’actualité dans le domaine du tabagisme, tandis que le second sera axé sur le vapotage. Dans ce numéro, nous présentons deux commentaires (l’un sous la direction de Hagen Note de bas de page 2 et l’autre de MelamedNote de bas de page 3) qui remettent en perspective les cinq dernières années de lutte contre le tabagisme et qui s’intéressent au rôle complexe de la pandémie de COVID-19 sur les efforts à venir de lutte contre le tabagisme. Dans l’un des deux articles de recherche originaux, Pelekanakis et ses collaborateursNote de bas de page 4 étudient les raisons à l’origine des divergences provinciales persistantes en matière de prévalence du tabagisme. Le second article, rédigé par Williams et ses collaborateursNote de bas de page 5, présente les prédicteurs de l’adoption de la cigarette électronique chez les élèves du secondaire au Canada. Enfin, un aperçu de Worrell et HagenNote de bas de page 6 présente de nouvelles estimations de l’évolution de l’abordabilité des cigarettes dans les provinces.

Chaque article permet de mieux comprendre les questions fondamentales qui se posent à l’heure actuelle en ce qui a trait à la capacité du Canada à favoriser une diminution de la prévalence du tabagisme. D’abord, Hagen Note de bas de page 2 nous rappelle que les obstacles actuels comprennent à la fois l’hésitation des gouvernements provinciaux et fédéral à considérer encore aujourd’hui la lutte contre le tabagisme comme une priorité et, par conséquent, à allouer des fonds suffisants pour la mise en place de nouvelles mesures audacieuses. L’étude de Pelekanakis et ses collaborateurs Note de bas de page 4, dont l’objectif était de déterminer quel facteur central contribue le plus à la prévalence du tabagisme, a conclu que l’initiation des jeunes au tabagisme est probablement le facteur qui explique les différences de prévalence du tabagisme observées entre le Québec et les autres provinces. Selon les auteurs, lutter contre l’initiation constitue donc une cible de choix pour maintenir la baisse de la prévalence du tabagisme, du moins au Québec.

L’abordabilité des cigarettes et le vapotage sont associés à l’initiation des jeunes au tabagismeNote de bas de page 7Note de bas de page 8. Les articles de Worrell et Hagen Note de bas de page 6 ainsi que de Williams et ses collaborateursNote de bas de page 5 renferment davantage d’information à ce sujet.

Worrell et HagenNote de bas de page 6 soulignent que l’abordabilité des cigarettes ne peut pas être définie uniquement par les taux de taxation, parce que les effets de la taxation sur la consommation dépendent du pouvoir d’achat (à l’aide des normes de l’OMS, les auteurs ont calculé que les augmentations des taux de la taxe d’accise de 10,90 $ dollars canadiens à l’Île-du-Prince-Édouard et de 15,00 $ dollars canadiens en Alberta pour 200 cigarettes entre 2009 et 2019 étaient associées à des augmentations équivalentes de l’abordabilité relative). Les futures augmentations de taxes devraient en tenir compte pour qu’un changement réel puisse se produire. Il est important de noter que des mesures de taxation sévères peuvent aussi réduire les inégalités socioéconomiques observées en ce qui a trait à l’initiation au tabagismeNote de bas de page 9.

De leur côté, Williams et ses collaborateursNote de bas de page 5 nous rappellent l’importance des inégalités dans l’initiation au tabagisme. Les auteurs signalent que l’initiation au vapotage chez les élèves du secondaire est plus fréquente chez les adolescents faisant l’école buissonnière, ceux qui réussissent moins bien sur le plan scolaire et ceux qui ont des difficultés à composer avec leurs émotions. Il est donc possible que le vapotage constitue une nouvelle avenue par laquelle les jeunes vulnérables sont initiés au tabagisme, ce qui perpétue les inégalités sociales.

Dans le même ordre d’idée, MelamedNote de bas de page 3 insiste sur le fait que les inégalités en matière de tabagisme doivent devenir un domaine d’intérêt important en recherche à l’issue de la pandémie de COVID-19. Les mesures de confinement mises en place au cours de la pandémie ont joué sur un grand nombre de facteurs qui ont une incidence sur les habitudes en matière de consommation de tabac. Ces changements ont notamment eu des répercussions sur les milieux que les fumeurs fréquentent, la sécurité financière des fumeurs et leur capacité à composer avec la détresse et l’ennui. La première année de la pandémie a donné lieu à une avalanche d’articles scientifiques à publication accélérée, où la robustesse des résultats a souvent été limitée. Nous devons maintenant recueillir des données probantes solides et de haute qualité afin de mieux comprendre l’incidence de la COVID-19 sur le comportement des fumeurs et déterminer si ces changements auront un effet sur l’initiation au tabagisme et l’arrêt du tabac après la pandémie.

Malgré l’immense fardeau de santé publique que constitue toujours le tabagisme, seul un petit nombre de chercheurs au Canada dirigent des recherches sur le tabagisme qui soient axées sur la population. Au début des années 2000, la mise sur pied de l’Initiative canadienne de recherche pour la lutte contre le tabagisme (ICRCT) a été une mesure créative et audacieuse visant à bâtir une communauté de recherche collaborative sur la lutte contre le tabagisme au Canada, à favoriser un nouveau leadership, à appuyer les jeunes chercheurs qui pourraient soutenir cette communauté et à fournir un financement « protégé » pour de la recherche de grande qualité sur le tabagisme et ayant de grandes retombéesNote de bas de page 10. Le programme a été dissous en 2009, soit environ 10 ans après sa création, avec l’argument que l’ICRCT avait atteint ces objectifs, que le problème du tabac était « résolu » et que le Canada devait désormais se pencher sur d’autres problèmes de santé publique plus urgents, dont l’obésité.

Selon nous, bien que l’ICRCT ait posé les bases nécessaires à l’atteinte des objectifs qui lui avaient été confiés, ses promesses n'ont pas été réalisées au cours des années suivantes. La recherche sur le tabagisme axée sur la population au Canada relève maintenant d’une poignée d’équipes de recherche en vase clos. De plus, trop peu de nouveaux chercheurs hautement qualifiés en matière de lutte contre le tabagisme vont émerger de ces équipes pour prendre le relais. Selon nous, la capacité de recherche canadienne en matière de lutte contre le tabagisme a absolument besoin d’un coup de pouce au cours de la prochaine décennie pour être en mesure de produire de la recherche de pointe pertinente qui parviendra à orienter de façon efficace l’étude en profondeur des enjeux complexes et émergents mis en évidence dans ce numéro de PSPMC, de même que les enjeux à venir. Le Canada doit attirer la prochaine génération de chercheurs qualifiés ayant des compétences méthodologiques bien développées afin d’éradiquer le problème du tabagisme au Canada.

En tant que rédacteurs en chef invités, nous remercions nos collaborateurs (et les pairs évaluateurs) d’avoir produit du contenu qui plaide pour un regain d’attention envers le problème de santé publique que constitue depuis longtemps le tabagisme. Nous espérons que ces numéros spéciaux, qui s’ajoutent à d’autres énoncés de position sur le tabagisme publiés récemment au CanadaNote de bas de page 11, généreront des réflexions sur les réussites antérieures en matière de lutte contre le tabagisme dans le pays. Il ne faut pas oublier que la bataille est loin d’être terminée. En effet, des problèmes nouveaux et de plus en plus difficiles à résoudre ne cessent d’émerger, c’est pourquoi un engagement renouvelé est nécessaire pour maintenir et renforcer la capacité canadienne en matière de recherche sur la lutte contre le tabagisme.

Les priorités de recherche sont notamment de veiller à ce que les interventions qui ont permis de diminuer la prévalence du tabagisme jusqu’en 2020 demeurent pertinentes et efficaces, et de déterminer si le vapotage contribuera à créer une nouvelle génération de jeunes aux prises avec une dépendance à la nicotine. Au sommet des priorités, il y a aussi la nécessité de comprendre davantage l’incidence de la COVID-19 sur le tabagisme grâce à des données probantes, en particulier chez les sous-groupes vulnérables, et de cerner les lacunes dans les programmes et les politiques qui perpétuent les inégalités sociales en matière de tabagisme. Avant tout, nous espérons qu’un regain d’attention envers la recherche sur la lutte contre le tabagisme aidera les praticiens et les décideurs à anticiper les nouveaux défis inévitables qui vont continuer à survenir jusqu’à ce que le problème du tabagisme soit complètement éradiqué.

Remerciements

TG a reçu des bourses postdoctorales des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et du Fonds de recherche du Québec–Santé (FRQS). JOL a été titulaire d’une chaire de recherche du Canada de niveau 1 en déterminants précoces des maladies chroniques de l’adulte de 2006 à 2021. Les auteurs tiennent à remercier Cynthia Callard pour la rétroaction qu’elle a fournie au cours de la rédaction de l’éditorial.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Avis

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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